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Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20091222

Dossier : T-963-09

Référence : 2009 CF 1298

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

CAPITAINE DE FRÉGATE GEORGE LEONARD ZIMMERMAN

demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 30 avril 2009 par laquelle le Chef d’état-major de la Défense (CEMD), en sa qualité d’autorité de dernière instance du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes en application de l’article 29.11 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C., 1985, ch. N-5 (la Loi), a décidé de s’écarter des conclusions et recommandations du Comité des griefs des Forces canadiennes en vertu du paragraphe 29.13(2) de la Loi.

 

[2]               Le CEMD a décidé de rejeter le grief du demandeur concernant sa promotion au grade de colonel/capitaine de vaisseau avec prise d’effet en mai 2004.

 

Contexte factuel

[3]               Le demandeur s’est joint à la Force régulière le 11 mars 1980 à titre d’aumônier. Le 1er février 2000, le demandeur a été promu au grade de capitaine de frégate et est donc devenu admissible à une promotion au grade de colonel/capitaine de vaisseau.

 

[4]               Le CEMD est responsable d’autoriser la promotion d’un officier au grade de colonel/capitaine de vaisseau (articles 11.01 et 11.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes). En ce qui concerne les aumôniers, le CEMD suit les recommandations du Comité interconfessionnel pour l’aumônerie militaire canadienne (CIAMC).

 

[5]               En 1997, le ministre de la Défense nationale a conclu un protocole d’entente avec le CIAMC afin de s’assurer que les aspects spirituels et religieux du processus de nomination du CIAMC soient pris en compte. Le CIAMC est un organisme indépendant qui fonctionne selon le principe du consensus et ne fait pas partie des Forces canadiennes. Le CIAMC peut tenir compte du classement d’un candidat par le comité de sélection des aumôniers (CSA), qui est composé exclusivement d’officiers des Forces armées. Suivant sa constitution, le CIAMC n’est pas tenu de respecter le classement lorsqu’il fait ses recommandations au CEMD.

 

[6]               À l’automne 2001, le CSA s’est réuni pour examiner la promotion d’officiers au grade de colonel/capitaine de vaisseau. Le comité de sélection militaire a classé le demandeur premier parmi trois aumôniers militaires compétents pour la promotion au grade de colonel/capitaine de vaisseau, mais il n’y a eu aucune promotion en 2002.

 

[7]               Le 1er janvier 2002, le demandeur était de nouveau admissible à une promotion au grade de colonel/capitaine de vaisseau au sein de la Branche des services de l’aumônerie des Forces canadiennes. À l’automne 2002, le comité de sélection militaire du CSA a classé le demandeur premier devant un autre militaire compétent sur la liste de sélection des aumôniers de 2003.

 

[8]               Le 10 décembre 2002, le CIAMC a écrit au CEMD pour recommander la promotion d’un officier des Forces canadiennes autre que le demandeur au grade de colonel/capitaine de vaisseau et, le 13 janvier 2003, le CEMD a approuvé la promotion de cet officier pour l’année de promotion 2003.

 

[9]               Le 5 août 2003, le président du CIAMC, le Révérend Dr. Andrew R. Irvine, a écrit au CEMD en poste à ce moment, le général Raymond Hénault, pour demander à ce que des comités de sélection militaires ne soient plus établis pour des officiers dont le grade est supérieur à celui de major/capitaine de corvette parce que de tels comités ne liaient pas le CIAMC, conformément à sa constitution.

 

[10]           Le 17 octobre 2003, le général Hénault a accepté cette suggestion et a ordonné qu’aucun comité de sélection militaire ne soit établi pour examiner la promotion d’aumôniers au grade de colonel/capitaine de vaisseau. Par conséquent, aucun comité de sélection militaire n’a été constitué en 2004.

 

[11]           Le demandeur a été de nouveau jugé admissible à une promotion en 2004. Le CAIMC s’est réuni et a reçu des directives en mars 2004 concernant le nouveau processus de nomination. Le 29 avril 2004, le CAIMC a recommandé la promotion d’un autre candidat que le demandeur et cette nomination a été approuvée par le CEMD le 6 mai 2004.

