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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20090630

Dossier : T-1870-07

Référence : 2009 CF 686

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

WARREN PECK

demandeur

 

et

 

PARCS CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, M. Warren Peck, sollicite le contrôle judiciaire de la décision prononcée par le représentant de dernier palier du directeur général de Parcs Canada, Michel Latreille, qui a rejeté son grief de classification. Le demandeur, qui a pris sa retraite en 2007, était employé de Parcs Canada depuis 1997 et contestait à la fois le contenu de sa description de travail et le niveau de sa classification. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la présente demande devrait être rejetée.

 

 

LE CONTEXTE

[2]               Warren Peck était le gestionnaire des biens de l’Unité de gestion de la Nouvelle-Écosse continentale (l’UGNEC) pour Parcs Canada du 1er avril 2005 jusqu’à sa retraite le 2 juin 2007. M. Peck a occupé le même poste du 1er avril 1997 au 31 mars 2005, conformément à deux ententes de détachement entre l’employeur de M. Peck, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), et Parcs Canada. La description générale du poste de M. Peck est énoncée dans les deux protocoles d’accord datés du 2 avril 1997 et 17 mars 2003. Elle est libellée comme suit :

[traduction]

 

Fournir à l’interne une expertise professionnelle à l’Unité de gestion relativement au cycle de vie de tous les biens patrimoniaux et contemporains. Cela comprend le fait de donner des avis et conseils professionnels et techniques aux autres gestionnaires de l’Unité de gestion, une expertise en matière de gestion de projets pour l’exécution du programme d’immobilisations et une expertise en matière de gestion des biens pour l’exploitation et l’entretien des installations dans l’ensemble de l’Unité de gestion. Le gestionnaire des biens fera partie de l’équipe de direction de l’Unité de gestion et relèvera du directeur de l’Unité de gestion pour les affectations des tâches courantes.

 

 

[3]               Au cours de la période du 1er avril 1997 au 31 mars 2005, Parcs Canada n’avait ni le pouvoir ni la responsabilité d’établir les conditions d’emploi du demandeur, y compris la classification et le contenu de la description de travail. Ce pouvoir relevait du Conseil du Trésor, puisque le demandeur était officiellement employé de TPSGC, ce que confirment les deux protocoles d’accord, rédigés en partie comme suit :

[traduction]

 

Le présent protocole d’accord a pour objet de fournir un cadre pour l’affectation d’un gestionnaire de projets de TPSGC à l’Unité de gestion de la Nouvelle-Écosse continentale de Parcs Canada…

 

Les conditions générales

 

1.      Le gestionnaire des biens en affectation continuera d’être employé de TPSGC, relevant du chef, programme des transports et des immobilisations, pour toutes les questions de ressources humaines et pour l’orientation professionnelle concernant les questions techniques et contractuelles […]

 

2.      TPSGC continuera d’assumer tous les coûts salariaux, sous réserve des modalités du protocole d’accord conclu entre Parcs Canada – Patrimoine Canada et TPSGC, et modifications […]

 

Les fonctions du gestionnaire des biens

 

1.      Le gestionnaire des biens relève du gestionnaire de l’Unité de gestion relativement à toutes les fonctions quotidiennes courantes liées à l’Unité de gestion. Toutefois, le gestionnaire des biens relèvera du chef, Programme des transports et des immobilisations, pour les questions de ressources humaines (c’est-à-dire les congés, la dotation en personnel, les questions de relations de travail, les griefs et ainsi de suite), parce que le poste demeure à TPSGC; et pour le contrôle de la qualité professionnelle et technique lié au travail.

 

 

[4]               Avant le 1er avril 1997, TPSGC avait classifié le demandeur au niveau EG-07. L’abréviation EG désigne le groupe professionnel Soutien technologique et scientifique. Lorsque le demandeur est devenu employé de Parcs Canada le 1er avril 2005, il a conservé sa classification au niveau EG-07, malgré le fait que la plupart des autres gestionnaires de biens étaient alors classifiés au niveau inférieur AS-05.

