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Date : 20100113

Dossier : T-1078-08

Référence : 2010 CF 39

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

JOHN DETORAKIS

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 51.2 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 4 juin 2008 (la décision) par laquelle le Commissariat à l’intégrité du secteur public (le Commissariat) a refusé de recevoir les divulgations faites par le demandeur et de mettre des services de consultation juridique à sa disposition.

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur était un employé de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la CCSN). Il a présenté une demande d’accès à l’information à la CCSN en 2003 et en 2006.

 

[3]               Avec le temps, le demandeur en est venu à penser que des dossiers publics avaient été cachés ou tronqués pour entraver sa demande de divulgation. Il craignait aussi que des preuves aient été fabriquées en vue de nuire au déroulement d’une instance devant un tribunal.

 

[4]               Le demandeur a tenté de faire enquêter sur ses plaintes par le Commissariat à l’information. Toutefois, comme sa plainte avait été soumise après l’expiration du délai de prescription d’un an, le Commissariat à l’information a estimé qu’il ne pouvait connaître de l’affaire. On a expliqué au demandeur qu’il pouvait soumettre de nouveau sa demande d’accès à l’information à la CCSN. 

 

[5]               Le demandeur a ensuite écrit à la Commissaire à l’intégrité du secteur public (la commissaire) pour lui demander d’instruire ses plaintes. Il a exprimé à la commissaire ses préoccupations au sujet du fait que le Commissariat à l’information n’avait pas déféré sa plainte à une autre autorité compétente pour enquêter sur sa plainte.

 

DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

 

[6]               À la lumière des pièces soumises par le demandeur, la commissaire s’est dite convaincue que les préoccupations exprimées par celui-ci avaient trait à des demandes d’accès à l’information présentées au sein de sa propre institution. Elle a fait observer que le demandeur tentait par ailleurs de déposer une plainte au sujet de la réponse que le Commissariat à l’information avait donnée à sa plainte.

 

[7]               La commissaire a estimé que les plaintes que le demandeur avait déposées auprès du Commissariat à l’information avaient fait l’objet d’une enquête et que le demandeur était tout simplement insatisfait des résultats de l’enquête.

 

[8]               Appliquant le paragraphe 24(1) de la Loi, la Commissaire a estimé que les plaintes du demandeur s’inscrivaient dans le cadre d’une procédure prévue par une autre loi fédérale.

 

[9]               La commissaire a également fait observer que le demandeur pouvait s’adresser aux autorités policières locales au sujet des actes criminels dont il se prétendait victime, de même qu’au sujet de ses allégations selon lesquelles des dossiers publics avaient été cachés ou tronqués et de ses préoccupations quant à la fabrication de preuves.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           Le demandeur, qui se représente lui-même, soulève les questions suivantes dans la présente demande :

 

1.                  En quoi doit consister l’équité procédurale lorsqu’un fonctionnaire divulgue un acte répréhensible commis au sein de la fonction publique et demande qu’on mette des services de consultation juridique à sa disposition au sujet des représailles dont il aurait été victime à la suite de cette divulgation?

2.                  Y a-t-il eu, en l’espèce, manquement aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle?

3.                  La commissaire a-t-elle commis une erreur en décidant qu’il a été donné suite à la divulgation des infractions visées par l’article 67.1 de la Loi?

4.                  Si la commissaire n’a pas commis d’erreur, sa décision était-elle déraisonnable en raison de son inférence que la police était l’autorité compétente pour faire enquête sur les allégations d’actes criminels se rapportant à la dissimulation de documents?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[11]           Voici les articles de la Loi qui s’appliquent en l’espèce :

 

15.1 Le fonctionnaire qui fait une divulgation au titre de la présente loi :

 

a) ne communique que les renseignements qui sont raisonnablement nécessaires pour faire la divulgation;

 

b) se conforme aux règles et procédures relatives à la manipulation, la conservation, le transport et la transmission de renseignements ou documents, notamment ceux à l’égard desquels le gouvernement fédéral ou un élément du secteur public prend des mesures de protection.