 

[12]           Le demandeur a présenté un grief contre cette décision le 12 janvier 2005. Le 20 janvier 2005, le grief a été renvoyé au Directeur général - Recrutement et carrières militaires à titre d’autorité de première instance. L’autorité de première instance a demandé une prolongation de 15 mois pour répondre au grief.

 

[13]           Le 9 février 2005, le demandeur a refusé la demande de prolongation de l’autorité de première instance. Le grief a donc été renvoyé pour examen et décision par l’autorité de dernière instance.

 

[14]           Le 7 mars 2005, le grief a été renvoyé au Directeur général - Autorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC) pour examen et décision par le CEMD à titre d’autorité de dernière instance (conformément à l’article 29.11 de la Loi).

 

[15]           Le 31 octobre 2007, le DGAGFC a renvoyé le grief du demandeur au Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC) pour un examen par une autorité indépendante extérieure en vertu de l’article 7.12 des ORFC.

 

[16]           Environ un an plus tard, soit le 9 octobre 2008, le CGFC a publié ses conclusions et a recommandé au CEMD d’accueillir le grief du demandeur.

 

[17]           Le CEMD n’est lié par aucune conclusion ou recommandation du CGFC. Or, si le CEMD décide de s’écarter d’une conclusion ou d’une recommandation du CGFC, conformément au paragraphe 29.13(2) de la Loi, il doit motiver son choix dans sa décision.

 

[18]           Le 30 avril 2009, le CEMD a décidé de rejeter le grief du demandeur. Le demandeur a reçu la décision du CEMD le 16 mai 2009.

 

[19]           Le 15 juin 2009, le demandeur a déposé un avis de requête contestant la décision du DEMD de ne pas suivre les recommandations du CGFC.

 

Questions en litige

[20]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable à l’égard de la décision du CEMD?

2. La décision du CEMD de s’écarter d’une conclusion ou d’une recommandation du CGFC était-elle raisonnable?

 

Législation pertinente

[21]           Loi sur la défense nationale, L.R.C., 1985, ch. N-5 :

Dernier ressort

29.11 Le chef d’état-major de la défense est l’autorité de dernière instance en matière de griefs.

Final authority

29.11 The Chief of the Defence Staff is the final authority in the grievance process.

 

 

 

Décision du Comité non obligatoire

29.13 (1) Le chef d’état-major de la défense n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs.

 

Motifs

(2) S’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.

 

Chief of the Defence Staff not bound

29.13 (1) The Chief of the Defence Staff is not bound by any finding or recommendation of the Grievance Board.

 

 

Reasons

(2) If the Chief of the Defence Staff does not act on a finding or recommendation of the Grievance Board, the Chief of the Defence Staff shall include the reasons for not having done so in the decision respecting the disposition of the grievance.

 

Constitution du Comité des griefs

29.16 (1) Est constitué le Comité des griefs des Forces canadiennes, composé d’un président, d’au moins deux vice-présidents et des autres membres nécessaires à l’exercice de ses fonctions, tous nommés par le gouverneur en conseil.

Canadian Forces Grievance Board established

29.16 (1) There is established a board, called the Canadian Forces Grievance Board, consisting of a Chairperson, at least two Vice-Chairpersons and any other members appointed by the Governor in Council that are required to allow it to perform its functions.

 

Fonctions

29.2 (1) Le Comité des griefs examine les griefs dont il est saisi et transmet, par écrit, ses conclusions et recommandations au chef d’état-major de la défense et au plaignant.

 

Duties and functions

29.2 (1) The Grievance Board shall review every grievance referred to it by the Chief of the Defence Staff and provide its findings and recommendations in writing to the Chief of the Defence Staff and the officer or non-commissioned member who submitted the grievance.

 

Pouvoir du Comité

29.21 Le Comité des griefs dispose, relativement à la question dont il est saisi, des pouvoirs suivants :

 

a) assigner des témoins, les contraindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire les documents et pièces sous leur responsabilité et qu’il estime nécessaires à une enquête et étude complètes;

 

 

 

b) faire prêter serment;

 

c) recevoir et accepter les éléments de preuve et renseignements qu’il estime indiqués, qu’ils soient ou non recevables devant un tribunal.

