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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20091202

Dossier : T-555-08

Référence : 2009 CF 1226

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

RYAN MURPHY et autres

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Ce jugement fait suite à la contestation des demandes péremptoires de communication de renseignements (DPCR), délivrées, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), à chacun des demandeurs, qui prétendument sont membres du UN Gang opérant dans la région de Vancouver (C.-B.). Les demandeurs invoquent de prétendus actes illégaux et répétés de la part de certains représentants de l’Agence du revenu du Canada (ARC), actes qui ne sont pas autorisés et auxquels l’ARC s’est livrée à des fins autres que l’application de la Loi.

 

[2]               Il est un principe juridique fondamental selon lequel chacun est tenu d’obéir aux lois et tous ont droit à la protection de la loi, même les plaideurs qui semblent indignes d’indulgence. Parmi eux figureraient les membres de gangs connus pour se livrer, dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique, à certains des agissements les plus condamnables.

 

[3]               Il n’est pas nécessaire, et il n’est d’ailleurs pas du ressort de la présente enquête, de dire si les demandeurs appartiennent au UN Gang. Cependant, l’historique de ce litige, marqué par le remplacement du plaideur principal en raison du fait que d’autres membres s’étaient fait « buter », et par d’autres mesures prises par les demandeurs pour protéger des renseignements personnels généralement accessibles dans un litige, afin de prévenir des représailles de la part d’inconnus, permet de croire qu’ils sont membres de bandes criminelles.

 

II.         LE CONTEXTE

[4]               La présente procédure de contrôle judiciaire porte sur la décision d’un membre de l’ARC (décision censément prise au nom du ministre du Revenu national) de délivrer des DPCR, sur la mise en train de ce processus, sur son objet et sur la manière dont il a été conduit.

 

[5]               Les actes de l’ARC qui sont contestés étaient ceux du Programme spécial d’exécution (PSE) du Bureau des services fiscaux de Vancouver (le BSFV) de l’ARC. Le PSE a pour mandat de mener des vérifications et d’appliquer d’autres mesures civiles d’exécution à l’encontre des contribuables soupçonnés de tirer un revenu d’activités illégales. Le PSE a eu de nombreux contacts avec des unités de police durant la période visée par la présente instance.

 

[6]               La principale unité de police en cause est la Section des produits de la criminalité du Combined Forces Special Enforcement Unit – Colombie-Britannique (la CFSEU – CB). Cette organisation réunit des membres des organismes fédéraux, provinciaux et municipaux d’application de la loi.

 

[7]               Les activités de Wayne Fjoser, qui était chef d’équipe au sein du PSE, sont déterminantes pour la présente affaire. C’est lui qui a signé les DPCR. Durant le temps qu’il a passé au sein du PSE, il a eu affaire à divers corps policiers, auxquels il présentait des exposés concernant le mandat du PSE, le droit de l’ARC d’obtenir des renseignements confidentiels et le droit de l’ARC ou du PSE de communiquer ces renseignements à la police, y compris les limites de ce droit. L’un des instruments employés par l’ARC/le PSE est la délivrance de DPCR.

 

[8]               Il convient en particulier de souligner ici, s’agissant de la délivrance de DPCR, que M. Fjoser, à titre de chef d’équipe, n’avait pas été investi du pouvoir de délivrer des DPCR d’après les Matrices d’autorités nationales (les Matrices). Ce sujet sera évoqué plus loin. Les Matrices étaient la méthode par laquelle le pouvoir du ministre d’émettre des documents et d’appliquer des moyens de contrainte était délégué à des niveaux précis ou à des catégories d’emplois précises au sein de l’ARC.

 

[9]               Par lettres datées du 8 mars 2007 et du 20 mars 2007, l’inspecteur Michael Ryan, un officier chevronné de la GRC et à l’époque l’officier responsable de la Section des produits de la criminalité de la CFSEU – CB, a remis à M. Fjoser une liste de personnes dont on savait ou soupçonnait qu’elles appartenaient au UN Gang. M. Ryan a déclaré dans son témoignage qu’il avait pris l’initiative de présenter cette liste à l’ARC. Il n’a pas donné l’impression que lui-même ou la CFSEU – CB attendait quelque chose en retour.

 

[10]           En contradiction totale avec le témoignage de M. Ryan, M. Fjoser a déclaré que c’était lui qui avait demandé cette information à M. Ryan après avoir conclu que le UN Gang était une association dont les membres omettaient vraisemblablement de déclarer des revenus tirés d’activités illégales. Selon son témoignage, M. Fjoser était arrivé à cette conclusion à la suite de reportages parus dans la presse.

 

[11]           Le témoignage de M. Fjoser ne lève pas l’incertitude sur ce qui a pu le conduire à délivrer les DPCR. Cette incertitude n’est pas sans conséquence pour l’observation de la règle selon laquelle le ministre doit avoir engagé « une enquête sérieuse et authentique sur la situation fiscale du contribuable ».

 

[12]           Pour les motifs qui seront exposés plus loin, la Cour croit que le témoignage de M. Ryan est nettement plus crédible que celui de M. Fjoser. Le témoignage de M. Fjoser présente effectivement des faiblesses et, sous maints aspects importants, il n’est pas persuasif.

 

[13]           Quoi qu’il en soit, après avoir reçu la liste de M. Ryan, M. Fjoser l’a transmise à Jacqueline Gomez, agente d’observation au PSE. Mme Gomez a vérifié si les personnes nommément désignées avaient produit des déclarations de revenu. Si ce n’était pas le cas, une demande péremptoire de production d’une déclaration était délivrée au récalcitrant. S’agissant de la possibilité de délivrer des DPCR, Mme Gomez s’est informée sur les divers intéressés en parcourant des documents publics.

 

[14]           Des DPCR ont été rédigées pour certaines années, exigeant l’envoi de relevés de valeur nette de tous les demandeurs pour les années 2005 et 2006, et de la plupart des demandeurs pour 2004. M. Fjoser a rédigé les documents d’autorisation des DPCR, puis a autorisé les DPCR en y apposant avec une estampille la signature d’Arlene White, directrice du BSFV, qui était autorisée en vertu des Matrices à signer et délivrer les DPCR.

 

[15]           M. Fjoser a témoigné qu’il n’avait jamais parlé de ses activités concernant le UN Gang avec sa directrice, son directeur adjoint ou son directeur intérimaire. Les seuls échanges qu’il a eus avec ces supérieurs avaient trait au litige actuel.

 

[16]           Dans le contexte d’une bande criminelle passant pour l’une des plus brutales et mobilisant une escouade de policiers expérimentés issus de plusieurs services, M. Fjoser a déclaré expressément que lui-même et Mme Gomez étaient les seuls à travailler sur le projet et qu’ils ne dépendaient de personne.

 

[17]           Les DPCR ont été émises par M. Fjoser en avril 2007, mais elles n’ont été signifiées qu’au début de 2008 (entre février et avril). Elles ont été remises en main propre par Mme Gomez à chacun des demandeurs et, dans la plupart des cas, en la présence et avec l’aide de la police.