 

...

 

22. Le commissaire exerce aux termes de la présente loi les attributions suivantes :

 

a) fournir des renseignements et des conseils relatifs aux divulgations faites en vertu de la présente loi et à la tenue des enquêtes menées par lui;

 

b) recevoir, consigner et examiner les divulgations afin d’établir s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite;

 

 

c) mener les enquêtes sur les divulgations visées à l’article 13 ou les enquêtes visées à l’article 33, notamment nommer des personnes pour les mener en son nom;

 

 

 

d) veiller à ce que les droits, en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, des personnes mises en cause par une enquête soient protégés, notamment ceux du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible;

 

e) sous réserve de toute autre loi fédérale applicable, veiller, dans toute la mesure du possible et en conformité avec les règles de droit en vigueur, à ce que l’identité des personnes mises en cause par une divulgation ou une enquête soit protégée, notamment celle du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible;

 

f) établir des procédures à suivre pour le traitement des divulgations et assurer la confidentialité des renseignements recueillis relativement aux divulgations et aux enquêtes;

 

g) examiner les résultats des enquêtes menées sur une divulgation ou commencées au titre de l’article 33 et faire rapport de ses conclusions aux divulgateurs et aux administrateurs généraux concernés;

 

h) présenter aux administrateurs généraux concernés des recommandations portant sur les mesures correctives à prendre et examiner les rapports faisant état des mesures correctives prises par les administrateurs généraux à la suite des recommandations;

 

i) recevoir et examiner les plaintes à l’égard des représailles, enquêter sur celles-ci et y donner suite.

 

...

 

Refus d’intervenir

 

    24. (1) Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime, selon le cas :

 

a) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle‑ci;

...

 

25.1 (1) Le commissaire peut mettre des services de consultation juridique à la disposition des personnes suivantes :

 

a) tout fonctionnaire qui envisage de divulguer un acte répréhensible en vertu de la présente loi;

 

b) toute personne autre qu’un fonctionnaire qui envisage de communiquer des renseignements au commissaire concernant un acte ou une omission susceptible de constituer un acte répréhensible en vertu de la présente loi;

 

c) tout fonctionnaire qui a fait une divulgation en vertu de la présente loi;

 

d) toute personne qui participe ou a participé à une enquête menée par un agent supérieur ou le commissaire, ou en son nom, en vertu de la présente loi;

 

e) tout fonctionnaire qui envisage de présenter une plainte en vertu de la présente loi concernant les représailles dont il aurait été victime;

 

f) toute personne qui participe ou a participé dans une procédure visée par la présente loi concernant de prétendues représailles.

 

(2) Il ne peut mettre des services de consultation juridique à la disposition de l’intéressé que si celui-ci le convainc qu’il ne peut autrement obtenir gratuitement des conseils juridiques.

 

Condition supplémentaire

 

25.1 (3) Il ne peut non plus mettre des services de consultation juridique à la disposition du fonctionnaire visé à l’alinéa (1)a) ou de la personne visée à l’alinéa (1)b) que s’il est d’avis que la divulgation ou les renseignements portent sur un acte ou une omission susceptible de constituer un acte répréhensible en vertu de la présente loi et qu’ils pourraient mener à la tenue d’une enquête en vertu de celle‑ci.

 

15.1 In making a disclosure under this Act, a public servant must

 

(a) provide no more information than is reasonably necessary to make the disclosure; and

 

(b) follow established procedures or practices for the secure handling, storage, transportation and transmission of information or documents, including, but not limited to, information or documents that the Government of Canada or any portion of the public sector is taking measures to protect.

 

...

