Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091030

Dossier : IMM-4335-08

Référence : 2009 CF 1114

Toronto (Ontario), le 30 octobre 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

HAMID PANAHI-DARGAHLLOO

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]         M. Panahi-Dargahloo, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration relative au contrôle de la détention, dans laquelle la commissaire présidant l’audience (la commissaire) a statué qu’il se soustrairait vraisemblablement au renvoi vers l’Iran, qu’il constituait un danger pour la sécurité publique et que, par conséquent, il devait être maintenu en détention. Le demandeur est détenu sans interruption depuis le 15 juin 2007.

[2]        Le demandeur est un citoyen de l’Iran. Il est arrivé au Canada en juillet 1998 et a présenté une demande d’asile en août 1998. En février 1999, on a reconnu qu’il avait qualité de réfugié au sens de la Convention. En mai 1999, il a demandé à obtenir le statut de résident permanent, qui lui a été refusé en octobre 2002 en raison de son casier judiciaire au Canada. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[3]        Le demandeur a été reconnu coupable de divers crimes et il a purgé des peines d’emprisonnement. En 2004, des responsables de l’immigration ont présenté une demande d’avis de danger en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). En décembre 2006, le délégué du ministre a émis un avis de danger où l’on déclarait que le demandeur constituait un danger pour la sécurité publique. Le demandeur n’a pas demandé non plus le contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]        Le demandeur a été mis à quatre reprises en détention aux fins de l’immigration. La première fois on l’a détenu huit jours; la seconde fois, trois mois. Sa mise en liberté, sur remise d’une garantie de 3 000 $ par sa sœur, prévoyait comme conditions qu’il ne devait pas consommer d’alcool ni commettre d’acte criminel. Pendant sa mise en liberté sous conditions, le demandeur a violé celles-ci en commettant un acte criminel. Il a été reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement. Par suite de cette violation de condition par la perpétration d’un crime, la garantie de 3 000 $ de la sœur du demandeur a été confisquée et, au Programme de cautionnements à Toronto, on a mis un terme à l’entente prise de superviser le demandeur pendant sa mise en liberté.

[5]        En novembre 2006, le demandeur a de nouveau été mis en détention aux fins de l’immigration après qu’il eut purgé sa dernière peine. Le demandeur était détenu depuis sept mois lorsque, le 25 mai 2009, la commissaire de la SI présidant l’audience a approuvé sa mise en liberté sur remise par M. Mansour Ezatti d’un dépôt de garantie et d’un cautionnement de 5 000 $. Le 15 juin 2007, le demandeur a de nouveau été mis en détention lorsqu’il s’est présenté devant les autorités de l’immigration au centre de contrôle du Centre d’exécution de la Loi du Toronto métropolitain (CELTM), M. Ezatti ayant écrit pour demander d’être dégagé de ses responsabilités en tant que caution. Les responsables de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ont soutenu que M. Ezatti ne connaissait pas le demandeur contrairement à ce qui avait été déclaré à la commissaire de la SI. On a envisagé de porter des accusations de présentation erronée ou de réticence sur un fait important, en application de l’alinéa 127a) de la LIPR, mais l’ASFC a finalement décidé de laisser tomber.

 

[6]        Le demandeur a promis de coopérer en vue du bon déroulement de son renvoi vers l’Iran. Il a fourni des documents et rempli une demande de titre de voyage en vue de son retour en Iran. Les autorités iraniennes ont exigé que le demandeur passe une entrevue personnelle avant que ne lui soit délivré un titre de voyage. En décembre 2007, on a conduit le demandeur à l’ambassade d’Iran à Ottawa pour qu’il y subisse une entrevue et pour que soient menés à bien les préparatifs pour son voyage vers l’Iran. Les fonctionnaires de l’ambassade d’Iran ont exigé que le demandeur signe une lettre déclarant qu’il retournait volontairement en Iran. Le demandeur s’y est refusé, puisque ce n’était pas de son plein gré qu’il retournait en Iran. Les fonctionnaires de l’ambassade n’ont donc pas délivré de titre de voyage au demandeur.