 

[18]           Le temps qui s’est écoulé entre l’autorisation des DPCR en 2007 et leur signification en 2008 s’expliquait en partie par le délai nécessaire pour s’assurer de la présence des policiers durant leur signification.

 

[19]           C’est M. Fjoser qui a demandé à Mme Gomez de procéder à la signification en main propre, avec l’assistance de policiers, plutôt qu’à une signification selon ce que prévoient les lois, c’est‑à‑dire par l’entremise d’avocats ou de mandataires ou par poste recommandée. Dans certains cas très restreints, c’est par l’entremise d’un avocat que la DPCR a été signifiée à un demandeur.

 

[20]           Plusieurs des policiers qui accompagnaient Mme Gomez étaient membres de l’équipe intégrée chargée des gangs; certains des demandeurs étaient connus de la police. La manière employée consistait pour Mme Gomez à s’identifier, puis à dire à l’intéressé qu’elle signifiait des mises en demeure en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. La présence policière ne passait pas inaperçue et elle était très envahissante. La remise des documents se faisait en général tard le soir, au milieu de nombreuses voitures de police, tous feux allumés, et avec tout l’attirail propre à un coup de filet. Bon nombre des policiers étaient membres de l’équipe intégrée chargée de s’occuper des gangs.

 

[21]           Plusieurs des demandeurs se sont vu signifier les documents chez eux, vers minuit, après que la police avait frappé à leur porte. Outre la présence policière très visible lors de la signification des mises en demeure, souvent les policiers ne se sont pas gênés pour pénétrer sur le terrain de l’intéressé et noter les noms des personnes présentes, les véhicules se trouvant sur le terrain, et autres détails sur les particularités des lieux. Il y avait des policiers en civil et d’autres en uniforme.

 

[22]           À au moins une occasion, Mme Gomez a communiqué à la police, sur demande de celle-ci, et après avoir signifié la mise en demeure, les noms, adresses et dates de naissance des personnes ayant reçu les mises en demeure, ainsi que les détails concernant leurs conjointes ou conjoints ou compagnes ou compagnons respectifs. L’information venait du système de renseignements fiscaux de l’ARC. L’explication donnée à l’appui de cette divulgation était que la police avait demandé à savoir où ces gens étaient allés et ce qu’ils avaient fait.

 

[23]           Il n’est pas établi que M. Fjoser ou Mme Gomez ait pris des mesures ou fait des démarches pour garder en lieu sûr les renseignements confidentiels ou en limiter l’utilisation.

 

[24]           Après la signification des DPCR, aucune mesure d’exécution n’a été prise pour protéger les renseignements demandés, et il n’a pas non plus été demandé à la Cour d’ordonner que ces renseignements demeurent confidentiels jusqu’à l’issue du présent litige.

 


III.       LES POINTS LITIGIEUX

[25]           Les points litigieux soulevés dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivants :

a.                   Les demandes péremptoires de communication de renseignements sont-elles invalides parce qu’elles n’ont pas été délivrées par une personne autorisée?

 

b.             Le fondement des DPCR est-il entaché par l’absence d’une « enquête sérieuse et authentique sur la situation fiscale des demandeurs »?

 

c.              Est-il nécessaire d’appliquer à la présente affaire le critère de l’objet prédominant et, dans l’affirmative, le procédé du ministre répond-il à ce critère?

 

d.             Subsidiairement, l’alinéa 241(3)a) de la Loi est-il compatible avec les articles 7 et 8 de la Charte et, dans la mesure où il ne l’est pas, est-il par conséquent invalide et sans effet?

 

IV.       L’ANALYSE

A.        Le pouvoir d’émettre les DPCR

[26]           La question de savoir si M. Fjoser pouvait décider d’émettre les DPCR est une question de compétence qui doit être revue d’après la norme de la décision correcte (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[27]           L’étendue du pouvoir conféré à M. Fjoser dépend de l’interprétation de dispositions législatives, de l’étendue de la délégation du pouvoir du ministre, et du pouvoir d’un représentant du ministre de subdéléguer le pouvoir lui-même qui est expressément conféré. Ces questions sont lourdes de conséquence, non seulement pour les parties à la présente instance, mais également pour les autres contribuables. Il n’est pas contesté que c’est M. Fjoser qui a décidé d’émettre les DPCR et de prendre les mesures contestées en l’espèce. Comme M. Fjoser n’a jamais conféré ni communiqué avec la directrice White ni avec aucun autre fonctionnaire de rang supérieur, la question posée dans la présente affaire concerne l’étendue du pouvoir de M. Fjoser d’agir, elle n’est pas de savoir si la directrice White avait eu son mot à dire dans la délivrance des DPCR.

 

[28]           Le pouvoir du ministre d’émettre des DPCR a pour fondement le paragraphe 231.2(1) de la Loi :

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord général d’échange de renseignements fiscaux entre le Canada et un autre pays ou territoire qui est en vigueur et s’applique ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

 

 

 

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

 

b) qu’elle produise des documents.

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a comprehensive tax information exchange agreement between Canada and another country or jurisdiction that is in force and has effect or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as stipulated in the notice,

 

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

 

 

 

(b) any document.

 

[29]           Le pouvoir du ministre de déléguer lesdites attributions à un fonctionnaire ou à une catégorie de fonctionnaires est très explicitement énoncé dans l’article 220, et tout particulièrement dans le paragraphe 220(2.01) :

220. (1) Le ministre assure l’application et l’exécution de la présente loi. Le commissaire du revenu peut exercer les pouvoirs et fonctions conférés au ministre en vertu de la présente loi.

 

 (2) Sont nommés ou employés de la manière autorisée par la loi les fonctionnaires, commis et préposés nécessaires à l’application et à l’exécution de la présente loi.

 

 (2.01) Le ministre peut autoriser un fonctionnaire ou une catégorie de fonctionnaires à exercer les pouvoirs et fonctions qui lui sont conférés en vertu de la présente loi.

220. (1) The Minister shall administer and enforce this Act and the Commissioner of Revenue may exercise all the powers and perform the duties of the Minister under this Act.

 

 

 (2) Such officers, clerks and employees as are necessary to administer and enforce this Act shall be appointed or employed in the manner authorized by law.

 

 

 (2.01) The Minister may authorize an officer or a class of officers to exercise powers or perform duties of the Minister under this Act.

 

[30]           En accord avec ce pouvoir de délégation, le ministre a établi un régime de délégation dans lequel certaines de ses attributions ont été déléguées à certains échelons au sein de la bureaucratie de l’ARC. Les Matrices d’autorités nationales (qui comprenaient la Matrice législative et la Matrice des politiques) décrivaient en détail les fonctions que divers postes, par exemple sous-ministre adjoint, directeur, etc., pouvaient exercer par délégation du ministre.

 

[31]           Le pouvoir d’émettre une DPCR a été délégué à plusieurs échelons supérieurs de la bureaucratie, notamment au poste de directeur, le poste occupé par Mme White.