 

[5]               Le 1er avril 1999, l’Agence Parcs Canada est devenue un organisme distinct au sens de l’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (LRTFP) et tel que le définit l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R. ch. F‑10 (LGFP). En conséquence, l’employeur des employés de Parcs Canada n’était plus le Conseil du Trésor, mais Parcs Canada même.

 

[6]               Lorsque l’Agence Parcs Canada est devenue un organisme distinct, elle a promis à ses employés de revoir les descriptions de travail et les classifications pour assurer que les classifications soient correctes et équitables en vertu d’un projet appelé Examen national de la classification. L’employé qui bénéficiait d’une classification plus élevée par suite de l’Examen national de la classification voyait son salaire augmenter au niveau plus élevé de la nouvelle classification, rétroactivement au 1er avril 1997.

 

[7]               Historiquement, Parcs Canada s’appuyait sur TPSGC pour l’expertise en ingénierie et en architecture et pour la surveillance des grands travaux de construction. Parcs Canada a décidé d’améliorer sa capacité d’être un client éclairé du point de vue technique et de surveiller les grands travaux de construction. Un élément clé de cette décision était que les gestionnaires des biens devaient posséder plus de connaissances dans ces domaines. Il a été décidé d’engager des ingénieurs, qui étaient réputés avoir plus de connaissances et d’aptitudes. Selon la position de Parcs Canada, en détenant un diplôme en génie, les gestionnaires des biens apporteraient une contribution plus grande au travail, seraient mieux placés pour évaluer les propositions des experts et il serait possible de leur confier plus de pouvoirs à l’égard de la planification et de la gestion de projets plus importants.

 

[8]               Non seulement la décision d’engager des ingénieurs pour pourvoir tous les postes vacants à venir a-t-elle été prise, mais également celle de nommer les gestionnaires des biens en poste titulaires d’un diplôme d’ingénieur au groupe PM (Administration des programmes) afin de combiner leur expertise professionnelle à des responsabilités de gestion. Il s’agit du groupe dans lequel les postes de cadres supérieurs les plus élevés sont classifiés. Une seule personne a été classifiée de façon rétroactive dans le groupe PM et cette personne était titulaire d’un diplôme d’ingénieur.

 

[9]               D’autres employés qui n’étaient pas titulaires de diplômes d’ingénieur ont été reclassifiés rétroactivement du niveau AS-05 au niveau plus élevé EG-07. Puisque le demandeur a été détaché à Parcs Canada de TPSGC à titre de EG-07 et qu’il a conservé sa classification EG-07 à Parcs Canada, il n’a pas obtenu d’augmentation de niveau. En effet, il a été traité comme tous les autres gestionnaires des biens qui ne détenaient pas un diplôme d’ingénieur.

 

[10]           Le demandeur contestait à la fois le contenu de la description de travail et le niveau de classification dans son grief daté du 18 avril 2006. Le 2 avril 2007, M. Latreille, représentant de dernier palier du directeur général de Parcs Canada, a rejeté son grief. Voilà la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[11]           M. Peck a déposé un grief à l’égard de la décision concernant sa classification dans les termes suivants :

[traduction]

 

L’Examen national de la classification a choisi une description de travail générique de référence (Gestionnaire, Exploitation des biens, EG-07) qui ne reflète pas le profil de travail et les activités principales du poste de gestionnaire des biens au sein de l’UGNEC. La description ne reflète pas les défis en matière d’architecture et d’ingénierie d’Entretien et exploitation et du Programme des immobilisations, de même que la complexité inhérente au poste de gestionnaire des biens.

 

 

[12]           Essentiellement, selon le grief de M. Peck, il accomplissait le travail décrit dans la description de travail PM-06 depuis 1997 à un niveau [traduction] « supérieur » et, par conséquent, il devait obtenir la classification PM-06.

