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Date : 20091217

Dossier : T-1798-04

Référence : 2009 CF 1287

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2009

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

ALGOMA CENTRAL CORPORATION

UPPER LAKES GROUP INC.

et SEAWAY MARINE TRANSPORT,

UNE SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF D’UPPER ALES GROUP INC.

ET D’ALGOMA CENTRAL CORPORATION

 

demanderesses

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

ET ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

demanderesse reconventionnelle

 

et

 

ALGOMA CENTRAL CORPORATION

UPPER LAKES GROUP INC.

et SEAWAY MARINE TRANSPORT,

UNE SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF D’UPPER LAKES GROUP INC.

ET D’ALGOMA CENTRAL CORPORATION

et UPPER LAKES SHIPPING LTD.

et UPPER LAKES SHIPPING INC.

 

défenderesses reconventionnelles

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               La présente requête découle d’une action intentée par les demanderesses qui allèguent notamment que les droits de port fixés dans certains ports de l’Ontario par le ministre des Transports (le ministre), au titre de la Loi maritime du Canada, LC 1998, c C‑10 (la LMC ou la Loi), constituent une taxe illégale, ainsi que de la demande reconventionnelle s’y rapportant, présentée par la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, en vue d’obtenir le paiement des droits non réglés.

 

[2]               La défenderesse dépose la présente requête pour obtenir un jugement sommaire et une ordonnance rejetant l’action des demanderesses et accueillant la demande reconventionnelle visant les réparations suivantes :

            1.         à l’encontre d’Algoma Central Corporation, le paiement des droits de port de 528 125,66 $ dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

            2.         à l’encontre d’Upper Lakes Shipping Ltd., le paiement des droits de port de 230 991,60 $ dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

            3.         à l’encontre de Seaway Marine Transport, et donc solidairement aussi à l’encontre des associées qui la composent, Algoma Central Corporation et Upper Lakes Group Inc. et/ou Upper Lakes Shipping Inc., le paiement des droits de port de 769 117,26 $ dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

            4.         à l’encontre de toutes les défenderesses reconventionnelles :

                        (i)         l’intérêt composé sur les sommes susmentionnées dues par ces sociétés depuis le 30 septembre 2004, calculé mensuellement, au taux et selon la façon que prévoit l’article 5 du Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, DORS/96-188;

                        (ii)        les dépens à l’égard de la présente instance;

                        (iii)       toute autre réparation que la Cour peut estimer juste.

 

Le contexte

 

[3]               Les demanderesses, Algoma Central Corporation et Upper Lakes Group Inc., sont des sociétés qui exercent des activités au Canada et sont propriétaires de navires faisant commerce dans les Grands Lacs et le réseau de la Voie maritime du Saint-Laurent. Ces deux sociétés constituent la société en nom collectif, Seaway Marine Transport. Les demanderesses transportent des cargaisons en vrac, telles que le grain, le minerai de fer, les marchandises groupées, le sel et d’autres produits de base, entre des ports canadiens et entre des ports situés au Canada et aux États-Unis. Il s’agit notamment des ports de Kingsville, de Sarnia et de Sault Ste. Marie en Ontario, et ce sont les droits relatifs à ces trois ports que contestent les demanderesses.

 

[4]               Les demanderesses prétendent que sur le fondement de la Politique maritime nationale de 1995 et de l’entrée en vigueur de la LMC, le gouvernement du Canada avait l’intention d’aliéner ces trois ports et qu’il ne fournit plus de services à Kingsville ou à Sault Ste. Marie, et que le ministre continue pourtant de percevoir des droits de port sur les navires canadiens qui utilisent ces ports. Selon elles, les droits de port correspondaient auparavant à un service, mais sont à présent une taxe illégale.

 

[5]               Les demanderesses prétendent aussi que la loi n’autorise pas une entente de réciprocité entre le Canada et les États-Unis qui exonère de droits les navires des États-Unis dans ces ports, de même que les navires canadiens dans des ports similaires situés aux États-Unis, et qu’une telle entente constitue un acte discriminatoire, surtout à l’égard des droits perçus à Sarnia.

 

[6]               Pour comprendre la nature de ce litige, il faut tout d’abord examiner les modifications récentes apportées à la réglementation du transport maritime au Canada.

 

La Politique maritime nationale

 

[7]               Le ministre a annoncé la Politique maritime nationale en 1995, à titre de plan stratégique visant à moderniser ce secteur du système de transport canadien. La politique a établi trois catégories de ports ainsi qu’une stratégie pour s’occuper de chaque type de port. Tout d’abord, un réseau de ports nationaux devait être établi sous le contrôle des administrations portuaires canadiennes. Ce sont de grands ports, autonomes et essentiels au commerce international et national, dont les activités sont diversifiées, qui desservent de grandes zones de marché et qui sont rattachés aux principales voies ferrées ou aux axes routiers importants. La politique a défini huit ports nationaux.

 

[8]               Les ports régionaux et locaux appartiennent à la deuxième catégorie de ports selon la Politique maritime nationale. La plupart des ports qu’exploitait Transports Canada en 1995 relevaient de cette catégorie, et, selon la politique, les ports régionaux et locaux devaient être transférés à des gouvernements provinciaux, à des autorités municipales, à des organisations communautaires, à des parties privées, à d’autres groupes et, parfois, à d’autres ministères fédéraux. Les ports de Kingsville, Sarnia et Sault Ste. Marie figurent tous les trois sur une liste de ports régionaux et locaux, énumérés à l’annexe B de la politique.

 

[9]               Les ports en région éloignée, que l’État s’était engagé à entretenir, formaient la troisième catégorie.

 

 

[10]           La politique reconnaissait que le transfert des ports régionaux et locaux pouvait ne pas être simple. Le transfert devait se faire sur six années, sous la direction d’équipes de mise en œuvre chargées d’identifier de possibles destinataires, dans le secteur public ou privé, et de prendre toutes les mesures juridiques, financières et réglementaires nécessaires aux transferts.

 

[11]           Au vu de ses grands objectifs déclarés, la politique visait à :

1.                  assurer des services de transport maritime abordables, efficaces et sécuritaires;

            2.         favoriser une concurrence équitable basée sur des règles transparentes appliquées uniformément à l’ensemble du système de transport maritime;

            3.         déplacer le fardeau financier pour le transport maritime du contribuable canadien à l’utilisateur;

            4.         réduire les infrastructures et les niveaux de service le cas échéant, selon les besoins des utilisateurs;

            5.         poursuivre l’engagement du gouvernement du Canada envers la sécurité des transports, un environnement propre et le service aux collectivités isolées désignées.

 

[12]      La politique visait également à refléter le grand principe de la commercialisation.

 

La Loi maritime du Canada

 

[13]           Dans le cadre de ce nouveau plan stratégique, le gouvernement a déposé la Loi, qui visait à mettre en application quelques-uns des principes de la politique et à être un texte législatif complet régissant le secteur maritime et rassemblant ce qui était auparavant disséminé dans plusieurs lois.

 

[14]           Sanctionnée le 11 juin 1998, la LMC a modifié 12 autres lois et en a abrogé neuf autres. Avant l’entrée en vigueur de la Loi, les ports publics étaient réglementés par la Loi sur les ports et installations portuaires publics, LRC 1985, c P-29 (la LPIPP), et son règlement d’application.

 

[15]           Le préambule de la LMC énonce l’objet de celle-ci :

Loi favorisant la compétitivité du réseau portuaire canadien par une rationalisation de sa gestion, prévoyant la création des administrations portuaires et l’aliénation de certains ports, régissant la commercialisation de la Voie maritime du Saint-Laurent et des traversiers et des questions connexes liées au commerce et au transport maritimes, modifiant la Loi sur le pilotage et abrogeant et modifiant certaines lois en conséquence.

 

An Act for making the system of Canadian ports competitive, efficient and commercially oriented, providing for the establishing of port authorities and the divesting of certain harbours and ports, for the commercialization of the St. Lawrence Seaway and ferry services and other matters related to maritime trade and transport and amending the Pilotage Act and amending and repealing other Acts as a consequence.

 

 

[16]           La Partie I de la Loi porte sur les administrations portuaires canadiennes, qui sont des sociétés sans but lucratif constituées en vertu d’une loi fédérale et destinées à être financièrement autonomes. La Partie II de la Loi porte sur les deuxième et troisième catégories de ports établies dans la Politique maritime nationale. Elle définit la catégorie de ports à laquelle elle s’applique par référence aux termes « ports publics » et « installations portuaires publiques ».

 

[17]           La définition de ces termes figure à l’article 2 de la Loi :

« port public » Port désigné comme port public en application de l’article 65.


« installations portuaires publiques » Les installations portuaires désignées comme installations portuaires publiques en application de l’article 65.

 

"public port" means a port designated as a public port under section 65.


"public port facility" means a port facility designated as a public port facility under section 65.

 

 

[18]           En application de l’article 65 de la LMC, tous les ports qui sont des ports publics en vertu de la LPIPP sont réputés être des ports publics en vertu de la LMC. L’article 65 de la LMC confère de plus au gouverneur en conseil un pouvoir général pour désigner et fixer le périmètre des ports publics ou abroger la désignation de ports publics. L’article 65 prévoit ce qui suit :

65.(1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

 

a) désigner comme port public tout plan d’eau navigable relevant du Parlement de même que le fond de ce plan d’eau s’il est sous la responsabilité du ministre, y compris l’estran;

 

 

b) fixer le périmètre de tout port public;

 

c) désigner publiques des installations portuaires sous la gestion du ministre.

 

 

(2) Les ports et installations portuaires qui, à l’entrée en vigueur du présent article, sont des ports publics ou des installations portuaires publiques régis par la Loi sur les ports et installations portuaires publics sont réputés avoir été désignés par règlement pris en vertu du paragraphe (1).