 

[32]           Le poste de chef d’équipe, un poste qu’occupait M. Fjoser, était inclus dans les Matrices, et certaines fonctions étaient déléguées à ce poste, mais non la fonction consistant à émettre des DPCR.

 

[33]           Le 2 novembre 2004, Mme White a prétendu déléguer ses pouvoirs à M. Fjoser en raison des exigences « administratives et opérationnelles » de son poste, et afin d’[traduction] « accélérer la conduite des affaires publiques ». Cette délégation autorisait M. Fjoser :

a)         à exercer les pouvoirs et fonctions correspondant aux paramètres du poste de Mme White selon la Matrice législative; et

b)         à apposer par autographie la signature de Mme White.

 

[34]           Selon le défendeur, cette forme de subdélégation autorisait M. Fjoser à prendre la décision d’émettre des DPCR.

 

[35]           La Cour n’est pas persuadée que Mme White avait le pouvoir de déléguer ainsi ses pouvoirs à M. Fjoser, puisqu’il existait des dispositions claires régissant la délégation de pouvoirs par le ministre, et compte tenu du caractère très précis de la délégation de diverses attributions aux fonctionnaires de certains échelons, comme il est mentionné dans les Matrices.

 

[36]           Dans la décision Bancheri c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] A.C.I. n° 22 (QL), une affaire très semblable à celle qui nous concerne, le juge Porter, de la Cour de l’impôt, a conclu que, lorsqu’il existe un régime explicite de délégation qui ne prévoit pas de subdélégation, alors la subdélégation est exclue. J’adopte ce raisonnement car il s’accorde tout à fait avec le régime législatif et prend en compte la nature des pouvoirs délégués et la manière dont ils ont été délégués.

 

[37]           Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où l’existence d’un pouvoir de délégation peut être déduite comme c’est souvent le cas dans l’administration courante d’un gouvernement moderne. Il importe de garder à l’esprit que la fonction en cause, à savoir l’envoi de DPCR, n’est pas une curiosité bureaucratique anodine. Les DPCR ont force de loi, elles sont intrusives et elles obligent un contribuable à communiquer des renseignements de nature à l’incriminer. Une DPCR est un « mandat sans perquisition » (par opposition à la pernicieuse « perquisition sans mandat »), mais elle produit tous les effets d’une divulgation obligatoire.

 

[38]           Dans la décision Bancheri, précitée, un chef d’équipe de la section des appels avait décidé que Mme Bancheri n’avait pas droit à l’assurance-emploi. Il avait alors apposé, au nom du ministre, l’estampille de la chef de la section des appels sur la décision. Le juge de la Cour de l’impôt a annulé la décision tout en concluant que, si la décision avait été prise par l’autorité compétente, elle aurait été fondée. Il avait été établi que la chef de la section des appels avait délégué son pouvoir au chef d’équipe. Cependant, la Cour de l’impôt a jugé que, puisqu’il existait un régime de délégation des pouvoirs du ministre à la chef de section, sans qu’il soit fait état d’une sous-délégation, toute délégation additionnelle du pouvoir de prendre la décision en cause devenait impossible.

 

[39]           Selon moi, le fondement de la décision Bancheri est conforme au droit, et ce précédent est applicable à la présente affaire. En l’espèce, il existe un régime précis et complet de délégation du pouvoir du ministre à des échelons de l’ARC qui sont explicitement désignés. Rien ne donne à penser que la personne détenant le pouvoir délégué avait le pouvoir de le subdéléguer. Un chef d’équipe n’avait pas le pouvoir délégué de délivrer des DPCR, et le fonctionnaire détenant le pouvoir de les délivrer (la directrice White) ne pouvait pas subdéléguer ce pouvoir.

 

[40]           L’avis de la Cour selon lequel le paragraphe 220(2.01) de la Loi n’autorise pas la délégation additionnelle de pouvoirs à des postes ne figurant pas dans la Matrice est confirmé par la maxime « delegatus non potest delegare » – celui qui est délégué ne peut pas déléguer. La maxime est un principe d’interprétation des lois, et le régime législatif ne renferme rien qui donnerait à penser que le pouvoir de délégation du ministre pouvait être subdélégué.

 

[41]           D’ailleurs, comme on peut le lire dans l’arrêt Forget c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 90, la règle delegatus non potest delegare empêche le titulaire d’un pouvoir qui suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de conférer l’exercice de ce pouvoir à une autre personne ou à un autre organisme.

 

[42]           Depuis au moins l’arrêt R. c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, il est reconnu qu’un pouvoir confié à un ministre sera souvent exercé, non pas par le ministre, mais par de hauts fonctionnaires du ministère, après délégation par le ministre. Cependant, il y a des limites rigoureuses à cette forme de délégation, même dans une bureaucratie moderne. L’une de ces limites est le cas où il existe un cadre de délégation dans lequel tel pouvoir est conféré à tel poste tandis qu’il ne peut pas être exercé par tel autre. Ce serait agir en contradiction avec le régime de délégation que de laisser un délégataire déléguer à nouveau son pouvoir le long de la chaîne de commandement quand le ministre n’était pas disposé à le faire directement.

 

[43]           L’émission d’une DPCR résulte d’un pouvoir discrétionnaire, et non d’un pouvoir purement administratif. Les dépositaires du pouvoir ne peuvent se situer à un niveau hiérarchiquement inférieur à celui de directeur (par exemple Mme White). Par suite de l’application de la règle delegatus non potest delegare, Mme White, à titre de délégataire du pouvoir discrétionnaire du ministre, n’avait pas le droit de déléguer à M. Fjoser l’exercice de ce pouvoir.

 

[44]           La conclusion est qu’il y avait des limites rigoureuses à la délégation de pouvoirs et que le délégataire ne pouvait pas les subdéléguer, et cette conclusion s’accorde avec l’historique du paragraphe 220(2.01).

 

[45]           La disposition est entrée en vigueur en même temps que le texte de loi établissant l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). L’idée, à l’époque, était que le ministre du Revenu national devait conserver un droit de regard sur ce qui allait être un organisme quasi autonome. Il est clair que, même si le texte autorisait le ministre à déléguer certains pouvoirs à la nouvelle ADRC, ce pouvoir de délégation était subordonné à des conditions rigoureuses.

 

[46]           Compte tenu de l’ensemble des facteurs examinés dans les paragraphes ci-dessus, un régime général de sub-subdélégation, ou le pouvoir du délégataire de subdéléguer, ne saurait être sous‑entendu ou présumé.

 

[47]           Je suis donc arrivé à la conclusion que, puisque le ministre avait formellement délégué son pouvoir d’émettre des DPCR, ni le texte de loi ni le régime de délégation ne renferment rien qui autorise une subdélégation. La subdélégation est impossible, et il n’importe donc pas de savoir si Mme White entendait déléguer à M. Fjoser son pouvoir d’émettre des DPCR, ni même si elle avait effectivement délégué ce pouvoir.