 

[13]           M. Peck a présenté un mémoire écrit à l’appui de son grief. De plus, le supérieur immédiat et l’ancien supérieur de M. Peck étaient tous deux fermement d’avis que les activités principales du poste de gestionnaire des biens au sein de l’UGNEC répondaient aux activités principales décrites dans la description des fonctions PM-06 ou les dépassaient. Les supérieurs de M. Peck ont également exprimé l’opinion que l’absence d’un diplôme en génie ou en architecture n’empêcherait pas M. Peck de s’acquitter des responsabilités du poste PM-06.

 

[14]           M. Latreille a interrogé M. Peck, de même que ses supérieurs immédiats passé et actuel, mais a rejeté le grief de M. Peck. Dans sa lettre du 2 avril 2007, M. Latreille a tout d’abord indiqué que la direction possédait [traduction] « une latitude assez importante concernant l’application des normes de classification et la fixation des exigences de qualifications en vue des nominations ». Il a ensuite résumé brièvement le processus en vertu duquel la description de travail des gestionnaires des biens a été transformée et ne pouvait trouver rien à redire à propos de ce processus [traduction] « puisqu’il revient exclusivement à la direction de le faire et que vos droits en matière d’emploi étaient pleinement protégés ».

 

[15]           S’attardant plus particulièrement aux griefs du demandeur, M. Latreille a alors écrit ce qui suit :

[traduction]

 

J’examine maintenant la question essentielle de choisir le groupe de classification applicable à la nouvelle position de gestionnaire des biens : EG, ENG ou PM. Dans la fonction publique, il est rare que des fonctions officielles d’ingénieur soient classifiées dans le groupe EG. On ne pouvait donc choisir que les groupes ENG ou PM pour les nouvelles les descriptions de travail « prospectives ». Le groupe ENG est un groupe à l’égard duquel le critère d’inclusion est très précis, alors que le groupe PM est un groupe de nature plus généraliste dans lequel nous trouvons plusieurs types de postes de la haute direction exigeant un large éventail de qualifications. Dans l’ensemble de la fonction publique, le groupe PM a été largement utilisé pour combiner les connaissances techniques professionnelles et les aptitudes pour la haute direction. On ne peut reprocher à Parcs Canada de suivre cette voie, même si cette combinaison peut ne pas avoir été répandue auparavant à l’Agence. L’Agence soutient qu’elle sert également à renforcer l’équité au conseil de gestion local lorsque les plus hauts dirigeants ont le même niveau de classification ou appartiennent au même groupe de classification.

 

Le dernier point concernant le niveau PM est que Parcs Canada maintient fermement son refus de vous nommer gestionnaire principal PM, parce que vous ne détenez pas un diplôme d’ingénieur. Ayant conclu que l’exigence du diplôme d’ingénieur n’est pas déraisonnable et que la haute direction a le droit de l’imposer, je ne peux pas infirmer la décision de ne pas vous nommer au niveau PM-6. Cette exigence quant à la nomination n’est pas différente de plusieurs autres qu’impose l’Agence dans plusieurs circonstances et la situation ne serait pas différente si l’Agence avait décidé de reclassifier la position dans le groupe ENG et qu’elle avait refusé de vous nommer pour les mêmes motifs. Il ne faut pas oublier que ce nouveau concept était destiné à être de nature « prospective ».

 

Cela m’amène maintenant à examiner le niveau de classification et la description générique qui vous ont été attribués pour refléter le travail que vous avez fait jusqu’à maintenant, celui de gestionnaire, Exploitation des biens EG-07. J’ai examiné avec soin la nature de votre travail, l’étendue de vos fonctions, vos responsabilités en matière de gestion, de même que la valeur des biens (sites historiques, infrastructures-construction et ainsi de suite), en vue de déterminer les éléments à prendre en compte dans l’analyse et l’évaluation de l’objet principal du travail accompli. Je conclus que la description de travail générique décrit équitablement en termes génériques votre travail et vos responsabilités. De plus, l’évaluation sommaire s’ajoute à la description et toutes deux présentent une situation globale raisonnable de vos fonctions. […]

 

Après avoir examiné la norme de classification EG, je conclus que la cotation numérique et le résultat EG-7 sont appropriés et compatibles avec la norme de cotation numérique pour le groupe EG.