Powers

29.21 The Grievance Board has, in relation to the review of a grievance referred to it, the power

 

(a) to summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce any documents and things under their control that it considers necessary to the full investigation and consideration of matters before it;

 

(b) to administer oaths; and

 

(c) to receive and accept any evidence and information that it sees fit, whether admissible in a court of law or not.

 

 

[22]           Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) :

7.12 Renvoi devant le comité des griefs

(1) Le chef d’état-major de la défense renvoie au Comité des griefs tout grief qui a trait aux questions suivantes :

 

 

a) les mesures administratives qui émanent de la suppression ou des déductions de solde et d’indemnités, du retour à un grade inférieur ou de la libération des Forces canadiennes;

 

b) l’application et l’interprétation des politiques des Forces canadiennes qui concernent l’expression d’opinions personnelles, les activités politiques et la candidature à des fonctions publiques, l’emploi civil, les conflits d’intérêts et les mesures régissant l’après-mandat, le harcèlement ou la conduite raciste;

 

c) le solde, les indemnités et les autres prestations financières;

 

d) le droit aux soins médicaux et dentaires.

 

(2) Le chef d’état-major de la défense renvoie au Comité des griefs pour que celui-ci formule ses conclusions et ses recommandations tout grief qui a trait à une de ses décisions ou un de ses actes à l’égard de tel officier ou militaire du rang.

 

7.12 Referral to Grievance Board

(1) The Chief of the Defence Staff shall refer to the Grievance Board any grievance relating to the following matters:

 

(a) administrative action resulting in the forfeiture of, or deductions from, pay and allowances, reversion to a lower rank or release from the Canadian Forces;

 

 

(b) the application or interpretation of Canadian Forces policies relating to expression of personal opinions, political activities and candidature for office, civil employment, conflict of interest and post-employment compliance measures, harassment or racist conduct;

 

 

 

(c) pay, allowances and other financial benefits; and

 

(d) the entitlement to medical care or dental treatment.

 

(2) The Chief of the Defence Staff shall refer every grievance concerning a decision or an act of the Chief of the Defence Staff in respect of a particular officer or non-commissioned member to the Grievance Board for its findings and recommendations.

 

11.01 Autorisation de promotion

(1) La promotion d’un officier au grade de brigadier-général ou à tout grade supérieur est subordonnée à l’approbation du ministre sur recommandation du chef d’état-major de la défense.

 

(2) La promotion d’un militaire à un grade inférieur à celui de brigadier-général exige l’approbation du chef d’état‑major de la défense, sauf que :

 

a) la promotion d’un militaire à un grade inférieur à celui de colonel peut être approuvée par un officier désigné à cette fin par le chef d’état-major de la défense;

 

b) la promotion d’un officier de la force de réserve au grade de colonel ou de lieutenant-colonel peut être approuvée par un officier désigné à cette fin par le chef d’état-major de la défense.

11.01 Authority for Promotion

(1) The promotion of an officer to the rank of brigadier-general or to any higher rank requires the approval of the Minister on the recommendation of the Chief of the Defence Staff.

 

 

 

(2) The promotion of a member to any rank lower than that of brigadier-general requires the approval of the Chief of the Defence Staff, except that the:

 

(a) promotion of a member to any rank lower than that of colonel may be approved by such officer as the Chief of the Defence Staff may designate; and

 

(b) promotion of an officer of the Reserve Force to the rank of colonel or lieutenant-colonel may be approved by such officer as the Chief of the Defence Staff may designate.

 

11.02 Conditions de promotion

 

(1) Sous réserve de l’alinéa (2), aucun officier ou militaire du rang ne doit être promu à un grade plus élevé à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

a) il existe une vacance appropriée au sein de l’effectif total de l’élément constitutif dont il fait partie;

 

b) il a été proposé par l’autorité appropriée;

 

 

c) il satisfait à toutes les normes de promotion et aux autres conditions que peut prescrire le chef d’état-major de la défense.

