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Cour fédérale

Federal Court

Date : 20100106

Dossier : IMM-1024-09

Référence : 2010 CF 14

Ottawa (Ontario), ce 6e jour de janvier 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Sandrine Teclaire Simo Massudom

et

Ange Harold Talla Sando

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision défavorable en matière d’évaluation des risques avant renvoi (« ÉRAR »), rendue en application des articles 112 et suivants de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) et une décision défavorable en matière de considérations humanitaires (« CH »), rendue en vertu de l’article 25 de la Loi. Les deux décisions ont été signées par le même agent d’immigration, Jeff Gullickson.

[2]          La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile de Mme Sandrine Teclaire Simo Massudom (la demanderesse) le 10 mars 2008 en raison d’un sérieux manque de crédibilité. La demande était fondée sur des allégations de violence conjugale et de crainte de la famille de son ex-conjoint. La demande de contrôle judiciaire concernant ce refus a été rejetée le 25 juillet 2008. La demanderesse a déposé une demande CH le 10 novembre 2008 et une demande ÉRAR le 4 décembre 2008. La garde légale d’Ange Harold Talla Sando, le fils de la demanderesse, a été accordée à cette dernière le 17 mars dernier. La revendication de cet enfant, le codemandeur, se base entièrement sur les allégations de sa mère, la demanderesse.

 

[3]          La demanderesse a demandé un sursis à son renvoi le 30 mars 2009, mais cette requête a été rejetée par la Cour le 2 avril 2009. La demanderesse ne s’est pas présentée à son renvoi, le 6 avril 2009. Elle et son fils ont été arrêtés à la fin du mois de juillet et mis en détention jusqu’au 3 août 2009.

 

[4]          La demanderesse est née le 15 novembre 1978. Elle est citoyenne du Cameroun et mère d’un fils, Ange Harold Talla Sando, qui est né le 10 janvier 2003. Avant de venir au Canada, la demanderesse a vécu en Allemagne. Ouafeu Yves Talla Sando est le père d’Ange Harold et ex-conjoint de la demanderesse. Il ne les accompagnait pas quand ils sont venus au Canada. Les demandeurs sont au Canada depuis le 3 août 2006.

 

[5]          Madame Simo Massudom aurait fui le Cameroun disant craindre d’être persécutée par son ex-conjoint ou la famille et les amis de celui-ci. Elle allègue en outre que sa condition médicale exige un suivi au Canada.

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[6]          Les deux décisions visées par cette demande de contrôle judiciaire ont été rendues sur la base des mêmes allégations de la demanderesse ainsi que des mêmes documents mis en preuve. Les deux décisions ont été rendues à quelques jours d’intervalle (soit le 30 janvier 2009 et le 3 février 2009). Elles sont basées sur les mêmes conclusions factuelles.

 

[7]          La SPR avait trouvé que la demanderesse n’était pas un témoin crédible et qu’elle n’avait pas présenté une preuve crédible de la violence conjugale et familiale dont elle affirmait être victime. Le tribunal avait conclu que la demanderesse « a fabriqué cette histoire » et il n’avait accordé aucune valeur probante aux documents « corroboratifs ». L’agent ÉRAR n’a pas tenu d’entrevue parce que la demanderesse n’a pas déposé de nouveaux éléments de preuve susceptibles de corroborer un élément important de son témoignage.

 

* * * * * * * *

 

[8]          Il est de jurisprudence constante que lorsqu’une décision ÉRAR est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 R.C.F. 387).

 

[9]          Comme l’a expliqué le juge Yves de Montigny dans Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2008] 2 R.C.F. 3, au paragraphe 55 : « Quoi qu’il en soit, il faut ajuster la norme en fonction de la question précise à l’examen. »

[10]      Dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions relatives à l’ÉRAR, pour ce qui est des questions de fait, il n’est pas du ressort d’une Cour de révision de réévaluer le contenu de chacun de ces éléments de preuve et ainsi de se substituer à l’agent ÉRAR. Néanmoins, s’il est démontré que les conclusions de l’agent ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, cette Cour interviendra (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7). La norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable, et la norme applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte.

