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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date: 20091222

Dossier: IMM-2185-09

Citation: 2009 CF 1306

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE:

DOMINGO MARTINEZ GARDUNO

ARACELI BADILLO BRAVO

ANDRES MARTINEZ BADILLO

SILVANA MARTINEZ BADILLO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), en date du 14 avril 2009, rejetant la demande de réouverture du dossier des demandeurs par la SPR. La SPR avait préalablement prononcé le désistement et la fermeture du dossier des demandeurs suite à leur défaut de comparaître.

 

[2]               Après avoir attentivement examiné le dossier soumis par les demandeurs, j’en suis arrivé à la conclusion que la SPR a erré en droit en refusant de rouvrir le dossier des demandeurs, justifiant ainsi l’intervention de cette Cour.

 

a.                   Les faits

[3]               Le demandeur principal, Domingo Martinez Garduno, son épouse, Araceli Badillo Bravo ainsi que leurs deux enfants, Andres et Silvana Martinez Badillo, sont des citoyens mexicains qui ont présenté une demande d’asile le 25 octobre 2006.

 

[4]               Au début de décembre 2006, les demandeurs ont déménagé. Ils allèguent avoir avisé la SPR et Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de leur changement d’adresse dans les jours qui suivirent.

 

[5]               Le 2 novembre 2007, un avis de convocation à une audition de leur demande d’asile devant la SPR en décembre 2007 a été envoyé à l’ancienne adresse des demandeurs.

 

[6]               Le 18 décembre 2007, les demandeurs ne se sont pas présentés à leur convocation. Le même jour, l’avocate qui les représentait jusque là, s’est désistée du dossier, n’ayant plus de contact avec les demandeurs.

 

[7]               Le 7 janvier 2008, un deuxième avis a été envoyé, toujours à l’ancienne adresse des demandeurs, les convoquant à une audition dont le but était de leur permettre d’expliquer leur défaut de comparaître la première fois.

 

[8]               Le 23 janvier 2008, les demandeurs ont de nouveau fait défaut de se présenter à cette audition.

 

[9]               Le 24 janvier 2008, la première convocation envoyée le 2 novembre a été retournée par la poste à la SPR, avec la mention destinataire « déménagé/inconnu ».

 

[10]           Le 25 janvier 2008, la SPR a conclu au désistement de la revendication d’asile des demandeurs et a fermé leur dossier.

 

[11]           Le 28 janvier 2008, selon l’affidavit de l’adjointe administrative Louise Brazeau de la SPR, cette dernière aurait communiqué avec CIC pour s’informer de l’adresse des demandeurs. Un fonctionnaire de CIC lui aurait alors indiqué que les demandeurs avaient déménagé en décembre 2006 et en avaient avisé CIC. Madame Brazeau aurait alors effectué le changement d’adresse dans le système informatique. Madame Brazeau déclare qu’avant le 28 janvier 2008, aucune indication d’avis de changement d’adresse n’apparaissait au dossier des demandeurs.

 

[12]           Les demandeurs déclarent n’avoir eu connaissance de la fermeture de leur dossier à la SPR  qu’en février 2009, et ce, en s’informant du suivi de leur dossier par le biais de leur nouvelle avocate.

 

[13]           Le 20 mars 2009, la SPR a reçu une demande de réouverture du dossier des demandeurs fondée sur le défaut de convocation appropriée aux auditions. À l’appui de leur demande, les demandeurs avaient présenté un affidavit du demandeur principal alléguant l’envoi en décembre 2006 d’un avis écrit de changement d’adresse autant à la SPR qu’à CIC; une copie du bail de location pour leur nouveau logement; ainsi que de la correspondance envoyée par CIC à leur nouvelle adresse entre janvier 2007 et février 2009. C’est le rejet de cette demande à la SPR qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.         La décision contestée

[14]           La décision contestée consiste en une courte lettre datée du 14 avril 2009 affirmant ce qui suit :

Le 20 mars 2009, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a reçu votre demande en vue de la réouverture de votre demande d’asile.

 

VOTRE DEMANDE EST REJETÉE.

 

[15]           Seule cette lettre avait été envoyée aux demandeurs initialement. Toutefois, en vertu de la règle 9 (2) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, une fiche interne de la SPR, datée du 8 avril 2009, leur a été subséquemment transmise avec le Dossier certifié du tribunal, aux fins du présent contrôle judiciaire.

