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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20091124

Dossier : IMM-2201-09

Référence : 2009 CF 1205

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

ERASMO LOPEZ VILLICANA

ERASMO LOPEZ GUADARRAMA

MARIA ESTHER VILLICANA ZAVALA

AARON LOPEZ VILLICANA

DONOVAN LOPEZ VILLICANA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 16 novembre 2009 (la décision), qui leur a refusé la qualité de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger, au sens des dispositions des articles 96 et 97 de la Loi respectivement.

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur principal, un homosexuel, est citoyen mexicain. Il s’est joint à un groupe appelé Liberation Light, qui aidait ses membres à se défaire de leur dépendance à la drogue ou à l’alcool. Il s’est joint au groupe en novembre 2000 pour qu’il l’aide à « venir à bout » de son homosexualité. Il a fréquenté le groupe durant deux ans.

 

[3]               Après quelque temps passé à l’écart du groupe, le demandeur principal y est revenu en 2006. À son retour, il a constaté que le groupe encourageait la haine et la discrimination envers les homosexuels. Il en a parlé au coordonnateur du groupe, mais le coordonnateur ne souhaitait aucun changement. Le demandeur principal a alors, durant une réunion du groupe, fait des déclarations publiques où il condamnait la manière selon laquelle le groupe traitait les homosexuels. Ses déclarations ont provoqué une vive controverse au sein du groupe. Le groupe perdit bientôt bon nombre de ses membres et dut cesser ses activités.

 

[4]               Les chefs du groupe ont alors menacé de représailles le demandeur principal. Celui-ci a fait part des menaces à la police. Les fils de l’un des chefs du groupe l’ont alors agressé, ainsi que son frère. Le demandeur principal n’a pas dénoncé l’agression à la police parce que ses agresseurs lui avaient conseillé de ne pas le faire vu les relations de leur père avec les autorités mexicaines. Il avait d’ailleurs le sentiment que la police mexicaine exerçait une discrimination contre les homosexuels et qu’elle ne réagirait donc pas.

 

[5]               Ces événements ont conduit le demandeur principal et son frère à s’enfuir du Mexique. Après qu’ils eurent quitté le Mexique, leurs parents ont été fichés et les fenêtres de leur maison ont été fracassées à trois reprises. Les parents ont alors quitté le Mexique et rejoint leurs fils au Canada.

 

[6]               Le demandeur principal, son frère, ainsi que sa mère et son père ont déposé une demande conjointe de statut de réfugié au Canada. Leur demande a été rejetée par la Commission.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[7]               La Commission a conclu que le point décisif dans cette affaire avait trait à la protection de l’État.

 

[8]               Dans sa décision, la Commission a examiné le témoignage du demandeur, les conclusions écrites de son avocat et toute la preuve documentaire produite. Elle a prêté une attention particulière à la preuve documentaire se rapportant à la discrimination, au harcèlement et aux actes criminels dont les homosexuels sont victimes au Mexique, ainsi qu’à la preuve concernant la police, les mécanismes de traitement des plaintes et le niveau de démocratie au Mexique.

 

[9]               La Commission a relevé que les demandeurs craignaient les chefs du Liberation Light, mais également le public en général, qui est homophobe et se livre à la discrimination et au harcèlement à l’encontre des minorités sexuelles.

 

[10]           La Commission a pris note du témoignage du demandeur principal selon lequel ses camarades de classe avaient exercé contre lui une discrimination à l’école parce qu’ils devinaient qu’il était homosexuel. Il n’en avait rien dit au directeur ni aux enseignants parce qu’il n’avait pas révélé son orientation sexuelle.

 

[11]           S’agissant de la protection offerte par l’État aux homosexuels, la Commission n’a pas cru que « la majorité des policiers à tous les niveaux ne sont pas prêts à aider les homosexuels, parce qu’[elle] n’a été saisie d’aucune preuve documentaire allant dans ce sens ».

 

[12]           La Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas cherché à se prévaloir de la protection de l’État. Elle a relevé qu’il « n’a pas cherché réparation, ni à la suite des menaces proférées par [les chefs du groupe] [...] ni après l’agression dont lui et son frère ont été victimes de la part des fils de David ».

