Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100104

Dossier : IMM-2212-09

Référence : 2010 CF 6

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

SOHIEL HAGE ABDALLAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 15 avril 2009. Dans cette décision, la SAI a réexaminé son ordonnance de 2005 sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre le demandeur et a rejeté l’appel conformément au paragraphe 68(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27. Le demandeur est résident permanent du Canada depuis 17 ans et il risque maintenant d’être renvoyé au Liban, son pays d’origine et de nationalité.

LES FAITS

Contexte

[2]               Le demandeur âgé de trente (30) ans, qui est citoyen du Liban, est devenu résident permanent du Canada le 19 décembre 1992 à l’âge de treize ans, comme personne à charge de sa mère. Depuis, il a été déclaré coupable de six infractions à titre de jeune contrevenant, notamment de vol de moins de 5 000 $, méfait, vol qualifié, possession d’une arme non enregistrée et à autorisation restreinte et défaut de comparaître. À l’âge adulte, il a été trouvé coupable d’environ 23 infractions criminelles, notamment de méfait, entrave à un agent de la paix, tricherie au jeu, intrusion de nuit, vol qualifié, possession de biens criminellement obtenus et défaut de comparaître ou de son conformer à une ordonnance judiciaire. Le demandeur a aussi été trouvé coupable de nombreuses infractions au code de la route provincial.  

     

[3]               La Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a ordonné le renvoi du demandeur le 20 mars 2003 conformément à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, parce que celui-ci avait été déclaré coupable en 1998 d’introduction par effraction dans une maison d’habitation, une infraction punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans qui emporte interdiction de territoire pour le demandeur au Canada.

 

Sursis au renvoi

[4]               Le demandeur a interjeté appel à la SAI de la mesure de renvoi prise contre lui, fondant son appel sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 63(3) de la LIPR. Il n’a pas contesté la validité de la mesure de renvoi. Le demandeur et sa mère ont témoigné à l’audience.

 

[5]               Le 29 août 2005, la SAI a fait droit à l’appel du demandeur et accordé un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure de renvoi, sous réserve que le demandeur se conforme à 15 conditions. La SAI a estimé que le demandeur était « de mauvaise volonté, comme sa conduite dolosive sous serment l’illustre » : décision de 2005 de la SAI, au paragraphe 13. Toutefois, malgré l’absence de facteurs d’ordre humanitaire convaincants, la SAI a accueilli l’appel du demandeur et ordonné un sursis de trois ans à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui : décision de 2005 de la SAI, au paragraphe 21. Le tribunal a insisté sur le fait que le sursis était conditionnel à l’absence de récidive de la part du demandeur :

¶21      […] Son sursis comportera une autre condition, soit qu’il s’abstienne de se livrer à quelque activité criminelle que ce soit et qu’on ne le déclare coupable d’aucune autre activité criminelle qu’il aurait commise après l’octroi de ce sursis. J’estime qu’il s’agit là d’une condition essentielle du sursis.

                                                            [Souligné dans l’original.]

 

La SAI a conclu en avertissant le demandeur que « le sursis est accordé de très peu dans cette affaire » : décision de 2005 de la SAI, au paragraphe 21. La SAI a aussi informé le demandeur qu’elle réexaminerait son cas le 29 août 2008 ou vers cette date. 

 

Premier réexamen

[6]               Le 15 novembre 2006, la SAI a procédé à un réexamen oral de l’appel et du sursis du demandeur. Les parties ont conjointement recommandé le maintien du sursis. La SAI a souscrit à la recommandation et ordonné que le sursis soit maintenu, avec la condition supplémentaire que le demandeur rende aussi compte à son avocat lorsqu’il devait rendre compte au ministère et au tribunal. Aucun témoignage de vive voix n’a été présenté à l’audience. La SAI a réitéré l’avertissement du commissaire précédent à l’endroit du demandeur, à savoir que toute nouvelle activité criminelle pourrait amener la SAI à rejeter son appel et à annuler le sursis.

 

Second réexamen et décision de la SAI qui fait l’objet du contrôle judiciaire

[7]               Le 17 mars 2009, la SAI a procédé au second et dernier réexamen de l’appel et du sursis du demandeur. LA SAI a déclaré que la question consistait à décider si le demandeur devrait être autorisé à rester au Canada malgré son dossier criminel.  