 

22. The duties of the Commissioner under this Act are to

 

(a) provide information and advice regarding the making of disclosures under this Act and the conduct of investigations by the Commissioner;

 

(b) receive, record and review disclosures of wrongdoings in order to establish whether there are sufficient grounds for further action;

 

(c) conduct investigations of disclosures made in accordance with section 13, and investigations referred to in section 33, including to appoint persons to conduct the investigations on his or her behalf;

 

 

(d) ensure that the right to procedural fairness and natural justice of all persons involved in investigations is respected, including persons making disclosures, witnesses and persons alleged to be responsible for wrongdoings;

 

 

(e) subject to any other Act of Parliament, protect, to the extent possible in accordance with the law, the identity of persons involved in the disclosure process, including that of persons making disclosures, witnesses and persons alleged to be responsible for wrongdoings;

 

 

 

(f) establish procedures for processing disclosures and ensure the confidentiality of information collected in relation to disclosures and investigations;

 

 

(g) review the results of investigations into disclosures and those commenced under section 33 and report his or her findings to the persons who made the disclosures and to the appropriate chief executives;

 

 

(h) make recommendations to chief executives concerning the measures to be taken to correct wrongdoings and review reports on measures taken by chief executives in response to those recommendations; and

 

 

 

(i) receive, review, investigate and otherwise deal with complaints made in respect of reprisals.

 

...

 

Right to refuse

 

    24. (1) The PSIC may refuse to deal with a disclosure or to commence an investigation — and he or she may cease an investigation — if he or she is of the opinion that

 

(a) the subject-matter of the disclosure or the investigation has been adequately dealt with, or could more appropriately be dealt with, according to a procedure provided for under another Act of Parliament;

 

...

 

25.1 (1) The Commissioner may provide access to legal advice to

 

 

 

(a) any public servant who is considering making a disclosure of wrongdoing under this Act;

 

(b) any person who is not a public servant who is considering providing information to the Commissioner in relation to any act or omission that may constitute a wrongdoing under this Act;

 

 

(c) any public servant who has made a disclosure under this Act;

 

(d) any person who is or has been involved in any investigation conducted by a senior officer or by or on behalf of the Commissioner under this Act;

 

(e) any public servant who is considering making a complaint under this Act regarding an alleged reprisal taken against him or her; or

 

(f) any person who is or has been involved in a proceeding under this Act regarding an alleged reprisal.

 

 

(2) The Commissioner may provide the access to legal advice only if the public servant or person satisfies the Commissioner that they do not have other access to legal advice at no cost to them.

 

Additional condition

 

25.1 (3) In addition to the condition referred to in subsection (2), the PSIC may provide access to legal advice to a public servant referred to in paragraph (1)(a) or a person referred to in paragraph (1)(b) only if the PSIC is of the opinion that the act or omission to which the disclosure or the information relates, as the case may be, likely constitutes a wrongdoing under this Act and that the disclosure or the provision of the information is likely to lead to an investigation being conducted under this Act.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[12]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a reconnu que, malgré les différences qui, en théorie, existent entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). En conséquence, la Cour suprême du Canada a jugé qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a aussi expliqué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une question, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision peut entreprendre l’analyse des quatre éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[14]           Le défendeur affirme qu’en l’espèce, la jurisprudence n’a pas encore arrêté la norme de contrôle applicable à la décision visée par la demande de contrôle. Pour déterminer la norme de contrôle applicable, il faut examiner les facteurs suivants : 1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi; 2) l’expertise du tribunal administratif; 3) la raison d’être du tribunal administratif; 4) la nature de la question en cause.

 

[15]           Le défendeur soutient que, même s’il n’existe pas de clause privative en l’espèce, le législateur fédéral a fait en sorte que les décisions que la commissaire prend en ce qui concerne le paragraphe 24(1) et le paragraphe 25.1(3) sont des décisions de nature discrétionnaire. Le caractère discrétionnaire de la décision en cause témoigne de l’expertise que possède la commissaire en ce qui concerne la suite à donner aux divulgations faites sous le régime de la Loi. Cette expertise milite en faveur de la retenue, s’agissant du contrôle des décisions de la commissaire. Il s’agit de surcroît d’une question mixte de fait et de droit et c’est en règle générale la norme de la raisonnabilité qui s’applique en cas de contrôle de questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir, au paragraphe 164).  