 

[13]           La Commission a relevé que le demandeur principal affirmait avoir connaissance de l’existence d’une loi fédérale relative à la prévention et à l’élimination de la discrimination, mais qu’il n’avait cependant rien fait pour obtenir « une assistance juridique ou l’assistance des autorités publiques autres que la police » lorsque ses droits étaient piétinés. La Commission a pris acte de la conviction du demandeur principal pour qui les policiers étaient corrompus parce qu’ils étaient amis avec le chef du groupe, mais elle a constaté qu’il n’avait « fait aucun effort pour solliciter l’aide d’un organisme d’État chargé de la lutte contre la corruption ».

 

[14]           La Commission a ensuite considéré que le demandeur principal connaissait l’existence de la Commission des droits de la personne au Mexique, mais qu’il n’avait pas sollicité son aide parce que son site Web ne précisait pas qu’elle venait en aide aux homosexuels. La Commission a relevé que le demandeur principal n’avait pas produit une copie du site Web de la Commission des droits de la personne, de telle sorte qu’elle n’a pas été convaincue « que la Commission des droits de la personne n’offre pas d’aide aux homosexuels comme il a été allégué ».

 

[15]           Le demandeur principal avait aussi connaissance de plusieurs organisations au Mexique dont le mandat est de lutter contre la discrimination exercée contre les homosexuels. Cependant, il n’a pas demandé l’aide de ces organismes parce qu’il croyait qu’ils étaient corrompus.

 

[16]           La Commission a constaté que le demandeur principal ne connaissait pas l’existence du Secrétariat de l’administration publique, ou SACTEL, une liaison permanente qui reçoit les plaintes de citoyens en matière de corruption et de prévarication. Il connaissait l’existence d’une organisation appelée 06, qui fonctionne de la même manière que le SACTEL, mais il avait décidé de ne pas solliciter son aide parce que les chefs du groupe avaient « des amis partout ».

 

[17]           Le demandeur principal a aussi admis avoir connaissance de l’existence de l’Agence fédérale d’enquête, qui s’occupe de questions concernant par exemple la corruption chez les représentants de l’État, mais il a déclaré qu’il avait décidé de ne pas s’adresser à cet organisme par crainte de représailles de la part des chefs du groupe.

 

[18]           Pareillement, après que le demandeur principal s’est enfui du Mexique, ses parents n’ont pas sollicité l’aide d’un quelconque organisme public, même pas de la police lorsque leurs fenêtres avaient été fracassées. La Commission n’a pas été convaincue que le père du demandeur principal n’aurait pas reçu l’aide de la police s’il l’avait demandée, étant donné que lui n’est pas homosexuel.

 

[19]           La Commission a conclu que, compte tenu de la preuve produite, elle n’était pas persuadée que le demandeur principal n’aurait pas reçu l’aide d’organismes publics s’il s’était adressé à eux. Comme le Mexique est une démocratie, la Commission a estimé que « l’ignorance des mécanismes de plainte ne justifie pas l’omission du demandeur d’asile d’utiliser les recours qui s’offrent à lui au Mexique ni la mesure extrême qu’il a prise en demandant protection à l’étranger ».

 

[20]           La Commission a passé en revue les organismes existants au Mexique, notamment la police fédérale et les polices d’État, et autres organismes publics qui interviennent sur des questions telles que le trafic de drogue, les enlèvements, la corruption et la violence à l’encontre des minorités sexuelles.

 

[21]           La Commission a conclu que, puisqu’ils vivaient dans une démocratie, les demandeurs étaient tenus de demander la protection des organismes publics au Mexique avant de solliciter une protection internationale. En l’espèce, le demandeur principal n’avait pas recherché l’aide des autorités lorsque ses droits avaient été violés. La Commission a donc estimé que le demandeur principal « n’a tout simplement pas épuisé raisonnablement tous les recours dont il disposait pour obtenir la protection de ce pays. De ce fait, il ne s’est pas acquitté du fardeau de produire une preuve claire et convaincante de l’incapacité ou du refus de l’État de le protéger ».

 

[22]           La Commission a examiné le rapport du psychologue, mais elle a conclu qu’il n’avait été produit à l’audience aucune preuve persuasive démontrant que le demandeur principal ne pourrait pas bénéficier d’une aide psychologique à son retour au Mexique.

