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Date : 20091203

Dossier : T-1363-09

Référence : 2009 CF 1238

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

ELI HUMB Y

Premier demandeur

et

 

CENTRAL SPRINGS LTD .

Deuxième demanderesse

A&E PRECISION FABRICATION AND MACHINE SHOP INC.

Troisième demanderesse

-et-

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Premier défendeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR, REPRÉSENTÉE PAR LE BUREAU DU HIGH SHERIFF

Deuxième défenderesse

et

GERRY PEDDLE

Troisième défendeur

et

DAVID TAYLOR

Quatrième défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

PROTONOTAIRE MORNEAU

 

  • [1] Il s’agit en l’espèce d’une requête d’ordonnance des premier, troisième et quatrième défendeurs dans l’intitulé (collectivement appelés les défendeurs) visant la radiation du troisième défendeur (le défendeur M. Peddle) et du quatrième défendeur (le défendeur M. Taylor) ainsi que de différents paragraphes de la déclaration des demandeurs (la déclaration) au motif que la Cour n’a pas compétence ratione materiae en ce qui concerne ces défendeurs ou ces paragraphes, en vertu des alinéas 104 (1)a) et 221 (1)a), c) et f) des Règles des Cours fédérales (les Règles).

  • [2] Dans leur requête, les défendeurs demandent également, en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles, une ordonnance afin que soit radiée une série de paragraphes de la déclaration pour différents motifs qui indiquent aux défendeurs que ces paragraphes ne révèlent aucune cause d’action valable.

  • [3] D’autre part, si la réparation précitée n’est pas ordonnée, les défendeurs demandent à la Cour, subsidiairement, de suspendre cette action par application du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, jusqu’à ce que soient tranchés les appels interjetés devant la Cour canadienne de l’impôt (la CCI) par les deuxième et troisième demanderesses, Central Springs Ltd. (Central) et A&E Precisions Fabrication and Machine Shop Inc. (A&E).

Contexte essentiel

  • [4] Le contexte qui est essentiel afin d’évaluer la déclaration et la requête qui nous occupent peut être décrit de façon générale comme suit.

  • [5] Bien que certains des faits présentés ci-dessous ne figurent pas dans le libellé particulier de la déclaration, mais qu’ils figurent dans certaines observations écrites déposées par les demandeurs s’opposant à cette requête, la Cour ne s’en formalise pas indûment parce que l’évaluation de la compétence ratione materiae de la Cour révèle que la Cour n’est pas limitée à la stricte formulation de la déclaration.

  • [6] Si la Cour a clairement compris les faits de la présente affaire, le point de départ à garder à l’esprit est qu’en 2002 et 2003, Humby Enterprises Ltd. (HEL), une des trois entreprises que possédait le demandeur Eli Humby, a été impliquée dans un litige l’opposant au gouvernement provincial de Terre-Neuve. Au cours de la même période, selon l’Agence du revenu du Canada (l’Agence), HEL et les deux autres entreprises du demandeur Humby, Central et A&E, devaient des impôts à l’ARC, bien que les sommes dues par Central et A&E étaient beaucoup moins élevées.

  • [7] Selon le demandeur Humby, les défendeurs M. Peddle et M. Taylor lui ont donné l’impression, à ce moment, qu’aucune mesure d’exécution ne serait prise pour l’instant. Or, des avis de cotisation ont été émis en juillet 2003 contre, notamment, Central et A&E, mais le demandeur Humby ne connaissait pas l’existence de ces avis. Ce n’est qu’en juin 2005 que M. Humby a pris connaissance des avis. Cependant, au début de 2005, les défendeurs M. Peddle et M. Taylor, qui travaillaient notamment à titre d’agents de recouvrement à l’Agence ont entrepris une mesure d’exécution très agressive contre Central et A&E pour recouvrer les montants indiqués dans les avis de cotisation.