 

[8]               Le demandeur a rendu témoignage sur les infractions dont il a été déclaré coupable, les accusations pesant contre lui, les conséquences qu’aurait sa déportation au Liban et ses efforts de réadaptation. La SAI n’a pas mis en doute le témoignage du demandeur. L’avocat de ce dernier a fait valoir que le demandeur faisait des progrès, même si ces progrès étaient inégaux, en vue de se réadapter et de se conformer aux conditions de son sursis.

 

[9]               Le défendeur s’est dit d’avis que l’appel du demandeur devrait être rejeté. Il a soutenu que le demandeur n’avait jamais mis fin à ses activités criminelles, même après avoir été déclaré coupable de l’infraction pour laquelle son renvoi a été ordonné à l’origine. De plus, le demandeur a omis de rendre compte au ministre des accusations criminelles et des déclarations de culpabilité dont il a fait l’objet dès que celles-ci survenaient, particulièrement une déclaration de culpabilité en date du 23 mai 2008 pour entrave à un agent de la paix et une accusation de possession de stupéfiant en vue d’en faire le trafic, portée contre lui le 2 novembre 2008. Le demandeur a déclaré, dans le témoignage rendu à l’audience, qu’il avait été trouvé coupable d’entrave à un agent de la paix parce qu’il avait donné un faux nom après avoir été intercepté pour un contrôle routier. 

 

[10]           La SAI a examiné les facteurs suivants, énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4, au paragraphe 14 (Ribic), et confirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 : la gravité des infractions à l’origine de la mesure de renvoi; la possibilité de réadaptation; la durée de la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant; la famille de l’appelant au Canada et les bouleversements que son expulsion occasionnerait pour cette famille; le soutien dont bénéficie l’appelant au sein de la famille et dans la collectivité; les difficultés que l’appelant risque de connaître dans le pays de renvoi probable.

 

[11]           La SAI a conclu que le demandeur est un criminel invétéré qui « a maintenu de manière flagrante son comportement criminel » malgré les avertissements des commissaires précédents. La SAI a reconnu que le demandeur a droit à la présomption d’innocence pour ce qui est de l’accusation en matière de stupéfiants, mais elle a souligné que le demandeur ne s’est pas conformé aux conditions de son sursis, puisqu’il a omis de signaler en temps opportun au défendeur et au tribunal les nouvelles déclarations de culpabilité et accusations dont il a fait l’objet. 

 

[12]           La SAI a reconnu que le demandeur vit au Canada depuis longtemps, qu’il entretient des liens étroits avec sa famille, qu’il s’est efforcé de conserver un emploi à temps plein et qu’il se heurtera à des problèmes s’il est renvoyé au Liban. En dépit de ces facteurs, la SAI a relevé que le demandeur n’a réussi à obtenir que des emplois occasionnels, qu’il ne peut démontrer qu’il apporte un soutien financier à sa famille et qu’il est incapable d’établir que sa sœur mineure serait touchée de son renvoi. Ces facteurs ont conduit la SAI à conclure que l’établissement du demandeur au Canada est minime. 

 

[13]           La SAI a estimé que les facteurs d’ordre humanitaire qui sont favorables au demandeur n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur son incapacité à se réadapter. L’appel a donc été rejeté.

 

LA LOI

[14]      L’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, dispose que l’adoption de conclusions de fait arbitraires ou tirées sans que l’office fédéral tienne compte des éléments dont il dispose, constitue un motif de révision :

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue

que l’office fédéral, selon le cas :

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

[15]           L’alinéa 36(1)a) de la LIPR édicte qu’est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité le résident permanent qui est déclaré coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale

pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

 

[16]           Le paragraphe 63(3) de la LIPR reconnaît un droit d’appel à un résident permanent qui est visé par une mesure de renvoi :

63) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de

renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

63(3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

[17]           L’article 66 de la LIPR décrit les pouvoirs dont dispose la SAI pour trancher un appel :

66. Il est statué sur l’appel comme il suit :

 

a) il y fait droit conformément à l’article 67;

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall

 

(a) allow the appeal in accordance with section 67;

(b) stay the removal order in accordance with section 68; or

(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.