 

[23]           La Commission écrivait que, même si elle ne mettait pas en doute les propos des demandeurs concernant la discrimination dont sont victimes les homosexuels au Mexique, elle n’était pas convaincue que « le demandeur d’asile ne recevrait pas une protection adéquate de l’État contre les personnes qu’il craint, y compris la population en général, s’il retournait au Mexique ».

 

[24]           La Commission a aussi examiné la preuve documentaire démontrant que le gouvernement mexicain avait entrepris une réforme de la police fédérale et que les fonctionnaires, y compris les policiers, sont punis en cas d’inconduite si cela est nécessaire. La Commission a donc estimé que les demandeurs étaient à même d’obtenir une protection policière. Par ailleurs, elle n’a pas été persuadée que le demandeur principal n’aurait pas reçu une aide s’il l’avait demandée, compte tenu de la formation que reçoivent les policiers avant d’entrer dans la police, ce à quoi s’ajoutent les mesures disciplinaires punissant toute inconduite. La Commission a plutôt jugé que les demandeurs n’avaient tout simplement fait aucun effort pour obtenir l’aide d’organismes publics au Mexique.

 

[25]           La Commission n’a pas conclu que la preuve documentaire donnait à penser que la majorité de la population au Mexique est hostile aux homosexuels.

 

[26]           La Commission a également tenu compte de l’existence du SIEDO, le Service des enquêtes spéciales sur le crime organisé, et selon elle il n’était pas établi que le SIEDO n’aurait pas assuré la protection des témoins contre les chefs du groupe et contre les agresseurs du demandeur principal si celui-ci avait demandé une aide.

 

[27]           Par ailleurs, la Commission a estimé que, pour dénoncer l’inconduite des organismes publics qui étaient de mèche avec les chefs du groupe, le demandeur principal aurait dû s’adresser aux organismes de lutte contre la corruption. La Commission a relevé que des mesures avaient été prises en 2007 pour enrayer la corruption au sein de l’administration fédérale et que le gouvernement mexicain avait adopté des lois sévères en ce sens. Le résultat, c’est que l’indice de corruption a baissé depuis au Mexique.

 

[28]           La Commission a conclu que les autorités publiques ne ménageaient pas leurs efforts pour lutter contre la corruption chez les fonctionnaires, y compris parmi la police.

 

[29]           La Commission a aussi relevé que les minorités sexuelles avaient constaté « des gains politiques et juridiques importants à l’échelon fédéral et dans plusieurs États et municipalités [...] comme Mexico ».

 

[30]           En 1998, la Chambre des députés du Mexique a voté l’abrogation de dispositions discriminatoires présentes dans le Code pénal du District fédéral. En outre, en 2003, le Congrès mexicain a approuvé la Loi fédérale visant à prévenir et éliminer la discrimination. La Commission a constaté aussi que la participation politique d’homosexuels au Mexique est largement admise.

 

[31]           La Commission a passé en revue le nombre grandissant de mouvements de défense des homosexuels dans plusieurs villes du Mexique et conclu qu’elle n’était pas « convaincue que le demandeur n’a pas de protection adéquate de l’État contre les Mexicains homophobes et les employeurs à Mexico, où une forte population d’homosexuels vit et travaille ».

 

[32]           Le demandeur principal et sa famille habitaient à Mexico, où siégeaient de nombreux organismes offrant la protection de l’État, mais la Commission a estimé que les demandeurs n’avaient fait aucun effort pour obtenir l’aide de l’un quelconque d’entre eux avant de solliciter une protection au Canada. Et la Commission d’écrire : « compte tenu de l’ensemble de la preuve produite, le tribunal conclut que, sans toutefois être parfaite, une protection adéquate de l’État peut être assurée aux demandeurs d’asile au Mexique ».

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[33]           Les demandeurs soumettent la question suivante à l’appréciation de la Cour :

 

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte des éléments contraires à sa conclusion selon laquelle les demandeurs pourraient, au Mexique, obtenir la protection de l’État?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[34]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, Boardship in a particular social group or political opinion,

 

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a Board of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

[35]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la décision raisonnable simpliciter et la norme de la décision manifestement déraisonnable sont théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 44). La Cour suprême du Canada a donc jugé que les deux normes de la décision raisonnable devraient être fusionnées pour former une norme unique, celle de la décision raisonnable.