 

 

LA Question en litige

[16]           M. Peck soutient essentiellement qu’il n’a pas été traité équitablement parce qu’il n’a pas obtenu la classification PM-06, malgré le fait qu’il a démontré la capacité d’accomplir le travail pendant dix années de rendement supérieur, et parce qu’il a obtenu la même classification que les 22 autres gestionnaires des biens, bien que son travail ait comporté un niveau plus élevé de responsabilités et de complexité. En conséquence, la question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision rendue par M. Latreille est susceptible de contrôle, selon la norme de contrôle judiciaire applicable à une telle décision.

 

ANALYSE

[17]           Pour déterminer la norme de contrôle applicable, les tribunaux doivent d’abord vérifier si la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle pour ce genre de question en particulier (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62). Bien que les parties ne m’aient pas renvoyé à de la jurisprudence concernant la norme de contrôle à appliquer à une décision de classification de dernier palier rendue en vertu de la LRTFP (Loi sur les relations de travail dans la fonction publique), le point de vue dominant était que les mêmes décisions en vertu de la loi antérieure (Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (l’ancienne loi)) étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir, par exemple, Trépanier c. Canada (P.G.), 2004 CF 1326; Adamidis c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 243; Utovac c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 643; Julien c. Canada (P.G.), 2008 CF 115; Cox c. Canada (P.G.), 2008 CF 596. La procédure de règlement des griefs en vertu de la nouvelle LRTFP étant fort semblable à celle qui se trouve dans l’ancienne loi et la clause privative dans les deux lois étant identiques (le paragraphe 96(3) dans l’ancienne loi et maintenant l’article 214 dans la LRTFP), la même norme de contrôle devrait s’appliquer aux deux. Évidemment, la norme de la décision manifestement déraisonnable et la norme de la décision raisonnable simpliciter ont été fondues en une seule norme unique de la raisonnabilité par suite de l’arrêt de la Cour suprême dans Dunsmuir, et cela doit être pris en compte.

 

[18]           Quoi qu’il en soit, il ressort clairement de l’analyse contextuelle des facteurs pertinents pour décider du degré de retenue approprié que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité.

 

[19]           Tel qu’il a déjà été mentionné, la LRTFP contient une clause privative stricte (l’article 214) qui milite en faveur d’une grande retenue judiciaire.

 

[20]           La LRTFP est une loi polycentrique destinée à résoudre des questions « touchant des objectifs de politique contradictoires ou les intérêts de groupes différents » et n’est pas simplement un forum contradictoire pour résoudre les différends entre deux parties (Trépanier c. Canada (P.G.), précitée, au paragraphe 23. À cet égard, les conflits de travail au sein de la fonction publique sont différents des conflits semblables dans le secteur privé. La Cour a déclaré ce qui suit dans Ryan c. Canada (P.G.), 2005 CF 65, au paragraphe 15 : « Ainsi, la résolution des différends de la fonction publique, en raison de sa nature même, est de nature polycentrique et non bipolaire et elle justifie un niveau plus élevé de retenue. » Ce facteur milite également en faveur d’une norme de contrôle qui fait appel à un plus grand degré de retenue.

 

[21]           La question en litige dont était saisi le décideur de dernier palier était une question mixte de fait et de droit. Elle concerne la compréhension du régime de classification et de nomination de Parcs Canada, qui est un régime distinct qui comporte l’interaction de politiques et de procédures, ainsi qu’une compréhension approfondie des principes sous-jacents. La nature de la question concorde avec l’expertise du décideur en l’espèce. Ce facteur milite en faveur d’une approche mettant davantage l’accent sur la retenue judiciaire.

 

[22]           L’affidavit de M. Latreille montre son expertise dans ce domaine. Il œuvre dans le domaine de la classification et des nominations depuis plusieurs années et il est le mieux en mesure de comprendre les politiques et les principes sous-jacents qui participent des normes de classification et de l’application de ces normes aux faits particuliers en cause en l’espèce.

