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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091130

Dossier : T-1820-08

Référence : 2009 CF 1218

Ottawa (Ontario), le 30 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Near 

 

 

ENTRE :

CHERYLYNN HUNT

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 18 septembre 2008 par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a rejeté la demande de réexamen de son refus antérieur d’accorder à la demanderesse des prestations pour un problème aux genoux.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               La demanderesse s’est engagée dans les Forces régulières canadiennes en juin 1982 et a travaillé en qualité d’ingénieure. Selon la demanderesse, elle n’avait pas de problèmes de santé relativement aux genoux lorsqu’elle s’est engagée dans les Forces canadiennes. Elle a commencé à éprouver des douleurs et des malaises de plus en plus forts aux genoux au cours de ses premières années de formation au Collège militaire royal à titre d’élève-officier et au cours de sa formation à l’École du génie militaire des Forces canadiennes.

 

[4]               En 2002, la demanderesse a présenté une demande de pension d’invalidité auprès du ministère des Anciens Combattants (ACC) en raison de chondromalacie rotulienne aux genoux (le problème aux genoux). Elle fait valoir que son problème aux genoux découlait des exigences de son service, notamment lors de l’instruction de base, de l’instruction de recrues et de sa première année en tant que cadette et qu’il s’est aggravé au cours des phases II et III de son instruction.

 

[5]               L’ACC a déterminé que la demanderesse n’avait pas droit à une pension liée à ce problème de santé parce que, d’après la preuve médicale existante, le problème aux genoux ne découlait pas de son service au sein des Forces régulières et n’était pas directement lié à celui‑ci. La demanderesse a interjeté appel au comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (comité de révision). Le comité de révision a tenu une nouvelle audience et a conclu que le problème aux genoux ne donnait pas droit à une pension étant donné qu’aucun document ne faisait état d’un traumatisme aux genoux se rapportant au service et que le comité n’avait été saisi d’aucun avis médical permettant de conclure que l’état de santé allégué se rapportait au service de la demanderesse au sein des Forces régulières.

 

[6]               La demanderesse a interjeté appel de la décision du comité de révision devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal). Le 13 janvier 2005, le Tribunal a confirmé la décision du comité de révision, précisant qu’aucun avis médical n’aurait pu permettre au comité de conclure que le service militaire de la demanderesse avait causé ou aggravé son état.

 

[7]               Le 25 février 2005, la demanderesse a saisi la Cour d’un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. La demanderesse a présenté également auprès du Tribunal une demande de nouvel examen de sa décision et a produit des éléments de preuve supplémentaires de la part du Dr J.A. Ross, en date du 25 avril 2005. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse relativement à son problème aux genoux. La juge Johanne Gauthier a conclu que le Tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire en statuant qu’il ne pouvait conclure sur le fondement de la preuve soumise que le service militaire de la demanderesse avait causé ou aggravé son état (voir Hunt c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1029, 299 F.T.R. 84).

 

[8]               À la suite de la décision de la juge Gauthier, la demande de nouvel examen présentée par la demanderesse a été reprise et l’avocat des pensions de la demanderesse a présenté des observations. Le 18 septembre 2008, le Tribunal a rejeté la demande de nouvel examen.

 

A.        Le régime législatif

 

[9]               Le paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi sur le TACRA ou la Loi) autorise le Tribunal à réexaminer une décision antérieure si un ou plusieurs des motifs de réexamen prévus par la Loi sont établis. Voici le paragraphe 32(1) :

Nouvel examen :

 

32. (1) Par dérogation à l’article 31, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

Reconsideration of decisions:

 

32. (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion,      reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

 

 

[10]           Les articles 3 et 39 prévoient une interprétation libérale de la Loi, favorable au demandeur :

Principe général :

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

[…]

 

Règles régissant la preuve :

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

Construction:

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

[…]

 

Rules of evidence:

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

B.         La décision

 

[11]           Dans ses observations présentées au Tribunal, la demanderesse a soutenu qu’elle avait de nouveaux éléments de preuve à produire. Les nouveaux éléments de preuve consistaient en une lettre de la demanderesse, en date du 23 mars 2005, et une lettre du Dr Ross, en date du 25 avril 2005. Le Tribunal a conclu que les éléments de preuve présentés ne satisfaisaient pas à l’exigence juridique concernant les nouveaux éléments de preuve vu qu’ils auraient pu être présentés à la nouvelle audience, qu’ils n’étaient pas plausibles, et qu’ils n’auraient aucunement influé sur la décision antérieure. Le Tribunal a rejeté la demande de nouvel examen.

