Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Cour fédérale

Federal Court

 

 

Date :  20091223

Dossier :  IMM-3263-09

Référence :  2009 CF 1304

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

 

SATNAM SINGH

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la loi) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée le 3 juin 2009, selon laquelle le demandeur n’est pas réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

Question en litige

[2]               La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si la décision du tribunal qu’il existe une possibilité de refuge interne (PRI) pour le demandeur à Bombay, en Inde, est raisonnable eu égard au droit et aux faits?

 

[3]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte factuel

[4]               Le demandeur est un citoyen indien d’origine sikh né le 21 mai 1979. Le demandeur allègue craindre les autorités indiennes et qu’il ne peut retourner dans son pays parce qu’il a des problèmes avec les autorités à cause d’un collègue de travail, Jaswinder Singh, un prêtre qui serait associé avec des militants.

 

[5]               Le 5 janvier 2006, le demandeur fut envoyé avec Jaswinder faire des devoirs religieux. À leur retour, ils sont arrêtés à un barrage policier et ils sont amenés au poste. Jaswinder est sur une liste et il a déjà été interrogé à plusieurs reprises. Le demandeur et Jaswinder sont séparés et on prétend qu’ils font partie d’un complot. Le demandeur est maltraité et la police cherche à lui faire avouer qu’il a des liens avec des militants. Il est libéré après 3 jours grâce à son frère et des membres de la communauté qui ont payé un pot-de-vin. Jaswinder est cependant gardé en détention. À sa sortie, le demandeur est allé voir un médecin afin de recevoir des soins médicaux.

 

[6]               Le 10 août 2006, la police est allée chez le demandeur pour l’ammener de force au poste car des militants qui déclarent être associés avec le demandeur ont été arrêtés. Parmi ceux-ci, le demandeur reconnaît Jaswinder, mais les autres sont des inconnus. La police demande au demandeur d’écrire une confession mais celui-ci refuse. La police lui fait subir des mauvais traitements et il est relâché après une semaine en contrepartie d’une somme d’argent. Le demandeur consulte de nouveau un médecin.

 

[7]               Le 12 septembre 2006, le demandeur rencontre un avocat qui lui parle des démarches à suivre et de l’aide qu’il devra obtenir de tierces personnes pour prendre action.

 

[8]               Le 13 septembre 2006, la police vient chez le demandeur et le menace. Il semble y avoir un accord à l’effet que le demandeur ne sera pas amené au poste, mais il ne doit pas porter plainte contre la police. De plus, le demandeur doit se présenter aux autorités à tous les mois afin de fournir des informations sur des militants. Le demandeur se rapporte par la suite à la police mensuellement mais il est maltraité à chaque fois, en plus de devoir effectuer des tâches dont personne ne veut. Peu de temps après, le demandeur décide de quitter l’Inde.

 

Décision contestée

[9]               Le tribunal a conclu qu’il existait une possibilité de refuge interne pour le demandeur à Bombay, en Inde. Conséquemment, il n’est ni réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

 

 

Norme de contrôle

[10]           Avant la décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2009 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable quant à la question d’une PRI était la décision manifestement déraisonnable (Khan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 44, 136 A.C.W.S. (3d) 912; Chorny c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CF 999, 238 F.T.R. 289).

 

[11]           Depuis l’arrêt Dunsmuir, la décision rendue sur une PRI est susceptible de contrôle selon la nouvelle norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au para. 47).

 

Analyse

[12]           Après avoir considéré les observations écrites et orales des parties, je suis d’avis que la conclusion du tribunal est raisonnable dans les circonstances. Le demandeur n’a présenté aucune preuve qui montre le caractère inadéquat de la PRI mentionnée.

 

[13]           Le rôle de la Cour en l’espèce, c’est-à-dire dans le cadre d’un contrôle judiciaire, est de vérifier si la décision du tribunal est raisonnable et non de réévaluer la preuve présentée à l’appui de la revendication d’asile et de substituer son opinion à celle du tribunal.

 

[14]           Dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1994] 1 C.F. 589, 163 N.R. 232 (C.A.F.), la Cour a noté qu’il y a deux étapes pour établir une PRI :

1. le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités que les demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés à l’endroit proposé; et

 

2. la situation à l’endroit proposé est telle qu’il n’est pas déraisonnable pour eux d’y chercher refuge.