 

[18]           Le paragraphe 67(1) de la LIPR établit les motifs généraux justifiant d’accueillir un appel :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de

l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests

of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

[19]           L’article 68 de la LIPR expose les motifs justifiant d’accueillir un appel et d’imposer un sursis à une mesure de renvoi :

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

 

(3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly

affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations

warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

(2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order

 

(a) it shall impose any condition that is prescribed

and may impose any condition that it considers necessary;

(b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled;

(c) it may vary or cancel any non-prescribed condition imposed under paragraph (a); and

(d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.

 

(3) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order, it may at any time, on

application or on its own initiative, reconsider the appeal under this Division.

 

[20]           L’article 69 de la LIPR énonce les conséquences découlant de la décision de ne pas accueillir un appel d’une mesure de renvoi :

69. (1) L’appel est rejeté s’il n’y est pas fait droit ou si le sursis n’est pas prononcé.

69. (1) The Immigration Appeal Division shall dismiss an appeal if it does not allow the appeal or stay the removal order, if any.

 

 

QUESTION EN LITIGE

[21]           Le demandeur soulève la question suivante :

1.      Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en tirant des conclusions de fait essentielles de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait?  

 

NORME DE CONTRÔLE

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 62, que la première étape du processus de contrôle judiciaire consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». (Voir aussi le jugement du juge Binnie dans l’arrêt  Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, au paragraphe 53.)

 

[23]           Il appert clairement que par suite des arrêts Dunsmuir, précité, et Khosa, précité, au paragraphe 58, la norme de contrôle applicable aux questions qui touchent les conclusions de fait de la SAI est celle de la raisonnabilité : voir également les décisions Ho c. Canada (MCI), 2009 CF 597, motifs du juge O’Keefe, au paragraphe 32; Canada (MCI) c. Awaleh, 2009 CF 1154, motifs du juge Martineau, au paragraphe 24; et la décision que j’ai rendue dans Canada (MCI) c. Abdul, 2009 CF 967, au paragraphe 21.

 

[24]           Pour réviser la décision de la SAI selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit s’attacher « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».  (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.) 

 

ANALYSE

Question :       L’agent a-t-il tiré une conclusion de fait erronée de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve?

 

[25]           Le demandeur conteste plusieurs conclusions de fait tirées par la SAI et sur lesquelles repose la décision de rejeter son appel. De l’avis du demandeur, ces conclusions de fait sont erronées et tirées de façon arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Par conséquent, il n’était pas raisonnablement loisible à la SAI de les adopter.

 

[26]           Le défendeur avance que le demandeur est tout simplement en désaccord avec les conclusions de fait de la SAI. Selon lui, le demandeur ne peut démontrer que les conclusions de fait de la SAI sont véritablement erronées et tirées de façon arbitraire, et qu’elles constituent le fondement de la décision : Rohn and Hass Canada Ltd. c. Canada (Tribunal antidumping), [1978] A.C.F. no (QL) 522, 22 N.R. 175 (C.A.F.), le juge en chef Jacket, au paragraphe 5.  

 

[27]           La SAI dispose d’une vaste compétence en appel. Selon l’alinéa 67(1)c) et le paragraphe 68(1), la SAI peut faire droit à l’appel ou surseoir à la mesure de renvoi si elle est convaincue qu’« il y a – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ». La SAI conserve le même pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle réexamine un appel.

 

[28]           Le juge Martineau a récemment fait ressortir, aux paragraphes 21 et 22 de la décision Awaleh, précitée, le rôle de la SAI lors du réexamen d’un appel :

¶21      Tel que l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa), au paragraphe 57, il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaire », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures.

 

¶22      Bien que la décision faisant l’objet du présent contrôle n’ait pas été l’octroi initial du sursis, la SAI doit néanmoins, lorsqu’elle procède au réexamen du sursis, prendre en compte les mêmes facteurs que ceux considérés lors de son octroi. Selon la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Stephenson, 2008 CF 82 (Stephenson), au paragraphe 25, « les facteurs énoncés dans Ribic demeurent les facteurs dont la Section doit tenir compte lorsqu’elle réexamine une décision en vertu du paragraphe 68(3) de la Loi ».