 

[36]           La Cour suprême du Canada a aussi jugé, dans l’arrêt Dunsmuir, qu’il n’est pas nécessaire dans tous les cas de faire l’analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la jurisprudence a bien établi la norme de contrôle applicable à la question particulière soumise à la juridiction de contrôle, celle-ci pourra adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête se révélera infructueuse que la juridiction de contrôle procédera à l’examen des quatre facteurs qui forment l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[37]           La manière selon laquelle la Commission examine et apprécie la preuve est une question de fait. Les questions de fait sont revues d’après la norme de la décision raisonnable, puisque, « dans le cadre... d’un contrôle judiciaire, les cours de révision devraient faire preuve de déférence à l’égard des décisions rendues par les juridictions de première instance et les organismes administratifs sur des questions de fait » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 89. L’application de la norme de la décision raisonnable s’impose donc lorsqu’il s’agit de savoir si la Commission a laissé de côté la preuve qui contredit sa propre conclusion.

 

[38]           Par ailleurs, comme l’a mentionné le défendeur, la norme de la décision raisonnable est également la norme qu’il convient d’appliquer à la question de la protection de l’État, puisque la question de savoir si la protection de l’État est suffisante est une question mixte de droit et de fait. Voir l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413.

 

[39]           Dans l’examen d’une décision d’après la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

Les demandeurs

                        La protection de l’État

 

[40]           La Commission n’a pas mis en doute la crédibilité des demandeurs. Elle n’a pas contesté l’orientation sexuelle du demandeur principal ni les épreuves qu’il a subies en tant qu’homosexuel au Mexique.

 

[41]           Selon les demandeurs, l’analyse de la Commission concernant la protection de l’État est une analyse sans consistance. Ils avaient témoigné devant elle que l’État ne pouvait leur assurer aucune protection, mais la Commission ne les a pas entendus, alors même que leurs témoignages contredisaient sa conclusion. La Commission doit, dans sa décision, tenir compte des preuves contraires portées à sa connaissance, et elle doit expliquer en quoi ces preuves ont pesé dans ses conclusions. Voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n° 1425, au paragraphe 15 (QL). Même si, d’après la preuve, le Mexique pouvait être disposé à protéger les demandeurs, il était sans doute incapable de le faire.

 

[42]           D’ailleurs, l’analyse aurait dû porter uniquement sur la force policière du Mexique, plutôt que sur la diversité des autorités et instances publiques citées par la Commission et invoquées par elle comme source de protection. Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur en se concentrant sur les autres autorités et instances publiques auxquelles les demandeurs auraient dû, d’après elle, recourir avant de quitter le Mexique. Une erreur semblable est mentionnée dans la décision Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2008] A.C.F. n° 625, au paragraphe 25 :

[...] ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés.

 

[43]           Dans leur cas particulier, les demandeurs croient que l’idée d’obtenir la protection de la police serait très discutable étant donné que le demandeur principal avait déjà été victime de harcèlement de la part de la police à Mexico. Les demandeurs admettent que ce harcèlement n’atteignait pas le niveau de la persécution, mais le demandeur principal en est venu à douter que la police de Mexico soit à même d’offrir une protection contre une organisation religieuse ou un groupe-culte en cheville à la fois avec des criminels et avec la police. Le demandeur principal a d’ailleurs témoigné devant la Commission qu’il avait vu l’un des anciens chefs du groupe s’entretenir dans son quartier avec des policiers comme s’ils étaient de « vieux amis ».

 

[44]           Selon les demandeurs, l’analyse de la Commission aurait dû porter sur le point de savoir si la police au Mexique serait en mesure de leur offrir une protection suffisante ou efficace. Ils disent que cela obligeait la Commission à se demander si la protection offerte par l’État était suffisante pour faire d’une persécution future une simple possibilité, et non plus une probabilité.

 

[45]           La Commission a donc commis une erreur en se concentrant sur les bonnes intentions du gouvernement du Mexique ou sur le fait qu’il avait établi des mécanismes susceptibles d’offrir une protection aux demandeurs. La Commission aurait dû plutôt se demander si la volonté et l’action du gouvernement avaient pour résultat une véritable protection pour des gens tels que les demandeurs.