 

[16]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il convient d’appliquer la norme de la raisonnabilité lors du contrôle de la décision de la commissaire quant à la question de savoir si la plainte du demandeur a été traitée de façon appropriée.

 

[17]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision en appliquant la norme de la raisonnabilité, la cour se demande « si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité, [laquelle] tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[18]           Le demandeur a également soulevé devant notre Cour des questions ayant trait à l’équité procédurale. Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont examinées en fonction de la norme de la décision correcte (Dunsmuir, aux paragraphes 126 et 129).

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            Le demandeur

                        Obligation d’équité procédurale

 

[19]           Le demandeur affirme que les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 174 D.L.R. (4th) 193, [1999] A.C.S. no 39, commandent en l’espèce l’application d’un critère minimal d’équité procédurale élevé. Parmi ces facteurs, mentionnons les suivants : a) le processus suivi pour parvenir à la décision et le choix de la procédure; b) le régime législatif; c) l’importance de la décision pour la personne visée ; d) les attentes légitimes des parties.

 

[20]           Le demandeur affirme que le processus suivi pour parvenir à la décision et le choix de la procédure dépendent des attributions de la commissaire, lesquelles sont énumérées dans la Loi. Le fait que l’équité procédurale fait partie des facteurs dont la commissaire doit tenir compte, aux termes de l’alinéa 22d), permet de penser que la commissaire est assujettie à un degré élevé d’équité procédurale.

 

[21]           Le demandeur soutient que le régime législatif milite également en faveur d’un degré élevé d’équité procédurale, étant donné que la Loi ne prévoit pas de mécanisme d’appel. Les décisions que rend la commissaire au sujet de l’opportunité d’accepter ou non une divulgation et de mettre ou non des services de consultation juridique à la disposition de l’intéressé sont définitives. Le demandeur ajoute qu’il ressort de l’économie de la Loi que l’intéressé doit se voir offrir la possibilité de se faire entendre au sujet des conclusions et des recommandations de la commissaire.

 

[22]           La décision de la commissaire au sujet de l’opportunité d’accepter ou non la divulgation faite par un fonctionnaire est importante, surtout lorsque ce fonctionnaire a été victime de représailles par suite de la divulgation. Le refus, par la commissaire, de recevoir la divulgation aura des conséquences sur la capacité du fonctionnaire de protéger sa carrière. Il s’ensuit qu’un degré élevé d’équité procédurale s’impose. La Cour suprême du Canada a reconnu qu’un degré élevé d’équité procédurale s’imposait dans un contexte semblable, dans l’arrêt Kane c. Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105. Le demandeur a par ailleurs précisé à la commissaire à quel point la décision était importante lorsqu’il lui a adressé une lettre dans laquelle il expliquait qu’il demandait qu’on mette des services de consultation juridique à sa disposition par suite des représailles dont il avait été victime à la suite de sa divulgation.

 

[23]           Le demandeur soutient enfin que la lettre qu’il a reçue du registraire du Commissariat le 22 mai 2008, dans laquelle on lui expliquait que l’analyste assigné à son dossier communiquerait avec lui, avait créé l’attente légitime qu’il pourrait se faire entendre dans le cadre du processus de prise de décision. Suivant l’arrêt Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16, 61 D.L.R. (4th) 313 :

[traduction] [...] lorsqu’une autorité publique a promis de suivre une certaine procédure, l’intérêt d’une bonne administration exige qu’elle agisse équitablement et accomplisse sa promesse, pourvu que cet accomplissement n’empêche pas l’exercice de ses fonctions prévues par la loi.

 

 

[24]            Le demandeur estime qu’il avait l’attente légitime de se faire entendre avant qu’une décision ne soit prise au sujet de la recevabilité de sa divulgation.

 

Manquement à l’équité procédurale

 

[25]           Le demandeur affirme qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale en l’espèce parce que le processus et la procédure créés par la commissaire pour se prononcer sur la recevabilité des divulgations ont été modifiés de telle sorte que ses droits à l’équité procédurale ont été restreints et qu’il a été privé de la possibilité de faire valoir son point de vue au sujet des conclusions de l’analyste.

