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Cour fédéralet

Federal Court

 

 

 


Date : 20090722

 

Dossier : T-736-03

 

Référence : 2009CF748

 

 

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2009

 

 

En présence de : madame la protonotaire Tabib

 

 

ENTRE :

 

INSTALLATION GLOBALE

NORMAND MORIN & FILS INC.

 

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                          - et -

 

 

                                              TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES

                                                GOUVERNEMENTAUX CANADA

 

                                                                                                                                          Défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La requête devant moi soulève l’interprétation du paragraphe 68(1)(a) de la Loi sur la gestion des finances publiques L.R., 1985, ch. F-11.

[2]               La demanderesse en l’instance, Installation Globale Normand Morin & Fils Inc., a entrepris une action contre la Couronne fédérale, dans laquelle sont réclamés non seulement le coût des services d’entreposage rendus à la Couronne aux termes d’une offre à commande exécutée entre la demanderesse et la défenderesse, mais aussi des dommages et intérêts relatifs à des pertes de profit, dépenses inutiles, perte de réputation, perte de cote de crédit, troubles, inconvénients, etc. résultant, selon les allégations, du défaut délibéré de la défenderesse de payer les sommes dues en vertu du contrat d’entreposage et de son refus injustifié et malicieux de renouveler l’offre à commande.

[3]               Après l’institution des procédures, la compagnie demanderesse faisait cession de ses biens et un syndic à la faillite était nommé.  Dans le cadre de cette faillite, le syndic à la faillite de la demanderesse convenait de céder à Monsieur Normand Morin tous les droits d’action de la demanderesse, et notamment, tous les droits, titres et intérêts de la demanderesse dans les recours et droits d’action qui font l’objet de la présente action.  Les parties s’entendent à dire qu’il s’agissait là d’une cession de gré à gré, et non de la cession involontaire prévue à l’article 38 de la Loi sur la faillite.

[4]               Monsieur Morin, par son procureur, transmettait par la suite l’acte de cession à la défenderesse, tant selon les prescriptions de l’article 69(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques que selon les prescriptions de l’article 117 des Règle des Cours fédérales selon lesquelles une personne désireuse de poursuivre une instance à titre de cessionnaire des droits ou obligations que fait valoir cette action doit signifier à l’autre partie son intention et les motifs de la cession.

[5]               La défenderesse s’oppose à ce que Monsieur Morin poursuive l’instance en vertu de cette cession, du moins en ce qui a trait aux dommages et intérêts réclamés dans l’action, au motif que cette partie de la réclamation constitue une créance incessible aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[6]               L’article 67 de la Loi sur la gestion des finances publiques consacre le principe de l’interdiction absolue de toute cession de créance sur la Couronne :

 

« 67.  Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale :

a) les créances sur Sa Majesté sont incessibles;

b) aucune opération censée constituer une cession de créances sur Sa Majesté n’a pour effet de conférer à quiconque un droit ou un recours à leur égard. »

 

“67.  Except as provided in this Act or any other Act of Parliament,

(a) a Crown debt is not assignable; and

(b) no transaction purporting to be an assignment of a Crown debt is effective so as to confer on any person any rights or remedies in respect of that debt.”

 

[7]               Par voie d’exception, le paragraphe 68(1) de la Loi autorise la cession de certaines créances précises sur la Couronne :

 

« 68(1)  Sous réserve des autres dispositions du présent article, les créances suivantes sont cessibles :

a) celles qui correspondent à un montant échu ou à échoir aux termes d’un marché;

b) celles qui appartiennent à une catégorie déterminée par règlement. »

 

“68(1)  Subject to this section, an assignment may be made of

(a) a Crown debt that is an amount due or becoming due under a contract; and

(b) any other Crown debt of a prescribed class.”

 

[8]               Notons ici que les parties s’entendent que les sommes réclamées dans l’action n’appartiennent pas à une des catégories déterminées par règlement, au sens de l’article 68(1)(b) de la Loi.  Le requérant, Monsieur Morin, affirme toutefois que l’ensemble des sommes réclamées dans l’action constitue des créances cessibles aux termes du paragraphe 68(1)(a) de la Loi et qu’il devrait donc lui être permis de poursuivre l’instance en son nom en vertu de la cession.

[9]               Si la défenderesse concède que cette partie de la réclamation visant le paiement de services d’entreposage que la demanderesse allègue avoir rendus à la défenderesse aux termes de l’offre à commande sont des créances « qui correspondent à un montant échu ou à échoir aux termes d’un marché » et sont donc cessibles, elle soumet que la réclamation pour le reste, à savoir divers chefs de dommages et intérêts réclamés en raison de l’inexécution des obligations prévues au contrat d’offre à commande, ne correspondent pas à de tels montants et sont donc incessibles.