 

[48]           Outre son argument selon lequel il y a eu subdélégation valide à M. Fjoser, le défendeur fait aussi valoir que, selon le paragraphe 244(13) de la Loi, les DPCR sont présumées avoir été validement faites, signées et délivrées et que la présomption ne peut être réfutée que par le ministre – non pas par le contribuable concerné (en l’occurrence les demandeurs), ou devant la Cour.

 

[49]           Selon le paragraphe 244(13), les documents sont réputés avoir été signés, faits et délivrés par des personnes autorisées, à moins qu’ils n’aient été contestés par le ministre ou par une personne agissant pour lui ou pour Sa Majesté. Le paragraphe est ainsi rédigé :

244. (13) Tout document paraissant avoir été établi en vertu de la présente loi, ou dans le cadre de son application ou de sa mise à exécution, au nom ou sous l’autorité du ministre, du sous-ministre du Revenu national, du commissaire des douanes et du revenu, du commissaire du revenu ou d’un fonctionnaire autorisé à exercer des pouvoirs ou fonctions conférés au ministre par la présente loi est réputé avoir été signé, fait et délivré par le ministre, le sous-ministre, le commissaire des douanes et du revenu, le commissaire du revenu ou le fonctionnaire, à moins qu’il n’ait été contesté par le ministre ou par une personne agissant pour lui ou pour Sa Majesté.

 

244. (13) Every document purporting to have been executed under, or in the course of the administration or enforcement of, this Act over the name in writing of the Minister, the Deputy Minister of National Revenue, the Commissioner of Customs and Revenue, the Commissioner of Revenue or an officer authorized to exercise a power or perform a duty of the Minister under this Act is deemed to have been signed, made and issued by the Minister, the Deputy Minister, the Commissioner of Customs and Revenue, the Commissioner of Revenue or the officer unless it has been called in question by the Minister or by a person acting for the Minister or Her Majesty.

 

[50]           Le paragraphe 244(13) ne soustrait pas les documents à une contestation ou à un examen judiciaire d’une manière aussi radicale que le prétend le défendeur. La position du défendeur mettrait sérieusement en doute le principe de la primauté du droit et le droit de faire contrôler judiciairement les actes et décisions des représentants de l’ARC. Elle revêtirait les représentants de l’ARC d’une immunité difficile à accepter. La disposition doit donc être interprétée et appliquée d’une manière restrictive.

 

[51]           Il importe de garder à l’esprit que l’un des points soulevés dans la contestation des DPCR n’est pas simplement la signature d’un document au nom de quelqu’un d’autre, mais plutôt la décision elle-même d’émettre les DPCR.

 

[52]           Dans le jugement Swyryda c. Her Majesty the Queen (1981), 81 D.T.C. 5109 (C.B.R. Sask.), un jugement qui a fait jurisprudence en ce qui concerne le paragraphe 244(13), la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan devait se prononcer sur le pouvoir d’un autre employé ou fonctionnaire de signer des documents au nom du fonctionnaire autorisé. Nulle part n’y est abordée la question de savoir si le subdélégataire avait exercé le pouvoir décisionnel du fonctionnaire autorisé.

 

[53]           Dans des décisions ultérieures qui s’inspirent de la décision Swyryda, précitée, les cours de justice ont examiné des fonctions qui ne faisaient pas véritablement intervenir un pouvoir discrétionnaire, par exemple le pouvoir de signer un document ou le pouvoir de délivrer des avis de cotisation, documents qui en droit doivent être émis. La décision de délivrer une DPCR n’a que peu de rapport avec la décision de délivrer un avis de cotisation, c’est une décision éminemment discrétionnaire qui comporte l’exercice d’un pouvoir de contrainte envers un contribuable (en général un citoyen).

 

[54]           Outre qu’elle supprime le recours du public pour exercice non autorisé de pouvoirs ministériels, et qu’elle a pour effet de soustraire cet exercice non autorisé à l’examen des cours de justice, la manière dont le défendeur considère le paragraphe 244(13) rendrait superflu, sauf en tant qu’instrument organisationnel interne, le pouvoir de délégation prévu à l’article 220. L’interprétation que donne le défendeur du paragraphe 244(13) ne saurait être admise.

 

[55]           Le paragraphe 244(13) n’est pas une disposition qui rend sans objet un régime explicite de délégation des pouvoirs ministériels. Il ne confère pas le pouvoir d’exercer l’un quelconque ou la totalité des pouvoirs du ministre à qui que ce soit au sein de l’administration sauf contestation par le ministre lui-même.

 

[56]           Selon moi, la disposition vise à faciliter la preuve de documents dans des procédures judiciaires et à alléger la tâche consistant à prouver l’authenticité de documents. Elle vise aussi à prévenir la contestation incidente des DPCR dans les procédures d’exécution et autres procédures civiles ou criminelles en différant la contestation du document jusqu’à ce que la Couronne prenne les mesures propres à garantir l’observation des règles.

 

[57]           La Cour arrive donc à la conclusion que les DPCR ont été délivrées sans pouvoir légal valide, et que M. Fjoser n’avait pas le pouvoir d’établir, de délivrer ou de signer les DPCR. Elles sont donc invalides.

 

[58]           Cependant, la contestation des DPCR par les demandeurs est plus largement fondée sur un prétendu dessein illégitime, sur de prétendues actions et divulgations illégitimes et illégales et sur ce qui équivaudrait à un complot ourdi par le défendeur (M. Fjoser en particulier) et les autorités policières dans le but d’utiliser les pouvoirs de la Loi de l’impôt sur le revenu à des fins autres que l’objet de la Loi – essentiellement pour obtenir des preuves destinées à servir dans des poursuites criminelles.

 

[59]           Par souci d’exhaustivité, et à supposer (ayant décidé autrement) que M. Fjoser ait été validement investi du pouvoir délégué, la Cour examinera les autres moyens invoqués au soutien de la procédure de contrôle judiciaire.

 

B.         Dessein illégitime

[60]           La principale thèse avancée par les demandeurs est que l’ARC, et M. Fjoser en particulier, se sont entendus de quelque manière avec des corps policiers pour utiliser les pouvoirs conférés par la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’obtenir des renseignements ou des preuves qui allaient servir dans des poursuites contre des bandes criminelles organisées telles que le UN Gang. Selon les demandeurs, c’est là un exercice illégitime des pouvoirs de la Loi de l’impôt sur le revenu, en particulier du pouvoir de délivrer les DPCR dont il s’agit en l’espèce.

 

[61]           La question du prétendu dessein illégitime à l’origine des DPCR a été obscurcie par un débat portant sur plusieurs principes, avancés pêle-mêle, à savoir : le critère de l’« enquête sérieuse et authentique », les conditions préalables à l’exercice de pouvoirs et le critère de l’objet prédominant. Des questions relatives à la Charte ont été soulevées, pour faire bonne mesure.