 

(3) À l’exception de ceux pour lesquels une administration portuaire du Canada est constituée sous le régime de la partie 1, les ports et les installations portuaires qui, à l’entrée en vigueur du présent article, sont régis par la Loi sur la Société canadienne des ports sont réputés avoir été désignés par règlement pris en vertu du paragraphe (1).

 

(4) Il est déclaré pour plus de certitude que le gouverneur en conseil peut prendre un règlement en vertu du paragraphe (1) à l’égard d’un port ou des installations mentionnés au paragraphe (2) ou (3) et, dans le cas d’un port, en fixer le périmètre.

65.(1) The Governor in Council may, by regulation,

 

(a) designate as a public port any navigable waters within the jurisdiction of Parliament and any land covered by the navigable waters, if the land is under the administration of the Minister, including any related foreshore;

 

(b) define the limits of a public port; and

 

(c) designate any port facility under the administration of the Minister as a public port facility.

 

(2) Every port and port facility that on the coming into force of this section was a public harbour or public port facility to which the Public Harbours and Port Facilities Act applied is deemed to have been designated under subsection (1).

 

 

 

(3) With the exception of a port for which a port authority is incorporated under Part 1, every port and facility to which the Canada Ports Corporation Act applied on the coming into force of this section is deemed to have been designated under subsection (1).

 

 

 

 (4) For greater certainty, the Governor in Council may make regulations under subsection (1) in respect of any public harbour or public port facility that is deemed under subsection (2) or (3) to have been designated and, in the case of a public port, define its limits.  

 

[19]           Les trois ports en cause dans la présente requête étaient depuis longtemps des ports publics en vertu de la LPIPP et sont donc tous des ports publics en vertu de la nouvelle loi.

 

[20]           L’article 67 de la Loi autorise le ministre à fixer des droits relativement aux ports publics ou aux installations portuaires publiques :

67.(1) Le ministre peut fixer les droits à payer à l’égard :

 

a) des navires, véhicules, aéronefs et personnes entrant dans les ports publics ou faisant usage des ports publics ou d’installations portuaires publiques;

 

b) des marchandises soit déchargées de ces navires, chargées à leur bord ou transbordées par eau dans le périmètre portuaire, soit stockées dans ces installations portuaires ou passant par elles;

 

c) des services fournis par le ministre, ou des avantages qu’il accorde, en rapport avec l’exploitation des ports publics ou des installations portuaires publiques.

 

 

 

67.(1) The Minister may fix the fees to be paid in respect of

 

(a) ships, vehicles, aircraft and persons coming into or using a public port or public port facility;

 

 

 

(b) goods loaded on ships, unloaded from ships or transhipped by water within the limits of a public port or stored in, or moved across, a public port facility; and

 

 

(c) any service provided by the Minister, or any right or privilege conferred by the Minister, in respect of the operation of a public port or public port facility.

 

 

 

[21]           L’article 2 de la Loi définit le terme « droit » qui figure à son paragraphe 67(1) :

« droit » S’entend de toute forme de taxe, péage, contribution ou redevance, notamment pour l’accès, l’accostage et l’amarrage au port, à l’exclusion de toute somme versée au titre d’un bail ou d’un permis.

 

 

"fees" includes droits de port, berthage and wharfage, as well as duties, tolls, rates and other charges, but does not include payments made under a lease or licence agreement.

 

[22]           L’article 72 de la Loi confère au ministre le pouvoir d’aliéner les biens portuaires fédéraux :

72.(1) Le ministre peut conclure des ententes en vue :

 

a) de la disposition, par vente ou tout autre mode de cession, de la totalité ou d’une partie des immeubles fédéraux et des biens réels fédéraux qui faisaient partie d’un port public ou d’installations portuaires publiques;

 

b) du transfert à Sa Majesté du chef de la province de la gestion et de la maîtrise de la totalité ou d’une partie des immeubles fédéraux et des biens réels fédéraux qui faisaient partie d’un port public ou des installations portuaires publiques.

 

(2) Les ententes peuvent comporter :

 

a) des dispositions sur l’exécution, volontaire ou forcée, des obligations que ces ententes prévoient;

 

 

b) les autres modalités que le ministre estime indiquées.

 

 

. . .

 

(8) Le ministre conserve, sous réserve des règlements pris en vertu de l’article 74, la gestion des ports et des installations portuaires publiques qui n’ont fait l’objet ni de disposition ni de transfert.

 

72.(1) The Minister may enter into agreements in respect of

 

(a) the disposal of all or part of the federal real property and federal immovables that formed part of a public port or public port facility by sale or any other means; and

 

 

 

(b) the transfer of the administration and control of all or part of the federal real property and federal immovables that formed part of a public port or public port facility to Her Majesty in right of a province.

 

 

(2) The agreements may include

 

(a) provisions for the performance and enforcement of obligations under the agreements; and

 

 

(b) any other terms and conditions that the Minister considers appropriate.

 

. . .

 

(8) Subject to any regulations made under section 74, the Minister continues to have the management of public ports and public port facilities that the Minister has not disposed of or transferred.

 

 

[23]           Le Règlement sur les ports publics et installations portuaires publiques, DORS/2001-154 (le Règlement de 2001) régit davantage l’aliénation des ports publics.

 

Les droits de port

 

[24]           Selon l’alinéa 75a) de la Loi, les règlements pris en vertu de l’article 12 de la LPIPP relativement à des droits, taxes et autres frais sont réputés avoir été pris en vertu de la Partie II de la Loi et demeurent en vigueur jusqu’à leur abrogation par le ministre.

 

[25]           Le Règlement sur les ports publics, DORS/96-196, et le Règlement sur les quais de l’État, DORS/96-197, ont été pris en vertu de la LPIPP et demeurent en vigueur en vertu de la LMC. Ils fixent les tarifs des droits de port, et ont restructuré le mode de leur perception. Cela a été un changement majeur par rapport à la précédente structure des droits, car les droits de port sont devenus payables tous les mois à chacune des cinq premières entrées de bâtiments dans les ports publics, alors qu’auparavant, il s’agissait des cinq premières entrées par année civile. Selon le résumé de l’étude d’impact de la réglementation de ces deux règlements de 1996, en 1994-1995, les ports publics ont récupéré environ 45 % des dépenses d’exploitation et d’entretien, et 25 % des dépenses totales, l’augmentation des droits étant destinée à pallier ce manque à gagner. Outre cette modification de la structure des droits, il y a eu une augmentation de 5 % des redevances relatives aux ports publics en 2000, puis de nouveau en 2001, et en 2004, une augmentation de 10 %.

 

[26]           L’Avis concernant le tarif des droits de port dans les ports publics (l’Avis sur le tarif des droits), en vigueur depuis le 1er janvier 2004, fixe les droits dans les ports publics canadiens ainsi que les contributions pour les navires qui les utilisent. Il prévoit que les droits ne sont pas payables à propos des bâtiments faisant l’objet d’une exonération de ces droits en vertu d’un traité.

 

Les ports : Kingsville, Sault Ste. Marie et Sarnia

 

[27]           Le port de Kingsville est situé sur la rive nord du lac Érié, à environ 45 kilomètres au sud-est de Windsor, en Ontario. Il a été déclaré port public par décret le 29 novembre 1938. Le 8 juillet 1999, l’État a transféré les installations portuaires publiques à la Ville de Kingsville et à la Kingsville Port Users Association (la KPUA). Par suite du transfert, il a été convenu que la Ville et la KPUA exploiteraient et entretiendraient le port et les installations. Dans le cadre de l’entente de privatisation, l’administration fédérale a versé une contribution de 400 000 $ pour l’entretien permanent du port, et Transports Canada a conservé des droits et des responsabilités relativement à l’observation des modalités de la contribution. Le dossier indique qu’après la privatisation du port, un directeur de port a continué à exercer ses fonctions jusqu’en août 2000, puis n’a pas été remplacé. L’État demeure propriétaire des lits du port de Kingsville.

 

[28]           Située dans le Nord de l’Ontario, Sault Ste. Marie est un point de transit entre le lac Huron et le lac Supérieur. Le port de Sault Ste. Marie a été établi par décret le 21 mars 1912, puis privatisé le 14 mai 1998. L’administration fédérale n’y fournit plus de services, bien que l’État y demeure propriétaire des lits. Il y a actuellement un directeur de port dont, aux dires de tous, la seule fonction est de préparer les factures des droits de port dus.

 

[29]           À propos de Kingsville et de Sault Ste. Marie, Transports Canada y exerce toujours des responsabilités réglementaires, y compris la planification des mesures d’urgence, les évaluations et la planification de la sécurité, les programmes de lutte contre les incendies maritimes, les enquêtes sur les incidents d’échouement ainsi que l’examen et l’approbation des propositions de dragage.

 

[30]           Le port de Sarnia est constitué par l’ensemble du passage de 40 kilomètres de la rivière St. Clair, qui relie le lac Huron au lac St. Clair. Du fait de sa situation géographique, il est un dépôt de carburant majeur pour les navires qui transitent entre le lac Huron et le lac Érié. Il a été déclaré port public et ses limites en tant que port public ont été définies par décret du 25 juillet 1885 puis du 23 juillet 1917. Transports Canada continue d’y être propriétaire des installations portuaires publiques et de les exploiter. Il y a également dans les limites du port de Sarnia des ports construits et entretenus par le secteur privé, qui fournissent du carburant aux flottes qui transitent. Si les bâtiments accostent à l’un des ports privés, des droits de port sont imposés. S’ils ne s’arrêtent pas, il n’y a pas de facturation. La préoccupation des demanderesses est en partie que l’État perçoit à présent des droits de port pour les bâtiments qui font le plein de carburant dans la rivière St. Clair et pour d’autres activités sur les quais privés.