  • [8] Bien qu’en septembre 2006, Central et A&E, sous la direction de M. Humby, aient fait reconnaître par la Cour canadienne de l’impôt (CCI) la rapidité avec laquelle elles ont fait parvenir leur avis d’opposition aux avis de cotisation (réputés avoir été reçus en juin 2005), et bien que Central et A&E aient interjeté un appel devant la CCI concernant l’exactitude de ces avis de cotisation — un débat pour lequel la CCI n’a pas encore été instruite sur le fond — les demandeurs ont néanmoins intenté cette action devant notre Cour en août 2009.

  • [9] Dans cette action, ils demandent des dommages-intérêts généraux, spéciaux et punitifs, essentiellement pour les motifs que les défendeurs ont conspiré entre eux et commis divers autres délits en émettant faussement des avis de cotisation à Central et à A&E et en prenant contre elles des mesures d’exécution qui ont eu des conséquences dévastatrices.

  • [10] À cet égard, les demandeurs affirment aux paragraphes 8 et 9, au début de leur déclaration :

    1. [TRADUCTION] Les demandeurs soutiennent que les premier, troisième et quatrième défendeurs, par l’intermédiaire de leurs fonctionnaires, préposés ou mandataires, ont conspiré pour émettre faussement des avis de cotisation aux deuxième et troisième demanderesses pour des sommes payables à l’ARC.

    2. Les demandeurs soutiennent également, à titre subsidiaire, que les défendeurs précités, par l’intermédiaire de leurs fonctionnaires, préposés ou mandataires, donnant suite à leur objectif illicite de garantir la cotisation erronée des premier, deuxième et troisième demandeurs, ont commis, conjointement et solidairement, de nombreux actes illicites y compris des délits et des violations de la législation ainsi que de la Loi constitutionnelle de 1992, dont les suivants : poursuite malveillante, tentative d’obtenir des cotisations erronées, abus de procédure, diffamation, complot visant à causer un préjudice, négligence, violation délibérée des droits constitutionnels, atteinte intentionnelle aux relations d’affaires et manquementsaux obligations de diligence issues de la législation et de la common law.

  • [11] C’est la portée et le nombre de mesures d’exécution prises par les défendeurs qui semblent avoir profondément consterné les demandeurs et constituer le principal motif de l’action intentée devant notre Cour. Le dernier paragraphe, à la page 10 de la déclaration (qui contient 30 pages), résumé ainsi les mesures d’exécution qui ont été prises :

[TRADUCTION] Connaissant les montants qui lui étaient prétendument payables, l’ARC a néanmoins fait en sorte que les procédures se poursuivent, aux termes desquelles un immeuble, un terrain et des stocks ont été saisis et plus de 12 employés ont perdu leur emploi. La valeur des biens saisis était d’environ 1 million de dollars et les dettes « alléguées » par l’ARC n’étaient que de 63 000 $ (environ 6 % de la valeur des biens).

Analyse

  • [12] Comme le souligne l’extrait suivant de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17, au paragraphe 6, page 23, une radiation ne survient sous l’un ou l’autre des alinéas de l’article 221 des Règles que si la situation visée est claire et évidente :

[6]  Les déclarations sont radiées au motif qu’elles ne révèlent aucune cause raisonnable d’action seulement dans les cas évidents où la cour est convaincue que l’affaire ne fait aucun doute (voir Le procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre., [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740; Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). Le fardeau est aussi strict quand le motif allégué est l’abus de procédure ou que les actes de procédure sont scandaleux, frivoles ou vexatoires (voir Succession Creaghan c. La Reine , [1972] C.F. 732, à la page 736 (C.F. 1re inst.), le juge Pratte; Waterside Ocean Navigation Company, Inc. c. International Navigation Ltd. et autres, [1977] 2 C.F. 257, à la page 259 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow; Micromar International Inc. c. Micro Furnace Ltd. (1988), 23 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard; Connaught Laboratories Ltd. c. Smithkline Beecham Pharma Inc. (1998), 86 C.P.R. (3d) 36 (C.F. 1reinst.), le juge Gibson). Les propos tenus par le juge Pratte (siégeant alors en première instance), en 1972, dans la décision Succession Creaghan, précitée, sont toujours aussi indiqués :

  [...] le juge qui préside ne doit pas rendre une pareille ordonnance à moins qu’il ne soit évident que l’action du demandeur est tellement futile qu’elle n’a pas la moindre chance de réussir [...]