[7]        Le demandeur est toujours détenu.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[8]        La Section de l’immigration a procédé à des contrôles périodiques de la détention du demandeur. Le 19 septembre 2008, la commissaire présidant l’audience a procédé à un contrôle, après 30 jours de la date du précédent, de la détention du demandeur. Le 16 octobre 2008, elle a rendu sa décision par écrit, ordonnant le maintien en détention du demandeur.

 

[9]        La commissaire a fait état du fait que le demandeur était citoyen de l’Iran et d’aucun autre pays, qu’il était un réfugié au sens de la Convention, qu’on lui avait refusé le statut de résident permanent en raison de ses déclarations de culpabilité et qu’il faisait l’objet d’une mesure d’expulsion.

 

[10]    La commissaire a fait remarquer que le demandeur n’avait pas contesté, par voie de contrôle judiciaire, le rejet de sa demande de visa de résident permanent, ni contesté l’avis de danger émis par le délégué du ministre. Puis la commissaire a examiné en détail le casier judiciaire du demandeur.

 

[11]    La commissaire a également passé en revue les périodes de détention antérieures du demandeur, ainsi que les circonstances ayant conduit à la confiscation de la première garantie de 3 000 $, en raison de nouvelles accusations au criminel portées contre le demandeur pendant sa mise en liberté.

[12]    La commissaire a examiné les circonstances ayant conduit à la remise et au retrait subséquent du dépôt de garantie et du cautionnement de 5 000 $, ainsi qu’au retour en détention du demandeur aux fins de l’immigration. La commissaire a fait remarquer que l’ASFC avait commencé à enquêter sur d’éventuelles présentations erronées, mais qu’elle avait mis un terme à l’enquête sans qu’aucune accusation n’ait été portée.

 

[13]    La commissaire a relevé qu’une demande de titre de voyage avait été soumise à l’ambassade d’Iran, où le demandeur avait été conduit, celui-ci ayant toutefois refusé de signer une lettre déclarant qu’il retournait volontairement en Iran. Par conséquent, les autorités ont refusé de délivrer un titre de voyage au demandeur. La commissaire a ajouté qu’un second projet de visite du demandeur à l’ambassade d’Iran ne s’était pas concrétisé, puis qu’aucun autre arrangement n’avait été pris en vue de conduire le demandeur à l’ambassade.

 

[14]    La commissaire a pris en compte la proposition faite par Mme Farahnaz Golesorkhi de remettre un dépôt de garantie de 5 000 $. La commissaire a toutefois conclu que ni le cautionnement ni la supervision offerts par Mme Golesorkhi, non plus que l’aide proposée par deux autres personnes, la pasteure Suzette Maciel et M. Huran Golsorkhi, ne pouvaient dissiper les inquiétudes existant quant à la crédibilité et à la fiabilité du demandeur.

 

[15]    Finalement, la commissaire a conclu que le demandeur n’avait pas fait preuve de coopération en refusant de signer à l’ambassade une déclaration de retour volontaire en Iran et que cela démontrait qu’il se soustrairait vraisemblablement au renvoi. La commissaire a décidé de maintenir la détention.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[16]    Les dispositions pertinentes des articles 57 et 58 de la LIPR sont les suivantes :

57. (1) La section contrôle les motifs justifiant le maintien en détention dans les quarante-huit heures suivant le début de celle-ci, ou dans les meilleurs délais par la suite.

 

(2) Par la suite, il y a un nouveau contrôle de ces motifs au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent.

[]

 

 

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

[]

 

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l’étranger sur preuve qu’il fait l’objet d’un contrôle, d’une enquête ou d’une mesure de renvoi et soit qu’il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu’il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi.

 

 

 

(3) Lorsqu’elle ordonne la mise en liberté d’un résident permanent ou d’un étranger, la section peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution.