 

[46]           Les demandeurs affirment que l’on ne saurait décemment espérer qu’ils s’exposent au danger avant d’« épuiser tous les recours dont ils disposent pour assurer leur protection ». On ne pouvait raisonnablement compter que le demandeur principal et son frère s’engagent dans une longue procédure de dépôt d’une plainte contre la police après avoir été menacés à la pointe du fusil par l’un des fils du chef du groupe. À l’époque, le demandeur principal avait besoin d’une protection rapide et efficace. La preuve présentée à la Commission, notamment un rapport de Judith Adler Hellman et un rapport d’Amnistie Internationale, donnent à penser que cette protection concrète ne leur était probablement pas accessible.

 

[47]           L’affirmation de la Commission selon laquelle elle ne mettait pas en doute les mauvais traitements réservés aux homosexuels au Mexique ne pouvait pas remplacer une analyse en règle de la preuve produite par les demandeurs, une preuve qui attestait l’absence d’une protection de l’État. La Commission a commis une erreur en négligeant d’analyser la preuve qui contredisait manifestement ses conclusions.

 

[48]           Les demandeurs reconnaissent qu’un demandeur d’asile devrait rechercher une protection dans son propre pays, mais la Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. n° 74, qu’un demandeur d’asile n’est pas tenu de mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité. Les demandeurs soutiennent d’ailleurs que la question posée dans la présente instance n’est pas de savoir si une protection peut en général être obtenue de l’État, mais plutôt de savoir si les demandeurs eux-mêmes peuvent obtenir cette protection.

 

            Le défendeur

                        La protection de l’État

 

[49]           La Commission a estimé que le demandeur principal et sa famille n’avaient rien fait pour obtenir l’aide de l’un des organismes ayant vocation à offrir la protection de l’État. Par conséquent, ils ne se sont pas acquittés de leur obligation de démontrer l’incapacité ou le refus de l’État de les protéger.

 

[50]           Le défendeur affirme que, hormis un effondrement complet de l’appareil étatique, il faut présumer qu’une protection peut être obtenue de l’État. C’est aux demandeurs qu’il appartient de produire une preuve claire et convaincante qui réfute cette présomption. Voir les arrêts Ward et Hinzman.

 

La non-réfutation de la présomption d’existence d’une protection de l’État

 

[51]           Le demandeur principal dit que, s’il n’a pas recherché la protection de l’État, c’est parce qu’il savait que le chef du groupe avait des relations au sein de la police, et qu’il croyait que la police était mal disposée envers les homosexuels. Cependant, la Commission a estimé que la preuve ne démontrait pas que les corps policiers ou autres organes de l’État ne voulaient pas l’aider. Plus précisément, elle a conclu que le demandeur principal n’avait pas : a) recherché l’aide de professeurs ou celle du directeur de l’école lorsqu’il avait été menacé; b) recherché l’aide de la police ou d’un autre organisme public lorsqu’il avait été agressé; c) recherché une aide juridique lorsque ses droits avaient été violés, alors même qu’il connaissait l’existence d’organisations susceptibles de lui apporter une aide. La famille du demandeur principal s’était elle aussi abstenue de demander la protection de la police lorsque les fenêtres de leur maison avaient été fracassées. Pour le défendeur, cela révèle non seulement une apathie dans la recherche d’une protection, mais également une mauvaise grâce à tenter de l’obtenir.

 

[52]           La Cour fédérale a jugé que, lorsqu’elle se demande si une protection peut ou non être obtenue de l’État, la Commission peut tenir compte de toutes les mesures raisonnables prises par les demandeurs d’asile compte tenu des circonstances. Ainsi, si des mesures raisonnables n’ont pas été prises par les demandeurs, alors leur demande d’asile perdra de sa pertinence. Voir la décision Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1614.

 

[53]           La Commission a également pris note du grand nombre d’organismes au Mexique auxquels les demandeurs auraient pu s’adresser, notamment la police fédérale, la police d’État, le SIEDO, le SACTEL, et d’autres. Or, le demandeur principal n’a rien fait pour obtenir l’aide de l’un ou l’autre de ces organismes publics quand il a senti que les chefs du groupe avaient sans doute des liens avec la police.