[16]           Dans la fiche interne, un commissaire coordinateur de la SPR, M. Hamelin, a inscrit de brefs motifs à l’effet qu’aucun manquement aux principes de justice naturelle, justifiant une réouverture en vertu de la règle 55(4) de la Section de protection des réfugiés, DORS/2002-227, n’a pas été constaté. Selon M. Hamelin, il n’existait aucune preuve au dossier des demandeurs permettant de confirmer qu’ils avaient fait leur changement d’adresse à la SPR. En conséquence, les avis de convocation avaient été envoyés à l’adresse appropriée.

 

III.       Question en litige

[17]           Suite à l’audition des arguments des parties, une seule question subsiste : La SPR a-t-elle erré en refusant de rouvrir la demande d’asile des demandeurs?

 

IV.       Législation pertinente

[18]           Les dispositions suivantes sont pertinentes au présent contrôle judiciaire.

Disposition de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L. C., 2001, ch.27

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

 


Dispositions des Règles de la Section de protection des réfugiés, DORS/2002-227

4. (1) Le demandeur d’asile transmet ses coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

 

[…]

 

(3) Dès que ses coordonnées changent, le demandeur d’asile transmet ses nouvelles coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

 

22. La Section avise les parties par écrit des date, heure et lieu d’une  procédure.

 

 

55. (1) Le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou d’un désistement.

 

 

[…]

 

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

4. (1) The claimant must provide the claimant’s contact information in writing to the Division and the Minister.

 

[…]

 

(3) If the claimant’s contact information changes, the claimant must without delay provide the changes in writing to the Division and the Minister.

 

22. The Division must notify a party in writing of the date, time and location of a proceeding.

 

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

 

 

[…]

 

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

V.        Analyse

[19]           La jurisprudence n’est pas unanime quant à la norme de contrôle applicable à un refus de réouverture d’un dossier de revendication d’asile, suite au prononcé de désistement par la SPR. Deux courants jurisprudentiels existent en cette matière.  Dans certains jugements, la Cour a fait preuve de déférence à l’égard du décideur administratif, malgré la composante de justice naturelle d’une telle décision.  Dans l’arrêt Enahoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration)¸2006 CF 430, [2006] A.C.F. no 531, aux par. 12-13, par exemple, la question a été entièrement analysée sous l’angle de l’appréciation des faits, entraînant ainsi l’application de l’ancienne norme de la décision manifestement déraisonnable. Dans d’autres jugements, en revanche, on a plutôt mis l’accent sur l’expertise de la SPR dans l’application de ses propres règles de procédure à une situation de fait, et on a en conséquence appliqué l’ancienne norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, Hurtado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 270, [2008] A.C.F. no 345, au par. 25.  Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 et l’unification des deux normes de raisonnabilité qui en est résulté, les décisions où l’on a mis l’accent sur l’une ou l’autre de ces deux analyses ont retenu la norme de la décision raisonnable : voir, entre autres, Samuels c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 272, [2009] A.C.F. no 336, au par. 25.

 

[20]           Il existe cependant un deuxième courant jurisprudentiel qui se caractérise par l’importance accordée à l’équité procédurale qui doit entourer la décision de permettre ou non la réouverture d’une demande d’asile.  Dans cette optique, la norme de contrôle sera celle de la décision correcte, dans la mesure où l’accent est mis sur l’impact de la décision.  Suivant cette logique, ce n’est plus l’appréciation des faits ou l’application des règles internes de procédure qui est au cœur du litige mais bien le fait que le demandeur se voit priver de la possibilité de voir sa cause entendue.

 

[21]           En l’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur cette controverse jurisprudentielle, puisque la SPR a commis une importante erreur de droit qui justifie de casser la décision et ce, quelle que soit la norme choisie.

 

[22]           Les notes inscrites par le commissaire Hamelin dans la fiche interne des demandeurs constituent les motifs de la décision contestée : Vranici c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2004 CF 1417, [2004] A.C.F. no 1718, au par. 29 ; voir aussi Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2004 CF 1153, [2004] A.C.F. no 1394, au par. 20. La conclusion de la SPR contenue dans ses motifs et soutenue par le défendeur est à l’effet qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, lorsque la première formation de la SPR a prononcé le désistement, puisqu’il n’existe aucune preuve d’un avis de changement d’adresse fait par les demandeurs.

 

[23]           Or, le demandeur principal a soumis un affidavit au soutien de sa prétention à l’effet qu’il a avisé la SPR de son changement d’adresse. Ignorer totalement cet affidavit constitue une erreur de droit, puisqu’un affidavit est une déclaration écrite assermentée et constitue un moyen de preuve acceptable devant la SPR : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. no 631, au par. 25 ; Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 833, [2005] A.C.F. no 1067, au par. 9.