 

[31]           Les trois ports figurent à l’annexe III du Règlement de 2001, ce qui indique que leur désignation de port public en vertu de l’article 65 doit être abrogée. Le paragraphe 3(1) du Règlement de 2001 fixe cependant les conditions dans lesquelles le déclassement doit intervenir :

3. (1) La désignation, en vertu de l’article 1, d’un port public mentionné à l’annexe 3 est abrogée, l’abrogation de celle-ci prenant effet à la date de la cession, à une personne ou à un organisme, par Sa Majesté du chef du Canada, représentée par le ministre des Transports, du lit des eaux navigables au port dont elle est propriétaire, ou de la dernière partie de celui-ci, ou, le cas échéant, à la date de cession de toute l’installation portuaire publique au port, ou de la dernière partie de celle-ci, selon la plus éloignée de ces dates.

 

 

[32]           Il est donc clair que tant que le lit des eaux navigables dans ces trois ports n’est pas cédé à une personne ou à un organisme par le ministre, ceux-ci conservent leur désignation de port public. Dans chacun des trois ports en question, l’État demeure propriétaire des lits de port. Kingsville, Sault Ste. Marie et Sarnia demeurent donc des « ports publics », assujettis au pouvoir du ministre de fixer des droits en vertu de l’article 67 de la Loi.

 

L’entente de réciprocité entre le Canada et les États-Unis

 

[33]           Une entente de réciprocité existe depuis longtemps entre le Canada et les États-Unis, aux termes de laquelle les navires sous pavillon canadien qui naviguent depuis des ports canadiens des Grands Lacs vers des ports des États-Unis situés sur les Grands Lacs sont exonérés des droits de tonnage des États-Unis, tandis que les navires sous pavillon des États-Unis qui naviguent depuis des ports des États-Unis vers des ports canadiens y sont exonérés des droits de port. Cette entente a été constatée au Canada par décret du 22 mars 1910, et par voie législative aux États‑Unis, où elle a force de loi depuis le 10 mars 1910. Il est établi toutefois que l’entente remonte au moins à 1884.

 

[34]           Outre qu’elles contestent la légitimité des droits dans les ports en question, les demanderesses soutiennent que l’exonération pour les navires des États-Unis est discriminatoire, anticoncurrentielle, inéquitable et contraire aux objectifs commerciaux de la Politique maritime nationale et de la Loi.

 

Les questions en litige

 

[35]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         la présente affaire aurait‑elle dû être présentée par voie de contrôle judiciaire?

            2.         y a-t-il lieu de rendre un jugement sommaire?

            3.         les droits de port sont-ils une taxe illégale plutôt que des droits valides fixés en vertu de la Loi?

4.         l’usage de ne pas imposer de droits de port aux navires des États-Unis est-il discriminatoire et contraire à la loi?

 

[36]           J’ai organisé le reste du présent jugement en trois rubriques. Je résume en premier lieu les observations de la défenderesse/requérante, puis celles des demanderesses, et en troisième lieu, je présente mon analyse. Dans chaque rubrique, j’examine successivement chacune des quatre questions en litige.

 

Les observations de la défenderesse/requérante

Le contrôle judiciaire

 

[37]           Tout d’abord, Sa Majesté dénonce le fait que c’est à mauvais escient que les demanderesses ont présenté l’affaire par voie d’action, alors qu’elles auraient dû présenter une demande de contrôle judiciaire. Elle fait valoir que le nœud de l’action est la décision du ministre, agissant à titre d’« office fédéral », de fixer certains droits sur le fondement de l’article 67 de la Loi, et que l’affaire est donc effectivement sujette à une demande de contrôle judiciaire.

 

[38]           À l’appui de cette thèse, Sa Majesté se fonde essentiellement sur l’arrêt Canada c Grenier, 2005 CAF 348, aux paragraphes 27 à 33, pour proposer que le principe de finalité protège contre les contestations indirectes des pouvoirs décisionnels que confère la loi, et que les demanderesses doivent contester les décisions prises au titre de la loi selon le régime du contrôle judiciaire que prévoit la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et modifications, et dans les délais connexes.

 

[39]           En dépit de la contestation sur l’à-propos d’engager cette action, Sa Majesté reconnaît que les principes applicables au contrôle de décisions administratives valent, que le contrôle intervienne par voie de contrôle judiciaire, d’appel ou de contestation incidente comme une action en dommages-intérêts (voir Grenier, précité, au paragraphe 62). Sa Majesté soutient que, s’il y a application des principes du droit administratif, il y aurait lieu d’appliquer la norme de la décision raisonnable à la décision, au motif que l’article 67 de la Loi confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour fixer les droits.

 

Le jugement sommaire

 

[40]           La thèse de Sa Majesté est que toutes les questions en litige sont d’ordre juridique et ne donnent pas lieu à d’importants désaccords sur les faits. Les témoignages oraux ne sont donc pas requis, et il n’est pas nécessaire de tenir un procès. Elle affirme que les questions à trancher en l’espèce sont représentatives de celles qui se résolvent par contrôle judiciaire et qu’elles peuvent être modifiées pour se voir entièrement résolues dans le cadre de la présente requête.

 

[41]           Sa Majesté demande donc à la Cour de résoudre dans la présente requête les questions en litige entre les parties.

 

La validité des droits de port

 

[42]           Sa Majesté soutient que, en aucune des façons évoquées par les demanderesses, le pouvoir du ministre de fixer des redevances en vertu de la Loi n’est restreint ni limité. Elle affirme au contraire que la Loi autorise le ministre à fixer des redevances, dont des droits de port, sur tout le territoire canadien, à des tarifs ordinaires, pouvant être imposés dans tous les ports publics.

 

[43]           Sa Majesté ajoute que les droits, notamment de port, étant fixés pour tout le territoire canadien et tous les ports publics, il n’y a rien d’illégal à continuer de fixer des redevances relatives aux ports publics pour tout le territoire canadien. Elle fait valoir que le système national des transports porte plus loin que les exemples particuliers de Kingsville, Sault Ste. Marie et Sarnia et prend en compte l’ensemble des frais et des déficits subis par Transports Canada à l’égard de tous les ports publics. En se fondant sur ces dépenses plus vastes, elle affirme que les droits ne sont pas illégaux.

 

 

[44]           Sa Majesté affirme qu’en fait, rien dans la Loi n’oblige le ministre à fixer des droits individuellement pour chaque port, en tenant compte des frais engagés dans chaque port, plutôt que pour l’ensemble du système. Les pouvoirs que l’article 67 confère au ministre ne se limitent en aucune façon à des objectifs de récupération des coûts et incluent des pouvoirs plus larges d’établissement des prix et de production de recettes.

 

[45]           Sa Majesté se fonde sur l’arrêt Thorne’s Hardware c Canada, [1983] 1 RCS 106, dans lequel la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si les droits de port perçus pour l’utilisation des eaux entourant certains quais privés constituaient un impôt non autorisé plutôt que des droits. La Cour suprême a conclu, à la page 123, qu’indépendamment du fait que des services soient ou non fournis aux navires, la perception de droits de port ne constituait pas un impôt :

Même si le mot « droits » qui figure à l’art. 14 limite le Conseil à la perception des frais raisonnablement reliés au coût de la fourniture des services portuaires, il n’est pas nécessaire que les droits exigés à l’égard d’un navire en particulier soient fondés sur le coût réel des services fournis à ce navire. Pour prouver que les droits exigés par le Conseil sont des « impôts » et, partant, excèdent sa compétence, il faudrait à tout le moins établir que ses revenus dépassent largement les coûts occasionnés par la fourniture au public d’installations et de services portuaires; en l’espèce, on n’a même pas essayé de le démontrer.  En fait, il se dégage d’une note de service en date du 22 juillet 1969 que le vice-président du Conseil a adressée au Conseil des ports nationaux que l’exploitation du port de Saint-Jean a entraîné des pertes nettes de l’ordre de 644 049 $ et de 781 222 $ pour les années 1968 et 1967 respectivement.

 

 

[46]           Sa Majesté s’appuie beaucoup aussi sur les précédents Aerlinte Eirann Teoranta c Canada, [1987] 3 CF 383, conf. par [1990] ACF no 170 (CA), Canadian Shipowners Association c Canada, [1997] ACF no 1002, conf. par [1998] ACF no 1515 (CA), et Association canadienne des radiodiffuseurs c Canada, 2008 CAF 157.

 

L’entente de réciprocité entre le Canada et les États-Unis

 

[47]           Enfin, Sa Majesté prétend que le fait de distinguer entre des catégories d’usagers pour fixer des droits n’a rien de discriminatoire et qu’en vertu de l’article 67 de la Loi, le ministre dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire à cette fin. Sa Majesté s’appuie sur Aerlinte, précitée, Canadian Shipowners Association, précitée, et Mid-Atlantic Minerals Inc, [2003] 1 CF 168, conf. par [2004] ACF no 79, pour affirmer que le pouvoir général de fixer des droits comprend le pouvoir discrétionnaire d’établir des catégories d’usagers. Sa Majesté ajoute que rien dans le libellé de l’article 67 ni dans les autres dispositions de la Loi n’étaye la proposition que le ministre ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour donner effet à l’entente de réciprocité entre les États-Unis et le Canada.

 

[48]           Sa Majesté répond aussi à l’allégation des demanderesses selon laquelle l’entente de réciprocité ne constitue pas un traité officiel aux termes des dispositions de l’Avis sur le tarif des droits. Elle soutient que le mot « traité » dans cet Avis est destiné à s’appliquer à l’entente de réciprocité. De toute façon, les avis relatifs aux droits de port ne sont pas des textes réglementaires. Les avis relatifs aux droits permettent simplement à Transports Canada de communiquer avec les usagers des ports et n’empêchent aucunement le ministre de fixer des droits en vertu de la Loi (voir Sous-ministre du Revenu national (Douanes et Accise) c Liberty Home Products Corp, [1990] ACF no 555 (CA)).