 

 

 

[15]           Comme l’a récemment souligné mon collègue le juge de Montigny dans l’affaire Octovio Campos Navarro et al. c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF au para. 28) :

« La définition même de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger implique nécessairement l’impossibilité pour un demandeur de réclamer la protection de son pays et ce, sur tout le territoire de ce pays.  La possibilité de refuge interne est inhérente à la notion même de réfugié et de personne à protéger.  Comme l’a rappelé la Cour d’appel fédérale, la barre est doit être placée très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable : ‘[i] l ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr ».  De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions’ (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 au para.15.   Et c’est au revendicateur qu’il incombera de démontrer qu’il ne peut obtenir le refuge interne dans son pays : Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1994] 1 C.F. 589. »

 

 

[16]           Il est de jurisprudence constante que le tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve (Florea c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL) au para. 1; Lai c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CAF 125, 332 N.R. 344 au para. 90) et qu’il n’a pas l’obligation de mentionner tous les éléments (Woolaston c. Canada (Ministre de la main-d’œuvre et de l’immigration), [1973] R.C.S. 102, 28 D.L.R. (3d) 489 à la p. 108; Hassan v. Canada (Minister of Employment and Immigration), (1992), 147 N.R. 317, 36 A.C.W.S. (3d) 635 (C.A.F.); Hinzman c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 420, [2007] 1 R.C.F. 561).

 

[17]           Le demandeur a avancé plusieurs arguments à l’effet qu’il serait recherché et qu’en conséquence la possibilité de refuge interne est inexistante.  Notamment, le demandeur a souligné que son frère a été convoqué au poste de police dès son arrivée en Inde après avoir quitté le Canada en 2007.  Or, la Cour note que le frère du demandeur est en fait retourné dans son village alors que le tribunal a conclu que la possibilité de refuge interne pour le demandeur était à Bombay.  Ainsi, contrairement à son frère, en ne retournant pas dans son village, le demandeur éviterait les difficultés avec la police locale.

 

[18]           Le demandeur affirme également qu’avant de quitter l’Inde, il était « on parole » et qu’il avait donc un engagement de se présenter au poste de police mensuellement.  Ayant quitté l’Inde, le demandeur serait donc en situation d’illégalité et pourrait être recherché par les autorités.  En outre, le demandeur allègue que lors de la convocation de son frère au poste de police, au retour de ce dernier en Inde, la police aurait mentionné à celui-ci que le demandeur pourrait être extradé au Canada en vertu du Traité d’extradition qui existe entre les deux pays.  La preuve au dossier démontre plutôt que lorsque le demandeur a été arrêté par les autorités, il a ensuite été libéré, il n’a pas donné d’empreintes digitales, il n’a pas comparu devant un juge, il n’y a pas de mandat d’arrestation qui pèse contre lui et il n’a pas à respecter de conditions qui lui auraient été imposées par les autorités.  Ainsi, comme la correctement mentionné le défendeur, la partie de la preuve qui fait référence aux personnes « on parole » - traduit en français par l’expression «libération conditionnelle » - est difficilement applicable au demandeur dans les circonstances.   Il est également difficile pour la Cour d’arriver à la conclusion qu’en l’absence de mandat émis contre le demandeur, ce dernier risque l’extradition.  Le tribunal a donc judicieusement conclu que malgré les problèmes que le frère du demandeur aurait eu à son retour au village, le demandeur n’a pas fait la preuve d’une possibilité sérieuse de persécution ou d’un risque d’être exposé à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités s’il déménageait à Bombay.

 

[19]           Le demandeur a souligné que s’il allait s’installer ailleurs en Inde, il serait rapporté et il pourrait ainsi tomber entre les mains de la police, qui pourrait le retourner au Pendjab.  À mon avis, le tribunal a également correctement rejeté ces explications puisque la preuve documentaire indique que de nombreux Sikhs vivent paisiblement en Inde et que cela pourrait être le cas du demandeur.

 

[20]            Le demandeur a répondu qu’il aurait des problèmes partout en Inde à cause de l’enregistrement des nouveaux arrivants.  Toutefois, l’ensemble des moyens invoqués par le demandeur pour démontrer en quoi la PRI ne constitue pas une solution raisonnable pour lui, -notamment l’enregistrement des nouveaux arrivants dans une ville et les problèmes de son frère -, ne convainc pas cette Cour que la vie ou la sécurité du demandeur seraient mises en péril. Il est clair, à la lecture du dossier, que l’obligation de s’enregistrer auprès des autorités locales n’existe pas dans toutes les villes de l’Inde, pays de plus d’un milliard d’habitants. L’obligation vise principalement à contrer la criminalité et elle diffère de ville en ville et ce, lorsqu’elle existe. La preuve démontre aussi que le demandeur n’est pas recherché et rien au dossier ne permet de conclure que la ville de Bombay exige ce genre d’enregistrement.

 

[21]           La Cour est d’avis que le tribunal a évalué l’ensemble de la preuve documentaire objective et n’avait pas à la citer en totalité (Singh c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 408, [2008] A.C.F. no 547 (QL) aux para. 17-19 (Singh (2008)); Ayala c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 1258, [2008] A.C.F. no 1572 (QL) aux para. 10-12).

 

[22]           La décision du tribunal est basée sur le témoignage du demandeur ainsi que sur la preuve documentaire au dossier.  Le tribunal a tenu compte de la situation personnelle du demandeur ainsi que de possibilité raisonnable qu’il puisse se relocaliser ailleurs en Inde. Dans ces circonstances, la décision est raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[23]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3263-09

 

INTITULÉ :                                       Satnam SINGH c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Patricia Nobl

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel Le Brun

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.