 

 

(2) Dans des cas particuliers ou dans des circonstances données, le chef d’état-major de la défense peut ordonner qu’il soit passé outre à la nécessité de satisfaire à une norme de promotion.

 

(3) Un officier ou militaire du rang qui est enrôlé dans la force spéciale ou affecté à celle-ci peut être promu au grade temporaire ou intérimaire seulement.

11.02 Conditions Governing Promotion

(1) Subject to paragraph (2), no officer or non-commissioned member shall be promoted to higher rank unless:

 

 

(a) there is an appropriate vacancy in the total establishment for the member’ component;

 

(b) the member is recommended by the appropriate authority; and

 

(c) the member meets such promotion standards and such other conditions as the Chief of the Defence Staff may prescribe.

 

(2) In any particular instance or in any given circumstances, the Chief of the Defence Staff may direct that the requirement to meet any promotion standards be waived.

 

 

(3) An officer or non-commissioned member who is enrolled or placed in the Special Force may be promoted to temporary or acting rank only.

 

1. Quelle est la norme de contrôle applicable à l’égard de la décision du CEMD?

[23]           La décision du CEMD de rejeter un grief est définitive et exécutoire, sous réserve du contrôle judiciaire par la Cour. Pour trancher un grief, le CEMD interprète et applique des politiques et des règles qu’il a édictées ou desquelles il est responsable.

 

[24]           Le degré de déférence dont il faut faire preuve à l’égard de la décision du CEMD en l’espèce est important. Avant la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable lors du contrôle judiciaire d’une décision du CEMD dans le cadre d’une demande de redressement de grief était celle de la décision manifestement déraisonnable (Ouellet c. Canada, 2005 CF 947, 284 F.T.R. 6, par. 10; Doyle c. Canada (Chef d’état-major de la Défense), 2004 CF 1294, 261 F.T.R. 227).

 

[25]           Depuis l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité et la Cour n’interviendra que si la décision du CEMD n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, par. 47). Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel.

 

[26]           La question de savoir si une décision est suffisamment motivée est habituellement considérée comme une question d’équité procédurale. Toutefois, dans la présente instance, la question est plutôt de savoir si les motifs du CEMD répondent aux exigences du paragraphe 29.13(2) de la Loi. Dans ce contexte, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle en vertu de la norme de la raisonnabilité (Morphy c. Canada, 2008 CF 190, 323 F.T.R. 275, par. 62 à 64).

 

 

 

2. La décision du CEMD de s’écarter d’une conclusion ou d’une recommandation du CGFC était‑elle raisonnable?

Conclusions ou recommandations du CGFC

[27]           Il convient de souligner au départ que le CGFC est un organisme indépendant qui a notamment le pouvoir, à l’égard de l’examen des griefs dont il est saisi, d’assigner des témoins et de les contraindre à témoigner sous serment, oralement ou par écrit, et à produire des documents (paragraphe 29.16(1) et articles 29.2 et 29.21 de la Loi).

 

[28]           Il est bon de rappeler qu’étant donné les présentes circonstances, le CGFC, dans le cadre de ses conclusions et recommandations du 9 octobre 2008, a conclu que bien que le CEMD soit l’autorité chargée des promotions, le CIAMC, et non les Forces canadiennes, avait été dûment autorisé à recommander la nomination d’un candidat et, du même coup, sa promotion au grade de colonel/capitaine de vaisseau dans le groupe professionnel du plaignant.

 

[29]           Toutefois, le CGFC a également soulevé certaines préoccupations relativement à la transparence et à l’équité du processus de sélection et de promotion, particulièrement pour les années de promotion 2003 et 2004. Par exemple, le CGFC a conclu qu’il n’y avait aucun document démontrant comment le CIAMC était arrivé à la décision de « nommer » le deuxième candidat sur la liste et de lui accorder subséquemment une promotion au cours de l’année de promotion 2003. Le CGFC a également soulignée que [traduction] « rien n’indique quel critère ou quelle autre directive aurait été appliqué et il n’existe aucun document relatant ce qui s’est dit lors de la réunion » (décision du CGFC, p. 17).