 

Les observations des demanderesses/défenderesses reconventionnelles

Le contrôle judiciaire

 

[49]           Les demanderesses affirment qu’elles ne contestent pas la décision du ministre de promulguer l’Avis concernant le tarif des droits de port dans les ports publics, ni son pouvoir de fixer des droits en vertu de l’article 67 de la Loi. Elles affirment en revanche que la contestation porte sur la façon dont les droits de port sont appliqués.

 

[50]           À l’appui de la présentation de la demande de réparation par voie d’action plutôt que par contrôle judiciaire, les demanderesses invoquent l’arrêt Association canadienne des radiodiffuseurs, précité. Dans cette affaire, la demanderesse avait intenté une action pour contester la légalité des droits de radiodiffusion en tant que taxe illégale.

 

[51]           Les demanderesses s’appuient aussi sur Mid-Atlantic Minerals Inc, précitée, au paragraphe 28, pour affirmer qu’étant les défenderesses dans la demande reconventionnelle, elles peuvent soulever et plaider dans leur défense tout point de droit qui pourrait entraîner le rejet de l’action.

 

Le jugement sommaire

 

[52]           Les demanderesses prétendent que des questions sérieuses et véritables sont à juger, notamment les suivantes :

            1.         des services sont-ils fournis en échange des droits de port?

            2.         la nature initiale des droits de port ou des droits des directeurs de port; les droits de port perçus de nos jours correspondent-ils à leur objet initial?

            3.         y a-t-il eu changement d’orientation de la politique fédérale afin d’utiliser les droits de port comme une taxe ou un moyen de générer des recettes pour soutenir le ministère des Transports?

            4.         l’application des droits de port est-elle conforme aux principes et aux objectifs de la Loi maritime du Canada et de la Loi sur les transports au Canada?

            5.         les bâtiments canadiens subissent-ils une discrimination injuste et illégale par rapport aux bâtiments des États-Unis, en particulier existe-t-il un traité valide qui autorise ceux‑ci à être exonérés des droits de port?

            6.         les retards dans l’aliénation des ports où Transports Canada a cessé de fournir des services et la perception maintenue des droits dans ces ports sont-ils conformes à la Politique maritime nationale et à la Loi maritime du Canada?

 

[53]           Selon les demanderesses, Sa Majesté n’a pas établi que le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits.

 

La validité des droits de port

 

[54]           Le nœud de la cause d’action des demanderesses est que les droits perçus dans les ports où aucun service n’est fourni, c’est-à-dire Kingsville et Sault Ste. Marie, ne constituent pas un péage, mais plutôt une taxe illégale.

 

[55]           Selon l’Avis sur le tarif des droits, « droits de port » s’entend du « [d]roit imposé pour un navire qui entre dans le port public ou qui en fait usage ». Selon les demanderesses, le péage exige qu’il y ait fourniture d’un service ou d’une valeur quelconque en échange de ce qui est perçu. Elles allèguent qu’une taxe est au contraire une redevance que perçoit l’administration afin de générer des recettes à des fins d’intérêt public ou pour couvrir des dépenses publiques. Les demanderesses affirment que la redevance ne peut être un péage et doit donc être une taxe, aucun service direct n’étant fourni à Kingsville ou à Sault Ste. Marie.

 

[56]           Les demanderesses affirment que, traditionnellement, les droits de port étaient des droits que l’on devait payer pour obtenir les services du directeur du port à propos du fonctionnement d’un port en particulier. Puisqu’il n’y a pas de directeur de port à Kingsville et que celui-ci de Sault Ste. Marie ne fournit aucun service particulier, il n’y a pas de contrepartie.

 

[57]           Les demanderesses tentent de distinguer l’arrêt Thorne’s Hardware, précité, de la présente affaire en laissant entendre qu’il permet d’affirmer que, tant que des services sont généralement fournis au port en cause, il n’est pas indispensable que le péage imposé à un bâtiment soit lié au coût des services qui sont fournis à ce dernier.

 

[58]           Les demanderesses effectuent une analyse du caractère véritable et laissent entendre que les droits de port ont pour objet premier de générer des recettes en vue de financer de façon générale le secteur des activités portuaires de Transports Canada, et que la réorientation de ce qui devait être un droit en contrepartie des services du directeur de port pour qu’il devienne une taxe visant à financer un réseau portuaire national constitue un usage à mauvais escient, que n’autorise pas la loi.

 

L’entente de réciprocité entre le Canada et les États-Unis

 

[59]           Les demanderesses allèguent d’abord que cette entente de réciprocité n’est pas valide, car le décret de 1910 n’a pas de fondement législatif, décret qui, selon Sa Majesté, constitue le fondement de l’exonération.

 

[60]           Les demanderesses soulignent ensuite le libellé de l’Avis sur le tarif des droits, qui prévoit une exonération pour les « navires exemptés du paiement de ces droits en vertu d’un traité conclu entre le Canada et un autre pays ». Les demanderesses prétendent donc que, bien qu’il existe une entente de réciprocité valide, il n’y a pas de traité officiel permettant que soient exonérés les bâtiments sous pavillon des États-Unis.

 

[61]           Les demanderesses soutiennent que l’exonération accordée aux navires des États-Unis opère à l’endroit des navires canadiens une discrimination qui n’est nullement justifiée en droit et qui devrait être déclarée invalide pour trois raisons principales :

 

            1.         la loi ne confère pas de pouvoir régulier autorisant l’exonération des navires des États-Unis;

            2.         cette exonération constitue de la discrimination entre les navires et les bâtiments des deux pays, qui sont traités de façon inéquitable, et viole donc la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, LRC 1985, c I-17;

            3.         l’exonération accordée aux navires des États-Unis aux termes de l’Avis sur le tarif des droits ne favorise ni ne protège la compétitivité et les objectifs commerciaux canadiens, ce qui est contraire aux objectifs de la Loi maritime du Canada et de la Loi sur les transports au Canada.

Analyse et décision

Le contrôle judiciaire

 

[62]           Les demanderesses allèguent que le ministre a outrepassé les pouvoirs que lui confère la loi. L’article 67 de la LMC lui confère le pouvoir de fixer des redevances relatives aux ports publics, notamment des droits de port. Le litige porte donc sur la ou les décisions générales du ministre de fixer ces droits, décisions qu’il a prises en sa qualité d’office fédéral, au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[63]           L’unique moyen de contester la décision d’un office fédéral est de présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. La décision conserve sa force et son autorité légales tant que la demande de contrôle judiciaire présentée n’a pas été accueillie (voir Grenier c Canada, 2005 CAF 348, 262 DLR (4th) 337, [2005] ACF no 1778 (QL), aux paragraphes 27 à 33).

 

[64]           Toutes les réparations que cherchent à obtenir les demanderesses sont basées sur l’allégation d’invalidité de la décision du ministre, qui est au centre de la présente action. Les demanderesses n’ont pas le droit d’écarter le régime législatif régissant le contrôle judiciaire et de contourner ainsi les procédures et les délais établis, en s’attaquant à la légalité d’une décision sous le couvert d’une action. La Cour d’appel fédérale a affirmé, de façon définitive et à maintes reprises, que le fait d’autoriser des demandeurs à engager une action afin de faire déclarer l’invalidité de décisions de tribunaux fédéraux, c’était porter atteinte à l’autorité de la chose jugée, principe qui sous-tend le délai relativement court de 30 jours pour introduire les demandes de contrôle judiciaire (voir Manuge c Canada, 2009 CAF 29, [2009] ACF no 73 (QL), au paragraphe 51, Grenier, précité, aux paragraphes 27 à 29, Budisukma Puncak Sendirian Berhad c Canada (Berhad), 2005 CAF 267, [2005] ACF no 1302 (QL), au paragraphe 60, Tremblay c Canada, [2004] 4 RCF 165, 244 DLR (4th) 422, [2004] ACF no 787 (CA) (QL), aux paragraphes 14 ainsi que 16 à 18).

 

[65]           Même si l’on peut considérer que l’action des demanderesses conteste une même série d’actes plutôt que des décisions particulières du ministre de fixer des droits de port comme il l’a fait, la procédure indiquée pour cette contestation est la demande de contrôle judiciaire (voir Manuge, précité, au paragraphe 45, Krause c Canada, [1999] 2 CF 476 (CAF)).

 

[66]           Il est également établi que le bon moyen pour contester la validité d’un texte réglementaire est par voie de contrôle judiciaire, même si, dans de tels cas, la norme de contrôle sera toujours la décision correcte (voir Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2008 CAF 229, [2009] 3 RCF 136, 74 Admin LR (4th) 79 (QL), aux paragraphes 55 à 58, Saskatchewan Wheat Pool c Canada (Attorney General), 107 DLR (4th) 190, aux paragraphes 11 à 15). Le fait que les demanderesses aient gain de cause pour la qualification de l’Avis sur le tarif des droits en texte d’application ne les aide donc en rien.

 

[67]           Néanmoins, la Cour d’appel fédérale a parfois, par souci de clarté ou d’efficacité, ou eu égard aux circonstances particulières, mené un contrôle d’une décision administrative fédérale de façon incidente dans une action. Dans ces cas, malgré que la question ne lui avait pas été présentée selon la bonne procédure, la Cour a examiné la décision selon les principes du droit administratif, en particulier pour déterminer la norme de contrôle applicable (voir les arrêts Grenier, précité, aux paragraphes 58 à 63, et Berhad, précité, aux paragraphes 65 et 66).

 

[68]           Malgré cette jurisprudence, les demanderesses s’appuient sur Association canadienne des radiodiffuseurs, précité, et Mid-Atlantic Minerals Inc, précitée, pour soutenir la présentation de leur demande par voie d’action. L’affaire en l’espèce ressemble beaucoup à celle de l’arrêt Association canadienne des radiodiffuseurs, précité, dans lequel il y avait contestation, au motif qu’ils constituaient des taxes illégales, de droits imposés sous un régime de réglementation. Ni la Cour fédérale ni la Cour d’appel fédérale n’ont toutefois commenté les raisons pour lesquelles cette affaire avait été instruite par voie d’action plutôt que par demande, et je ne peux donc me fonder sur cette décision pour faire jurisprudence sur ce point de la loi.

