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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20091204

Dossier :  IMM-2178-09

Référence :  2009 CF 1236

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

MAHENDRAN, Indrakumar

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision par laquelle une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée au Canada par Indrakumar Mahendran (le demandeur).

Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka; il a 32 ans. Il est d’origine tamoule et vient du Nord du Sri Lanka. Il a fui le Sri Lanka en 2001, se rendant en France où il a habité jusqu’au rejet de sa demande d’asile. Il est venu au Canada en novembre 2004 et a présenté une demande d’asile. Les autorités canadiennes ont rejeté cette demande d’asile le 15 novembre 2006 pour des motifs liés à la crédibilité; par la suite, la demande de contrôle judiciaire de cette décision a été refusée.

 

[3]               En février 2008, le demandeur a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR); une décision défavorable a été rendue le 17 mars 2008. Il a également présenté une demande de résidence permanente au Canada, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La même agente a rendu les deux décisions. La demande pour motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 18 mars 2008; il s’agit de la décision visée par le présent contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[4]               Au début de ses motifs écrits, l’agente précise le but de la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Elle note que la demande repose sur l’allégation que le renvoi du demandeur au Sri Lanka l’exposerait à des risques, ainsi que sur son degré d’établissement au Canada. Elle poursuit en signalant qu’elle est l’agente qui a évalué la demande d’ERAR du demandeur. De plus, elle précise que l’évaluation des risques dans le cadre d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire se fait à la lumière du degré de difficultés, soit un critère différent de celui mis en application dans un ERAR.

[5]               Selon l’agente, la crédibilité du demandeur s’est révélée la question déterminante dans sa demande d’asile, et la SPR a exposé ses préoccupations quant à la crédibilité du demandeur dans ses motifs. L’agente reprend ensuite certaines des questions liées à la crédibilité exposées par la SPR dans ses motifs écrits, notamment les inférences négatives tirées du fait que : le demandeur n’a pu démontrer où il résidait au cours de la période de cinq ans avant son départ du Sri Lanka;  il n’a pas fourni de documentation concernant sa demande d’asile en France dans le cadre de l’audience; et il y avait des incohérences entre ses deux demandes. L’agente note également que,  bien qu’elle ne soit pas liée par les conclusions de la SPR, elle leur accorde un poids considérable.

 

[6]               L’agente entreprend ensuite l’analyse des motifs sur lesquels repose la demande. En ce qui a trait à la détérioration de la situation au Sri Lanka, elle indique avoir lu et examiné l’information soumise par le demandeur, y compris les articles de presse et les autres sources citées dans son récit. Elle examine ensuite la preuve documentaire sur la situation au Sri Lanka. Elle cite des extraits des Country Reports on Human Rights Practices – 2008, Sri Lanka du Département d’État des États-Unis et de la UNHCR Position on the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka (2006), qui commentent la situation des Tamouls au Sri Lanka. Elle reconnaît ensuite le changement de circonstances au Sri Lanka, mais signale que des événements récents ont eu pour effet de ramener presque tout le pays sous l’autorité de l’État; dans une note de bas de page de sa conclusion, elle fait renvoi à un profil de pays rédigé par la chaîne BBC News. Enfin, elle conclut qu’il n’y a pas de preuve objective que le gouvernement du Sri Lanka prive ses citoyens tamouls de leurs droits fondamentaux, ni que le demandeur serait exposé à des menaces de la part du gouvernement, de l’armée, des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) ou de tout autre groupe. L’agente conclut ensuite que le demandeur est un Tamoul du Nord du Sri Lanka; toutefois, à la lumière de la preuve documentaire, elle ne peut conclure que son renvoi au Sri Lanka ne l’exposerait pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées et démesurées.

 

[7]                L’agente examine divers documents sur les antécédents professionnels du demandeur et conclut que, bien que ce dernier ait fait des efforts pour s’établir, elle n’est pas convaincue qu’il prévoyait obtenir l’autorisation de demeurer au Canada en permanence. Selon l’agente, il est louable que le demandeur ait acquis un certain degré d’établissement, mais elle n’accorde pas de poids significatif à la longueur du séjour ou à l’établissement du demandeur au Canada, si bien que la rupture de ces liens ne l’exposerait pas à des difficultés inhabituelles, injustifiées et démesurées.

 

[8]               Enfin, l’agente conclut que dans l’ensemble le demandeur n’a pas démontré que sa situation personnelle est telle que devoir présenter une demande de visa de résident permanent de l’extérieur du Canada l’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées et démesurées. Elle reconnaît qu’il aura peut-être de la difficulté à se réadapter à la vie au Sri Lanka, mais estime qu’il ne s’agit pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

 

Questions à trancher

[9]               Bien que le demandeur ait soulevé de nombreuses questions, une seule suffit pour trancher la présente demande : l’agente a-t-elle manqué au devoir d’agir équitablement en ne communiquant pas son intention de se fonder sur les changements de circonstances au Sri Lanka et sur la preuve documentaire s’y rapportant?

 

[10]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs ci-dessous.