 

[12]           Le Tribunal a conclu que les nouveaux éléments de preuve doivent respecter le critère concernant « les nouveaux éléments de preuve » énoncé dans Mackay c. Canada (Procureur général) (1997), 129 F.T.R. 286, 1997 A.C.F. no 495. Les principes suivants découlent de ce critère :

1.         On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès;

 

2.         La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès;

 

3.         La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi;

 

4.         La déposition doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

 

[13]           Dans sa décision, le Tribunal a conclu que les éléments de preuve en question auraient pu être produits plus tôt, avec diligence raisonnable. Il a ajouté que la demanderesse avait été avisée dans les décisions antérieures qu’un avis médical serait utile à la décision du comité de révision, mais qu’elle n’a pas produit une telle preuve lors de la nouvelle audience.

 

[14]           Le Tribunal a conclu également que la preuve provenant du Dr Ross n’était pas plausible, en ce sens qu’on ne puisse raisonnablement y ajouter foi. Il a conclu que l’on ne pouvait pas raisonnablement y ajouter foi parce que la preuve n’était pas étayée par des documents probants. Selon le Tribunal, il était difficile de concilier les conclusions des rapports médicaux périodiques qui ne mentionnaient pas le problème aux genoux avec la déclaration du Dr Ross selon laquelle la demanderesse a présenté à plusieurs reprises depuis 1982 des symptômes liés à son problème aux genoux. Le Tribunal a également conclu que l’avis du Dr Ross ne concordait pas avec l’appréciation courante des médecins sur la question en cause.

 

II.         La norme de contrôle

 

[15]           La norme de contrôle applicable dans le cas des décisions de réexamen du Tribunal est celle de la raisonnabilité (Rioux c. Canada (Procureur général), 2008 CF 991, [2008] A.C.F. no 1231, au paragraphe 17; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

III.       Les questions en litige

 

[16]           En l’espèce, il y a une seule question à examiner : la décision du Tribunal selon laquelle la demanderesse ne répondait pas aux exigences relatives au nouvel examen prévues au paragraphe 32(1) de la Loi sur le TACRA était-elle raisonnable?

 

A.        Les éléments de preuve ne constituaient pas une preuve nouvelle et auraient pu être produits à l’une des nouvelles audiences

 

[17]           La demanderesse soutient que l’application par le Tribunal du critère énoncé dans Mackay, précité, a fait en sorte que la notion d’application de la loi et celle de diligence raisonnable l’emportent sur le principe du « bénéfice du doute » prévu par la Loi sur le TACRA. La justesse de l’application de ce critère a été contestée antérieurement devant la Cour, notamment dans Canada (Bureau de services juridiques des pensions) c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1317, 302 F.T.R. 201, et dans Nolan c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1305, 279 F.T.R. 311.

 

[18]           Dans Canada (Bureau de services juridiques des pensions), précité, le demandeur a contesté l’interprétation que donnait le Tribunal au paragraphe 32(1) et à l’article 111 de la Loi. La question dont la Cour était saisie était de savoir si le Tribunal peut tenir compte du principe de « diligence raisonnable » lorsqu’il décide d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire de réexamen d’une décision d’appel, conformément au paragraphe 32(1) et à l’article 111 de la Loi. La juge Elizabeth Heneghan a répondu à cette question par l’affirmative, à condition que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire de manière conforme à l’objet général de la Loi et qu’il respecte l’intention et le sens des articles 3 et 39.

 

[19]           Dans Nolan, précité, lors de l’audience de réexamen, le demandeur avait voulu produire une deuxième lettre de son médecin. Le Tribunal a conclu que la deuxième lettre ne constituait pas un élément de preuve nouveau selon le critère énoncé dans Mackay, précité. Le demandeur a soutenu que le mot « nouveaux », au paragraphe 32(1), devrait être lu dans son sens ordinaire et littéral et que l’application du critère minimal énoncé dans la décision Mackay, précitée, allait à l’encontre des dispositions libérales des articles 3 et 39 de la Loi sur le TACRA. Le juge Konrad von Finkenstein n’a pas accepté cet argument. Il a conclu au paragraphe 21 que l’adoption par le Tribunal du critère exposé dans la décision Mackay, précitée, pour le traitement des preuves nouvelles était conforme à la jurisprudence existante, évitait la dépense inutile de ressources comptées et constituait un moyen pratique d’appliquer le principe de la stabilité des décisions administratives.

