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Cour fédérale

Federal Court

 

 

Date :  20091223

Dossier :  IMM-3236-09

Référence :  2009 CF 1309

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

MARGUERITE MANIRAZIKA

MARCEL GAHUNGU

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une décision datée le 25 mai 2009, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

Question en litige

[2]               La seule question en litige est de savoir si le tribunal a erré en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles.

 

[3]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Contexte factuel

[4]               Les demandeurs, Marguerite Manirakiza et Marcel Gahungu, conjoints et citoyens du Burundi, allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution à l’encontre de l’État du Burundi, en raison, pour Marguerite Manirakiza, de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social particulier et, en ce qui concerne Marcel Gahungu, de son appartenance à un groupe social particulier. Les demandeurs réclament également la protection du Canada en raison d’un risque d’être soumis à la torture et d’une menace à leur vie ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[5]               Le demandeur Marcel Gahungu, d’ethnie Hutu, déclare qu’en 2007, des membres du Front National de Libération (FNL) lui ont proposé de recouvrer des cotisations, mais il a refusé. En guise de représailles, sa maison a été incendiée. Le demandeur s’est ensuite rendu en République Démocratique du Congo avec ses enfants le 2 mai 2007.

 

[6]               Le 9 avril 2008, le demandeur a obtenu un visa au consulat américain à Bujumbura et il a quitté le Burundi le 15 avril 2008 via le Rwanda pour se rendre aux États-Unis, muni de son passeport Burundais et de sa carte d’identité nationale. Le demandeur est arrivé au Canada le 21 avril 2008 et il a présenté sa demande d’asile le même jour.

 

[7]               La demanderesse, conjointe du demandeur, est d’ethnie Tutsi. Elle avait auparavant été mariée à Emmanuel Mifiendegeri, qui a été assassiné. Le frère de son ancien conjoint, d’ethnie Hutu, l’a accusée d’avoir tué son frère et a tenté de la tuer. Elle s’est sauvée de la maison qu’elle occupait avec ses enfants pour se rendre a Bwenzi.  C’est à cet endroit qu’elle a fait la connaissance de son époux actuel, le demandeur en l’espèce, et ils se sont épousés en 2004. La demanderesse déclare que le frère de son ancien conjoint est venu les visiter en mai 2007 et leur maison fut incendiée le même jour. Un voisin nommé Sylvestre Manirakiza a accordé sa protection à la demanderesse pendant trois mois où elle n’avait plus de nouvelles de son époux et de ses enfants. Par la suite, il lui a trouvé un visa pour se rendre aux États-Unis. La demanderesse a quitté le Burundi le 23 septembre 2007 et elle est arrivée au Canada via les États-Unis munie de son passeport Burundais le 27 septembre 2007. La demanderesse a présenté sa demande d’asile le 28 septembre 2007.

 

[8]               À l’audience, un représentant désigné a été nommé pour assister la demanderesse.

 

Décision contestée

[9]               Après avoir constaté plusieurs contradictions, incohérences et omissions dans la preuve des demandeurs, le tribunal a conclu que ces derniers ne sont pas dignes de foi et leur demande d’asile fut rejetée. Le tribunal a noté que les demandeurs ont chacun une perception différente de l’origine de l’incendie dont ils auraient été victimes et ils se basent sur des supputations.

 

 

Norme de contrôle

[10]           Lorsqu’il est question de crédibilité et d’appréciation de la preuve, la Cour n’interviendra que si la décision est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive ou si la décision est rendue sans égard à la preuve (Aguebor c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)).

 

[11]           L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 au par. 14). Depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables est celle de la décision raisonnable.

 

Analyse

[12]           Après avoir analysé et considéré les notes sténographiques, les documents au dossier, les représentations écrites et orales des parties ainsi que la jurisprudence soumise, la Cour est d’avis que la conclusion du tribunal est raisonnable.

 

[13]           Tout d’abord le tribunal a fait preuve de diligence en prenant en compte les problèmes de la demanderesse.  Le tribunal a ainsi tenu compte des Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant lui. Lorsqu’il a apprécié la crédibilité des demandeurs, le tribunal a tenu compte des explications que les deux conjoints ont fournies au sujet des invraisemblances et des incohérences de leurs récits, mais il ne les a pas considérées satisfaisantes.