 

  • [13] Plus précisément, lorsque l’enjeu est une radiation pour manque de compétence, l’extrait suivant de l’arrêt Hogson c. La Bande indienne d’Ermineskin n942 (2000), 180 FTR. 285, page 289 (confirmé en appel : 267 N.R. 143; autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée : 276 N.R. 193) établit qu’une approche soulevant une question de compétence ou d’absence de cause d’action sous l’alinéa 221(1)a) des Règles se doit d’être claire et évidente pour que la Cour l’accueille. Cet extrait rappelle également que sous l’aspect de de la compétence, des éléments de preuve sont admissibles.

[9]  Je suis d'accord qu'une requête en radiation, fondée sur la Règle 221(1)a) [anciennement la Règle 419(1)a)], présentée au motif que la Cour n'a pas la compétence voulue diffère d'autres requêtes en radiation fondée sur cette règle. Dans le cas d'une requête en radiation présentée au motif que la Cour n'a pas la compétence voulue, le demandeur peut produire des éléments de preuve pour étayer cette prétention. Dans d'autres cas, le demandeur doit accepter que le contenu de tous les actes de procédure est exact (voir MIL Davie Inc. c. Hibernia Management & Development Co. (1988), 226 N.R. 369 (C.A.F.); sur ce point, voir l'ouvrage de Sgayias, Kinnear, Rennie et Saunders, Federal Court Practice 2000, aux pages 506 et 507).

[10]   […] Le critère de savoir si la chose est claire et évidente s'applique à la radiation d'actes de procédure pour absence de compétence de la même façon qu'il s'applique à la radiation de tout acte de procédure au motif qu'il ne fait état d'aucune cause raisonnable d'action. L'absence de compétence doit être « claire et évidente » pour justifier la radiation d'actes de procédure à ce stade préliminaire.

 

  • [14] Avant d’aborder la radiation demandée par les défendeurs, il convient de traiter immédiatement l’une des deux mesures de redressement demandées par les défendeurs dans leur requête, soit que Sa Majesté la Reine soit substituée au procureur général du Canada à titre de défendeur dans l’intitulé de la cause. Les défendeurs ont raison sur ce point et les demandeurs ne s’opposent pas à ce changement. Par conséquent, il sera ordonné que le « procureur général du Canada » soit remplacé par « Sa Majesté la Reine » dans l’intitulé de la cause.

Radiation

  • [15] Je vais maintenant aborder la demande de radiation des défendeurs M. Peddle et M. Taylor.

  • [16] Il semble qu’à tous les moments pertinents, ces deux défendeurs étaient des agents de recouvrement à l’Agence et que ce sont eux qui ont expressément vu et participé à l’exécution inappropriée de ce que les demandeurs dénoncent. En raison de leurs actes, il est allégué que ces deux défendeurs ont fait un usage abusif des différents pouvoirs conférés par les lois et règlements fédéraux et ont délibérément fait fi des lignes directrices contenues dans les politiques et directives internes.

  • [17] Cependant, même s’il s’agit du contexte factuel de la requête des demandeurs et même s’ils invoquent des manquements à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et qu’ils soutiennent que d’intenter une action distincte contre les défendeurs M. Peddle et M. Taylor devant la cour supérieure de province serait un gaspillage de temps et d’argent et contraire à l’administration efficace de la justice, le fait demeure que, du point de vue de la Cour, il est clair que l’action intentée par les demandeurs contre les défendeurs M. Peddle et M. Taylor est fondamentalement basée et axée sur des préjudices dont le fondement juridique ne provient pas de la loi fédérale et n’est pas fondé sur celle-ci, mais sur des principes de responsabilité prenant racine dans le droit provincial. C’est une question de compétence ratione materiae qui ne peut pas être omise au motif d’inconvénients ou d’un certain type de préjudice. Bref, la Cour est en accord avec l’approche et l’analyse ci-dessous contenues dans les observations écrites des défendeurs :