57. (1) Within 48 hours after a permanent resident or a foreign national is taken into detention, or without delay afterward, the Immigration Division must review the reasons for the continued detention.

 

(2) At least once during the seven days following the review under subsection (1), and at least once during each 30-day period following each previous review, the Immigration Division must review the reasons for the continued detention.

 

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

(a)  they are a danger to the public;

(b)  they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

 

 

 

 

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that he permanent resident or foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

 

(3)  If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any condition that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with conditions.

 

 

[17]     La partie 14 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) énonce les facteurs que la SI doit prendre en compte pour établir si une personne se soustraira vraisemblablement au renvoi. Les articles 244 à 246 et 248 du Règlement prévoient ce qui suit :

244. Pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation :

a) du risque que l’intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l’enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

b) du danger que constitue l’intéressé pour la sécurité publique;

[]

 

Risque de fuite

 

245. Pour l’application de l’alinéa 244a), les critères sont les suivants :

[]

 

b) le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour;

c) le fait de s’être conformé librement à l’obligation de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle;

d) le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de son entrée, de sa mise en liberté ou du sursis à son renvoi;

[]

 

g) l’appartenance réelle à une collectivité au Canada.

 

 

Danger pour le public

 

246. Pour l’application de l’alinéa 244b), les critères sont les suivants :

a) le fait que l’intéressé constitue, de l’avis du ministre aux termes de l’alinéa 101(2)b), des sous-alinéas 113d)(i) ou (ii) ou des alinéas 115(2)a) ou b) de la Loi, un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada;

[]

 

d) la déclaration de culpabilité au Canada, en vertu d’une loi fédérale, quant à l’une des infractions suivantes :

[]

 

(ii) infraction commise avec violence ou des armes;

[]

 

Autres critères

 

248. S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

244.  For the purposes of Division 6 of Part I of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal form Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act;

(b) is a danger to the public;

 

 

 

Flight Risk

 

245.  For purposes of paragraph 244(a), the factors are the following :

...

 

(b) voluntary compliance with any previous departure order;

(c) voluntary compliance with any previously required appearance at an immigration or criminal proceeding;

(d)              previous compliance with any conditions imposed in respect of entry, release or a stay of removal;

...

 

 

 

(g)    the existence of strong ties to a community in Canada.

 

Danger to the Public

 

246. For purposes of paragraph 244(b), the factors are the following :

(a) the fact that the person constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada or a danger tot eh security of Canada under paragraph 101(2)(b), subparagraph 113(d)(i) or (ii) or paragraph 115(2)(a) or (b) of the Act;

(d)      conviction in Canada under an Act of Parliament for

 …

 

 

 

(ii) an offensive weapon involving violence or weapons;

Other factors

 

248. If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release :

(a) the reason for detention;

(b) the length of time in detention;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so that length of time;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the

Department or the person concerned; and

(e) the existence of alternatives to detention.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]     Le demandeur soutient que la commissaire a commis une erreur en

(i)                      ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui lui étaient favorables quant au risque de fuite et au danger pour la sécurité publique;

(ii)                     ne tenant pas compte d’éléments de preuve concernant le retard inexpliqué de l’ASFC pour procéder à son renvoi;

(iii)                   faisant abstraction d’éléments de preuve liés à la durée de la détention et en ne concluant pas que sa détention était d’une durée indéterminée, ces manquements enfreignant les droits que lui garantissent les articles 7 et 12 de la Charte des droits et libertés;

(iv)                   rejetant la solution de rechange à la détention qu’il avait proposée.