 

[26]           La nature du régime législatif et l’importance de la décision pour le demandeur exigent toutes les deux que le demandeur se voit accorder la possibilité de se faire entendre avant qu’une décision ne soit prise. De plus, une attente légitime a été créée par la lettre que le demandeur a reçue et qui lui promettait qu’il aurait la possibilité de communiquer avec l’analyste assigné à son dossier.

 

Conclusions de fait erronées

 

[27]           La divulgation que le demandeur a faite à la commissaire portait sur l’acte criminel consistant à détruire, tronquer ou cacher un document. Il a informé la commissaire que sa divulgation ne portait pas sur le refus de sa demande d’accès à l’information qui avait été examinée par le Commissariat à l’information.

 

[28]           Dans sa décision, la commissaire ne cite aucun des éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée pour conclure que le Commissariat à l’information avait examiné les questions relatives à la divulgation des actes criminels prévus à l’article 67.1 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, ch. A-1. De plus, la décision de la commissaire ne fait aucune mention des éléments de preuve du demandeur suivant lesquels le Commissariat à l’information n’avait pas enquêté sur les présumées infractions à la Loi sur l’accès à l’information. Ces éléments de preuve contredisent totalement la conclusion que la commissaire avait examiné la divulgation relative aux allégations de dissimulation et d’amputation de documents.

 

[29]           Bien que la commissaire ait affirmé dans sa décision qu’elle avait tenu compte de l’ensemble de la preuve, la Cour peut néanmoins déduire que le tribunal a tiré une conclusion de fait erronée du fait qu’il a omis de mentionner les éléments de preuve portés à sa connaissance qui contredisaient sa conclusion (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL)). Ainsi que la Cour l’a déclaré dans la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 448, [2008] A.C.F. no 528 (QL), bien que le décideur puisse choisir les éléments de preuve qu’il préfère, il risque de commettre une erreur justifiant l’annulation de sa décision s’il ne mentionne et n’analyse pas les éléments de preuve importants qui sont incompatibles avec sa conclusion.

 

Renvoi à la police

 

[30]           Le demandeur affirme par ailleurs qu’il était déraisonnable de la part de la commissaire de refuser sa divulgation au motif qu’il était préférable qu’une autre autorité mène l’enquête, alors que cette autorité n’a pas compétence pour enquêter. C’est bien ce qui s’est produit dans le cas qui nous occupe, puisque la GRC a expliqué au demandeur qu’elle n’avait pas compétence pour enquêter sur la divulgation d’actes visés par l’article 67.1 de la Loi sur l’accès à l’information.

 

[31]           Le demandeur soutient que la décision que la commissaire a rendue au sujet de la divulgation des infractions relatives à la dissimulation reposait sur une conclusion de fait erronée ou, subsidiairement, que la commissaire a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable.

 

Ordonnance sollicitée

 

[32]           Le demandeur demande à la Cour de délivrer un bref de mandamus forçant la commissaire à recevoir les divulgations faites par le demandeur au sujet de certains actes visés par l’article 67.1 de la Loi sur l’accès à l’information et à mettre des services de consultation juridique à sa disposition relativement aux divulgations qu’il a faites à la commissaire.

 

            Le défendeur

 

[33]           Le défendeur convient qu’il faut tenir compte des facteurs énumérés dans l’arrêt Baker pour déterminer la teneur de l’obligation d’équité procédurale à laquelle la commissaire était tenue en l’espèce. Le défendeur établit toutefois une distinction entre les deux régimes prévus par la Loi : le premier vise selon lui les actes répréhensibles et le second, les représailles. Le défendeur explique que le premier régime concerne le fonctionnaire qui affirme avoir été témoin d’un acte répréhensible commis par action ou omission au sens de l’article 8 de la Loi. Ce régime ne vise pas un différend entre l’auteur de la divulgation et son employeur. Le second régime est toutefois une procédure de plainte par laquelle le fonctionnaire affirme être victime d’une atteinte directe à ses droits par suite de mesures de représailles prises contre lui. Les articles 12 et 13 de la Loi prévoient les renseignements minimaux que le fonctionnaire est censé communiquer dans sa divulgation.