 

[20]           En l’espèce, le Tribunal a conclu que la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Elle savait ou aurait dû savoir que la preuve médicale sur le lien de causalité était nécessaire et elle a eu l’occasion de la produire lors de la nouvelle audience devant le Tribunal. Elle déclare n’avoir pas produit cette preuve parce qu’elle estimait que la demande était assez solide et que la preuve répondait aux lignes directrices médicales applicables concernant le lien de causalité. Lors du réexamen, le Tribunal a conclu que la demanderesse aurait pu produire la lettre du Dr Ross, mais qu’elle ne l’a fait qu’à l’audience de réexamen et que, par conséquent, elle n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Cette conclusion était raisonnable.

 

a.                  La preuve n’était pas plausible et ne pouvait aucunement influer sur le résultat antérieur

 

[21]           Le Tribunal a conclu que, bien que le Dr Ross ait été digne de foi, son avis n’était pas plausible parce qu’il semblait reposer sur la déclaration de la demanderesse et qu’il n’était pas compatible avec un autre élément de preuve, dont la preuve médicale objective. Le Tribunal a ensuite conclu que, compte tenu des autres éléments de preuve, la preuve fournie par le Dr Ross ne constitue pas un avis plausible sur le lien de causalité. Le lien de causalité constituait la question décisive en l’espèce et la nouvelle preuve n’aurait donc pu influer sur le résultat.

 

[22]           La demanderesse soutient que la preuve fournie par le Dr Ross aurait dû être jugée plausible, vu qu’il s’agit d’un médecin qui travaille pour le ministère de la Défense nationale. Toutefois, je souligne que le Tribunal n’a pas conclu que le Dr Ross n’était pas digne de foi, mais que son avis n’était pas plausible. La demanderesse invoque de nouveaux arguments portant que le Tribunal n’a pas pris en compte toute l’étendue de son problème aux genoux, qu’à de nombreuses occasions elle avait éprouvé  des douleurs et des malaises mais ne les avait pas toujours déclarés, et qu’il existait d’autres avis sur la cause et sur le traitement de son problème aux genoux.

 

[23]           Dunsmuir, précité, nous enseigne que le caractère raisonnable d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et plus précisément à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le Tribunal peut rejeter des éléments de preuve s’il est saisi d’une preuve contraire ou s’il fournit des motifs touchant la vraisemblance (voir Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133, [2001] A.C.F. no 52 (1re inst.), au paragraphe 33).

 

[24]           La décision du Tribunal était raisonnable compte tenu de son examen de la lettre du Dr Ross, de la preuve médicale objective et de sa conclusion sur la crédibilité de la preuve concernant le lien de causalité.

 

[25]           Les décisions du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) sont définitives et exécutoires. En vertu du paragraphe 32(1), le Tribunal peut réexaminer une décision antérieure s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés. Il est important de souligner que, suivant les dispositions législatives, chaque procédure de contrôle, à l’exception du réexamen, est menée en reprenant l’affaire depuis le début, avec la possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments nouveaux. Comme l’a dit le juge von Finkenstein au paragraphe 20 de la décision Nolan, précitée, le demandeur doit se préparer à utiliser la procédure d’appel en tant que dernier moyen pour lui de soulever tous les arguments et griefs d’appel possibles. Procéder à un réexamen toutes les fois qu’une preuve quelconque est produite après la communication d’une décision définitive et exécutoire rendue en appel, ce n’est pas respecter le principe de la stabilité des décisions, et ce n’est pas encourager le bon emploi des ressources d’un tribunal.

 

[26]           La décision du Tribunal de rejeter la demande de nouvel examen était raisonnable.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

1.         la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1820-08

 

INTITULÉ :                                                   HUNT

                                                                        c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 30 NOVEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cherylynn Hunt

(905) 235-6709

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Sharon McGovern

(416) 952-0308

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cherylynn Hunt

New Market (Ontario)

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Sharon McGovern

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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