 

[11]      Il est de plus bien établi qu’une ÉRAR n’a pas pour objet de servir d’appel d’une décision de la SPR (Yousef c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 864, aux paragraphes 20 et 21). La décision de la SPR doit être considérée comme définitive en ce qui concerne la question de la protection sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi. Le juge Robert Barnes s’exprime ainsi dans Yousef, au paragraphe 20 :

. . . Il n’appartient pas à l’agente d’ÉRAR de réexaminer la preuve évaluée par la Commission, et il ne lui appartient pas non plus de revenir sur les conclusions de la Commission portant sur les faits ou sur la crédibilité du demandeur. Ce n’est pas non plus le rôle de l’agente d’ÉRAR d’apprécier la preuve qui aurait pu être présentée à la Commission, mais qui ne l’a pas été. Le rôle de l’agente d’ÉRAR, défini par l’article 113 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), consiste à n’examiner « que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés.

 

                                                            (C’est moi qui souligne.)

 

 

 

[12]      La demanderesse plaide d’abord que le défaut de ne pas tenir une audience, en l’espèce, a porté atteinte à l’équité procédurale. L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, (le Règlement) énumère les facteurs à prendre en considération afin de décider de la tenue d’une entrevue. Pour avoir droit à une entrevue dans le cadre de sa demande ÉRAR, la demanderesse devait soumettre la preuve d’éléments nouveaux. Cette nouvelle preuve devait remplir les trois critères de l’article 167.

 

[13]      Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît que l’agent puisse adopter les mêmes conclusions factuelles dans l’une et l’autre des décisions faisant l’objet des demandes de contrôle judiciaire. Cependant, l’agent doit impérativement soumettre ses conclusions au critère applicable à chacune des décisions.

 

[14]      Le défendeur allègue que la demanderesse a repris devant l’agent ÉRAR les mêmes arguments qu’elle avait présentés à la SPR et qu’elle n’a soumis aucune nouvelle preuve. Il a cité la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Raza c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CAF 385, où la Cour a conclu qu’une demande ÉRAR n’est pas un appel d’une décision rejetant une demande d’asile.

 

[15]      Compte tenu de l’importance qui doit être accordée à la question de la crédibilité dans ce dossier, la partie demanderesse plaide que l’agent aurait dû rencontrer Mme Simo Massudom afin de pouvoir personnellement conclure qu’elle était victime de violence conjugale. Elle reproche spécifiquement à l’agent de n’avoir pas tenu compte de deux rapports de professionnels indépendants, soit celui d’une travailleuse sociale et celui d’une psychologue.

[16]      La demanderesse affirme qu’elle avait une attente légitime à ce qu’une entrevue soit tenue et soutient que l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. Elle s’appuie sur les motifs de la juge Elizabeth Heneghan dans Vu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1339, qui expliquent que la doctrine de l’attente légitime est un aspect de l’équité procédurale.

 

[17]      Après examen des circonstances dans lesquelles une audience doit être tenue, je ne crois pas qu’une entrevue était nécessaire dans le cas qui nous occupe. En effet, la psychologue Sylvie Laurion a conclu que la demanderesse avait été victime de violence physique qui a causé un stress post-traumatique chronique avec symptômes dépressifs. Ce document a été déposé devant la SPR. Celle-ci a trouvé que ce rapport n’avait pas de valeur probante pour établir que le stress post-traumatique avait été causé par les événements de violence conjugale allégués par la demanderesse ou même que ces événements avaient eu lieu.

 

[18]      La demanderesse a déposé un nouveau rapport de la même psychologue qui a été rédigé le 3 novembre 2008. L’agent ÉRAR a conclu que cette évaluation étant la même que celle déjà évaluée par la SPR, elle n’avait pas de valeur probante dans la demande ÉRAR. La demanderesse a aussi soumis une évaluation psychosociale rédigée par un CLSC de LaSalle, le 3 novembre 2008. L’auteur de ce rapport suppose aussi que la demanderesse a vécu de la violence conjugale. Dans les circonstances, l’agent ÉRAR n’a pas considéré que ce document pouvait être un élément de preuve probant au soutien des allégations de violence conjugale.