 

[54]           En réponse aux demandeurs, qui se fondent sur la décision Zepeda, le défendeur renvoie la Cour aux jugements suivants : Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 971, [2008] A.C.F. n° 1211; Pal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 698, [2003] A.C.F. n° 894; Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 281, [2002] A.C.F. n° 370; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, [2008] A.C.F. n° 182, au paragraphe 10.

 

[55]           Le défendeur fait aussi valoir que la présente affaire est comparable à l’espèce Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. n° 399, paragraphes 31 à 36, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une tentative infructueuse d’obtenir la protection de la police locale ne permettait pas de conclure à l’insuffisance de la protection de l’État. Dans la présente affaire, il n’y a eu aucune tentative d’obtenir une protection après que le demandeur principal eut été menacé la première fois. Par conséquent, on ne saurait dire que la présomption d’existence d’une protection de l’État a été réfutée.

 

[56]           Le défendeur dit aussi que les mesures que doivent prendre les demandeurs pour obtenir de l’État une protection sont proportionnelles au niveau de démocratie de l’État. Ainsi, plus l’État est démocratique, plus les demandeurs doivent s’efforcer d’obtenir sa protection. Voir N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)(1996), 143 D.L.R. (4th) 532, à la page 534, [1996] A.C.F. n° 1376, et l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. n° 584, au paragraphe 57.

 

[57]           La Commission a estimé que le Mexique est un pays démocratique. En outre, le défendeur invoque de nombreux précédents dans lesquels la Cour fédérale a récemment confirmé la présomption selon laquelle il est possible en général d’obtenir la protection de l’État au Mexique. Voir par exemple les décisions Sanchez et Gutierrez.

 

[58]           La harcèlement dont a été victime le demandeur principal de la part de la police n’équivaut pas à des circonstances exceptionnelles qui le dispenseraient de l’obligation de demander la protection de l’État. Comme le Mexique est une démocratie, il était raisonnable pour la Commission de penser que les demandeurs auraient dû s’adresser à la police et à d’autres organismes avant de rechercher une protection internationale. Le fait pour les demandeurs de ne pas connaître les mécanismes de dépôt des plaintes ne les dispensait pas de cette obligation.

 

L’existence d’une protection suffisante de la part de l’État

 

[59]           Selon le défendeur, la Commission n’a pas commis d’erreur en disant que le demandeur principal et sa famille pouvaient obtenir, au Mexique, une protection suffisante, même si elle n’était pas parfaite. La Commission a pris acte des difficultés que connaissent les homosexuels au Mexique, mais elle a jugé que, d’après l’ensemble de la preuve, le Mexique fait de sérieux efforts pour mieux protéger ses citoyens.

 

[60]           La protection offerte par l’État n’a pas à être parfaite. Il suffit qu’elle soit acceptable. L’imperfection de la protection offerte par l’État ne permet pas de dire que la protection est inexistante. Voir l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334, [1992] A.C.F. n° 1189, et la décision Santiago c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 247, [2008] A.C.F. n° 306, au paragraphe 21.

 

[61]           La Cour a confirmé maintes décisions de la Commission qui concluaient à l’existence au Mexique d’une protection adéquate de la part de l’État. Il y a par exemple le jugement Sanchez, précité, où le juge Barnes écrivait ce qui suit, au paragraphe 12 :

Peu importe les lacunes qui peuvent exister dans le système de justice pénale mexicain, le Mexique est une démocratie qui fonctionne, dotée d’un appareil étatique en mesure d’assurer une certaine protection à ses citoyens.

 

[62]           Le défendeur prétend que la Commission a fait l’analyse approfondie qui est prescrite, et qui est explicitée au paragraphe 20 de la décision Zepeda. La Commission a clairement pris en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine des demandeurs, les démarches faites par les demandeurs et leur interaction avec les autorités. La Commission a aussi pris en compte les problèmes de gouvernance et de corruption qui existent au Mexique. Néanmoins, elle a conclu que, compte tenu des circonstances de la présente affaire, le Mexique aurait été en mesure de protéger le demandeur principal et sa famille.