 

[69]           Les demanderesses prétendent de plus que, puisque Sa Majesté a présenté contre elles une demande reconventionnelle, elles peuvent soulever et plaider dans leur défense tout point de droit qui pourrait entraîner le rejet de l’action (voir Mid-Atlantic Minerals, précitée, au paragraphe 28). Cette décision permet d’affirmer que le jugement déclaratoire est possible en défense à une action, alors que le demandeur ne peut s’en prévaloir dans une action, puisqu’aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, le jugement déclaratoire n’est possible qu’en cas de demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1. Les demanderesses dans l’action ne peuvent donc s’appuyer sur Mid-Atlantic Minerals, précitée, pour éluder les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales telles qu’elles sont formulées dans Grenier, précité.

 

[70]           Pour les motifs exposés ci-dessus, il est clair pour moi que la présente action aurait dû être effectivement introduite par voie de contrôle judiciaire.

 

[71]           Certes, les conclusions de la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Grenier et Berhad, précités, lient la Cour, mais je relève que le droit n’est pas complètement établi. La Cour d’appel de l’Ontario a ouvertement contesté l’incidence de Grenier : TeleZone Inc c Canada (Attorney General), 2008 ONCA 892, 86 Admin LR (4th) 163. Pour le moment, donc, le mieux est d’adopter une démarche prudente et de ne pas trancher l’affaire sur ce motif. Je relève aussi que l’action des demanderesses a été introduite avant l’arrêt Grenier, et l’équité entre les deux parties commande à mon avis de trancher sur le fond sans plus tarder. Lors de l’audience, les parties étaient disposées à débattre le fond de l’affaire, bien que Sa Majesté ait plaidé que l’affaire aurait dû être entendue par voie de contrôle judiciaire. En dépit de ma conclusion que c’est à tort que les demanderesses ont présenté l’affaire par voie d’action, je suis tout de même d’avis qu’elle peut se poursuivre. J’estime toutefois qu’un tel mépris des dispositions claires de la Loi sur les Cours fédérales devrait normalement interdire totalement la progression d’une action.

 

 

[72]           Conformément aux principes du droit administratif, la norme de contrôle d’une question de droit est la décision correcte, en particulier « les véritables questions de validité ».

 

Le jugement sommaire

 

[73]           La Cour a exposé les principes généraux relatifs aux dispositions sur le jugement sommaire (articles 213 à 219 des Règles des Cours fédérales) dans Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd, [1996] 2 CF 853 (1re inst), au paragraphe 8 :

 

1.         ces dispositions ont pour but d’autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’instruire parce qu’elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al.);

 

2.         il n’existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie. Il ne s’agit pas de savoir si une partie a des chances d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès;

 

3.         chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth et Feoso);

 

4.         les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l’Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l’interprétation (Feoso et Collie);

 

5.         saisie d’une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l’Ontario) (Patrick);

 

6.         le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l’ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s’il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman et Sears);

 

7.         lorsqu’une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l’affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde et Sears). L’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit "se pencher de près" sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes).

 

 

[74]           Dans Inhesion Industrial Co c Anglo Canadian Mercantile Co, [2000] ACF no 491 (1re inst), au paragraphe 19, la Cour a statué que :

[19]   Dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, chaque partie doit produire sa meilleure preuve. Bien entendu, la requérante doit présenter une preuve qu’elle croit susceptible de convaincre la Cour qu’il est opportun de rendre un jugement sommaire en sa faveur. Cependant, l’intimée doit elle aussi mettre de l’avant sa meilleure preuve. Cette question a été examinée par le juge Evans dans la décision F. von Langsdorff Licensing Limited c. S.F. Concrete Technology, Inc. (8 avril 1999), dossier T-335-97 (C.F. 1re inst.) :

En conséquence, l’intimé doit s’acquitter du fardeau de la preuve consistant à démontrer qu’il y a une question sérieuse à juger (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), 1995 CanLII 3605 (CAF), [1995] 3 C.F. 68, aux pages 81 et 82 (C.A.F.)). Cet état de fait n’enlève rien au principe que le requérant a la charge ultime d’établir les faits nécessaires pour obtenir un jugement sommaire (Succession Ruhl c. Mannesmann Kienzle GmbH, 1997 CanLII 5637 (FC), (1997), 80 C.P.R. (3d) 190, à la page 200 (C.F. 1re inst.) et Kirkbi AG. c. Ritvik Holdings Inc. (C.F. 1re inst., T-2799-96, 23 juin 1998)). Les deux parties doivent donc " présenter leurs meilleurs arguments " pour permettre au juge saisi de la requête de déterminer s’il existe une question litigieuse qui mérite d’être instruite (Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie, (1990), 33 C.P.R. (3d) 519, aux pages 529 et 530 (Cour Ont., Div. gén.).

 

 

[75]           Il ressort clairement de la jurisprudence sur l’article 216 des Règles que le juge des requêtes doit s’abstenir de rendre un jugement sommaire s’il n’existe pas, dans le dossier, des éléments de preuve pertinents et si intervient une question sérieuse de fait ou de droit qui dépend d’inférences à tirer (voir Succession MacNeil c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2004 CAF 50, [2004] 3 RCF 3, Apotex Inc c Merck & Co, 2002 CAF 210, [2003] 1 CF 242).

 

[76]           Ceci posé, le juge Zinn a souligné dans Astral Media Radio Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2008 CF 1198 :

Comme l’a fait remarquer le juge Slatter de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Tottrup v. Clearwater (Municipal District No. 99) 2006 ABCA 380 (CanLII), (2006), 401 A.R. 88 [au paragraphe 12] : [traduction] « Les procès ont principalement pour objet de trancher des questions de fait [...] On n’y recourt habituellement pas pour apporter réponse à des questions de droit ». Le jugement sommaire est utile comme outil, tant pour les parties que pour la cour, dans les cas où l’on n’a pas à statuer sur les faits. Les procès font dépenser beaucoup d’argent aux parties, et beaucoup de temps à celles-ci et à la cour. Toutes les fois qu’on peut les éviter, on devrait le faire.

 

Les demanderesses ont allégué qu’il y avait des questions sérieuses et véritables à juger, mais je suis convaincu que toutes les questions importantes peuvent être décidées par requête en jugement sommaire. En l’espèce, je conclus que la preuve factuelle est suffisante, de sorte que les seules questions litigieuses entre les parties sont des questions de droit. Il est donc approprié de trancher la présente requête selon l’article 216 des Règles. Je passe maintenant à l’analyse des questions de droit qui font l’objet du litige entre les parties.

 

La validité des droits de port

 

[77]           Les demanderesses qualifient les droits de port de redevances qui sont traditionnellement liées aux fonctions du directeur de port, ou de façon plus générale de droits pour les services reçus dans les ports. Elles affirment que, puisque l’administration fédérale ne fournit en réalité aucun service dans le port de Kingsville ou dans celui de Sault Ste. Marie, les droits de port sont effectivement des taxes, et non des droits.

 

[78]           Sa Majesté, pour sa part, soutient que les droits de port font partie d’un système de récupération des coûts du système national des transports dont le déficit est lourd. Elle affirme que les droits ne sauraient constituer une taxe, car les frais d’entretien du réseau national des ports dépassent de loin les recettes générées par les droits de port, et ceux-ci sont précisément autorisés par la LMC.

 

[79]           Il importe d’examiner le libellé général de l’article 67 de la LMC, que je cite de nouveau ci-après pour en faciliter la consultation :

67.(1) Le ministre peut fixer les droits à payer à l’égard :

 

a) des navires, véhicules, aéronefs et personnes entrant dans les ports publics ou faisant usage des ports publics ou d’installations portuaires publiques;

 

b) des marchandises soit déchargées de ces navires, chargées à leur bord ou transbordées par eau dans le périmètre portuaire, soit stockées dans ces installations portuaires ou passant par elles;

 

c) des services fournis par le ministre, ou des avantages qu’il accorde, en rapport avec l’exploitation des ports publics ou des installations portuaires publiques.

 

(2) Le ministre peut fixer le taux d’intérêt frappant les droits impayés.

 

(3) Les droits et le taux d’intérêt peuvent être rendus obligatoires pour Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

 

(4) Les droits fixés en vertu de l’alinéa (1) a) ou b) ne s’appliquent pas aux navires de guerre canadiens, aux navires auxiliaires de la marine, aux navires placés sous le commandement des Forces canadiennes, aux navires de forces étrangères présentes au Canada au sens de la Loi sur les forces étrangères présentes au Canada, ni aux navires sous le commandement de la Gendarmerie royale du Canada.

67.(1) The Minister may fix the fees to be paid in respect of

 

(a) ships, vehicles, aircraft and persons coming into or using a public port or public port facility;

 

 

 

(b) goods loaded on ships, unloaded from ships or transhipped by water within the limits of a public port or stored in, or moved across, a public port facility; and

 

 

(c) any service provided by the Minister, or any right or privilege conferred by the Minister, in respect of the operation of a public port or public port facility.

 

(2) The Minister may fix the interest rate to be charged on overdue fees.

 

(3) The fees and the interest rate may be made binding on Her Majesty in right of Canada or a province.

 

 

(4) The fees fixed under paragraphs (1)(a) and (b) do not apply in respect of a Canadian warship, naval auxiliary ship or other ship under the command of the Canadian Forces, a ship of a visiting force within the meaning of the Visiting Forces Act or any other ship while it is under the command of the Royal Canadian Mounted Police.