 

[34]           Le défendeur affirme que le critère prévu à l’article 12 s’applique également à une divulgation faite au commissaire en vertu de l’article 13. Ces critères sont subjectifs et ils imposent un fardeau minimal à l’auteur de la divulgation. Le défendeur estime que l’article 15.1 de la Loi vient nuancer ce critère en précisant qu’on ne s’attend pas à ce que le fonctionnaire ait en mains tous les renseignements avant de faire sa divulgation. L’article 15.1 restreint aussi l’ampleur des renseignements que le fonctionnaire est censé communiquer à la Commission.

 

[35]           Dans le cas qui nous occupe, le demandeur a fait une divulgation en vertu de l’article 13 de la Loi, qui confère au fonctionnaire le droit de communiquer des renseignements au sujet de la  commission d’un acte répréhensible. Le défendeur affirme que c’est à la commissaire qu’il revient, en vertu de l’alinéa 22b) de la Loi, de définir les conditions à respecter pour justifier la tenue d’une enquête à la suite de la divulgation faite par un fonctionnaire.

 

[36]           Pour établir s’il existe des motifs suffisants pour donner suite à une divulgation, la commissaire doit déterminer si la divulgation porte sur un acte répréhensible commis au sein du secteur public, au sens de l’article 8 de la Loi. Le paragraphe 24(1) de la Loi confère à la commissaire le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner suite à une divulgation. De plus, les restrictions prévues aux paragraphes 23(1) et 24(2) permettent aussi de déterminer s’il y a lieu de refuser la divulgation.

 

[37]           La Loi n’oblige pas la commissaire à entendre le divulgateur avant de prendre une décision en vertu des articles 23 et 24. La commissaire peut demander au divulgateur de lui communiquer au besoin de plus amples renseignements ou des éclaircissements. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, l’analyste a estimé que le demandeur avait soumis sa plainte au Commissariat à l’information et a recommandé à la commissaire, pour cette raison, de ne pas donner suite à la divulgation. La commissaire a accepté cette recommandation.

 

Nature du processus suivi pour parvenir à la décision

 

[38]           Le défendeur affirme que la commissaire joue un rôle davantage consultatif que juridictionnel. La Cour ne peut d’ailleurs pas exiger que les recommandations de la commissaire soient suivies. La commissaire est une représentante du Parlement, mais son rôle se borne à mettre le Parlement au courant des actes répréhensibles commis dans le secteur public.

 

[39]           La procédure suivie pour faire une divulgation sous le régime de la Loi se veut à la fois informelle et expéditive; elle ne s’apparente pas à la procédure suivie lors d’un procès. De plus, les enquêteurs et la commissaire disposent d’une grande souplesse dans la manière de procéder à leur analyse et de tirer leurs conclusions. Le défendeur affirme que ces facteurs militent en faveur d’une norme d’équité procédurale peu exigeante.

 

[40]           La Loi prévoit des obligations minimales en ce qui concerne le principe audi alteram partem. En voici quelques-unes :

1.                  L’obligation de donner un avis – En cas de refus de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête, le commissaire en donne avis au divulgateur (paragraphe 24(3)), ce qui, selon le défendeur, a été fait dans la lettre du 12 juin 2008;

2.                  Droit d’être entendu – Le commissaire n’est pas obligé de tenir d’audience, sauf s’il semble qu’un rapport ou une recommandation sont susceptibles de nuire à un particulier (paragraphe 27(3)). En pareil cas, le commissaire donne à l’intéressé toute possibilité de répondre aux allégations dont il fait l’objet. L’intéressé a également le droit, en pareil cas, de recourir aux services d’un conseiller juridique. La possibilité de répondre n’a lieu qu’au cours d’une enquête et non lorsque le commissaire examine l’admissibilité d’une divulgation;