 

[19]     Le défendeur soutient pour sa part que la présente demande a un caractère théorique, le demandeur ayant fait l’objet de trois contrôles subséquents de sa détention. Le demandeur, ajoute-t-il, n’aurait soulevé aucune question à débattre.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[20]      La norme de contrôle applicable à la plupart des questions de droit est la décision correcte. La norme de contrôle convenant aux questions de fait, et mixtes de droit et de fait, est la raisonnabilité, tel qu’il est énoncé dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Comme il est également prévu dans cet arrêt (au paragraphe 57), si la jurisprudence établit déjà la norme de contrôle appropriée pour une question particulière, c’est cette norme qu’il faudra appliquer.

 

[21]     Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2003 CF 1225, la juge Gauthier s’est penchée (paragraphes 38 à 59) sur la norme de contrôle applicable aux contrôles de la détention par la Section de l’immigration. Elle a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, et conclu que la bonne norme était la décision manifestement déraisonnable. S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4 (l’arrêt Thanabalasingham), le juge Rothstein a confirmé (au paragraphe 10) que les décisions rendues à l’égard du contrôle de la détention étaient des décisions fondées sur les faits pour lesquelles il fallait faire preuve de retenue.

 

[22]     Pour les questions autres que de droit, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la raisonnabilité.

 

ANALYSE

[23]     Le défendeur soutient que la présente demande de contrôle judiciaire a un caractère théorique. Il fait valoir que trois audiences relatives au contrôle de la détention ont été tenues après la présentation de la demande de contrôle judiciaire et avant le présent contrôle judiciaire, au cours desquelles le demandeur aurait pu soulever toute question pertinente au regard de sa demande de mise en liberté.

 

[24]     Une cause est théorique lorsque la décision du tribunal appelé à trancher n’aura pas pour effet de résoudre une question ayant des conséquences sur les droits des parties (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Romans, 2005 CF 435, paragraphe 35).

 

[25]     La présente demande n’a pas un caractère théorique. Les contrôles de la détention aux fins de l’immigration ne sont pas des audiences de novo, dans le cadre desquelles ne sont pas pris en compte les contrôles antérieurs (arrêt Thanabalasingham, paragraphes 6 et 11). Les questions en litige n’ont pas changé, et elles ne sont pas moins pertinentes du fait de la tenue d’audiences subséquentes.

La commissaire a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve favorables au demandeur quant au risque de fuite et au danger pour la sécurité publique?

 

[26]     Le demandeur soutient que la commissaire a fait abstraction d’éléments de preuve concernant le risque de fuite et le danger pour la sécurité publique. Il cite comme exemples de tels éléments le courriel d’un bénévole rencontré dans un cadre d’instruction religieuse et une lettre de la caution proposée; ces deux personnes estiment qu’il s’est réadapté.

 

[27]     Le demandeur affirme n’avoir rien fait laissant croire qu’il risquait de s’enfuir après sa dernière, quoique brève, mise en liberté, et avoir tenté d’obtenir des traitements pour ses dépendances.

 

[28]     Selon le demandeur, on requiert dans les décisions Salilar c. Canada, [1995] 3 C.F. 150 (paragraphe 18), et Sittampalam c. Canada, [2006] A.C.F. n° 1412 (paragraphe 15), la prise en compte par le commissaire des indices de changement.

 

[29]     La commissaire a considéré en l’espèce qu’en raison de son schéma d’activités criminelles lors des précédentes mises en liberté, le demandeur n’avait pas démontré avoir fait de progrès vers sa réadaptation. La commissaire a également pris en compte, à cet égard, la violation des conditions de mise en liberté du demandeur qui a conduit à la confiscation de la garantie fournie par sa sœur. Faisant allusion à l’offre d’une garantie et de supervision faite par des personnes soutenant le demandeur, la commissaire a dit estimer que cela ne dissipait pas les inquiétudes existant quant à la crédibilité et à la fiabilité du demandeur.

 

[30]     Je conclus que la commissaire a pris en compte la preuve relative à la réadaptation. Le défaut d’avoir mentionné le comportement du demandeur pendant sa dernière brève mise en liberté n’a pas porté atteinte, en soi, à l’appréciation par la commissaire du risque de fuite du demandeur ou du danger que celui-ci constituait pour la sécurité publique.