 

[63]           Selon les demandeurs, la Commission n’aurait pas dû accorder autant d’importance aux intentions et aux efforts du gouvernement mexicain, mais aurait dû tenir compte des résultats. Le défendeur fait valoir que l’analyse de la Commission était une analyse inclusive qui portait sur les défis que doit relever le gouvernement (corruption), sur les efforts que fait le gouvernement (notamment l’adoption de lois) et sur les résultats qu’il a obtenus jusqu’à maintenant (limogeages et dépôt d’accusations). Par la prise en compte de tous ces éléments, il est clair que la Commission a fait une analyse complète des intentions du gouvernement, de ses efforts et des résultats obtenus.

 

Il n’est pas nécessaire de citer toute la preuve

 

[64]           Le défendeur conteste l’affirmation des demandeurs pour qui la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qu’elle avait devant elle. Selon la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, page 318, [1992] A.C.F. n° 946, « le fait que la Commission n’a pas mentionné dans ses motifs une partie quelconque de la preuve documentaire n’entache pas sa décision de nullité ». La SPR n’était donc pas tenue de mentionner dans ses motifs chacune des preuves qu’elle avait devant elle.

 

L’ANALYSE

 

[65]           La Commission n’a pas conclu à l’absence de crédibilité des demandeurs, et la demande se résume à la question de savoir si l’analyse de la Commission concernant l’existence d’une protection de l’État était raisonnable.

 

[66]           Comme le disait clairement la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman, au paragraphe 57, « dans le cas de démocraties bien établies, il incombe au demandeur de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer, et celui-ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles [...] »

 

[67]           S’agissant du Mexique, et comme le faisait observer la juge Tremblay-Lamer dans la décision Zepeda, aux paragraphes 17-20, la jurisprudence de la Cour reconnaît que le Mexique est une démocratie qui fonctionne, mais elle reconnaît aussi que c’est une démocratie qui souffre de problèmes de gouvernance et de corruption largement attestés, nécessitant de la part des décideurs une évaluation complète de la preuve dont ils disposent sur la question de l’existence d’une protection de l’État. Comme le fait observer la juge Tremblay-Lamer :

Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités.

 

 

[68]           En l’espèce, les demandeurs ne se sont pas adressés aux autorités. Ils ont expliqué que le demandeur principal avait déjà été harcelé par la police de Mexico et que la police était, en tout état de cause, en excellents termes avec les agents de persécution. Les demandeurs craignaient qu’en s’adressant à la police, ils ne s’exposent à des risques. En outre, ils disent que, même s’ils s’étaient adressés à la police, la preuve soumise à la Commission démontrait que la police ne leur serait pas venue en aide.

 

[69]           Dans le cas d’une démocratie bien établie, les demandeurs n’auraient pu invoquer de tels arguments pour justifier le fait qu’ils ne se sont pas adressés aux autorités, mais le Mexique connaît des difficultés qui requièrent une analyse plus complète et l’application d’une méthode contextuelle dans l’appréciation de l’existence d’une protection de l’État. L’État mexicain souhaite certainement protéger ses citoyens, mais est-il capable de les protéger?

 

[70]           En l’espèce, les demandeurs ont soumis à la Commission une preuve digne de foi démontrant non seulement que les autorités mexicaines ne peuvent pas protéger les citoyens ordinaires qui manquent de moyens et d’influence, mais également que ce sont ces mêmes autorités (la police, les juges et le gouvernement) qui constituent le plus grand danger pour le citoyen ordinaire.

 

[71]           Selon cette preuve, tous les corps policiers du Mexique sont gangrenés par la corruption et ignorent allégrement la loi, la Commission nationale des droits de la personne reconnaît que les institutions elles-mêmes, dont le mandat est censément de protéger les Mexicains ordinaires, sont justement les plus susceptibles de piétiner leurs droits fondamentaux, enfin les gens riches et ceux qui ont des relations enfreignent les lois en toute impunité, alors même que la police et l’administration sont infiltrées par des trafiquants de drogue et autres criminels agissant en bandes organisées.