 

[29]           La première conclusion de fait attaquée vise la caractérisation du demandeur, décrit comme un « criminel invétéré » qui a maintenu « de manière flagrante » son comportement criminel depuis l’imposition du sursis. Le demandeur conteste également la conclusion de la SAI selon laquelle il n’existe « aucune preuve d’un changement de comportement depuis la prise de la mesure d’expulsion et le sursis à la mesure de renvoi ». La SAI a relevé que malgré les avertissements répétés adressés au demandeur, celui-ci a commis « et a été déclaré coupable de six autres crimes ».

 

[30]           Le demandeur insiste beaucoup sur le fait qu’il n’existe aucune preuve qu’il se soit livré à quelque activité criminelle que ce soit après le réexamen oral du 24 juillet 2006. Partant, il n’était pas raisonnablement loisible à la SAI de rejeter son appel en s’appuyant sur des infractions mineures ou des déclarations de culpabilité pour des actes commis avant l’octroi du sursis : décision Ho, précitée, au paragraphe 36.

 

[31]           Les conclusions de fait de la SAI que conteste le demandeur sont en grande partie fondées sur une déclaration de culpabilité criminelle pour entrave à un agent de police, en date du 23 mai 2008, une déclaration de culpabilité prononcée le 20 août 2008 pour avoir [traduction] « exécuté une manœuvre acrobatique » en violation de la Alberta Traffic and Safety Act, une déclaration de culpabilité criminelle en date du 19 août 2005 pour méfait de moins de 5 000 $ et une accusation pendante au criminel pour possession de stupéfiant en vue d’en faire le trafic, portée en octobre 2008.  

 

[32]           Le demandeur en l’espèce a été déclaré coupable de l’infraction criminelle d’entrave à un agent de la paix le 10 mars 2006, soit après l’entrée en vigueur du sursis. Le fait que cette infraction grave a été commise avant le premier réexamen du sursis du demandeur est sans pertinence. À l’époque, la SAI a fait mention de l’effet de l’accusation sur l’appel du demandeur, sans toutefois l’analyser. L’on se saurait prétendre que la SAI s’est déjà penchée sur cette accusation et en a tenu compte dans sa décision de prolonger le sursis. Par conséquent, il n’appartient pas au demandeur de faire valoir le gain de cause obtenu lors d’un réexamen oral décidé sur la base d’une recommandation commune pour soutenir qu’il fait obstacle à la décision statuant sur le réexamen final, lors duquel le tribunal a eu l’avantage d’entendre des témoignages de vive voix. 

 

[33]           Néanmoins, je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire de la SAI de réexaminer un appel et un sursis s’étend nécessairement à toutes les questions et à toute la preuve déjà prises en compte par les commissaires de la SAI qui ont procédé au réexamen dans le passé.

 

[34]           Le demandeur a été averti tout au long du processus d’appel qu’il devait s’abstenir de se livrer à quelque activité criminelle que ce soit et ne pas faire l’objet de nouvelles déclarations de culpabilité criminelle. La SAI a fait savoir au demandeur que son appel n’était accueilli que de peu.

 

[35]           La grande criminalité définie à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR se rapporte aux résidents permanents qui, comme le demandeur, ont été déclarés coupables d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé. Dans le cas sous étude, la seule infraction criminelle pour laquelle le demandeur a été déclaré coupable après le premier examen de 2005, au terme duquel la SAI a accordé le sursis, est la déclaration de culpabilité suivant l’alinéa 129a) du Code criminel du Canada pour entrave à un agent de la paix le 10 mars 2006. Le demandeur a été déclaré coupable le 23 mai 2008; il a été mis en probation et a reçu une peine d’emprisonnement de 30 jours à purger de façon discontinue. Les circonstances de cette infraction sont que le demandeur a donné un faux nom à un agent de police qui l’avait intercepté relativement à une infraction de la route. La peine maximale qui peut être infligée pour cette infraction est un emprisonnement de deux ans, de sorte que cette infraction criminelle ne constitue pas une infraction de « grande criminalité » aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

 