  1. La compétence de la Cour à l’égard des troisième et quatrième défendeurs

  1. Les défendeurs fédéraux soutiennent que la Cour a compétence pour trancher l’action contre l’État, mais n’a pas compétence pour trancher l’action en responsabilité délictuelle contre Gerry Peddle (M. Peddle), le troisième défendeur et David Taylor (M. Taylor), le quatrième défendeur.

  2. [TRADUCTION] À l’encontre de M. Peddle, les demandeurs revendiquent :

    1. Abus de pouvoir;

    2. Négligence;

    3. Poursuite abusive;

    4. Manquement à la loi, aux politiques et aux procédures; et (arrêt Saskatchewan Wheat pool)

    5. Diffamation

Déclaration, paragraphe 36

  1. [TRADUCTION] À l’encontre de M. Taylor, les demandeurs revendiquent :

    1. Négligence;

    2. Abus de pouvoir; et

    3. Diffamation

Déclaration, paragraphes 44 et 45

  1. La compétence de la Cour fédérale à l’égard d’une partie est décrite par la Cour suprême du Canada dans International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics, 1986 CanLII 91 (C.S.C.), [1986] 1 RCS 752, à la page 766 :

    1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;

    2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence; et

    3. La loi invoquée dans l’affaire doit être une loi du Canada au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

  2. [L]a Cour fédérale n'a pas compétence pour juger les litiges privés, lorsque la cause d'action est censée être, comme c'est le cas ici, la diffamation verbale ou écrite, la fraude et la négligence. [U]n présumé abus d'un pouvoir émanant d'une loi fédérale par un fonctionnaire fédéral, ou un présumé manquement à une obligation créée par une loi fédérale n'était pas en soi suffisant pour respecter le deuxième volet du critère concernant la compétence de la Cour. […] Les droits émanant d'un tel abus de pouvoir ou d'un tel manquement aux obligations prévues par la loi, incluant les actions fautives en tant que titulaire d'une charge publique, proviennent plutôt du droit provincial en matière de responsabilité délictuelle.

Harris c. Canada (Procureur Général), 2004 CF 1051, au paragraphe 22

Leblanc c. Canada (2003), 237 F .T.R. 169, au paragraphe 24; appel rejeté (2004), 256 F .T.R. 8; appel pour d’autres motifs rejeté (2005), 339 N.R. 244 CAF

  1. Les défendeurs fédéraux soutiennent qu’il n’existe pas un ensemble de règles de droit fédéral qui soit essentiel à la solution du litige contre M. Peddle et M. Taylor, car les prétentions contre eux sont essentiellement des responsabilités civiles délictuelles de common law. Les prétentions à leur encontre ne sont pas basées sur un contexte légal fédéral détaillé.

Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine Canadien) et al., (2006), 350 N.R. 113 CAF, aux paragraphes 55 et 60

Stephens Estate et al. v. Minister of National Revenue, (1982), 40 N.R. 620 CAF

  • [18] Qui plus est, à mon avis, même si les demandeurs étaient autorisés à changer leur requête pour plaider également le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique, cela ne signifierait pas que l’action contre les défendeurs M. Peddle et M. Taylor serait étayée par la loi fédérale ou fondée sur celle-ci.

  • [19] Par conséquent, il sera ordonné que le défendeur M. Peddle et le défendeur M. Taylor soient radiés de l’intitulé.

  • [20] Il convient maintenant d’étudier chacune des différentes requêtes des défendeurs afin de radier différents groupes de paragraphes dans la déclaration.