 

[62]           La question essentielle à poser est celle de savoir si les pouvoirs du ministre étaient véritablement et essentiellement exercés aux fins de l’application et de l’exécution de la Loi. Autrement dit, les pouvoirs ont-ils été exercés dans le cadre d’une enquête sérieuse et authentique sur la situation fiscale de la personne nommément désignée? C’est là une question fondamentale de compétence parce que l’exercice de ces pouvoirs à des fins occultes aura pour effet de rendre illégitimes les actes du ministre.

 

[63]           Pour savoir ce qu’est la fin recherchée, il faut appliquer un critère objectif qui tienne compte de toutes les circonstances. En général, aucun facteur ne sera décisif à lui seul. La Cour doit être attentive à reconnaître le témoignage intéressé d’une intention subjective et à juger de la crédibilité de telles déclarations.

 

[64]           Il n’est pas obligatoire, selon ce critère de l’« objet », que les DPCR soient délivrées uniquement lorsqu’une vérification a été entreprise. Des DPCR peuvent être délivrées n’importe quand pour faciliter une enquête légitime sur la situation fiscale de tel ou tel contribuable.

 

[65]           La vraie question à laquelle la Cour doit répondre est de savoir si ces DPCR intéressaient pour l’essentiel l’application ou l’exécution de la Loi ou si elles ont été établies à une autre fin.

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord général d’échange de renseignements fiscaux entre le Canada et un autre pays ou territoire qui est en vigueur et s’applique ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

 

 

 

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

 

 

 

b) qu’elle produise des documents.

 

[Non souligné dans l’original]

 

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a comprehensive tax information exchange agreement between Canada and another country or jurisdiction that is in force and has effect or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as stipulated in the notice,

 

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

 

 

 

 

 

(b) any document.

 

 

[Emphasis added]

 

[66]           Les limites au pouvoir du ministre de délivrer des DPCR ont été examinées dans l’arrêt James Richardson & Sons, Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national– M.R.N.), [1984] 1 R.C.S. 614, et dans des décisions ultérieures, mais le principe clé est que, sauf preuve contraire, le ministre est présumé avoir délivré validement les DPCR. Si la preuve révèle que les desseins du ministre sont autres qu’une enquête sérieuse et authentique sur la situation fiscale de la personne nommément désignée, alors le ministre doit réfuter cette preuve, sans quoi la DPCR sera annulée.

 

[67]           Dans une décision qui a fait jurisprudence, R. c. Dakus (1988), 87 A.R. 374 (Q.B.), le juge Girgulis exposait les principes fondamentaux présidant à la contestation d’une DPCR :

[traduction] Si la situation fiscale de la personne accusée n’est pas l’objet d’une enquête sérieuse et authentique de la part du ministre, alors on ne saurait dire que le ministre agit dans un dessein lié à l’application ou l’exécution de la loi lorsqu’il demande à cet accusé de lui communiquer des renseignements sur sa situation fiscale. Mais cela ne signifie pas que la Couronne doit établir, en tant qu’élément essentiel de son argumentation, une preuve affirmative de l’existence d’une enquête sérieuse et authentique, en marge des renseignements demandés sur la situation fiscale de l’intéressé. Si la preuve fait douter de l’existence d’une enquête sérieuse et authentique, alors la Couronne doit convaincre le juge des faits, hors de tout doute raisonnable, que l’objet de la mise en demeure n’est pas un subterfuge ou un objet frivole, mais constitue une demande valide de renseignements se rapportant à la situation fiscale de l’accusé, c’est‑à-dire qu’il s’agit d’une enquête sérieuse et authentique.

 

[Non souligné dans l’original.]

[68]           On a débattu devant la Cour la question de la norme de preuve applicable. Il faut se rappeler que la décision Dakus a été rendue à l’issue d’une procédure criminelle, où le niveau de la preuve doit répondre à ce type de procédure.

 

[69]           Il est assez logique de soumettre le ministre à la norme de preuve la plus rigoureuse, parce que le refus de répondre à une DPCR peut engager une responsabilité criminelle. Si l’on imposait au ministre la norme de preuve qui est applicable dans une procédure civile, on encouragerait la contestation accessoire des DPCR plutôt que la contestation directe (ce qui est la bonne procédure) élevée par les demandeurs. Il est inutile de régler cette question de la norme de preuve, parce que la norme de preuve en matière civile suffit à régler la question du « dessein légitime ». Les demandeurs se sont acquittés, suivant la prépondérance de la preuve, de l’obligation d’établir le bien-fondé de leurs affirmations.

 

[70]           Dans la décision N.M. Skalbania Ltd. and Nelson M. Skalbania c. Her Majesty the Queen (1989), 89 D.T.C. 5495 (C. comté de la C.-B.) (QL), le juge van der Hoop, de la Cour de comté, devait lui aussi examiner le cas d’un contribuable qui n’avait pas répondu à une DPCR du ministre portant sur des déclarations de revenu. Cependant, comme l’écrivait le juge van der Hoop, à la page 5496 :

[traduction] Durant le procès, devant le tribunal de première instance, la Couronne a admis que les mises en demeure qui ont été envoyées à la société par le service fiscal avaient été établies non à l’issue d’une enquête portant sur les affaires de M. Skalbania ou celles de la société défenderesse, mais simplement parce qu’aucune des déclarations en cause n’avait été produite à la date à laquelle elle aurait dû l’être.

 

Le juge van der Hoop a estimé que, puisque la Couronne avait reconnu que les obligations fiscales du contribuable n’étaient pas en cause, le ministre aurait dû recourir au paragraphe 150(2) de la Loi, plutôt qu’au paragraphe 231.2(1). Le paragraphe 150(2) prévoit que toute personne, qu’elle soit ou non assujettie à l’impôt et qu’une déclaration ait déjà été produite ou non, doit, sur mise en demeure du ministre, produire une déclaration. Les DPCR ont donc été annulées parce qu’elles avaient été irrégulièrement établies. Les admissions faites par la Couronne devant le juge van der Hoop ont été déterminantes quant à sa conclusion.

 

[71]           Il n’est pas nécessaire que la preuve qui atteste l’absence d’une enquête sérieuse et authentique soit aussi directe que l’admission d’un autre dessein par le ministre. Dans la décision Her Majesty the Queen c. Darrell Gordon Schacher (1986), 86 D.T.C. 6580 (C. prov. Alb.), le juge Ketchum a estimé que les mises en demeure délivrées par le ministre étaient invalides, compte tenu de l’historique du dossier du défendeur à Revenu Canada. Plus précisément, le juge Ketchum a constaté que le dossier de M. Schacher avait été inactif durant environ quatre ans, et Revenu Canada n’avait pas tenté d’obtenir de renseignements fiscaux ou de recouvrer sa créance auprès de M. Schacher. Le juge Ketchum a conclu que le dossier avait été réactivé pour nulle autre raison que les demandes de renseignements adressées par la GRC à Revenu Canada concernant M. Schacher. Il a donc conclu que, même si les mises en demeure se rapportaient aux obligations fiscales du défendeur, elles n’étaient pas le résultat d’une enquête sérieuse et authentique de Revenu Canada. Il est intéressant de souligner que le juge Ketchum a explicitement relevé que la GRC n’avait pas communiqué de renseignements susceptibles d’amener Revenu Canada à croire que le défendeur avait gagné un revenu imposable au cours des années en cause, mais qu’elle demandait des renseignements concernant M. Schacher. C’est l’opposé de ce qui s’est produit dans la présente affaire.