[10]           Pour les fins de la présente analyse, je prendrai pour acquis, mais sans formellement en déterminer, que les dommages et intérêts réclamés par l’action sont effectivement, comme le prétend Monsieur Morin, des dommages découlant directement de l’inexécution des obligations de l’offre à commande, donc, selon les provisions du Code civil du Québec, des dommages contractuels, plutôt que des dommages fondés sur la responsabilité extracontractuelle ou délictuelle des préposés de la défenderesse, tel que le prétend cette dernière.  En effet, puisque j’en arrive à la conclusion que les dommages contractuels ne sont pas des créances qui correspondent à un montant échu ou à échoir aux termes d’un marché, il n’est pas nécessaire pour moi d’établir cette distinction.

[11]           Il semblerait que la question à savoir si des dommages réclamés à la Couronne en vertu de l’inexécution d’un contrat sont ou non cessibles n’a jamais fait l’objet d’une détermination judiciaire.  La jurisprudence reconnaît cependant qu’une instance basée sur des torts imputables à des fonctionnaires ou agents de la Couronne ne constitue pas un montant échu ou à échoir aux termes d’un marché (Tacan c. Canada, 2003 CF 915), que les exceptions prévues à l’article 68 de la Loi doivent être interprétées étroitement, et que les mots « marché » et « contract » dans les versions française et anglaise de l’article 68 de la Loi se limitent aux opérations commerciales et excluent donc les sommes dont le paiement serait prévu par un traité avec les indiens, et cela même si de tels traités sont souvent assimilés à des contrats (Beattie c. Canada, 2004 CF 674).

[12]           Le plus près que les tribunaux soient venus d’interpréter les dispositions du paragraphe 68(1)(a) de la Loi, en ce qu’elles ont trait aux dommages contractuels, se trouve dans l’arrêt Entreprises A.B. Rimouski Inc. c. Canada, [1998] A.C.F. no. 934 (CAF) la Cour d’appel écrivait :

 

« 13  D'abord, je ne puis accepter que l'expression "dette échue ou à échoir" au sens du paragraphe 68(1)a) de la Loi s'entende d'une dette liquide, due et certaine comme celle requise pour les besoins de la compensation légale. Même si une dette est contestée en justice, si son existence prétendue est directement rattachée à un marché, il me paraît impossible de dire qu'elle ne tombe pas sous le coup de l'exception. Autrement, il suffirait à la Couronne d'élever une contestation pour empêcher toute cession, ce qui entraverait indûment bien des transactions commerciales. Ce n'est certes pas ce que le Parlement a voulu. Tout au plus pourrait-on faire une distinction entre la réclamation pour le paiement de la balance due sur le contrat et celle relative aux dommages. Car il paraît clair qu'un jugement favorable à la corporation montrerait que la dette cédée était effectivement due et échue au moment de la cession, sinon pour les dommages, en tout cas pour ce qui concerne la balance due sur le prix des travaux. »

 

(Les soulignés sont de moi)

 

[13]           Notons que cette partie de la décision est clairement obiter, le fondement de la décision étant que même s’il y avait contestation sur la validité de la cession, le Juge siégeant au procès de l’action, qui était toujours mue par la corporation détentrice initiale de la créance, n’était pas justifié à rejeter l’action de façon sommaire puisque le droit de recouvrement par la corporation continuait de subsister, même dans l’éventualité les cessions étaient jugées invalides.  Il est quand même pertinent de noter que la Cour d’appel admettait déjà la possibilité qu’une distinction dût être faite entre les paiements des sommes dues « sur » le contrat et les réclamations relatives aux dommages.

[14]           Il est clair que l’offre à commande qui forme le fondement allégué de la réclamation est un « marché », tel que défini à l’article 66 de la Loi comme étant un : « contrat prévoyant le versement de fonds par Sa Majesté ».  Le procureur de Monsieur Morin soumet qu’à ce titre, toute réclamation découlant directement dudit marché, incluant la réclamation en dommages et intérêts, constitue une créance qui correspond « à un montant échu ou à échoir aux termes d’un marché ».

[15]           Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation.