 

La commissaire a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte, tel que l’exige l’alinéa 248d) du Règlement, d’éléments de preuve concernant le retard inexpliqué pour procéder à son renvoi?

 

[31]     Le demandeur soutient que la commissaire devait prendre en compte tout retard ou tout manque de diligence de sa part ou de la part du défendeur. Et, fait valoir le demandeur, le défendeur a mis dix-neuf mois pour le faire conduire à l’ambassade d’Iran et il n’a pas examiné la possibilité d’un renvoi vers un pays tiers.

 

[32]     Le demandeur soutient que la commissaire n’a pas tenu compte de l’esprit de coopération dont il avait fait preuve en obtenant et signant une demande de titre de voyage, en obtenant copie de la lettre de retour volontaire en vue de l’audience, en fournissant par l’entremise de sa sœur un document d’identification iranien et en communiquant des renseignements sur ses liens de parenté.

 

[33]     Le demandeur met aussi en question l’accent mis par la commissaire sur son refus de déclarer qu’il retournera volontairement en Iran, en soulignant que ce refus est conforme à son statut, au regard de ce pays, de réfugié au sens de la Convention.

 

[34]     Le demandeur récuse l’idée qu’il puisse être forcé de signer une déclaration de rapatriement volontaire. Cela est intrinsèquement contradictoire, soutient-il, et fait abstraction des obligations internationales du Canada en matière de non-refoulement.

 

[35]     Ce sont les fonctionnaires iraniens qui exigent la déclaration de retour volontaire, et non pas les fonctionnaires de l’ASFC.

 

[36]     La question soumise à la commissaire était de savoir si le demandeur devait être mis en liberté ou maintenu en détention. C’est dans d’autres cadres qu’un contrôle de la détention aux fins de l’immigration que doivent être rendues les décisions concernant le refoulement d’un réfugié au sens de la Convention.

 

[37]     Le retard dont se plaint le demandeur est lié au fait qu’il n’est citoyen que de l’Iran. Le seul obstacle au renvoi du demandeur, de l’aveu de ce dernier, tient à son refus de signer la déclaration de retour volontaire requise par les fonctionnaires iraniens. Ce retard ne peut donc être imputé au ministre.

 

[38]     Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kamail, [2002] A.C.F. n° 490, le juge O’Keefe a statué (au paragraphe 35) que, lorsque les fonctionnaires de l’immigration étaient tenus en vertu de la loi d’expulser un citoyen iranien vers l’Iran et que la détention pouvait prendre fin dès que l’expulsé déciderait de signer les documents iraniens nécessaires, l’expulsé était l’artisan de sa propre infortune.

La commissaire a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve liés à la durée de la détention du demandeur, en ne concluant pas que cette détention était de durée indéterminée et en rendant une ordonnance qui enfreignait la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

 

[39]     Le demandeur soutient qu’au moment de la tenue de l’audience, il était détenu depuis plus de deux ans, exception faite de la période de deux semaines ayant suivi sa dernière mise en liberté. Or selon le demandeur, l’alinéa 248c) du Règlement requiert d’un commissaire la prise en compte d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention, et l’alinéa 248b) la prise en compte de la période pendant laquelle l’intéressé a déjà été détenu.

 

[40]     Le demandeur soutient que, comme il ne veut pas déclarer volontaire son retour en Iran et comme les fonctionnaires iraniens ne vont vraisemblablement pas lui délivrer des titres de voyage, sa détention est devenue de durée indéterminée.

