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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20091210

Dossier : IMM-2077-09

Référence : 2009 CF 1258

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

TIKVAH BERYL ABRO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), vise la décision par laquelle l’agente d’immigration Theresa Bason (l’agente) a refusé de substituer son appréciation aux critères prévus à l’égard de la demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

 

 

Contexte factuel

[2]               Tikvah Beryl Abro (la demanderesse) a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) au Haut-commissariat du Canada à Pretoria, en Afrique du Sud. Elle est citoyenne d’Afrique du Sud et a deux enfants d’âge adulte qui sont citoyens canadiens. Elle a présenté sa demande initiale en novembre 2008 mais n’a pas obtenu le nombre de points requis pour se voir accorder le statut de résidente permanente. Elle a par conséquent demandé une substitution d’appréciation de la part d’un agent, en application du paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

[3]               Dans sa décision en date du 20 mars 2009, l’agente a refusé de substituer une appréciation positive aux critères prévus, et elle n’a pas fait droit à la demande. La demanderesse sollicite maintenant le contrôle de cette décision.

 

Décision contestée

[4]               Tant dans la décision que dans ses notes du STIDI, l’agente indique qu’elle a examiné les observations de la demanderesse à l’appui d’une substitution d’appréciation en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement, et qu’elle a tenu compte notamment de la vaste expérience de travail de la demanderesse, de l’exercice d’un emploi réservé, de la disponibilité de fonds transférables et du soutien de ses enfants au Canada. Cependant, après avoir analysé ces facteurs, l’agente conclut que les 62 points accordés reflètent l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique au Canada et qu’une substitution d’appréciation n’est pas indiquée.

 

[5]               L’agente précise qu’elle est arrivée à cette conclusion parce que la demanderesse exploite sa propre entreprise en Afrique du Sud depuis 1986 et n’a pas depuis travaillé pour un employeur. En outre, la demanderesse n’a pas occupé d’emploi ni ne s’est établie au Canada lorsque la résidence permanente lui a été accordée antérieurement, en 1997. Enfin, l’agente fait remarquer que si la demanderesse souhaite obtenir la résidence permanente au Canada, elle peut être parrainée par un de ses fils au Canada.        

 

Dispositions législatives pertinentes

[6]               Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

76. (3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

76. (3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

Question en litige 

[7]               La demanderesse soulève une seule question :

a.                   L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la substitution d’appréciation en omettant de tenir compte de faits pertinents et de l’ensemble de la situation de la demanderesse?

 

[8]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs suivants.

 

Analyse

Norme de contrôle

[9]               Les deux parties font valoir, et la Cour partage cet avis, que conformément à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et à la jurisprudence de la Cour fédérale, l’évaluation d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) fait appel à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et commande une grande retenue (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 798, [2008] A.C.F. no 995 (QL); Requidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 237, [2009] A.C.F. no 280 (QL)). Par conséquent, la décision appelle l’application de la norme de la raisonnabilité; la décision doit être justifiée et le processus décisionnel, transparent et intelligible. La décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la substitution d’appréciation en omettant de tenir compte de faits pertinents et de l’ensemble de la situation de la demanderesse?

[10]           La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable compte tenu de la preuve dont disposait l’agente. Elle estime que l’agente, comme il ressort de sa décision, n’a pas analysé l’ensemble des circonstances de son cas lorsqu’elle a refusé de substituer son appréciation. La demanderesse ne conteste pas le nombre de points accordés, mais seulement la décision portant sur la substitution de l’appréciation.

 

[11]           La demanderesse affirme en outre que l’agente des visas a fait abstraction d’un certain nombre de facteurs lorsqu’elle a décidé de ne pas substituer son appréciation aux points accordés. Plus particulièrement, la demanderesse allègue que l’agente n’a pas analysé comment l’avis sur un emploi réservé, qui est favorable à la demanderesse, pourrait accroître les probabilités que la demanderesse travaille pour un employeur au Canada. Elle prétend également que l’agente n’a pas tenu compte de l’effet des fonds transférables dont elle dispose, et ajoute que l’agente ne s’est arrêtée à analyser ni les raisons pour lesquelles elle a abandonné son statut de résidente permanente dans le passé, ni la motivation qui l’a conduite à présenter une nouvelle demande. Enfin, elle allègue que l’agente n’a pas expliqué pourquoi une demande présentée dans la catégorie des travailleurs qualifiés plutôt que dans la catégorie du regroupement familial justifierait une décision défavorable sur la substitution d’appréciation.

 

[12]           La demanderesse s’appuie sur la décision rendue dans Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 577, [2008] A.C.F. no 734 (QL), dans laquelle la Cour a jugé que le défaut d’un agent de mentionner les fonds dont dispose un demandeur pour s’établir et le fait de ne pas accorder de poids à une lettre élogieuse des autorités scolaires qui désiraient employer la demanderesse, rendaient la décision déraisonnable.   

 

[13]           Le défendeur, en revanche, affirme qu’étant donné la nature exceptionnelle d’une substitution d’appréciation, il n’est pas obligatoire de donner des motifs écrits, même s’il est souhaitable de le faire. Il suffit que l’agent informe le demandeur que la demande de substitution d’appréciation a été examinée (Poblado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1167, [2005] A.C.F. no 1424 (QL); Requidan, précitée). Partant, l’agent n’a pas à traiter de chaque facteur individuellement, et la déclaration de l’agente selon laquelle elle a étudié la demande et estime que les points accordés reflètent l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique est suffisante.

 

[14]           En l’espèce, l’agente déclare qu’elle a examiné la demande de substitution d’appréciation mais ne peut y donner suite parce qu’à son avis, les points attribués à la demanderesse reflètent fidèlement l’aptitude de celle-ci à réussir son établissement économique au Canada.

 

[15]           La Cour estime que la décision est déraisonnable parce que la preuve dont disposait l’agente démontrait que la demanderesse avait obtenu de Combined Metals Industries Inc., à Toronto, un avis sur un emploi réservé qui lui était favorable et qui avait été approuvé par Service Canada (RHDCC) (dossier du tribunal, à la page 32), et que la demanderesse possédait l’équivalent de 450 000 $CAN à transférer au Canada pour assurer son établissement en vendant sa maison à Johannesburg, en Afrique du Sud (dossier du tribunal, à la page 37), facteurs que l’agente n’a pas mentionnés (Choi, au paragraphe 22).

 

[16]           La Cour considère également qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de conclure que la demanderesse ne réussirait pas son établissement économique au Canada parce qu’elle exploitait son propre commerce en Afrique du Sud depuis 1986 et n’avait pas travaillé pour un employeur depuis ce temps. Aucun élément de preuve n’étaye cette conclusion.

 

[17]           Bien que la décision de l’agente soit discrétionnaire, la Cour est d’avis que son intervention est justifiée.

 

[18]           Dans sa plaidoirie, la demanderesse n’a pas sollicité les dépens.

 

[19]           Aucune question n’a été soumise pour certification, et la présente instance ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision est annulée. L’affaire est renvoyée à un agent nouvellement désigné pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci. Aucune question n’est certifiée.  

 

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2077-09

 

INTITULÉ :                                       TIKVAH BERYL ABRO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cathryn Sawicki                                                                       POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                               

 

Hillary Stephenson                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green et Spiegel, s.r.l.                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

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