 

[14]           Bien que la  procureure des demandeurs ait plaidé que les explications de la demanderesse et du demandeur ne sont pas deux perceptions différentes du même événement, mais plutôt deux hypothèses différentes concernant l’auteur du crime, une lecture du dossier ne permet pas à la Cour d’accepter cette prétention.  En effet, le tribunal a relevé un grand nombre de contradictions et d’incohérences dans la preuve des demandeurs. Par exemple, le tribunal a noté que les demandeurs ont avancé deux versions différentes pour un même incident. En effet, le demandeur allègue que leur maison a été incendiée par les membres du FNL alors que la demanderesse prétend que l’incendie était l’acte de son ancien beau-frère. Le tribunal a aussi constaté qu’au point d’entrée, le demandeur a mentionné craindre uniquement les membres du FNL. Le demandeur a expliqué son défaut de parler de l’ancien beau-frère de son épouse en notant qu’il en avait parlé mais que l’agent des services frontaliers avait omis de l’écrire dans ses notes.  Le tribunal a trouvé cette explication non crédible, ce qui a contribué à miner la crédibilité du demandeur.  Ceci démontre que les demandeurs sont incapables d’identifier qui ils craignent advenant un retour dans leur pays.

 

[15]           De plus, la demanderesse a décrit avec précision la méthode utilisée pour déclencher l’incendie même si elle avait affirmé qu’au moment de l’incendie de leur maison, elle avait perdu connaissance et ne savait pas comment elle était sortie des lieux.  La demanderesse a ensuite répondu que c’est son époux qui lui avait décrit les événements qu’elle relatait durant l’audience. Le tribunal a noté que cette explication contredisait le récit des demandeurs, car la demanderesse allègue avoir revu son mari au Canada seulement.  Or, il est important de souligner que la demanderesse est arrivée au Canada avant le demandeur et elle a rempli son Formulaire de renseignements personnels (FRP) avant de revoir son époux.  Il est en effet impossible que le demandeur ait pu lui décrire les événements relatifs à l’incendie car elle ne l’avait pas encore vu. Confrontée à cette contradiction, la demanderesse a changé de version et a déclaré qu’elle avait appris les détails de l’événement de ses voisins. En l’espèce, ceci est un exemple parmi d’autres de rajustement du témoignage des demandeurs noté par la Cour lorsqu’ils sont confrontés par le tribunal.

 

[16]           En ce qui concerne l’emploi occupé par le demandeur, le FRP démontre que ce dernier a déclaré que le seul emploi qu’il a occupé est celui de pasteur alors que l’acte de mariage du demandeur datant de 2004 note qu’il est un magasinier.  Hormis une référence soumise par l’Église de réveil de Galilée dans le cadre d’une demande de visa, aucun autre document n’atteste qu’il est pasteur.

 

[17]           Ayant jugé que les demandeurs manquent de crédibilité, le tribunal s’est questionné sur le bien fondé de leur crainte subjective de persécution. Le demandeur a déclaré être allé en République Démocratique du Congo suite à l’incendie afin de se protéger. Il dit être retourné à plusieurs reprises dans son pays d’origine depuis son lieu de cachette pour obtenir un passeport et pour demander et obtenir un visa.

 

[18]           Or, comme l’a souligné à bon droit le défendeur, il est de jurisprudence constante que le retour au pays de persécution, le retard à quitter le pays de persécution ou le défaut de revendiquer dans des pays signataires de la Convention de Genève de 1951 ou du Protocole de 1967 relatif au statut de réfugiés peut gravement miner la crédibilité d’un demandeur (Lopez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2004 CF 1318, 136 A.C.W.S. (3d) 894 au para. 5; Prayogo v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1508, 143 A.C.W.S. (3d) 1087 au para. 26; Ilie c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (1994), 88 F.T.R. 220, 51 A.C.W.S. (3d) 1349; Saez c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1993), 65 F.T.R. 317, 41 A.C.W.S. (3d) 719 (C.A.F.); Nguyen c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (1998), 79 A.C.W.S. (3d) 136, [1998] A.C.F. no 420 (QL); Sokolov c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (1998), 87 A.C.W.S. (3d) 1193, [1998] A.C.F. no 1321 (QL)).

 

[19]           Il était raisonnable pour le tribunal de conclure que les demandeurs ont été incapables de démontrer qu’il y a une possibilité sérieuse qu’ils seraient personnellement exposés à un danger ou à un risque d’être persécutés au Burundi et qu’ils ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer selon la balance des probabilités qu’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés en vertu de l’un des motifs de la Convention.

 

[20]           Pour toutes ces raisons, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La présente demande ne soulève aucune question importante de portée générale.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3236-09

 

INTITULÉ :                                       Marguerite MANIRAKIZA, Marcel GAHUNGU c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Claudette Menghile

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Alexandre Tavadian

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile

Avocate

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général adjoint

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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