 

Dispositions législatives applicables

[11]           Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

Analyse    

Norme de contrôle judiciaire

[12]           En raison de la nature discrétionnaire des décisions visant une demande pour motifs d’ordre humanitaire et de l’importance des points de fait dans de telles décisions, il faut appliquer à ces décisions une norme de contrôle fondée sur la déférence, c’est-à-dire la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphes 51 et 53; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, [2008] A.C.F. no 814, paragraphe 11 (QL)). Ainsi, la Cour accordera son attention à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Elle examinera aussi si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47). Pour ce qui est de la question de savoir s’il y a eu un manquement au devoir d’agir avec équité, la norme applicable est celle de la décision correcte et la Cour n’a pas à faire preuve de déférence à l’égard du décideur (Ahmad, paragraphe 14).    

 

L’agente a-t-elle manqué au devoir d’agir équitablement en ne communiquant pas son intention de se fonder sur les changements de circonstances au Sri Lanka et sur la preuve documentaire s’y rapportant?

[13]           Selon le demandeur, le fait que l’agente se soit fondée sur le profil de pays rédigé par la BBC News constituait un manquement au devoir d’agir équitablement envers lui, tel qu’énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.) (QL). Il soutient que l’agente, en concluant qu’il n’y avait pas de preuve objective attestant de la privation systématique de droits de la personne fondamentaux, était à la recherche d’éléments de preuve dans la foulée de l’article de la BBC News; toutefois, il n’était pas en mesure de lui fournir ces éléments de preuve, car l’agente ne l’avait pas avisé de son intention de se fier aux renseignements de la BBC News qui faisaient état d’un changement de la situation au pays. Le demandeur affirme avoir présenté amplement d’éléments de preuve confirmant que le gouvernement du Sri Lanka était à l’origine de la privation systématique de droits de la personne fondamentaux pendant la période qui précède l’article de la BBC News. Il fait remarquer que cela indique clairement que les articles de la BBC News constituaient des renseignements importants aux yeux de l’agente, attestant d’un changement dans la situation générale au pays qui s’est avéré déterminant pour la décision rendue par l’agente.

 

[14]           Le défendeur soutient que l’agente n’avait pas à divulguer cette information et qu’elle n’a pas manqué au devoir d’agir équitablement envers le demandeur. D’après le défendeur, l’agente s’est simplement fiée à une version mise à jour d’un rapport sur le pays en cause, ce qu’elle a le droit de faire, et on ne peut la restreindre à la documentation présentée par le demandeur (voir Hassaballa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489, [2007] A.C.F. no 658 (QL)). De plus, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas été privé d’une occasion valable de présenter entièrement sa cause relativement aux risques, car le rapport de la BBC News est un document public qui renferme de l’information diffusée à grande échelle et on pourrait présumer que le demandeur et son avocat étaient au fait de son existence (Al Mansuri c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 22, [2007] A.C.F. no 16 (QL)).

 

[15]           Dans l’arrêt Mancia, la Cour d’appel fédérale a clairement établi le critère en matière d’équité procédurale pour les situations où un agent se fonde sur un document tiré d’une source publique concernant la situation générale d’un pays, publié après le dépôt des observations. Le devoir d’agir équitablement oblige l’agent à divulguer de tels documents « à condition qu’ils soient inédits et importants et qu’ils fassent état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision » (paragraphe 28).  

 

[16]           Selon le demandeur, il aurait fallu que l’agente divulgue le profil de pays de la BBC News auquel elle s’est reportée. Dans ses motifs, l’agente examine deux éléments de preuve documentaire, l’un en date de 2008 et l’autre en date de 2006, qui décrivent diverses violations des droits de la personne au Sri Lanka où la plupart des victimes sont tamoules. Elle écrit ensuite : [traduction] « Je reconnais le changement de circonstances au Sri Lanka; toutefois, à la suite d’événements récents, le gouvernement a presque rétabli son autorité sur l’ensemble du pays. Je ne dispose d’aucune preuve objective que le gouvernement du Sri Lanka prive de manière soutenue et systématique ses citoyens tamouls de leurs droits de la personne fondamentaux. » Elle fait renvoi au profil de pays de la BBC News à l’appui du premier énoncé.

 

[17]           Ainsi, il est clair que l’article a eu une incidence importante sur la décision de l’agente. Se fondant sur la description de la situation au Sri Lanka selon le profil de la BBC News, l’agente a essentiellement écarté tous les autres éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur à l’appui de sa demande. Il s’agit d’une situation plutôt différente de celles dans les causes citées par le défendeur, où les documents en question étaient des versions mises à jour de rapports soumis par les demandeurs et où les demandeurs avaient soumis d’autres documents portant sur des questions similaires. Ici, le demandeur a soumis une preuve documentaire considérable tirée de sources bien connues, mais il ne pouvait pas savoir qu’elle serait écartée du fait qu’un seul article de presse faisait état d’une amélioration de la situation au pays. Je suis d’accord avec le demandeur que l’agente ne s’est pas seulement fondée sur une version mise à jour d’un rapport sur la situation au Sri Lanka et que, par conséquent, il n’a pas pu faire valoir son point de vue entièrement et équitablement. Par conséquent, je conclus qu’il aurait fallu divulguer le document et que la non-divulgation constituait un manquement au devoir d’agir équitablement.

 

[18]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire ne soulève aucune question.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2178-09

 

INTITULÉ :                                                   MAHENDRAN, Indrakumar

                                                                        et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 2 DÉCEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 4 DÉCEMBRE 2009

 

 

 

comparutions :

 

John W. Grice

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nimanthika Kaneira

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John W. Grice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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