3.                  Obligation de communiquer ses conclusions – L’alinéa 22g) oblige le commissaire à faire rapport de ses conclusions au divulgateur. Le défendeur affirme toutefois que les recommandations faites au sujet des mesures à prendre pour corriger les actes répréhensibles ne font pas nécessairement partie de ce rapport sur les conclusions ;

4.                  Droit de consulter un avocat – L’intéressé a le droit de consulter un avocat lorsqu’un rapport ou une recommandation sont susceptibles de lui nuire au cours d’une enquête (paragraphe 27(3)).

 

Nature du régime législatif

 

[41]           Suivant le préambule de la Loi, la Loi vise à améliorer la confiance dans les institutions publiques par « la création de mécanismes efficaces de divulgation des actes répréhensibles et de protection des fonctionnaires divulgateurs ».

 

[42]           Le paragraphe 24(1) de la Loi confère au commissaire un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête. Cette décision est définitive et sans appel.

 

[43]           Pour lui permettre de décider s’il est dans l’intérêt public d’ouvrir une enquête pour l’un des motifs énumérés, le paragraphe 24(1) confère un vaste pouvoir discrétionnaire au commissaire, qui peut par ailleurs décider que l’objet de la divulgation pourrait être avantageusement instruit par un autre organisme. Le défendeur soutient que le Commissariat possède l’expertise nécessaire pour déterminer si les renseignements communiqués par le divulgateur pourraient constituer un acte répréhensible et s’il y a lieu de tenir une enquête.

 

Importance de la décision pour l’intéressé

 

[44]           L’article 51.2 de la Loi crée une présomption en faveur du divulgateur en lui permettant d’obtenir un contrôle judiciaire.

 

[45]           Le défendeur soutient qu’en raison du libellé de l’article 51.2, il est nécessaire que le divulgateur ait accès à certains renseignements pour être en mesure de saisir la Cour. Le divulgateur aurait ainsi accès à tous les éléments dont dispose le tribunal chargé de trancher la demande de contrôle judiciaire. Le défendeur affirme qu’on garantit ainsi la transparence et la responsabilisation dans le processus de prise de décision.

 

            Attentes légitimes

 

[46]           Le défendeur affirme que les facteurs en cause dans la présente affaire sont déterminants en ce qui concerne la question des attentes légitimes. À la suite de la discussion qu’il a eue avec l’analyste en avril 2008, le demandeur a soumis des documents à l’appui de ses allégations d’actes répréhensibles. Les renseignements communiqués par le demandeur ont été jugés suffisants pour trancher les questions d’admissibilité. Le défendeur affirme que, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, il n’existait aucune attente légitime quant à la tenue d’une audience.

 

Choix de la procédure

 

[47]           Le commissaire doit déterminer s’il existe des motifs suffisants pour donner suite à la divulgation compte tenu des renseignements reçus. En l’espèce, la commissaire a pris sa décision à la suite d’un appel téléphonique et après avoir examiné tous les documents soumis par le demandeur. Ces renseignements étaient suffisants pour permettre à l’analyste de faire une recommandation à la commissaire. Dans le cas qui nous occupe, le Commissariat a suivi sa procédure habituelle, laquelle comprend une approche pluridisciplinaire ainsi que de multiples niveaux d’examen du dossier par l’analyste/enquêteur, le registraire, les Services juridiques, le sous-commissaire et la commissaire.

 

[48]           La commissaire peut autoriser un financement en vue de la prestation des services de consultation juridique conformément à l’article 25.1. Elle peut aussi choisir de mettre à la disposition de l’intéressé des services de consultation juridique fournis par des conseillers juridiques employés au sein de son commissariat.