 

[23]           Pour tous ces motifs, la norme de contrôle applicable est la norme de la raisonnabilité. Le demandeur ne conteste pas l’application de la norme de la raisonnabilité. Une telle norme sera satisfaite si la décision est étayée par des motifs qui peuvent résister à un examen assez poussé (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 57; voir également Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55).

 

[24]           Il est nécessaire de distinguer clairement la norme de la décision correcte de la norme de la raisonnabilité. Lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si une décision est déraisonnable, une cour de révision ne devrait pas se demander ce que peut être ou devrait être la décision correcte. Comme l’a souligné la cour dans l’arrêt Ryan (aux paragraphes 50 et 51), il y aura souvent plus d’une seule bonne réponse à une question assujettie à un contrôle et la norme de la raisonnabilité permet que la retenue soit accordée.

 

[25]           Il ne suffit pas de présenter à la Cour une approche de rechange qui pourrait également être décrite comme étant raisonnable. La nature même de la norme de la raisonnabilité englobe plusieurs approches qui pourraient être décrites comme étant raisonnables.

 

[26]           Ainsi, il incombe clairement à un demandeur d’établir devant la cour de révision que la décision en cause ne pourrait pas résister à un examen assez poussé. Que l’approche présentée par le demandeur soit également raisonnable ou non n’est pas pertinent pour la tâche à accomplir par la cour.

 

[27]           J’examinerai maintenant le bien-fondé de la présente demande et quelques remarques préliminaires s’imposent. Premièrement, je suis d’accord avec le défendeur que, pendant la période du 1er avril 1997 au 31 mars 2005, Parcs Canada n’avait pas le pouvoir ni la responsabilité de fixer les conditions d’emploi du demandeur, y compris la classification et le contenu de la description de travail. Au cours de cette période, ce pouvoir appartenait au Conseil du Trésor, représenté par TPSGC. Ce point a été confirmé dans les deux protocoles d’accord conclus entre TPSGC et Parcs Canada, qui ont détaché le demandeur à Parcs Canada et que j’ai déjà mentionnés au paragraphe 3 des présents motifs. En conséquence, tout grief que peut avoir le demandeur à l’égard de la période précédant le moment où il est devenu employé de Parcs Canada vise le Conseil du Trésor.

 

[28]           Outre les protocoles d’accord qui énoncent les responsabilités respectives de TPSGC et de Parcs Canada, celle‑ci est clairement un organisme distinct depuis le 1er avril 1999. La LRTFP définit Parcs Canada comme un employeur distinct du Conseil du Trésor (voir la définition du mot « employeur » à l’article 2 de la LRTFP et l’annexe V de la LGFP). De même, la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31 (LAPC) prévoit que les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la LGFP, qui énoncent les pouvoirs du Conseil du Trésor et des administrateurs généraux relativement à la gestion des ressources humaines, ne s’appliquent pas à l’Agence (le paragraphe 13(3) de la LAPC). La Loi accorde expressément à l’Agence le pouvoir exclusif d’agir à titre d’employeur indépendamment du Conseil du Trésor.

 

[29]           Cela a été confirmé récemment dans une décision arbitrale rendue en vertu de l’article 209 de la LRTFP. Dans Hillarie Zimmermann c. Conseil du Trésor (M.A.I.N.C.), [2008] C.R.T.F.P.C. 87, l’arbitre a confirmé que Parcs Canada est un employeur distinct, rejetant l’argument de la fonctionnaire s’estimant lésée selon lequel elle était employée par le « gouvernement fédéral ». En conséquence, le pouvoir de l’Agence de répondre au grief du demandeur est limité à la période au cours de laquelle il était employé de l’Agence Parcs Canada.

 

[30]           Deuxièmement, il est incontestable que M. Peck a toujours accompli son travail à un haut niveau, tel que le montrent ses évaluations de rendement extrêmement favorables de 1997 à 2006. Ce point est reconnu par Parcs Canada. Dans son contre-interrogatoire, M. Latreille déclare que [traduction] « M. Peck a fait preuve d’un niveau élevé d’aptitudes, de connaissances et d’expertise » et a convenu que les évaluations de rendement de M. Peck étaient [traduction] « supérieures » et « témoignent d’un niveau élevé de compétence ».