 

[41]     Le demandeur fait valoir, en invoquant la décision Sahin c. Canada, [1995] 1 C.F. 214, paragraphe 30, que la détention de durée indéterminée contrevient à l’article 7 de la Charte. Le demandeur renvoie également à l’arrêt Charkaoui c. Canada, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui), dont il cite, comme suit, une partie du paragraphe 123 :

[]

Pour cette raison, je conclus que les longues périodes de détention avant le renvoi prévues par des dispositions de la LIPR relatives aux certificats ne contreviennent pas aux art. 7 ou 12 de la Charte, pourvu que le juge qui procède au contrôle suive les lignes directrices énoncées précédemment. […] Cela n’écarte toutefois pas la possibilité que [] la détention constitue un traitement cruel et inusité ou est incompatible avec les principes de justice fondamentale, de sorte qu’elle constitue une violation de la Charte ouvrant droit à réparation conformément au par. 24(1) de la Charte.

 

[42]     Selon le demandeur, la commissaire a omis de prendre en compte la période passée et éventuelle de détention ainsi que des éléments de preuve démontrant que la détention était de durée indéterminée.

 

[43]     Dans la décision Sahin, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême) a reconnu que les arbitres de la Section de l’immigration avaient compétence pour se prononcer sur les questions de détention pouvant se soulever et sur les dispositions applicables de la Charte. Il a énuméré quatre facteurs pouvant mettre en cause l’article 7 de la Charte, et ainsi déclaré ce qui suit (au paragraphe 30) :

Je pense que des lignes directrices se dégageront au fil de la jurisprudence, qui aideront les arbitres dans les décisions difficiles de ce genre. Pour les aider, voici certaines observations sur les facteurs qu'ils devraient prendre en considération. Les avocats des deux parties ont fait d'utiles suggestions à cet égard. La liste suivante, qui n'est bien entendu pas exhaustive, réunit au moins les facteurs les plus évidents, il me semble. Il est inutile de rappeler que les facteurs applicables à un cas d'espèce et leur importance relative dépendent des faits de la cause.

 

(1) Les motifs de détention, savoir si le requérant peut constituer une menace pour la sécurité publique ou peut se dérober à la mesure de renvoi. À mon avis, une longue détention est d'autant justifiable que l'intéressé est considéré comme une menace pour la sécurité publique.

 

(2) La durée de la détention et le temps pendant lequel la détention sera vraisemblablement prolongée. Si l'individu a été déjà détenu pendant un certain temps comme en l'espèce et s'il est prévu que la détention sera prolongée pour une longue période ou si on ne peut en prévoir la durée, je dirais que ces facteurs favorisent la mise en liberté.

 

(3) Le requérant ou l'intimé a-t-il causé un retard ou ne s'est-il pas montré aussi diligent qu'il est raisonnablement possible de l'être? Les retards inexpliqués ou même le manque inexpliqué de diligence doivent compter contre la partie qui en est responsable.

 

(4) La disponibilité, l'efficacité et l'opportunité d'autres solutions que la détention, telles que la mise en liberté, la liberté sous caution, la comparution au contrôle périodique, la résidence surveillée dans un lieu ou une localité, l'obligation de signaler les changements d'adresse ou de numéro de téléphone, la détention sous une forme moins restrictive de liberté, etc

 

 

[44]     Le premier facteur mentionné penche en défaveur du demandeur. Celui-ci insiste sur le caractère involontaire de son retour en Iran, et selon la commissaire, cela donnait à penser qu’il ne se présenterait pas le moment venu pour être renvoyé en Iran. La commissaire a également passé en revue et fait ressortir les antécédents de progression de la criminalité du demandeur, et conclu que ce dernier constituerait un danger pour la sécurité publique. Cet élément favorise la prolongation de la période de détention. Le troisième facteur est également défavorable au demandeur, comme celui-ci a lui-même occasionné le retard en refusant de signer la déclaration de retour volontaire.

 

[45]     Les deuxième et quatrième facteurs énumérés par le juge Rothstein, la durée de la détention et les solutions de rechange à la détention, sont des critères qui figurent désormais à l’article 248 du Règlement, reproduit ci-après :

248. S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

 

 

 

[46]     Le Règlement exige ainsi qu’après avoir conclu en l’existence de motifs de détention, un commissaire prenne en compte la durée de la détention et les solutions de rechange à la détention. En l’espèce la commissaire a pris en considération la solution de rechange proposée par le demandeur, et a conclu que cette solution ne convenait pas.