 

[72]           La difficulté que pose la présente affaire est la preuve directement contradictoire des raisons qui ont conduit à l’établissement des DPCR. Comme je l’ai dit précédemment, la Cour accepte le témoignage de l’inspecteur Ryan selon lequel c’est lui qui avait pris l’initiative de communiquer les renseignements à l’ARC, et elle préfère ce témoignage à la déclaration de M. Fjoser qui affirmait avoir rencontré l’inspecteur Ryan et lui avoir demandé les noms des membres du UN Gang. M. Fjoser n’avait pas conservé de comptes rendus de ses rencontres, tandis que les notes de M. Ryan montrent que c’est la GRC qui était à l’origine de l’affaire, et qu’il ne s’agissait pas d’une réponse de la GRC à une demande de l’ARC.

 

[73]           Fondamentalement, il n’y a rien de fautif à ce que l’ARC prenne des mesures, et notamment émette des DPCR, en se fondant sur un rapport de la police ou d’autres autorités, ou même sur des tuyaux. Pareillement, il n’y a rien de fautif à prendre des mesures sur la foi de reportages dans les médias ou autres. L’aspect troublant de la présente affaire tient à l’incohérence du témoignage de M. Fjoser et au peu de cas qu’il fait de l’initiative de la GRC. Examiné dans le détail, son témoignage selon lequel il s’était fondé sur des articles de presse est extrêmement mince. Il n’a pas été en mesure d’étayer les éléments sur lesquels il s’est fondé. L’absence d’un historique du dossier digne de ce nom est un autre aspect troublant de la conduite de l’ARC.

 

[74]           La question de savoir ce qui est à l’origine de la délivrance des DPCR n’est que l’un des facteurs de l’analyse du « dessein légitime ». Les autres preuves qui seront considérées écartent l’idée qu’il existait une enquête sérieuse et authentique et font apparaître le dessein véritable de M. Fjoser, celui d’aider la police dans son enquête sur les activités criminelles de ce gang.

 

[75]           Sur ce point, je rejette l’idée qu’il ait pu y avoir complot, arrangement ou marché entre le PSE et la police. J’accepte la dénégation de l’inspecteur Ryan à ce sujet, et il n’existe pour ainsi dire aucune preuve convaincante de ce fait. Selon moi, la question de savoir s’il y avait ou non enquête légitime commence et finit au PSE. Les raisons personnelles qu’avaient les intéressés d’apporter cette aide sont pure conjecture, mais objectivement la preuve atteste peu d’intérêt à mener une enquête sur la situation fiscale des demandeurs.

 

[76]           Les demandeurs ont fait grand cas de l’exposé en PowerPoint de M. Fjoser, un exposé qu’il présentait périodiquement à une diversité de corps policiers. Les demandeurs prétendent que ce fut là le point de départ de l’accord d’échange d’informations, par lequel l’ARC allait communiquer des renseignements à la police. Le point critique invoqué est une déclaration d’objet selon laquelle l’objectif de la Division des mises en recouvrement de l’ARC est de s’attaquer aux produits de la criminalité organisée. Cette déclaration d’objet est équivoque car il pourrait tout aussi bien s’agir de s’y attaquer par la fiscalité, ce qui est un dessein légitime selon la Loi.

 

[77]           Les demandeurs confondent l’objet des diverses organisations de l’ARC, dont le PSE, avec l’objet ayant motivé la délivrance des DPCR. L’idée d’imposer les produits de la criminalité n’a rien d’illégitime ni rien d’un complot. L’objet du PSE ne jette pas, en soi, le doute sur l’à-propos des DPCR. D’autres preuves, meilleures, laissent planer ce doute.

 

[78]           La Cour a déjà évoqué la raison douteuse avancée par M. Fjoser pour justifier l’établissement des DPCR – son vain refus d’admettre que c’est une demande de la police qui était à l’origine des DPCR.

 

[79]           Après l’établissement des DPCR, il n’y a eu aucun véritable empressement, nulle promptitude, à obtenir les renseignements fiscaux qu’elles exigeaient. Il s’est écoulé environ neuf mois entre la signature des DPCR et leur signification aux intéressés. La seule explication donnée pour justifier ce délai est le temps nécessaire pour coordonner les choses avec la police, afin de garantir une présence policière au moment de la signification des DPCR. C’est là en soi un délai remarquablement long pour s’assurer d’une présence policière.

 

[80]           En général, les tribunaux ne mettront pas en doute le mode de signification de DPCR, mais il est nécessaire en l’espèce d’en faire un examen plus minutieux. Le recours à une imposante présence policière s’expliquait par la nécessité de signifier les mises en demeure en main propre. Aucune explication raisonnable n’est donnée pour justifier une signification en main propre.

 

[81]           Les endroits où se trouvaient les demandeurs étaient connus, et ils n’avaient pas cherché auparavant à se soustraire à la signification de documents. Or, le défendeur a choisi le seul mode de signification pour lequel les demandeurs pouvaient en apparence justifier une présence policière. On n’a pas expliqué pourquoi une signification par poste recommandée n’aurait pas fait l’affaire.

 

[82]           La Cour sait à quoi servent les DPCR, et elle sait que des ordonnances lui sont demandées pour assurer l’observation des règles. Or, il ne semble pas que l’introduction de procédures civiles ou administratives normales ait jamais été envisagée.

 

[83]           En optant pour le mode de signification le plus importun, le défendeur a abandonné le contrôle de la procédure à la police et a contrevenu allègrement aux obligations de confidentialité contenues dans la Loi. Sous le couvert d’une signification des DPCR, la police a pu se livrer à des activités de collecte de renseignements qu’elle n’aurait pu exercer autrement si ce n’est à la faveur d’un mandat de perquisition.

 

[84]           Un bon nombre des DPCR ont été signifiées tard le soir, dans des habitations, et en la présence de conjointes ou de conjoints et d’enfants. La scène a été décrite ainsi : présence de plusieurs voitures de police, feux clignotants et policiers se promenant sur les lieux, prenant des notes sur les choses observées, par exemple plaques d’immatriculation et noms des personnes (pas seulement les demandeurs) se trouvant là.

 

[85]           Il faut garder à l’esprit que toute cette imposante présence policière avait pour objet la signification d’un document qui exigeait simplement la production, plus tard, de renseignements financiers et fiscaux. C’était un document qui, en droit, pouvait simplement être envoyé par poste recommandée.