 

[30]           Pour l’année de promotion 2004, le CGFC a également conclu que [traduction] « bien que davantage de données militaires aient fait partie de ce processus particulier, on ne sait pas très bien quels critères ont été utilisés en fin de compte pour nommer le candidat » (décision du CGFC, p. 17).

 

[31]           Bien que le CGFC ait précisé qu’il n’émettait pas une critique à l’égard de la façon dont le CIAMC a agi dans le cadre de ses délibérations, il a néanmoins formulé l’observation suivante :

[traduction]

Or, ce que le Comité juge troublant, du moins en 2003 et en 2004, est que le CEMD a accepté la recommandation du CIAMC sans poser de question et, censément, sans savoir (en 2003) pourquoi l’aumônier en deuxième place sur la liste du comité de sélection de 2003 a été « nommé » au détriment de celui figurant au premier rang. (Décision du CGFC, p. 17.)

 

[32]           Le CGFC a conclu qu’accepter la recommandation d’un organisme externe, sans poser de question et sans savoir si un critère précis avait été appliqué, était injuste pour les aumôniers admissibles à une promotion en 2003 et 2004. Le CGFC a ajouté que dans l’hypothèse où le CEMD accepte la recommandation du CIAMC, [traduction] « il a la responsabilité de s’assurer que la recommandation a été formulée dans le cadre d’un processus équitable et suivant des critères appropriés » (décision du CGFC, p. 19).

 

 

[33]           Le CGFC a fait les recommandations suivantes au CEMD :

[traduction]

a. Accueillir le grief et demander au CIAMC de se réunir afin de réexaminer les dossiers des candidats dont le grade est lieutenant-colonel/capitaine de frégate qui étaient admissibles à une promotion en 2003 et en 2004, en utilisant des critères préétablis et connus, et formuler une nouvelle recommandation à l’intention du CEMD actuel;

 

b.    Promouvoir le plaignant au grade de capitaine de vaisseau rétroactivement au 31 décembre 2003;

 

c.     Examiner, avec le CIAMC, le système actuel concernant la nomination d’aumôniers au grade de colonel/capitaine de vaisseau afin de faire en sorte que le processus de sélection et de nomination soit équitable et transparent et que des critères clairs et connus soient utilisés.

 

 

[34]           Comme je l’ai dit précédemment, le CEMD n’a pas suivi les recommandations du CGFC. La décision soumise au contrôle judiciaire de la Cour est donc la décision du CEMD de rejeter le grief et de ne pas suivre les conclusions et les recommandations du CGFC.

 

[35]           Le rôle de la Cour en l’espèce n’est pas d’examiner le processus du CIAMC en particulier puisque c’est la décision du CEMD qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Décision du CEMD

[36]           En vertu du paragraphe 29.13(1) de la Loi, le CEMD n’est pas lié par les conclusions et les recommandations du CGFC. Or, si le CEMD décide de s’écarter des conclusions ou recommandations du CGFC, conformément au paragraphe 29.13(2) de la Loi, il doit motiver son choix dans sa décision.

[37]           En l’espèce, le CEMD, dans sa décision, a fait référence à l’entente conclue entre le CIAMC et le ministre de la Défense nationale en 1997, reconnaissant que son objectif est de s’assurer que les aspects spirituels et religieux du processus de nomination du CIAMC aient préséance sur le rendement et le potentiel évalués par les comités de sélection militaires plus rigides.

 

[38]           En ce qui concerne les recommandations du CGFC, le CEMD a également conclu, dans sa décision de six (6) pages, que le CIAMC est un organisme indépendant qui ne fait pas partie des affaires des Forces canadiennes et à l’égard duquel il n’a aucun pouvoir. Par conséquent, le CEMD ne peut demander au CIAMC de reprendre ses délibérations, puisque le temps s’est écoulé, que les membres ont changé et que le contexte et l’esprit des débats ne peuvent être recréés. Le CEMD a également souligné qu’à l’automne 2005, la CSA a établi un nouveau processus pour la promotion d’officier dont le grade est lieutenant-colonel/capitaine de frégate au grade de colonel/capitaine de vaisseau.