 

[31]           La seule raison pour laquelle M. Peck n’a pas obtenu la classification PM-06 était qu’il ne détenait pas un diplôme d’ingénieur, comme l’indique clairement la décision de M. Latreille. M. Peck ne nie pas que Parcs Canada pouvait fixer les qualifications requises pour un emploi particulier, ni qu’il pouvait exiger un diplôme d’ingénieur pour le poste PM-06. Ce qu’il conteste est la décision lui refusant cette classification sans tenir compte des 27 années d’expérience et du fait qu’il a accompli les fonctions du poste PM-06 à un niveau supérieur, alors qu’il travaillait dans un poste classifié EG-07. En d’autres mots, il ne s’oppose pas au droit de Parcs Canada d’établir les qualifications pour l’avenir, mais il prétend que les opinions de ses supérieurs selon lesquelles il était qualifié pour le poste en raison de son expérience professionnelle auraient dû être dûment prises en compte et qu’il n’y a eu aucune comparaison entre ce qu’il a accompli réellement et la description PM-06 (pas plus qu’il n’y en a eu une entre son travail et celui des 23 autres gestionnaires des biens). À son avis, cela était inéquitable et contraire au principe du salaire semblable pour un travail semblable de classifier et de rémunérer différemment des personnes qui accomplissaient le même travail, en fonction d’une qualification rétroactive (c’est-à-dire l’exigence d’un diplôme d’ingénieur).

 

[32]           Bien que la Cour comprenne la frustration de M. Peck pour avoir été traité différemment parce qu’il ne détenait pas un diplôme d’ingénieur, elle ne peut trouver aucun fondement en droit pour annuler la décision de M. Latreille. À l’instar du Conseil du Trésor relativement aux employés de la fonction publique, le pouvoir de Parcs Canada à l’égard des conditions d’emploi est défini de façon large et comprend assurément le pouvoir sans limites de classifier les postes. L’article 13 de la LAPC est rédigé comme suit :

Personnel

13. (1) Le directeur général a le pouvoir exclusif :

a) de nommer, mettre en disponibilité ou licencier les employés de l’Agence;

b) d’élaborer des normes, procédures et méthodes régissant la dotation en personnel, notamment la nomination, la mise en disponibilité ou le licenciement autre que celui qui est motivé.

 

Droit de l’employeur

(2) La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du directeur général de régir les questions visées à l’alinéa (1)b).

 

Gestion des ressources humaines

(3) Les paragraphes 11.1(1) et 12(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne s’appliquent pas à l’Agence et le directeur général peut :

a) déterminer l’organisation de l’Agence et la classification des postes au sein de celle-ci;

b) fixer les conditions d’emploi — y compris en ce qui concerne le licenciement motivé — des employés ainsi que leur assigner des tâches;

c) réglementer les autres questions dans la mesure où il l’estime nécessaire pour la bonne gestion des ressources humaines de l’Agence.

 

 

[33]           Le pouvoir de Parcs Canada de fixer les conditions d’emploi, notamment la classification, est illimité. Comme l’a indiqué la Cour dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Commission canadienne des grains), [1986] A.C.F. no 498, à la page 9, « …l’employeur peut, dans l’exercice de ses fonctions de gestion, faire ce qui ne lui est pas expressément ou implicitement interdit par la loi ». Voir aussi Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236.