Radiation des paragraphes 8, 12, 16, 24, 26 et 29

  • [21] Selon les défendeurs, ces paragraphes devraient être considérés comme une tentative d’amener implicitement la Cour à établir et à contrôler d’une certaine manière la validité ou l’exactitude des avis de cotisation émis à l’endroit de Central et d’A&E. Bien que les demandeurs réclament expressément des dommages-intérêts dans leur déclaration, les défendeurs voient ces paragraphes comme des contestations accessoires contre ces avis de cotisation.

  • [22] Bien sûr, on ne peut pas demander directement ou indirectement l’examen de l’exactitude ou de la validité d’avis de cotisation dans cette Cour. Je juge Décary de la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit aux paragraphes 19 et 20 de sa décision dans l’arrêt Roitman c. R., 2006 CarswellNat 2299 (Roitman) :

[19] Selon le paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une cotisation est réputée être valide et exécutoire à moins d’être modifiée ou annulée conformément à la procédure d’appel prévue par la Loi. La Cour de l’impôt a compétence exclusive pour déterminer le bien‑fondé des cotisations d’impôt. Cette compétence exclusive est établie par une combinaison du paragraphe 152(8) et de l’article 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu, de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt ainsi que des articles 18, 18.1 et 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[20] Il est établi en droit que la Cour fédérale n’a pas compétence pour attribuer des dommages‑intérêts ou pour accorder toute autre réparation sollicitée sur la base d’une nouvelle cotisation d’impôt non valide, à moins que la nouvelle cotisation n’ait été annulée par la Cour de l’impôt. Si elle attribuait de tels dommages‑intérêts ou accordait une telle réparation, elle se trouverait à permettre de contester accessoirement le bien‑fondé de la cotisation. (Voir M.R.N. c. Parsons, 84 DTC 6345 (C.A.F.), page 6346; Khan c. M.R.N., 85 DTC 5140 (C.A.F.); Optical Recordings Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309 (C.A.), pages 320 et 321; Bechtold Resources Limited c. M.R.N., 86 DTC 6065 (C.F. 1re inst.), page 6067; P.G. Canada c. Webster (2003), 57 DTC 5701 (C.A.F.); Walker c. Canada, 2005 CAF 393; Sokolowska c. La Reine, 2005 CAF 29; Walsh c. Canada (M.R.N.), 2006 CF 56; Henckendorn c. Canada, 2005 CF 802; Angell c. Canada (M.R.N.), 2005 CF 782.)

 

  • [23] On s’attendrait certainement à ce que les parties et leurs avocats connaissent ces enseignements. Au paragraphe 16 de sa décision, le juge Décary indique qu’un juge doit aller au-delà des mots utilisés par les parties pour s’assurer que les déclarations ne constituent pas une tentative déguisée d’amener la Cour à rendre une ordonnance qu’elle n’a pas la compétence de rendre, c’est-à-dire à déterminer la validité ou l’exactitude d’un avis de cotisation.

16.  Une déclaration ne doit pas être prise au pied de la lettre. Le juge doit aller au‑delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée, et il doit s’assurer que la déclaration ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour fédérale un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de cette cour. Pour reprendre les remarques que la Cour suprême du Canada a faites récemment dans l’arrêt Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, au paragraphe 11, lesquelles ont été appliquées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Prentice c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2005 CAF 395, au paragraphe 24, autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême du Canada, 19 mai 2006, CSC 31295, le demandeur n’est pas autorisé à présenter son action de façon un peu artificielle, quant au délit fondé sur la négligence, afin de contourner l’application d’une loi.

  • [24] Par exemple, parmi les paragraphes cités, les paragraphes 8, 12 et 16 de la déclaration énoncent ce qui suit :

    1. [TRADUCTION] Les demandeurs déclarent de façon générale que les premier, troisième et quatrième défendeurs, par l’intermédiaire de leurs fonctionnaires, préposés ou mandataires, ont conspiré pour émettre faussement des avis de cotisation à l’égard des demandeurs pour des sommes payables à l’ARC.

. . .

  1. [TRADUCTION] Lorsque l’ARC est intervenue dans cette affaire, les faits suivants relatifs à l’implication des demandeurs ont été observés :

A) Eli Humby était propriétaire unique de trois sociétés séparées et distinctes, à savoir Humby Enterprises Limited (ci-après appelée « HEL »), CS et A&E.