 

[39]           De plus, dans sa décision, le CEMD a conclu que la preuve montre qu’il est pratique courante pour le CEMD d’approuver les nominations du CIAMC, que le CEMD se réfère régulièrement aux conclusions des CSA militaires à titre indicatif et qu’il n’a jamais été lié par celles-ci dans le cadre de ses décisions en matière de nomination.

 

[40]           Bien que le CEMD soit d’accord avec le CGFC pour dire que l’absence d’une documentation appropriée dans le cadre du processus de sélection du CIAMC pour ces années (2003 et 2004) fait en sorte que le processus [traduction] « manque de transparence », il a jugé qu’il ne pouvait conclure à l’iniquité du processus puisque [traduction] « il n’existe aucun critère ni aucun document permettant de justifier ou d’expliquer le processus de nomination du CIAMC au CEMD ».

 

[41]           Certes, le CEMD reconnaît que le fait de rejeter les recommandations du CGFC et de suivre celles du CIAMC suggérant de ne pas promouvoir le demandeur puisse entraîner une violation des principes d’équité procédurale et de justice naturelle (décision du CEMD, p. 5), il n’en reste pas moins que compte tenu de l’insuffisance de la preuve qui lui a été présentée, le CEMD n’était pas en mesure de décider si le processus de nomination du CIAMC était inéquitable. Le processus, en revanche, aurait pu également s’avérer équitable.

 

[42]           Le CEMD a en outre constaté qu’il n’avait aucune raison de croire que le processus de nomination du CIAMC était vicié ou que les candidats n’étaient pas évalués de manière professionnelle. En effet, et la Cour est d’accord avec le demandeur, l’absence d’une justification documentée pour recommander un candidat autre que le demandeur ne porte pas à conclure de manière inexplicable que le processus du CIAMC était inéquitable. Dans ces circonstances, le CEMD a jugé, selon la prépondérance des probabilités, que le dossier du demandeur avait été traité de la même façon que tous les autres dossiers des candidats dont le grade était lieutenant‑colonel/capitaine de frégate souhaitant un poste de direction dans le passé et pour les années de promotion 2003 et 2004. Ainsi, le CEMD ne pouvait conclure que le dossier du demandeur avait été traité différemment que ceux des autres candidats qui ont été nommés. Dans ce contexte, le CEMD a estimé que la preuve au dossier en ce qui a trait à l’équité du processus de promotion était [traduction] « neutre ». Non seulement la preuve semble « neutre », mais la Cour estime également que la preuve dont a été saisi le CEMD quant à la question de l’équité du processus était insuffisante. L’insuffisance de la preuve n’a pas permis au CEMD de trancher la question de l’équité du processus de sélection et cette décision a été motivée dans ses motifs.

 

[43]           Lorsque le CEMD décide de s’écarter des recommandations du CGFC, comme en l’espèce, le paragraphe 29.13(2) de la Loi exige qu’il motive sa décision. Après avoir examiné le dossier, la Cour juge que la décision du CEMD, compte tenu de l’insuffisance de la preuve dont il a été saisi, est exhaustive et adéquatement motivée pour lui permettre de s’écarter des recommandations du CGFC valablement. Dans sa décision, le CEMD résume chacune des conclusions et recommandations du CGFC et motive sa décision de ne pas suivre les recommandations, et ainsi se conforme à ses obligations en vertu de la Loi.

 

[44]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les motifs du CEMD à l’appui de sa décision appartiennent aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, par. 47).

 

[45]           Par conséquent, la Cour conclut que les motifs du CEMD à l’appui de sa décision de ne pas suivre les conclusions et les recommandations du CGFC sont raisonnables. Le CEMD, compte tenu de la preuve dont il a été saisi, a suffisamment motivé sa décision, comme l’exige la loi. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

 

[46]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans frais.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B., trad. a.


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-963-09

 

INTITULÉ :                                       CAPITAINE DE FRÉGATE GEORGE LEONARD ZIMMERMAN c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michel Drapeau

Zorica Guzina

 

POUR LE DEMANDEUR

Julia Barrs

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Drapeau Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c. r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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