 

[34]           Ce pouvoir illimité de classifier un poste est prévu à l’article 7 de la LRTFP, qui est rédigé comme suit :

 

Maintien du droit de l’employeur

 

7. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique fédérale à l’égard duquel il représente Sa Majesté du chef du Canada à titre d’employeur, à l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

 

 

[35]           La Cour d’appel fédérale a confirmé l’étendue du pouvoir de l’employeur dans l’arrêt Brochu c. Canada (Conseil du Trésor), [1992] A.C.F. no 1057 (à la page 3). Même si l’arrêt concernait le Conseil du Trésor à titre d’employeur, les principes s’appliquent de la même façon à Parcs Canada :

La responsabilité en matière de classification des postes appartient au Conseil du Trésor et aux ministères à qui il la délègue. […] Le pouvoir de ces derniers de classifier des fonctions emporte celui de refuser une classification lorsque la description qui est faite de la fonction ne rencontre pas les normes ou ne cadre pas avec la structure organisationnelle de l’institution.

 

[Renvoi omis.]

 

 

[36]           Le pouvoir d’établir les normes de classification et les qualifications minimales pour les postes est implicite dans le pouvoir de classifier. Comme l’a souligné la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Babcock c. Canada (P.G.), 2005 BCSC 513, au paragraphe 174 :

[traduction]

 

La LGFP autorise le Conseil du Trésor du Canada à fixer unilatéralement les conditions d’emploi, à classifier les postes, à fixer les taux de rémunération et à administrer les salaires des employés de la fonction publique non représentés ou exclus.

 

 

[37]           Alors que la décision Babcock concerne le pouvoir du Conseil du Trésor en tant qu’employeur, elle s’applique de la même manière à Parcs Canada en tant qu’employeur. Il semblerait donc que Parcs Canada peut tout faire à l’intérieur du vaste pouvoir qui lui est conféré par la loi en tant qu’employeur et qui n’est pas précisément limité par la loi ou qui ne l’est pas par inférence.

 

[38]           Le demandeur s’est appuyé sur plusieurs décisions qui, à son avis, permettent d’affirmer que l’expérience professionnelle acquise au travail est pertinente quant à la question de savoir si une personne est qualifiée pour un poste et qu’une personne ne devrait pas être considérée comme non qualifiée du seul fait qu’elle ne détient pas officiellement une qualification officielle fixée par l’employeur. (Voir, par exemple, IMP Group Limited c. Local 2215 (2002), 205 N.S.R. (2d) 179; Montreal Children’s Hospital c. Federation of United Nurses Union, local 220 (1974), 8 L.A.C. (2d) 17; Sunbeam Home c. London and District Service Workers Employees’ Union, local 368 (1977), 14 L.A.C. (2d) 350.

 

[39]           Ces décisions se distinguent toutefois de la présente affaire. Premièrement, elles se rapportent toutes à la jurisprudence arbitrale du secteur privé. Dans aucune de ces décisions, un employeur n’exerçait un pouvoir conféré par la loi pour fixer les conditions d’emploi. Contrairement à la situation d’un employeur privé lié par une convention collective, Parcs Canada peut, dans le cadre de sa fonction de gestion, faire ce que la loi n’interdit pas expressément ou par inférence. Tel que cela a déjà été mentionné, le pouvoir de Parcs Canada en matière de classification est illimité. En exigeant un diplôme d’ingénieur et une attestation d’ingénieur pour le poste de gestionnaire des biens, niveau III (ingénieur), Parcs Canada exerçait son large pouvoir de gestion à titre d’employeur distinct.

 

[40]           De plus, aucune de ces décisions ne visait des qualifications professionnelles. Parcs Canada soutient que le fait de détenir un diplôme d’ingénieur permet à une personne de [traduction] « faire une contribution plus importante au travail ». Aussi difficile que puisse être l’évaluation de qualifications, il n’est assurément pas déraisonnable de supposer que l’expérience professionnelle n’équivaut pas à la compétence professionnelle qui découle d’un diplôme universitaire et de l’appartenance à un organisme autoréglementé avec toutes ses attestations inhérentes et exigences en matière de formation continue. Enfin, les conventions collectives en vertu desquelles les différends sont survenus dans ces décisions contiennent une clause selon laquelle l’expérience antérieure serait prise en compte ou qu’une qualification précise serait privilégiée. La description de travail en cause en l’espèce ne contient aucune mention à cette fin.