 

 

[80]           L’article 2 de la LMC définit ainsi le terme « droit » :

« droit » S’entend de toute forme de taxe, péage, contribution ou redevance, notamment pour l’accès, l’accostage et l’amarrage au port, à l’exclusion de toute somme versée au titre d’un bail ou d’un permis.

 

 

“fees” includes harbour dues, berthage and wharfage, as well as duties, tolls, rates and other charges, but does not include payments made under a lease or licence agreement.

 

[81]           Il ressort du libellé de l’article 67 que le ministre a le pouvoir général de fixer des droits, ce pour quoi il dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire.

 

[82]           L’examen de l’alinéa 67(1)a) montre que le ministre peut fixer des droits à l’égard de navires « entrant » simplement dans un port public. Il peut également fixer des droits à l’égard des navires qui font usage d’un port public ou d’une installation portuaire publique. Ceci donne à penser que la Loi autorise le ministre à fixer un droit sur le navire qui entre dans un port public. Cette partie de l’article ne prévoit pas, et encore moins n’exige, qu’un service soit fourni au bâtiment. Ce pourrait être un droit pour entrer dans le port, plutôt que pour des services qui sont fournis au bâtiment.

 

[83]           Le ministre a d’ailleurs le droit de fixer un tel droit à l’égard d’un navire entrant dans le port, même s’il n’y a aucune fourniture de services. L’arrêt Canada c Thorne’s Hardware Limited, [1981] 2 CF 393 (CA), au paragraphe 11, est à l’appui de cette conclusion :

11     Le second motif pour lequel le premier juge a déclaré le Règlement B-1 inapplicable aux navires des intimées, c’est que le Conseil des ports nationaux, ne fournirait aucun service à ces navires. Il en résulterait, suivant le jugement de première instance, que le Conseil ne pourrait leur imposer de droits. Je regrette ne pouvoir partager cette opinion. Il est clair à la lecture du Règlement dont il s’agit que les droits qu’il impose sont "exigibles à l’égard de tout navire qui entre dans un port ou qui y est utilisé", sans égard au fait que des services aient ou n’aient pas été rendus à ce navire. Il me semble, de plus, que l’imposition de pareils droits est autorisée par le début de l’alinéa 14(1)e) de la Loi:

 

14. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, non incompatibles avec les dispositions de la présente loi, pour la direction, la conduite et la gouverne du Conseil et de ses employés, ainsi que pour l’administration, la gestion et la régie des divers ports, ouvrages et biens sous sa juridiction, y compris

 

[...]

 

e)         l’imposition et la perception de droits sur les navires ou aéronefs qui entrent dans les ports, en font usage ou en sortent; sur les passagers; sur les cargaisons; sur les marchandises ou cargaisons de toute nature qui ont été introduites dans l’un des ports ou l’une des propriétés relevant de l’administration du Conseil ou qui en ont été prises, ou qui ont été débarquées, expédiées, transbordées ou emmagasinées dans l’un des ports ou sur l’une des propriétés ressortissant au Conseil, ou qui ont été déplacées à travers des propriétés dont l’administration relève du Conseil; pour l’usage de tout bien ressortissant au Conseil ou pour tout service rendu par le Conseil; et la stipulation des termes et conditions (y compris toute modalité visant la responsabilité civile du Conseil en cas de négligence de la part d’un fonctionnaire ou employé du Conseil) auxquels un tel usage peut être fait ou un tel service rendu;

 

[84]           La portée du pouvoir que l’article 67 de la LMC confère au ministre ressort davantage encore si l’on situe cet article dans le contexte des dispositions plus circonscrites de fixation de droits des Parties 1 et 3 de la LMC ainsi que dans d’autres dispositions législatives.

 

[85]           À l’audition de la présente affaire, les demanderesses n’ont pas allégué que le ministre devait fixer les droits de port pour chaque port. Autrement dit, elles n’ont pas remis en question le pouvoir du ministre de fixer des droits pour l’ensemble du système comme il l’a fait. Je souligne que c’est ce qui rend précisément identiques les tarifs des droits de port à chaque port, quel que soit le degré de service proposé. Il est évident que la LMC a autorisé les droits de port en cause. J’examinerai à présent la légalité de ces droits.

 

[86]           Les parties conviennent que les droits de port en cause ne sont pas des frais d’utilisation, même si ceux-ci ont peut-être été à l’origine de ceux-là. La seule question est donc de décider si les droits de port sont, de par leur caractère véritable, une redevance de nature réglementaire ou une taxe (voir 620 Connaught Ltd c Canada (Procureur général), 2008 CSC 7, [2008] 1 RCS 131, 290 DLR (4th) 385 (QL)).

 

 

[87]           Seul le Parlement peut imposer une taxe aux termes de l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867. Si de par leur caractère véritable, les droits de port sont une taxe, ils deviennent ultra vires, et le ministre n’a pas le pouvoir de les imposer, en dépit du pouvoir que lui confère la LMC. En revanche, s’ils sont, de par leur caractère véritable, une redevance de nature réglementaire qui existe dans un régime de réglementation, ils peuvent être imposés en toute validité (voir 620 Connaught, précité, aux paragraphes 2 et 16).

 

[88]           Le juge Rothstein a affirmé dans l’arrêt 620 Connaught, précité :

[25]      Dans l’arrêt Westbank, le juge Gonthier a établi une démarche en deux étapes afin de déterminer s’il existe un lien entre le prélèvement gouvernemental et un régime de réglementation.  Il faut dans un premier temps rechercher la présence d’un tel régime.  Pour ce faire

 

le tribunal doit rechercher la présence d’un ou de plusieurs des indices suivants : (1) un code de réglementation complet, complexe et détaillé; (2) un objet de réglementation qui cherche à influencer un comportement donné; (3) la présence de coûts réels ou estimés liés à la réglementation; (4) un rapport entre la réglementation et la personne visée qui en bénéficie ou qui en a causé le besoin. [par. 44]

 

Les trois premiers indices établissent l’existence d’un régime de réglementation.  Le quatrième établit un rapport entre le régime de réglementation et la personne visée.

 

[...]

 

[27]     S’il conclut à la présence d’un régime de réglementation, le tribunal doit, dans un deuxième temps, déterminer s’il existe un lien entre la redevance et le régime lui-même :

 

Il en est ainsi lorsque les revenus sont liés aux coûts du régime de réglementation ou lorsque les redevances elles-mêmes ont un objet de réglementation, comme la réglementation d’un comportement donné. (Westbank, par. 44)

 

[89]           La réglementation des ports publics en vertu de la LMC constitue un système national, lequel à l’évidence constitue un régime de réglementation. Sans se dégager nettement, la pertinence de ce régime pour les demanderesses est attestée par leur utilisation des ports publics et des eaux environnantes, ainsi que par les services de Transports Canada dans nombre de ces ports et ses responsabilités permanentes concernant la sécurité et la navigation. Ces facteurs établissent que les demanderesses tirent avantage de la réglementation des ports publics. Il ne reste plus que le dernier facteur; l’existence d’un lien entre les droits de port et le système national des ports publics.

 

[90]           À propos de ce facteur, la preuve la plus pertinente qui a été présentée est celle qui a établi que Transports Canada ne couvrait qu’une partie des dépenses totales qu’il supportait à l’égard des ports publics.

 

[91]           La notion qu’afin d’être considérée comme des redevances de nature réglementaire, des droits ou des prélèvements doivent être directement affectés à des coûts réglementaires spécifiques a été rejetée. Il suffit que des droits découlant d’un régime de réglementation soient déposés dans les recettes générales employées à l’exploitation du régime (voir Association canadienne des radiodiffuseurs c Canada, 2008 CAF 157, [2009] 1 RCF 3, [2008] ACF no 672, au paragraphe 82).

 

[92]           La Cour suprême du Canada a examiné la pertinence de la récupération des coûts de l’ensemble du système dans l’arrêt Thorne’s Hardware, précité, aux pages 121 à 123 :

Le premier juge a apparemment conclu que le Conseil ne fournit aucun service aux navires faisant usage du dock à Mispec Point. Il a également retenu l’argument des appelantes selon lesquelles les « droits » sont en réalité des impôts de sorte que le Conseil n’a pas compétence pour les exiger. La Cour d’appel fédérale, ne partageant pas cet avis, a jugé que l’art. 14 autorise expressément l’imposition de « droits » sur tout navire qui entre dans le port, sans que le Conseil fournisse un service quelconque à ce navire. Le juge Pratte a dit (à la p. 397):

 

Il est clair à la lecture du Règlement dont il s’agit que les droits qu’il impose sont « exigibles à l’égard de tout navire qui entre dans un port ou qui y est utilisé », sans égard au fait que des services aient ou n’aient pas été rendus à ce navire. Il me semble, de plus, que l’imposition de pareils droits est autorisée par le début de l’alinéa 14(1)e) de la Loi.

 

Je vais supposer, aux fins de la discussion, que les appelantes ont raison de soutenir que le mot « droits » qui figure à l’al. 14(1)e) limite le Conseil à la perception des seuls frais raisonnablement reliés aux coûts d’exploitation du port. Il ne s’ensuit pas, cependant, qu’un droit imposé en vertu de l’art. 14 sur un navire en particulier doit se rapporter au coût des services fournis à ce navire. Les appelantes ne citent d’ailleurs aucun arrêt en ce sens. En fait, un des arrêts invoqués par les appelantes paraît appuyer le point de vue contraire. Dans l’affaire Foreman v. Free Fishers of Whitstable, (1869) L.R. 4 H.L. 266, les demandeurs avaient intenté une action en recouvrement des « droits de mouillage » qui leur auraient été dus par les défendeurs. Dans cette affaire lord Chelmsford a dit (à la p. 285):

 

[traduction] Je ne trouve rien dans la jurisprudence qui justifie l’argument du savant avocat selon lequel l’avantage conféré par le propriétaire du port doit être celui-là même à l’égard duquel les droits sont exigés. Au contraire, il se dégage de l’ouvrage de lord Hale De Portibus Maris, au chap. 6, que « bien qu’A puisse avoir la propriété d’une crique, d’un mouillage ou d’une rivière navigable, le Roi peut néanmoins accorder à B le libre accès à un port s’y trouvant; ainsi, le droit de propriété et le droit de franchise sont séparés et distincts ». Il ajoute que le droit de percevoir des droits de mouillage découle du jus dominii ou du droit de franchise afférent à un port. En l’espèce il est évident que les droits de mouillage ne seraient pas exigibles à l’égard d’un avantage qu’un navire tire du titulaire du droit de franchise.