 

[86]           En décidant de se faire escorter par la police pour faciliter la signification des documents, le personnel du PSE a traité avec désinvolture les droits de ces contribuables à la confidentialité. Les dispositions touchant la confidentialité sont exhaustives et rigoureuses. Elles constituent un élément essentiel d’un système fiscal fondé sur l’autodéclaration.

 

[87]           Les paragraphes 241(1) et (2) de la Loi énoncent la règle générale selon laquelle les renseignements recueillis conformément à la Loi ne peuvent être communiqués ni partagés si ce n’est aux fins de l’application de la Loi au sein de l’ARC. La Loi a été modifiée de manière à s’appliquer à la fois aux fonctionnaires et « autres représentants d’une entité gouvernementale », mais c’est le texte reproduit ci-après qui était en vigueur à l’époque pertinente, et ses modifications ultérieures sont sans conséquence pour la présente affaire :

241. (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire :

 

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

 

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

 

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

 

(2) Malgré toute autre loi ou règle de droit, nul fonctionnaire ne peut être requis, dans le cadre d’une procédure judiciaire, de témoigner, ou de produire quoi que ce soit, relativement à un renseignement confidentiel.

241. (1) Except as authorized by this section, no official shall

 

 

(a) knowingly provide, or knowingly allow to be provided, to any person any taxpayer information;

 

(b) knowingly allow any person to have access to any taxpayer information; or

 

(c) knowingly use any taxpayer information otherwise than in the course of the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or for the purpose for which it was provided under this section.

 

 

(2) Notwithstanding any other Act of Parliament or other law, no official shall be required, in connection with any legal proceedings, to give or produce evidence relating to any taxpayer information.

 

[88]           L’expression « renseignement confidentiel » est définie dans l’article 241 de la Loi elle‑même, au paragraphe 241(10) :

« renseignement confidentiel »
"taxpayer information"

 

«renseignement confidentiel » Renseignement de toute nature et sous toute forme concernant un ou plusieurs contribuables et qui, selon le cas :

 

a) est obtenu par le ministre ou en son nom pour l’application de la présente loi;

 

 

b) est tiré d’un renseignement visé à l’alinéa a).

 

N’est pas un renseignement confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l’identité du contribuable en cause.

"taxpayer information"
«renseignement confidentiel »

 

"taxpayer information" means information of any kind and in any form relating to one or more taxpayers that is

 

 

(a) obtained by or on behalf of the Minister for the purposes of this Act, or

 

 

(b) prepared from information referred to in paragraph (a),

 

but does not include information that does not directly or indirectly reveal the identity of the taxpayer to whom it relates.


[89]           Le mot « fonctionnaire » est défini dans le même paragraphe :

« fonctionnaire »
"official"

« fonctionnaire » Personne qui est ou a été employée par la personne ou l’administration suivante, qui occupe ou a occupé une fonction de responsabilité au service d’une telle personne ou administration ou qui est ou a été engagée par une telle personne ou administration ou en son nom :

 

a) Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province;

 

b) une administration chargée de l’application d’une loi provinciale semblable à la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.

 

 

Pour l’application du paragraphe 239(2.21), des paragraphes (1) et (2), du passage du paragraphe (4) précédant l’alinéa a) et des paragraphes (5) et (6), une personne déterminée est assimilée à un fonctionnaire.

“official”

« fonctionnaire 

 

official” means any person who is employed in the service of, who occupies a position of responsibility in the service of, or who is engaged by or on behalf of,

 

 

 

 

 

(a) Her Majesty in right of Canada or a province, or

 

(b) an authority engaged in administering a law of a province similar to the Pension Benefits Standards Act, 1985,

 

 

 

or any person who was formerly so employed, who formerly occupied such a position or who was formerly so engaged and, for the purposes of subsection 239(2.21), subsections 241(1) and 241(2), the portion of subsection 241(4) before paragraph (a), and subsections 241(5) and 241(6), includes a designated person;

 

[90]           Il y a certaines exceptions à la règle de la confidentialité (voir par exemple l’article 462.48 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46; et la Loi de l’impôt sur le revenu, précitée, paragraphe 241(3)), mais l’on n’a pas prétendu qu’elles s’appliquaient ici, et aucune preuve n’a été produite qui pourrait donner à penser qu’elles s’appliquaient. Or, des renseignements confidentiels ont manifestement été communiqués par le PSE à la police.

 

[91]           Cette violation flagrante des dispositions de la Loi relatives à la confidentialité met sérieusement en doute le but de la délivrance des DPCR. Il n’était pas nécessaire de les signifier comme elles l’ont été, et la communication de ces renseignements ne visait donc pas l’application et l’exécution de la Loi.

 

[92]           Le PSE non seulement a indiqué à la police les noms précis des personnes sur lesquelles elle souhaitait en savoir davantage, mais il lui a aussi donné les noms, adresses et dates de naissance des personnes à qui furent signifiées les DPCR, en plus des noms de leurs conjoints légaux ou conjoints de fait. Ces renseignements provenaient précisément des données de base de l’ARC. Sans doute la police pouvait-elle obtenir certains de ces renseignements par d’autres moyens, mais la manière dont ils ont été communiqués contrevenait au paragraphe 241(1) de la Loi.

 

[93]           Par ailleurs, contre-interrogée sur son affidavit, Mme Gomez a déclaré qu’elle avait informé les policiers qui l’avaient aidée à signifier les DPCR de son rôle précis au sein de l’ARC, qu’elle travaillait pour le PSE et qu’elle signifiait les mises en demeure en vertu de la Loi. Elle n’a pas pu affirmer avec certitude que les policiers qui l’avaient accompagnée lors de la signification des DPCR n’avaient pas entendu le détail de ses conversations avec les demandeurs, étant donné qu’ils se trouvaient souvent à quelques pieds seulement.

 

[94]           Ces violations ne sauraient être qualifiées de mineures. Ni les demandeurs ni le défendeur n’ont parlé du paragraphe 239(2.2), mais ce paragraphe décrit les conséquences auxquelles s’expose un fonctionnaire qui contrevient aux dispositions de la Loi relatives à la confidentialité.

239(2.2) Commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 5 000 $ et un emprisonnement maximal de 12 mois, ou l’une de ces peines, toute personne :

 

a) soit qui contrevient au paragraphe 241(1);

 

b) soit qui, sciemment, contrevient à une ordonnance rendue en application du paragraphe 241(4.1).

 

 

 

 

 

 

 

[…]

 

(2.22) Pour l’application du paragraphe (2.21), les expressions « fonctionnaire » et « renseignement confidentiel » s’entendent au sens du paragraphe 241(10).

239(2.2) Every person who

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) contravenes subsection 241(1), or

 

(b) knowingly contravenes an order made under subsection 241(4.1)

 

is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine not exceeding $5,000 or to imprisonment for a term not exceeding 12 months, or to both.

 

 

(2.22) In subsection 239(2.21), "official" and "taxpayer information" have the meanings assigned by subsection 241(10).

 

En outre, le paragraphe 239(2.3) de la Loi prévoit des conséquences pénales similaires pour la violation de la confidentialité d’un numéro d’assurance sociale (NAS).