[16]           Tant l’interprétation restrictive qu’il convient de donner à une exception, que l’intention claire du législateur de ne protéger par le biais de l’exception que les transactions commerciales, militent selon moi en faveur de l’interprétation de cette disposition comme s’appliquant uniquement au montant dont le paiement est prévu par les termes mêmes du marché.  Ainsi, un montant échu ou à échoir aux termes d’un marché est un montant dont le versement est expressément prévu par les termes mêmes du contrat, tel le paiement du prix de vente d’un bien, des services rendus ou d’une valeur échangée, voir même, lorsque expressément prévu au contrat, d’une somme à titre de dommages préétablis en cas du manquement à l’une ou l’autre des obligations du contrat.  Par contraste, même si le droit de réclamer compensation pour les pertes ou dommages subis par une partie au contrat en raison de l’inexécution par l’autre des obligations contractuelles est un droit consacré par le droit supplétif, et que ces réclamations sont, à juste titre, considérées comme des réclamations d’origine contractuelle, ces réclamations ne constituent pas pour autant la réclamation de sommes prévues par le contrat.  Elles ne sont pas des sommes dues en exécution des obligations contractuelles mais plutôt, des sommes qui seraient dues en raison de l’inexécution des obligations prévues au contrat.

[17]           Cette distinction est non seulement conforme à l’expression précise employée à l’article 68 de la Loi : « Les créances (…) qui correspondent à un montant échu ou à échoir aux termes d’un marché » (“An amount due ou becoming due under a contract”), mais elle correspond aussi à l’interprétation jurisprudentielle de l’intention du législateur, de ne protéger par cet article que les créances de nature commerciale, assurant ainsi la sécurité et la transférabilité des créances nées d’une transaction commerciale.  Notons que les dommages qui peuvent être subis par une partie contractante en raison de la non-exécution des obligations prévues à un contrat sont propres à cette partie même.  Elles ne sont pas définies par le contrat, dépendent des circonstances particulières à la partie, et, contrairement aux comptes à recevoir, ne sont généralement pas sujettes elles-mêmes au commerce et aux transactions financières.  Vu l’intention du législateur de n’autoriser que la cession des créances purement commerciales, il n’y aurait pas plus de justification à préserver la cessibilité des réclamations pour dommages contractuels que de préserver celle des dommages extracontractuels.

[18]           L’ordonnance de substitution de Monsieur Morin à la demanderesse sera donc accordée, mais uniquement en ce qui a trait à cette partie de l’action réclamant des sommes pour services rendus conformément à l’offre à commande, soit la somme de 504,000 $, plus intérêts si prévus au contrat.

[19]           Pour ce qui est des autres réclamations, la défenderesse concède que la demanderesse Installation Globale Normand Morin et Fils Inc. demeure, par l’entremise du syndic à la faillite, en droit de poursuivre l’action à leur égard.  La présente ordonnance prévoit donc que le syndic à la faillite d’Installation Globale Normand Morin et Fils Inc. aura un délai de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour manifester son désir de poursuivre l’action à l’égard de ces réclamations, à défaut de quoi, la défenderesse sera en droit de demander, par voie de requête, le rejet de cette partie de l’action pour cause de retard.

 


ORDONNANCE

 

      LA COUR ORDONNE QUE :

 

  1. Le requérant, Normand Morin, est autorisé à être substitué à la demanderesse, mais uniquement aux fins de cette partie de l’action réclamant la somme de 504,000 $ à titre de somme dues pour services rendus conformément à l’offre à commande, incluant taxes et intérêts, si ils sont prévus par le contrat.

 

  1. La demanderesse, y comprit par l’entremise du syndic à sa faillite, le cas échéant, dispose d’un délai de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour signifier son intention de poursuivre l’action pour la balance des réclamations, à défaut de quoi la défenderesse aura 30 jours à partir de l’expiration dudit délai pour signifier et déposer une demande pour faire rejeter l’action.

 

  1. Une déclaration amendée reflétant la substitution sera signifiée et déposée au plus tard 15 jours suivant l’avis d’intention de la demanderesse, par elle-même ou son syndic, de poursuivre l’action pour son compte ou la détermination de la requête en rejet d’action qui pourrait être mue par la défenderesse aux termes de la présente ordonnance.

 

  1. Les parties déposeront, au plus tard 15 jours suivant la date du dépôt de la déclaration amendée, des représentations écrites quant à un échéancier à être fixé pour les prochaines étapes à être suivies dans ce litige; dans l’éventualité la prochaine étape à être accomplie serait l’audition de la requête pour faire trancher les objections telles que présentement mue, et sans modifications, les parties indiqueront dans leurs représentations leurs dates de disponibilité conjointe pour cette audition.

 

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-736-03

 

 

INTITULÉ :                                                   Installation globale Normand Morin & Fils Inc. c. Travaux publics et services gouvernementaux Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 29 juin 2009

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Madame la protonotaire Mireille Tabib

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Chantal Donaldson

Me Ekaterina Pavlova-Kraycheva

POUR LA DEMANDERESSE

Me Yannick Landry

Me Josianne Philippe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LeBLANC, DOUCET, McBRIDE

Gatineau (Québec)

 

POUR LA DEMANDERERESSE

JOHN H. SIMS, C.R.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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