 

Même si le mot « droits » qui figure à l’art. 14 limite le Conseil à la perception des frais raisonnablement reliés au coût de la fourniture des services portuaires, il n’est pas nécessaire que les droits exigés à l’égard d’un navire en particulier soient fondés sur le coût réel des services fournis à ce navire. Pour prouver que les droits exigés par le Conseil sont des « impôts » et, partant, excèdent sa compétence, il faudrait à tout le moins établir que ses revenus dépassent largement les coûts occasionnés par la fourniture au public d’installations et de services portuaires; en l’espèce, on n’a même pas essayé de le démontrer. En fait, il se dégage d’une note de service en date du 22 juillet 1969 que le vice-président du Conseil a adressée au Conseil des ports nationaux que l’exploitation du port de Saint-Jean a entraîné des pertes nettes de l’ordre de 644 049 $ et de 781 222 $ pour les années 1968 et 1967 respectivement.

 

 

[93]           La Cour fédérale a conclu dans le même sens dans Canadian Shipowners Association c Canada, [1997] ACF no 1002 (CF 1re inst), au paragraphe 14 :

Je ne suis pas non plus d’accord avec l’allégation des requérantes selon laquelle le Règlement constitue une taxe. Les droits qui seront réellement versés par les navires marchands pour les aides à la navigation fournies par Sa Majesté n’excéderont pas le coût total supporté par Sa Majesté. En fait, seulement 20 % des coûts totaux engagés par le Gouvernement sont recouvrés pour l’exercice 1996‑1997. Cela étant, il est impossible de considérer que le revenu généré par le Règlement constitue une taxe.

 

 

[94]           Je remarque également que, tant dans 620 Connaught, précité, aux paragraphes 40 à 44, que dans Association canadienne des radiodiffuseurs, précité, au paragraphe 85, on s’est appuyé sur le facteur important que constitue un déficit supporté par le régime de réglementation en cause pour prouver le lien entre celui-ci et le prélèvement, et de façon implicite, le caractère nécessaire du prélèvement.

 

[95]           Il est admis que les ports publics individuels forment au Canada un système, lequel relève de la réglementation de Transports Canada. Il est également avéré que Transports Canada dépense plus pour le système qu’il ne perçoit avec les divers droits. Suivant la jurisprudence précitée, les droits de port peuvent difficilement être considérés comme des taxes, car Sa Majesté ne recouvre qu’une partie de la totalité de ses frais pour le système de réglementation des ports publics.

 

L’entente de réciprocité entre le Canada et les États-Unis (argument relatif au traité et au pouvoir discrétionnaire)

 

[96]           Comme je l’ai indiqué précédemment, le Canada et les États-Unis ont une entente de réciprocité, aux termes de laquelle les bâtiments sous pavillon des États-Unis naviguant depuis les ports des États-Unis situés sur les Grands Lacs sont exonérés des droits de port dans les ports canadiens des Grands Lacs, tandis que les bâtiments sous pavillon canadien naviguant depuis les ports canadiens des Grands Lacs sont exonérés des droits de tonnage des États-Unis dans les ports des États-Unis situés sur les Grands Lacs. Cet usage perdure depuis au moins 1884, avec une brève interruption. Les demanderesses soutiennent que l’exonération dont bénéficient les bâtiments des États-Unis n’a aucun fondement juridique et que cet usage est discriminatoire.

 

[97]           Il est bien établi qu’il faut comprendre que, si la loi ne prévoit pas de restriction particulière à l’effet contraire, le pouvoir de fixer des droits inclut celui de distinguer entre différents usagers (voir Aerlinte, précitée, et Mid-Atlantic Minerals Inc, précitée, aux paragraphes 39 à 43). Le vaste pouvoir discrétionnaire que l’article 67 de la LMC confère au ministre inclut manifestement le pouvoir de distinguer entre différents groupes d’usagers, y compris, dans les circonstances de l’espèce, celui d’exonérer de droits de port les bâtiments sous pavillon des États-Unis, aux termes de l’entente de réciprocité susmentionnée, établie depuis longtemps, selon laquelle les bâtiments sous pavillon canadien, dont ceux des demanderesses, sont exonérés des droits de tonnage des États-Unis.

 

 

[98]           Dans Aerlinte Eirann Teoranta c Canada, [1990] ACF no 170, la Cour d’appel fédérale a rejeté un argument similaire du caractère discriminatoire d’un droit, et affirmé :

 

[traduction]

 

[...] je me réfère en particulier à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Presse. Cette affaire portait sur les paramètres de l’article 3 de la Loi sur la radio, qui autorisait le gouverneur en conseil à « [...] prescrire le tarif des droits à payer pour les licences et pour l’examen relatif aux certificats de capacité détenus et émis en vertu de la présente loi ». La thèse en l’espèce était que l’article 5 du Règlement général sur la radio, tel qu’il a été édicté par le décret était invalide, car 1) il imposait une taxe, et non un droit de licence, 2) il était injuste et discriminatoire. Le juge Abbott a rejeté ces arguments et affirmé :

 

Quant au caractère discriminatoire allégué du règlement, je ne suis pas convaincu qu’il soit en fait discriminatoire. De toute façon, l’art. 3 de la Loi ne restreint nullement les pouvoirs du gouverneur en conseil de prescrire des droits de licence. Le fait que ces droits puissent être discriminatoires n’est pas, à mon avis, un moyen suffisant pour contester la validité du décret. [Non souligné dans l’original]

 

[...] je dois ajouter que, même si les faits établis par le dossier permettaient de conclure à la discrimination, le résultat serait le même. Je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que « ni la discrimination ni même le caractère déraisonnable des règlements pris par l’exécutif lui-même ne constituent des motifs de les annuler ». (D.A. Vol. 19, p. 3417). Je suis également d’accord avec lui pour dire que :

 

Le pouvoir d’établir des règlements prescrivant une taxe pour l’utilisation d’installations et de services sans entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d’usagers. (D.A. Vol. 19, p. 3417).

 

La seule différence importante en l’espèce est que la décision de maintenir l’entente de réciprocité est celle que le ministre a prise en vertu du pouvoir que lui confère la loi, la LMC, et non un règlement.

 

[99]           Je conclus que les effets discriminatoires de la décision de maintenir l’entente de réciprocité ne constituent pas un motif pour l’annuler. Le pouvoir du ministre de fixer des droits en vertu de l’article 67 inclut clairement celui de distinguer entre des groupes d’usagers.

 

[100]       Les demanderesses prétendent ensuite que, puisque l’Avis sur le tarif des droits publié par le ministre exonère de droits de port les « navires exemptés du paiement de ces droits en vertu d’un traité conclu entre le Canada et un autre pays » (dossier de requête, volume 6, page 1050), le ministre ne peut citer l’entente de réciprocité comme une exemption valide, car elle ne constitue pas un traité officiel. Je ne suis pas d’accord. À présent, le ministre fixe les droits de par sa propre décision, et non plus par règlement comme auparavant.

 

 

[101]       La preuve non contredite est que la décision du ministre devait maintenir l’exonération pour les bâtiments sous pavillon des États-Unis auxquels s’applique l’entente de réciprocité et que le terme « traité » a été employé dans l’Avis sur le tarif des droits afin de s’appliquer expressément à l’entente de réciprocité. L’affidavit de Mary Taylor précise ce qui suit à son paragraphe 51 :

[traduction]

 

Comme il ressort de la pièce P, l’avis sur le tarif des droits préparé consécutivement à la décision du ministre de fixer des augmentations des droits relatifs aux ports publics au titre de la LMC inclut une disposition reprise du règlement antérieur sous la LPIPP qui exclut les navires exonérés par un « traité ». De la façon dont je vois la situation, cette disposition s’applique à l’entente de réciprocité entre le Canada et les États-Unis, entente que l’on devait continuer d’observer. Ni moi-même ni, à ma connaissance et selon ma croyance, de plus hauts fonctionnaires du ministère ou le ministre n’avons jamais proposé de mettre fin à l’entente de réciprocité établie de longue date et à l’exonération qu’elle prévoit pour les bâtiments des États-Unis des droits de port dans les ports publics canadiens sur les Grands Lacs, et nous n’avons jamais eu l’intention non plus d’y mettre fin. S’il y avait eu une telle décision ou même une telle proposition de mettre fin à cette exemption établie depuis longtemps à Transports Canada, je suis certaine que j’en aurais eu connaissance.

 

 

[102]       Je suis d’avis que l’exonération créée par l’entente de réciprocité est toujours en vigueur.

 

[103]       En tout état de cause, l’Avis sur le tarif des droits n’est pas un règlement ni un texte réglementaire. Il s’agit simplement d’une communication de Transports Canada aux usagers des ports. Le pouvoir du ministre de fixer et d’imposer des droits est uniquement issu de la LMC, et non des avis, et on ne peut considérer que sa compétence et son pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’exercice de ce pouvoir que lui confère la Loi puissent être supplantés et remplacés par les avis. Et on ne peut non plus recourir à des arguties pour porter atteinte au pouvoir que la loi confère au ministre et imposer involontairement à celui-ci une issue clairement contraire à ses décisions et aux intentions qu’il maintient.