 

[41]           Quoi qu’il en soit, le demandeur ne conteste pas le pouvoir de Parcs Canada d’exiger un diplôme d’ingénieur pour la classification PM-06. Ce qui est contesté est le pouvoir d’imposer cette exigence rétroactivement. Cependant, une fois qu’il est admis que Parcs Canada a le pouvoir d’imposer cette exigence pour l’avenir, il n’existe tout simplement pas de fondement pour nier ce même pouvoir rétroactivement.

 

[42]           Enfin, le demandeur tente de s’appuyer sur le principe du « salaire égal pour un travail égal » pour étayer ses arguments. Malheureusement pour M. Peck, il n’existe pas un droit indépendant à l’égard de l’équité salariale et l’affirmation selon laquelle il est applicable en l’espèce ne repose sur aucun fondement juridique. Le fait qu’une note de service interne trouvée sur le site intranet de Parcs Canada présentant un rapport sur l’état du processus de l’Examen national déclare que [traduction] « l’objectif est de s’assurer que les employés qui accomplissent un travail semblable reçoivent une rémunération semblable sans égard à leur lieu de travail » n’est pas suffisant pour incorporer le principe du « salaire égal pour un travail égal » dans la loi. Cette politique est présentée comme un objectif et n’était clairement pas destinée à entraver le pouvoir conféré à Parcs Canada par la loi. Quoi qu’il en soit, Parcs Canada adopte la position selon laquelle le travail accompli par des personnes qui ne sont pas des ingénieurs n’est pas un travail égal au travail accompli par des ingénieurs. Comme je l’ai indiqué précédemment, cette position ne m’apparaît pas déraisonnable.

 

[43]           La notion qui se rapproche le plus de ce principe est la rémunération d’intérim, c’est-à-dire lorsque l’employé affirme avoir substantiellement accompli un travail ne relevant pas de son groupe et de son niveau, mais d’un groupe et d’un niveau plus élevés. Toutefois, le demandeur n’a pas déposé un grief de rémunération d’intérim. En effet, le dossier ne contient aucune disposition de convention collective ou de politique prévoyant une rémunération d’intérim. Il est bien établi en droit qu’un demandeur ne peut pas soulever une question pour la première fois à l’occasion d’un contrôle judiciaire.

 

[44]           De plus, le dossier ne contient aucun contrat ni politique qui étaierait un argument en faveur de la rémunération d’intérim (qu’elle soit caractérisée par le principe du « salaire égal pour un travail égal » ou autrement). La Cour a confirmé qu’une convention collective ou une politique de l’employeur doit expressément contenir une telle exigence. Quoi qu’il en soit, il est bien établi que lorsque l’employé accomplit les fonctions de son poste, mais dépose un grief selon lequel les mêmes fonctions sont classifiées à un niveau plus élevé dans d’autres postes, il ne s’agit pas d’un grief de rémunération d’intérim, mais d’un grief de classification (voir, par exemple, Gvildys c. Conseil du Trésor (Santé Canada), [2002] C.R.T.F.P.C. 86).

 

[45]           Pour tous les motifs qui précèdent, j’en viens donc à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ordonnance

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1870-07

 

Intitulé :                                       WARREN PECK c. PARCS CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 12 mai 2009        

 

Motifs de l’ordonnance

et ordonnance :                       le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’AUDIENCE :                     le 30 juin 2009

 

Comparutions :

 

Colin D. Bryson

Pour le demandeur

WARREN PECK

 

Richard Fader

Pour LA DÉFENDERESSE

PARCS CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blois, Nickerson & Bryson

C.P. 2147

1568, rue Hollis

Halifax (Nouvelle-Écosse)  B3J 3B7

902-429-7347

Pour le demandeur

WARREN PECK

 

 

 

 

Ministère de la Justice

Groupe du droit du travail et de l’emploi

L’Esplanade Laurier

5e étage, Tour Ouest

300, avenue Laurier Ouest

Ottawa (Ontario)  K1A 0R5

Pour lA DÉFENDERESSE

PARCS CANADA

 

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