 

[47]     Le juge O’Keefe a conclu qu’une période de détention de quatre mois était raisonnable dans une affaire aux circonstances très semblables, l’affaire Kamail c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2002] ACF 490, où était détenu un étranger d’origine iranienne non coopératif. En l’espèce, toutefois, le demandeur est détenu depuis une plus longue période de temps. Il a été détenu du 15 juin 2007 au 19 septembre 2008, soit une période de 15 mois. Avant le 15 juin 2008 et sa brève période de mise en liberté, il avait été détenu pendant six mois. Le demandeur a ainsi été détenu 21 mois aux fins de l’immigration. La durée de cette détention doit être prise en compte, de même que les autres facteurs pertinents.

 

[48]     Lorsqu’elle s’est penchée sur la durée de la détention, la commissaire a renvoyé à la décision Kamail, qu’elle a citée :

[traduction]

Dans la décision Canada (M.C.I.) c. Kamail, la Cour a statué comme suit :

 

[…]

 

[37]      L’arbitre a reconnu, conformément à la décision Sahin, précitée, que le fait que le défendeur n'avait pas coopéré doit être imputé à celui-ci plutôt qu'au ministre. L'arbitre s'est ensuite prononcé en faveur du défendeur en se fondant sur le fait que la période de détention était indéterminée. Il s'agit d'une erreur de droit.

 

[38]      À mon avis, la décision de l'arbitre était déraisonnable. Statuer autrement serait encourager les personnes expulsées à coopérer le moins possible, de façon à se soustraire au système canadien de l'immigration et du statut de réfugié. La décision de l'arbitre ne peut pas être maintenue.

[49]     La commissaire a ensuite conclu que le demandeur se soustrairait vraisemblablement au renvoi, étant donné qu’il n’avait guère coopéré en vue de l’obtention d’un titre de voyage. La commissaire n’a pas examiné la question de la durée de la détention, à mon avis, mettant plutôt l’accent sur la cause du maintien de la détention.

 

[50]     On ajoute à l’article 248 la durée de la détention comme facteur à prendre en compte, après qu’il a été établi si la personne détenue se présentera vraisemblablement en vue de son renvoi. La durée de la détention du demandeur doit être prise en considération en regard d’autres facteurs que le refus de ce dernier de signer la lettre requise par les autorités iraniennes. Parmi ces autres facteurs, il y aurait le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur, le fait qu’il s’est présenté devant les responsables de l’immigration pendant sa dernière mise en liberté, le temps écoulé depuis sa dernière déclaration de culpabilité, la question de savoir s’il a eu l’occasion de recevoir des soins de réadaptation pour toxicomanes alors qu’il était au CELTM et le fait que du soutien lui est offert dans le cadre de son projet de réadaptation.

 

CONCLUSION

[51]     Je conclus qu’était déraisonnable le défaut de la commissaire de prendre en compte la durée de la détention du demandeur en vue de décider si la détention devait ou non être maintenue.

 

[52]     J’accueillerai la demande de contrôle judiciaire et renverrai l’affaire à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

[53]     Le demandeur a proposé plusieurs questions en vue de leur certification, à titre de questions graves de portée générale. Le défendeur s’oppose à une telle certification. Vu ma conclusion selon laquelle la présente affaire repose sur le défaut de la prise en compte, requise par l’article 248 du Règlement, de la durée de la détention, je n’estime nécessaire la certification d’aucune question grave de portée générale.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4335-09

                                                           

 

INTITULÉ :                                       HAMID PANAHI-DARGHALLOO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 30 AVRIL 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 30 OCTOBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer Egsgard                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Carole Simone Dehan

 

Michael Butterfield                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jennifer Egsgard                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.