 

[104]       De plus, même si les avis étaient des règlements et que l’on concluait que les demanderesses interprétaient ceux-ci correctement, elles ne seraient en rien juridiquement fondées à éviter leur paiement des droits de port. Même si l’on se fonde sur de telles suppositions, les arguments des demanderesses ne constituent rien de plus que des plaintes concernant l’application par le ministre de règlements à l’égard d’autrui. Elles ne peuvent se fonder sur de telles plaintes pour justifier de se soustraire elles‑mêmes aux obligations que leur impose la loi.

 

 

[105]       L’Avis sur le tarif des droits aurait pu employer un terme différent, mais il faut se souvenir qu’il n’est qu’une communication de la décision du ministre aux parties intéressées et qu’il ne le lie en aucune façon. La preuve établit que la décision du ministre a été de maintenir l’entente de réciprocité, et c’est cette décision qui importe en l’espèce.

 

 

[106]       En tout état de cause, même si je devais me tromper sur ce point, il ressort clairement de la jurisprudence que le fait que le Canada ne perçoit pas de droits de port à l’égard des bâtiments sous pavillon des États-Unis ne dispense pas les demanderesses de leur obligation de payer leurs droits de port. J’ai déjà conclu que Sa Majesté peut fixer les droits de port en vertu de l’article 67 de la LMC (voir Distribution Canada Inc c MRN, [1993] 2 CF 26 (CA)).

 

 

[107]       Les demanderesses ont également fait valoir qu’elles n’avaient pas été consultées sur le changement des droits. Je suis persuadé qu’une consultation s’est déroulée comme il se doit. Les demanderesses ou leur représentant ont à maintes reprises présenté des observations au ministre et à d’autres représentants de l’État.

 

 

[108]       Sa Majesté a réclamé en demande reconventionnelle le paiement du montant des droits de port dus, augmenté de l’intérêt. Je suis convaincu que le montant des droits impayés ou de l’intérêt applicable n’est pas vraiment contesté. Le pouvoir du ministre de fixer des droits n’est pas contesté. Je suis d’avis d’accueillir la demande reconventionnelle.

 

 

[109]       Vu les conclusions qui précèdent, j’accorderai un jugement sommaire en ces termes :

            1.         L’action des demanderesses contre la défenderesse est rejetée.

            2.         La défenderesse a droit aux dépens (dont ceux pour la présente requête).

            3.         La demande reconventionnelle de la défenderesse est accueillie en ces termes :

                        a)         à l’encontre d’Algoma Central Corporation, et à l’égard des droits de port relatifs aux bâtiments lui appartenant, le paiement de la somme de 528 125,66 $ pour les droits de port dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

                        b)         à l’encontre d’Upper Lakes Shipping Ltd., et à l’égard des droits de port relatifs aux bâtiments lui appartenant, le paiement de la somme de 230 991,60 $ pour les droits de port dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

                        c)         à l’encontre de Seaway Marine Transport, et donc solidairement aussi à l’encontre des associées qui la composent, Algoma Central Corporation et Upper Lakes Group Inc. et/ou Upper Lakes Shipping Inc., et à l’égard des droits de port relatifs aux bâtiments exploités par Seaway Marine Transport, le paiement de la somme de 769 117,26 $ pour les droits de port dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

                        d)         à l’encontre de toutes les défenderesses reconventionnelles :

                                    (i)         l’intérêt composé sur les sommes susmentionnées dues par ces sociétés depuis le 30 septembre 2004, calculé mensuellement, au taux et selon la façon que prévoit l’article 5 du Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, DORS/96-188, pris sous l’article 155.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11;

                                    (ii)        les dépens à l’égard de la présente instance;

 

[110]       Je demeure compétent pour connaître des questions sur lesquelles les parties ne peuvent s’entendre à l’égard du montant relatif à la demande reconventionnelle.

JUGEMENT

 

[111]                   LA COUR STATUE :

            1.         L’action des demanderesses contre la défenderesse est rejetée.

            2.         La défenderesse a droit aux dépens (dont ceux pour la présente requête).

            3.         La demande reconventionnelle de la défenderesse est accueillie en ces termes :

                        a)         à l’encontre d’Algoma Central Corporation, et à l’égard des droits de port relatifs aux bâtiments lui appartenant, le paiement de la somme de 528 125,66 $ pour les droits de port dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

                        b)         à l’encontre d’Upper Lakes Shipping Ltd., et à l’égard des droits de port relatifs aux bâtiments lui appartenant, le paiement de la somme de 230 991,60 $ pour les droits de port dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

                        c)         à l’encontre de Seaway Marine Transport, et donc solidairement aussi à l’encontre des associées qui la composent, Algoma Central Corporation et Upper Lakes Group Inc. ou Upper Lakes Shipping Inc., et à l’égard des droits de port relatifs aux bâtiments exploités par Seaway Marine Transport, le paiement de la somme de 769 117,26 $ pour les droits de port dus au 30 septembre 2004 et des sommes devenant payables ultérieurement, jusqu’à la date du jugement dans la présente instance;

                        d)         à l’encontre de toutes les défenderesses reconventionnelles :

                                    (i)         l’intérêt composé sur les sommes susmentionnées dues par ces sociétés depuis le 30 septembre 2004, calculé mensuellement, au taux et selon la façon que prévoit l’article 5 du Règlement sur les intérêts et les frais administratifs, DORS/96-188, pris sous l’article 155.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11;

                                    (ii)        les dépens à l’égard de la présente instance;

            4.         Je demeure compétent pour connaître des questions sur lesquelles les parties ne peuvent s’entendre à l’égard du montant relatif à la demande reconventionnelle.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


ANNEXE

 

Les dispositions applicables

 

Les dispositions applicables des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

 

213.(1) Le demandeur peut, après le dépôt de la défense du défendeur — ou avant si la Cour l’autorise — et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire sur tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

 

(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

 

214.(1) Toute partie peut présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire dans une action en signifiant et en déposant un avis de requête et un dossier de requête au moins 20 jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis.

 

(2) La partie qui reçoit signification d’une requête en jugement sommaire signifie et dépose un dossier de réponse au moins 10 jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis de requête.

 

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

 

216.(1) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

 

(2) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

 

a) le montant auquel le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de la question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination du montant conformément à la règle 153;

 

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu’il existe une véritable question litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l’ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

 

(4) Lorsque la requête en jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, la Cour peut ordonner que l’action ou les questions litigieuses qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière habituelle ou elle peut ordonner la tenue d’une instance à gestion spéciale.

 

217. Le demandeur qui obtient un jugement sommaire aux termes des présentes règles peut poursuivre le même défendeur pour une autre réparation ou poursuivre tout autre défendeur pour la même ou une autre réparation.

 

218. Lorsqu’un jugement sommaire est refusé ou n’est accordé qu’en partie, la Cour peut, par ordonnance, préciser les faits substantiels qui ne sont pas en litige et déterminer les questions qui doivent être instruites, ainsi que :

 

a) ordonner la consignation à la Cour d’une somme d’argent représentant la totalité ou une partie de la réclamation;

 

b) ordonner la remise d’un cautionnement pour dépens;

 

c) limiter la nature et l’étendue de l’interrogatoire préalable aux questions non visées par les affidavits déposés à l’appui de la requête en jugement sommaire, ou limiter la nature et l’étendue de tout contre-interrogatoire s’y rapportant, et permettre l’utilisation de ces affidavits lors de l’interrogatoire à l’instruction de la même manière qu’à l’interrogatoire préalable.

 

219. Lorsqu’elle rend un jugement sommaire, la Cour peut surseoir à l’exécution forcée de ce jugement jusqu’à la détermination d’une autre question soulevée dans l’action ou dans une demande reconventionnelle ou une mise en cause.

 

213.(1) A plaintiff may, after the defendant has filed a defence, or earlier with leave of the Court, and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment on all or part of the claim set out in the statement of claim.

 

 

 

(2) A defendant may, after serving and filing a defence and at any time before the time and place for trial are fixed, bring a motion for summary judgment dismissing all or part of the claim set out in the statement of claim.

 

 

214.(1) A party may bring a motion for summary judgment in an action by serving and filing a notice of motion and motion record at least 20 days before the day set out in the notice for the hearing of the motion.

 

 

(2) A party served with a motion for summary judgment shall serve and file a respondent’s motion record not later than 10 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the motion.

 

215. A response to a motion for summary judgment shall not rest merely on allegations or denials of the pleadings of the moving party, but must set out specific facts showing that there is a genuine issue for trial.

 

 

 

216.(1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

 

 

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

 

 

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

 

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

 

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

 

 

 

(4) Where a motion for summary judgment is dismissed in whole or in part, the Court may order the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, to proceed to trial in the usual way or order that the action be conducted as a specially managed proceeding.

 

 

217. A plaintiff who obtains summary judgment under these Rules may proceed against the same defendant for any other relief and against any other defendant for the same or any other relief.

 

 

218. Where summary judgment is refused or is granted only in part, the Court may make an order specifying which material facts are not in dispute and defining the issues to be tried, including an order

 

 

(a) for payment into court of all or part of the claim;

 

 

 

(b) for security for costs; or

 

 

(c) limiting the nature and scope of the examination for discovery to matters not covered by the affidavits filed on the motion for summary judgment or by any cross-examination on them and providing for their use at trial in the same manner as an examination for discovery.

 

 

 

 

219. In making an order for summary judgment, the Court may order that enforcement of the summary judgment be stayed pending the determination of any other issue in the action or in a counterclaim or third party claim.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1798-04

 

INTITULÉ :                                      ALGOMA CENTRAL CORPORATION et autres

 

                                                            - et -

 

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

 

-          et –

 

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

 

-          et –

 

                                                            ALGOMA CENTRAL CORPORATION et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 17, 18 et 19 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 17 décembre 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Marc D. Isaacs

 

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

John Lucki

Karen Lovell

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Isaacs & Co.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES/

DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

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