 

[19]      À mon sens, les deux derniers rapports, bien que non évalués par la SPR, ont raisonnablement été considérés par l’agent ÉRAR. La Cour d’appel fédérale a bien confirmé dans l’affaire Raza, ci-dessus, que même si une preuve postdate la décision de la SPR, elle n’est pas nécessairement de la nouvelle preuve au sens des critères de l’article 167.

 

[20]      En fait, le contenu de ces derniers rapports ne fait que refléter le contenu de la première évaluation psychologique qui était devant la SPR. Il n’y a rien de nouveau quant aux allégations de violence conjugale. L’agent ÉRAR pouvait donc raisonnablement conclure que ces rapports n’avaient pas de valeur probante dans la présente demande puisque la SPR avait déjà trouvé que la demanderesse n’avait pas prouvé avoir été victime de violence conjugale.

 

[21]      La demanderesse soutient ensuite que l’agent aurait dû analyser la violence ou la discrimination dont elle serait victime une fois rendue au Cameroun. Le défendeur répond que la demanderesse n’a fourni aucun élément probant démontrant qu’elle subirait de la violence ou de la discrimination à son retour au Cameroun.

 

[22]      Dans Jarada c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 409, au paragraphe 28, le juge Yves de Montigny écrit :

. . . l’appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d’être persécuté s’il devait être retourné dans son pays doit être personnalisée. Ce n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné . . .

                                                (C’est moi qui souligne.)

 

 

 

[23]      Les extraits pertinents de la documentation générale sur la condition et la violence des femmes au Cameroun ne démontraient pas un risque personnalisé pour la demanderesse et l’agent a bien tenu compte, ici, de cette absence de preuve de risque personnalisé.

 

[24]      La demanderesse soutient enfin que l’agent n’a pas tenu compte des risques de représailles de la famille du père dans son évaluation de l’intérêt de l’enfant. La demanderesse allègue qu’elle pourrait être séparée de son fils au Cameroun, car son ex-conjoint pourrait le lui enlever.

 

[25]      Toutefois, l’agent a trouvé qu’il n’y pas de preuve probante que l’ex-mari et même sa famille du Cameroun persécuteront les demandeurs au Cameroun. De plus, le père de l’enfant est un résident permanent du Canada qui ne s’est pas véritablement intéressé à son fils dans ce pays. Il n’a pas été démontré qu’il a quitté ou qu’il quitterait le Canada pour aller au Cameroun et demander la garde de son fils. Même s’il quittait le Canada, la preuve documentaire indique qu’il y a possibilité pour la demanderesse de contester le tout devant un tribunal civil de première instance au Cameroun.

 

[26]      Dans les deux décisions ÉRAR et CH, l’agent a bien considéré l’intérêt de l’enfant. Bien que l’évaluation psychosociale indique que l’enfant aura une meilleure vie au Canada, ses considérations sont trop vagues pour permettre de conclure que l’intégration de l’enfant est telle qu’il vivra une difficulté disproportionnée s’il retourne au Cameroun. La prétention de la demanderesse à l’effet que l’agent ÉRAR n’a offert aucun motif démontrant que l’intérêt de l’enfant, dont la garde lui a été confiée par la Cour supérieure du Québec le 17 mars 2009, a été considéré dans la décision ÉRAR est donc sans fondement. Il appert plutôt que l’agent n’a pas traité avec indifférence la question de la garde de l’enfant au Cameroun.

 

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[27]      Pour toutes ces raisons, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire visant une décision défavorable en matière d’évaluation des risques avant renvoi et une décision défavorable en matière de considérations humanitaires, rendues les 30 janvier 2009 et 3 février 2009 respectivement, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1024-09

 

INTITULÉ :                                       Sandrine Teclaire Simo Massudom et Ange Harold Talla Sando c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marie-Hélène Giroux                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Alain Langlois                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bureau d’aide juridique de Montréal                             POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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