239(2.3) Toute personne à qui le numéro d’assurance sociale d’un particulier ou le numéro d’entreprise d’un contribuable ou d’une société de personnes est fourni en application de la présente loi ou d’une disposition réglementaire, ainsi que tout cadre, employé ou mandataire d’une telle personne, qui, sciemment, utilise le numéro, le communique ou permet qu’il soit communiqué (autrement que conformément à la loi ou à l’autorisation donnée par le particulier, le contribuable ou la société de personnes, selon le cas, ou autrement que dans le cadre de fonctions liées à l’application ou à l’exécution de la présente loi) sans le consentement du particulier, du contribuable ou de la société de personnes, selon le cas, commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 5 000 $ et un emprisonnement maximal de 12 mois, ou l’une de ces peines.

239(2.3) Every person to whom the Social Insurance Number of an individual or to whom the business number of a taxpayer or partnership has been provided under this Act or a regulation, and every officer, employee and agent of such a person, who without written consent of the individual, taxpayer or partnership, as the case may be, knowingly uses, communicates or allows to be communicated the number (otherwise than as required or authorized by law, in the course of duties in connection with the administration or enforcement of this Act or for a purpose for which it was provided by the individual, taxpayer or partnership, as the case may be) is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine not exceeding $5,000 or to imprisonment for a term not exceeding 12 months, or to both.

 

[95]           La Loi ne prévoit pas de conséquences particulières pour la violation systémique, plutôt qu’individuelle, des dispositions relatives à la confidentialité, non pas parce qu’il ne s’agit pas d’une infraction punissable, mais parce qu’un tel acte est impensable compte tenu du fonctionnement de la Loi.

 

[96]           Il convient de souligner par ailleurs que le PSE disposait, pour la signification des DPCR, d’un autre moyen non susceptible de mettre en danger la sécurité et donc ne nécessitant pas une présence policière pour la signification des documents. Le PSE avait la possibilité de signifier les documents par poste recommandée (paragraphe 231.2(1)). Le défendeur a fait valoir qu’il était d’usage de signifier les DPCR en main propre, mais cela ne justifie pas ni n’autorise le recours à un personnel extérieur d’une manière qui contrevient aux dispositions de la Loi relatives à la confidentialité. Qui plus est, ce même personnel s’intéressait lui aussi aux demandeurs. On est dès lors fondé à se demander si le ministre signifiait effectivement les DPCR dans le cadre d’une enquête sérieuse et authentique sur la situation fiscale des demandeurs.

 

[97]           L’avocat du défendeur n’a pas produit de preuves ni présenté d’arguments susceptibles de répondre aux questions soulevées par cette violation évidente des dispositions de la Loi relatives à la confidentialité. Non seulement le représentant du ministre a-t-il contrevenu à ces dispositions, mais il y a contrevenu alors qu’il existait manifestement une autre méthode susceptible de dissiper les inquiétudes touchant la sécurité durant la signification des documents. Sans une explication valable des raisons pour lesquelles le mode de signification en main propre a été choisi, la seule conclusion possible est que les DPCR n’ont pas été délivrées dans le cadre d’une enquête sérieuse et authentique sur la situation fiscale des demandeurs.

 

[98]           Finalement, le fait que M. Fjoser semblait agir à sa guise et qu’il ne rendait aucun compte à ses supérieurs hiérarchiques est un élément troublant de la présente affaire. Nous avons affaire à un cas où le PSE se charge d’obtenir l’assistance de plusieurs corps policiers pour traiter avec les membres présumés de ce qui semble être une organisation criminelle. Or, aucun rapport, pas même un rapport postérieur à l’intervention, n’a jamais été transmis aux supérieurs hiérarchiques de M. Fjoser. L’absence d’un contrôle de gestion est sans doute problématique en d’autres quartiers; elle a pu permettre aux supérieurs hiérarchiques de se retrancher derrière des démentis. Quoi qu’il en soit, à supposer que la subdélégation fût valide, le PSE était apparemment libre de se livrer comme bon lui semblait à ses activités sans être tenu d’en rendre compte – bref, libre de se déchaîner.

 

[99]           La preuve selon laquelle le PSE a établi les DPCR à des fins autres que l’application et l’exécution de la Loi peut être résumée ainsi :

a)         l’explication non crédible des raisons qui ont conduit à l’établissement des DPCR;

b)         le peu d’empressement manifesté à recueillir ces renseignements fiscaux;

c)         le choix d’un mode de signification qui était importun, invasif et injustifié;

d)         le recours inconsidéré à la police et l’aide apportée à la police dans la collecte de renseignements policiers;

e)         le total mépris pour les dispositions de la Loi relatives à la confidentialité, et la divulgation injustifiée de « renseignements personnels ».

 

[100]       Ces DPCR doivent donc être annulées parce qu’il n’y avait aucune enquête sérieuse et authentique sur la situation fiscale des demandeurs.

 

C.        Le critère de l’objet prédominant

[101]       Pour dire que les DPCR étaient légitimes, le défendeur a invoqué le critère de l’« objet prédominant », exposé dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73.

 

[102]       Le défendeur a fait valoir que ce critère doit être appliqué en accord avec un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Ellingson c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2006 CAF 202, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2006] C.S.C.R. n° 313 (Q.L.). Cependant, les deux parties s’écartent de ce critère (mémoire des demandeurs, paragraphe 60/mémoire du défendeur, paragraphe 80).

 

[103]       Selon moi, le cadre analytique du critère de l’objet prédominant n’entre pas en jeu en l’espèce. Ce critère est applicable lorsque la question posée concerne le passage d’une vérification de nature civile à un contrôle fiscal de nature criminelle. Il présuppose l’existence d’une enquête sérieuse et authentique. Il ne s’applique pas à la question de savoir si une telle enquête existe.

 

[104]       Le critère de l’objet prédominant n’est donc pas applicable.

 

D.        Questions liées à la Charte

[105]       Les demandeurs ont soulevé la question de savoir si l’alinéa 241(3)a) de la Loi est incompatible avec les articles 7 et 8 de la Charte.

 

[106]       Comme les DPCR ont été jugées invalides pour d’autres motifs, il n’est pas nécessaire de faire l’analyse de cette question. Selon la Cour suprême, il faut se garder des prononcés superflus concernant les droits découlant de la Charte. Le doute des demandeurs sur un possible échange des renseignements découlant des DPCR est prématuré.

 

V.        DISPOSITIF

[107]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, les DPCR seront annulées et les dépens seront adjugés aux demandeurs.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, les DPCR sont annulées et les dépens sont adjugés aux demandeurs.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-555-08

 

INTITULÉ :                                       RYAN MURPHY et autres

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               31 MARS – 2 AVRIL 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 2 DÉCEMBRE 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Peters

Garth Barriere

 

POUR LES DEMANDEURS

Robert Carvalho

Ron Wilhem

Kirat Khalsa

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Martin Peters

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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