 

[24]           La SPR n’a pas remis la crédibilité du demandeur en cause et aurait pu le questionner lors d’une audience pour vérifier la sincérité de son récit, si elle avait des doutes à ce sujet. Or, elle n’en a rien fait. Il est important de noter la particularité de cette affaire. Contrairement à bien d’autres cas où des demandeurs admettent avoir omis d’aviser de leur changement d’adresse (Abuali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 221, [2009] A.C.F. no 293, au par. 3; Serrahina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2003 CFPI 477, [2003] A.C.F. no 622, au par. 3), les demandeurs en l’espèce ont toujours soutenu avoir avisé la SPR de leur changement d’adresse. Autant dans leur affidavit devant la SPR que dans celui qu’ils ont présenté à l’appui de leur demande de contrôle judiciaire, ils affirment avoir donné un avis de leur changement d’adresse autant à CIC qu’à la SPR.

 

[25]           Le défendeur soumet qu’il y a une légère contradiction entre les deux affidavits du demandeur principal dans la mesure où il déclare dans son premier affidavit qu’il a donné avis de son changement d’adresse par écrit à la CISR et à CIC, tandis que dans son deuxième affidavit il dit s’être déplacé pour communiquer son changement d’adresse.. Je ne crois pas qu’il y ait nécessairement une réelle contradiction en l’espèce. En effet, il est possible que les demandeurs se soient rendus aux bureaux de la CISR et de CIC pour donner un avis écrit de leur changement d’adresse. Les demandeurs ont d’ailleurs pu démontrer avoir informé CIC de leur nouvelle adresse tôt après avoir déménagé, comme le confirme, entre autres, l’affidavit de Louise Brazeau, présenté par le défendeur.

 

[26]           Le défendeur a soutenu qu’il n’y avait aucune preuve permettant d’établir que les demandeurs avaient avisé la SPR de leur changement d’adresse. En effet, le défendeur soutient qu’en absence d’indication dans le dossier à l’effet que les demandeurs ont donné ledit avis, il s’ensuit que ces derniers ont bel et bien omis de le faire. Cet argument ne me convainc pas. La crédibilité des demandeurs n’ayant pas été remise en cause, ils avaient le droit au bénéfice du doute, d’autant plus qu’ils avaient effectué leur changement d’adresse auprès du CIC. Appelée à se prononcer sur une affaire semblable, voici ce que la Cour d’appel fédérale écrivait:

10    Le 19 septembre 1995, en l'absence du requérant, la Section du statut de réfugié a rejeté la requête en réouverture au motif qu'il n'y avait pas eu d'entorse aux règles de justice naturelle puisque le demandeur avait changé d'adresse et négligé d'en faire part à la Commission. Un avis de décision a été délivré le 13 octobre 1995. C'est cette décision de ne pas procéder à la réouverture de la revendication du statut de réfugié que le requérant désire soumettre à un contrôle judiciaire.

 

11     Comme je l'ai indiqué, le requérant a droit, en l'absence de toute circonstance tendant à susciter un doute, au bénéfice de sa preuve non contestée selon laquelle il avait fait part à la Commission de sa bonne adresse. Il s'ensuit que l'avis de l'audience de désistement a été envoyé à la mauvaise adresse, et que, de ce fait, le requérant s'est vu privé d'une audience équitable, en accord avec les règles de justice naturelle, pour déterminer s'il s'était désisté ou non de sa revendication du statut de réfugié.

 

12    La Section du statut de réfugié a commis une erreur en fondant sa décision de ne pas réouvrir la revendication sur la conclusion que le requérant n'avait pas prouvé qu'il avait pris les mesures voulues pour faire part de son adresse à la Commission. Rien ne prouve que l'erreur n'a pas été commise par la Commission elle-même; il n'y a aucune raison de douter de la crédibilité du requérant ou de cet élément de preuve; il n'y a donc pas lieu de s'opposer à la réouverture de la revendication du statut de réfugié du requérant.

 

Zaouch c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 64 A.C.W.S. (3d) 844, aux par.10-12

 

[27]           Je crois que ce raisonnement est transposable en l’espèce, du moins en ce qui concerne la conclusion de la SPR quant à l’absence de preuve, malgré l’affidavit du demandeur.

 

[28]           Pour tous les motifs qui précèdent, cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question certifiée, et le dossier n’en soulève aucune.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueille. Aucune question n’est certifiée.

 

“Yves de Montigny”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2185-09

 

INTITULÉ :                                       Domingo Martinez Badillo et al. c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               9 décembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR:               LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      22 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me William Sloan

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Alain Langlois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maître William Sloan

400, McGill, 2e étage

Montréal (Québec)  H2Y 2G1

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                             

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