[36]           Dans ce contexte, la Cour a examiné sept conclusions de fait importantes sur lesquelles la SAI a fondé sa décision, et la Cour doit conclure que ces conclusions de fait sont clairement erronées, qu’elles ont été tirées sans tenir compte de la preuve et qu’elles n’appartiennent pas aux conclusions que la SAI pouvait raisonnablement arrêter. Ces conclusions de fait sont énoncées aux paragraphes 9 et 10 de la décision de la SAI : 

1.         ¶9 « […] Les infractions à l’origine de la mesure de renvoi sont graves […] »

Le demandeur a été déclaré coupable d’une seule ancienne infraction correspondant à la « grande criminalité », celle d’introduction par effraction. Il ressort des circonstances entourant l’infraction que celle-ci n’était pas véritablement une infraction grave, du fait que le demandeur ne s’est vu imposer qu’une probation et aucune peine d’emprisonnement.

 

2.      ¶9 « […] l’appelant a maintenu de manière flagrante son comportement criminel […] »

 

Cette conclusion est manifestement déraisonnable. Depuis l’examen qui a donné lieu au sursis, en 2005, le demandeur n’a commis qu’une seule infraction criminelle, entrave à la justice. L’entrave à la justice n’est pas considérée comme une infraction de « grande criminalité », et les circonstances de l’affaire ne sont pas de nature à justifier de renvoyer le demandeur du Canada.

 

3.         ¶9 « […] Il est manifeste que le comportement criminel de l’appelant est encore très présent et n’est pas le fruit d’un incident isolé. »

 

Pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus, le demandeur n’a pas poursuivi ses activités criminelles depuis l’audience et la décision de 2005 de la SAI.

 

4.                  ¶10 « […] Puisque l’appelant n’a pas cessé ses activités criminelles, il me semble être un criminel invétéré. Son casier judiciaire, que l’appelant n’a pas cessé d’enrichir depuis son arrivée au Canada, indique qu’il ne s’est pas réadapté […] »

 

Cette conclusion est clairement erronée et, à vrai dire, absurde. Depuis l’examen par la SAI en 2005, il n’y a pas eu poursuite des activités criminelles si ce n’est de l’accusation d’entrave à la justice. Donner un faux nom à un policier est le fait d’une personne effrayée, un geste qu’on ne peut vraiment qualifier de poursuite des activités criminelles et qui ne prouve pas que le demandeur est un criminel invétéré.

 

 

5.                  ¶10 « […] depuis la prise de la mesure de renvoi figurent des déclarations de culpabilité pour défaut de comparution et entrave à un agent de la paix […] »

 

Cet énoncé est manifestement déraisonnable. Le demandeur a été déclaré coupable de défaut de comparaître avant que la SAI n’octroie le sursis en 2005.

 

6.                  ¶15 « […] Malgré deux avertissements, l’appelant a commis et a été déclaré coupable d’autres infractions […] »

 

Depuis l’avertissement de la SAI en 2005, le demandeur n’a commis qu’une seule infraction criminelle, celle d’« entrave à la justice ». L’avertissement de la SAI visait les activités criminelles, non les infractions aux lois provinciales.

 

 

7.                  ¶16 « […] Même [sic] les avertissements fermes du présent tribunal contre d’autres infractions criminelles et la mesure de renvoi elle-même, l’appelant a commis de telles infractions et a été déclaré coupable de six autres crimes. »

 

Là encore, il s’agit d’une conclusion manifestement déraisonnable, clairement erronée, abusive et arbitraire et tirée sans tenir compte des éléments de preuve. Le demandeur a été déclaré coupable d’une seule infraction criminelle, entrave à la justice, non de six autres crimes.

 

[37]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAI le 15 avril 2009 doit être accueillie, parce qu’elle est fondée sur diverses conclusions de fait importantes que le décideur ne pouvait pas raisonnablement tirer.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[38]           Les deux parties ont informé la Cour qu’à leur avis, l’affaire ne soulève aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour partage cet avis.

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 15 avril 2009 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre membre de la SAI pour que celui-ci procède à une nouvelle audience et statue à nouveau sur l’affaire.  

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2212-09

 

INTITULÉ :                                       SOHIEL HAGE ABDALLAH c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Greene

 

POUR LE DEMANDEUR

Camille Audain

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael A. E. Greene

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.