B) Au moment où l’action a été prise par l’ARC contre les demandeurs, des montants étaient payables par HEL à l’ARC, mais les montants payables par les deuxième et troisième défendeurs à l’ARC étaient négligeables.

C) Les représentants de l’ARC ont émis un avis de « cotisation », et cet avis de « cotisation » a eu pour effet de transférer de façon arbitraire des montants comme étant payables par HEL à CS et A&E, et maintenant ces montants sont réputés être payables par ces sociétés à l’ARC (ce que les demandeurs contestent avec véhémence) (selon la loi régissant l’ARC, un montant cotisé de façon arbitraire ne peut pas faire l’objet d’une exécution.)

. . .

  1. [TRADUCTION] Les demandeurs répètent ce qui précède et déclarent que non seulement ces directives données par l’ARC consistaient à confisquer les biens, à l’encontre d’une entente conclue par l’ARC et les demandeurs, mais qu’elles s’appliquaient également aux biens de CS et A&E (et non à HEL), et étaient fondées sur un avis de cotisation illégal et inexact dans tous les cas. Les demandeurs déclarent que les mesures prises par l’ARC étaient également prématurées par rapport aux avis de cotisation donnés à l’un ou l’autre des demandeurs et que les deuxième et troisième défendeurs n’ont pas eu l’occasion de s’opposer à ces avis de cotisation.

[Mots mis en gras par les demandeurs, mais soulignement ajouté par la Cour.]

  • [25] À mon avis, il est clair que les paragraphes 8, 12 et 16, conformément à l’expression utilisée par le juge Décary au paragraphe 17 du décret Roitman, « . . . mettent carrément en question la validité et le bien-fondé de la nouvelle cotisation. »

  • [26] Par conséquent, il sera ordonné que ces paragraphes soient radiés. Cependant, je ne crois pas que les paragraphes 24 et 26 contiennent une telle contestation accessoire, et ils peuvent de ce fait être conservés dans la déclaration. Il en va de même pour le paragraphe 29 et ses nombreux sous-paragraphes, sauf pour l’ensemble du sous-paragraphe 29(iii), qui sera radié.

Radiation des paragraphes 29(v) (5e paragraphe à la page 14), 34, 36 (page 20, 6e paragraphe non numéroté) et 46

  • [27] Les défendeurs sont d’avis que ces différentes allégations ou différents paragraphes contiennent des contestations diffamatoires qui doivent être perçues comme ne révélant aucune cause d’action valable, étant donné qu’ils ne fournissent aucun fait substantiel pour les soutenir. Les défendeurs demandent par conséquent qu’ils soient radiés.

  • [28] Il est vrai que les paragraphes qui sont mis en doute ne contiennent pas le type de faits substantiels indiqué par les défendeurs au paragraphe 31 de leurs observations écrites. Cependant, compte tenu du fait que l’ordonnance qui accompagne les présents motifs stipulera que les demandeurs doivent signifier et déposer une déclaration modifiée afin que soient prises en compte, notamment, des parties qui ont été radiées, la Cour n’a pas l’intention d’ordonner que ces paragraphes soient radiés; cependant, la Cour ordonnera que les détails révélés par les défendeurs au paragraphe 31 de leurs observations écrites soient indiqués dans les déclarations modifiées, si les demandeurs ont réellement l’intention de fonder leurs contestations sur la diffamation.

Radiation des paragraphes 31, 32, 36 (page 20, 5e paragraphe numéroté) et 45

  • [29] Les défendeurs demandent que ces paragraphes soient radiés au motif qu’ils portent sur l’introduction d’une poursuite malveillante et qu’une telle allégation ne peut être invoquée que dans le cas d’instances criminelles, ce qui n’est pas le cas ici.

  • [30] Je reconnais qu’il n’est possible d’intenter une action pour poursuite malveillante que dans le cas d’une instance criminelle et que ce n’est pas le cas de la présente affaire.