 

[72]           Cette preuve ne saurait être écartée comme si elle était sujette à caution. La professeure Judith Adler Hellman, professeur de sciences politiques et sociales à l’université York, a rédigé un Rapport sur les droits de la personne au Mexique, après plus de 40 ans d’activités sur le terrain et de recherches au Mexique. La position de la professeure Hellman était celle du président du Groupe de travail sur les droits de la personne de l’Association des études latino-américaines – une organisation internationale de quelque 6 000 universitaires dont les travaux portent sur l’Amérique latine.

 

[73]           Le rapport de la professeure Hellman non seulement passait en revue la situation ayant cours au Mexique, mais également examinait la tendance de décisions récentes de la CISR qui concluaient à l’existence au Mexique d’une protection efficace de la part de l’État. Le rapport examinait aussi l’idée répandue selon laquelle les pays qui disposent d’institutions politiques stables et qui organisent des élections libres appliquent automatiquement le principe de la primauté du droit et peuvent compter sur les services d’une police honnête et professionnelle. Cette idée est à l’origine, dans notre propre jurisprudence, de la présomption d’existence d’une protection de l’État.

 

[74]           La professeure Hellman conclut qu’une plus grande stabilité des institutions politiques ne signifie pas nécessairement un renforcement du principe de la primauté du droit et que le Mexique en est un bon exemple. Au Mexique, fait observer la professeure Hellman, la perte du pouvoir par le Parti révolutionnaire institutionnel a entraîné une aggravation de la corruption et de l’illégalité parmi les forces de sécurité. Le programme anticorruption, lancé avec éclat à Mexico par la nouvelle administration, celle du Parti révolutionnaire démocratique, fait qu’aujourd’hui [traduction] « les Mexicains sont moins en mesure que jamais d’obtenir la protection de la police. »

 

[75]           Les travaux de la professeure Hellman font autorité, et ses conclusions sont alarmantes :

[traduction]

Nul citoyen bien informé au Mexique ne voudra s’adresser à la police pour obtenir une aide si il se sent menacé par des criminels, par des opposants politiques ou par des personnes qui, pour quelque raison, ont proféré des menaces de violence.

 

Dans un tel climat, les Mexicains ne songent pas à faire appel à la police pour obtenir une protection contre des malfaiteurs comme nous le faisons au Canada. Il est tout simplement risqué de compter sur la police pour vous protéger. Au contraire, ce sera courir après des difficultés accrues. [Non souligné dans l’original.]

 

[76]           Le rapport de la professeure Hellman n’était pas, devant la Commission, l’unique preuve qui contredisait les conclusions de la Commission à propos du Mexique et qui exposait la réalité des victimes d’actes criminels au Mexique. Il y avait aussi un rapport d’Amnistie Internationale, ainsi qu’un article publié dans le plus récent numéro (mars-avril 2009) de la revue Politique étrangère.

 

[77]           La professeure Hellman fait état de cas récents d’assassinats de Canadiens et autres étrangers au Mexique. D’après elle, ces cas font ressortir [traduction] « la stupéfiante incompétence et la stupéfiante incurie » de la police, à tous les échelons, dans l’élucidation des crimes et la protection des citoyens, alors même que ces tragédies placent le Mexique sous les projecteurs de la communauté internationale et pourraient coûter au pays d’importantes recettes touristiques. Si la police n’est pas capable, dans de tels cas, de diligenter des enquêtes dignes de ce nom et le moindrement crédibles, alors la réalité du Mexicain ordinaire doit en effet être terrible.

 

[78]           La Commission s’est montrée notoirement silencieuse sur cette preuve qui contredisait ses propres conclusions.

 

[79]           La Commission n’était pas tenue d’accepter cette preuve contraire. Mais, elle avait l’obligation de l’examiner et de dire pourquoi elle pouvait être écartée en faveur d’autres rapports qui soutenaient ses propres conclusions. Voir la décision Babai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1341, [2004] A.C.F. n° 1614, aux paragraphes 35 à 37, et la décision Cepeda-Guttierez, au paragraphe 47. Elle ne l’a pas fait, et sa décision est donc déraisonnable.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission, pour nouvel examen.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2201-09

 

 

INTITULÉ :                                       ERASMO LOPEZ VILLICANA ET AL.

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 NOVEMBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 24 NOVEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt                                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Melissa Mathieu                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Cliffort Luyt                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

 

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