  • [31] Les paragraphes 36 (page 20, paragraphe numéro 5) et 45 des déclarations renvoient précisément à l’introduction d’une poursuite malveillante. Je n’ai pas l’intention toutefois de radier ces paragraphes, mais dans l’ordonnance accompagnant les présents motifs, j’ai l’intention d’ordonner que les mots utilisés dans la déclaration modifiée des demandeurs soient remplacés.

  • [32] Quant aux paragraphes 31 et 32 de la déclaration, l’expression « poursuite malveillante » n’y est pas utilisée en tant que telle, et je ne crois pas que ces paragraphes doivent être radiés.

Radiation des paragraphes 30(i) et 33

  • [33] Les défendeurs font valoir que ces paragraphes constituent une contestation issue de la conspiration et, comme les paragraphes de la déclaration portant sur la diffamation, devraient être perçus comme ne révélant aucune cause d’action valable étant donné qu’ils ne fournissent aucun fait substantiel susceptible de les étayer.

  • [34] Il est vrai que les paragraphes qui sont mis en doute ne contiennent pas le type de faits substantiels indiqués par les défendeurs au paragraphe 41 de leurs observations écrites. Cependant, compte tenu du fait que l’ordonnance qui accompagne les présents motifs stipule que les demandeurs doivent signifier et déposer une déclaration modifiée afin que soient prises en compte, notamment, des parties qui ont été radiées, la Cour n’a pas l’intention d’ordonner que ces paragraphes soient radiés. La Cour ordonnera toutefois que les détails révélés par les défendeurs au paragraphe 41 de leurs observations écrites soient indiqués dans les déclarations modifiées.

Radiation de différents alinéas du paragraphe 53 de la déclaration portant sur les manquements à la Charte

  • [35] Après avoir étudié les prétentions orales et écrites des parties, je conclus qu’il est évident et manifeste que les allégations faites par les demandeurs en vertu du paragraphe 6(2) et de l’article 15 de la Charte ne révèlent aucune cause d’action valable, et ces allégations seront radiées.

  • [36] En ce qui concerne les alinéas, portant sur les articles 7, 8 et 12 de la Charte, ici encore, la Cour n’a pas l’intention de les radier, mais, comme pour les allégations de diffamation et de conspiration, la Cour ordonnera que la déclaration modifiée contienne les détails demandés par les défendeurs.

Radiation de parties du paragraphe 9 de la déclaration

  • [37] Étant donné que la Cour n’a pas accueilli la plupart des requêtes en radiation présentées par les défendeurs, qui sont mentionnées au paragraphe 9 de la déclaration, la Cour ne radiera pas les parties du paragraphe 9 de la déclaration.

Autres réparations

  • [38] De plus, vu que la Cour ordonnera que les paragraphes 8, 12, 16 et l’alinéa 29(iii) de la déclaration soient radiés, elle n’a pas à traiter la requête en suspension des instances dans la présente affaire.

  • [39] La défense des défendeurs doit être signifiée et déposée dans les vingt jours après la signification et le dépôt de la déclaration modifiée des demandeurs.

  • [40] Étant donné que la Cour conclut que le gain de cause quant à cette requête est partagé, aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Richard Morneau »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1363-09

 

INTITULÉ :  ELI HUMBY ET AL c.

  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 5 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :  LE 3 DÉCEMBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert B. Anstey

 

POUR LES DEMANDEURS

Rolf Pritchard

 

POUR LE DEUXIÈME DÉFENDEUR

John J. Ashley

Caitlin Ward

Noel Corriveau

POUR LES PREMIER, TROISIÈME ET QUATRIÈME DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert B. Anstey

St. John’s (Terre-Neuve et Labrador)

 

POUR LES DEMANDEURS

Ministère de la Justice

Gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador

 

POUR LE DEUXIÈME DÉFENDEUR

John H. Sims, QC

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LES PREMIER, TROISIÈME ET QUATRIÈME DÉFENDEURS

 

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