 

[49]           L’article 25.1 énumère les critères d’admissibilité aux services de consultation juridique en question. Parmi ces critères, mentionnons les suivants :

1.                  le fonctionnaire convainc le commissaire qu’il ne peut autrement obtenir gratuitement des conseils juridiques (paragraphe 25.1(2));

2.                  le fonctionnaire envisage de communiquer des renseignements au commissaire concernant un acte ou une omission :

a.                   susceptible de constituer un acte répréhensible en vertu de la Loi;

b.                  les renseignements en question pourraient mener à la tenue d’une enquête en vertu de la Loi (paragraphe 25.1(3)).

Parmi les autres considérations applicables, mentionnons celles-ci :

3.                  la mesure dans laquelle l’intérêt public est susceptible d’être touché par la question faisant l’objet de la divulgation ou des renseignements;

4.                  la mesure dans laquelle la divulgation est susceptible d’entraîner des répercussions défavorables pour le fonctionnaire.

 

[50]           Le défendeur soutient que le principe découlant de l’alinéa 25.1(7)b) est également pertinent pour déterminer l’admissibilité générale de l’intéressé à des services de consultation juridique, étant donné que la Loi vise à encourager les fonctionnaires à signaler tout renseignement portant sur un éventuel acte répréhensible et à les protéger contre toute représaille dont ils pourraient faire l’objet à la suite d’une divulgation. Malgré le fait qu’il puisse être déçu par la décision du commissaire de ne pas ouvrir d’enquête, une telle décision n’entraînera aucun préjudice ou répercussion défavorable pour le divulgateur en question. Une conclusion d’acte répréhensible ou la décision de ne pas mener d’enquête ne devraient pas non plus causer de préjudice au divulgateur.

 

[51]           Dans le cas qui nous occupe, la divulgation ne s’est pas soldée par une enquête. Sur le fondement de la Loi et des principes énoncés dans la Loi, il a été jugé que la décision prise par la commissaire en vertu du paragraphe 24(1) aurait des incidences minimales sur le demandeur. En conséquence, le demandeur n’était pas admissible aux services de consultation juridique prévus à l’article 25.1.

 

[52]           Le défendeur établit également une distinction entre la fourniture de conseils généraux et une demande formelle visant à obtenir des services de consultation juridique en vertu de l’article 25.1. Bien que, dans le premier cas, on ait affaire à une situation courante, dans le second cas, il s’agit d’offrir des services de consultation juridique particuliers à des personnes qui envisagent de faire une divulgation portant sur un acte répréhensible qui a des incidences sur leurs droits et leurs obligations. Dans ce dernier cas, on cherche aussi à aider les divulgateurs à choisir la meilleure façon de procéder.

 

Équité procédurale minimale

 

[53]           Le défendeur soutient que l’obligation de respecter l’équité procédurale est minimale en l’espèce, comme l’examen des facteurs de l’arrêt Baker et ceux de la Loi elle-même le démontre.

 

[54]           L’analyste a parlé avec le demandeur et lui a expliqué le processus. Le demandeur a ensuite été autorisé à soumettre à l’appui des documents qui ont été examinés par le Commissariat avant que la décision ne soit prise. Le défendeur affirme en conséquence que le demandeur s’est vu offrir un degré d’équité procédurale approprié.

 

La décision de la commissaire était raisonnable

 

[55]           Une grande partie du dossier du demandeur dans la présente demande est constitué d’éléments dont le décideur ne disposait pas au moment où la décision a été prise. Pour décider si la décision de la commissaire était raisonnable ou non, la Cour doit limiter son analyse aux éléments dont la commissaire disposait au moment où elle a pris sa décision (Beci c. Canada, 130 F.T.R. 267, [1997] A.C.F. no 584).

 

[56]           La commissaire a décidé que la divulgation ne pouvait pas être acceptée par son bureau parce qu’elle avait déjà été examinée par le Commissariat à l’information. Cette décision était raisonnable, compte tenu du pouvoir discrétionnaire que la Loi confère à la commissaire et des faits dont elle disposait au moment où elle a pris sa décision.

 

[57]           Les renseignements fournis par le demandeur portaient sur des questions qui avaient déjà été soulevées et que le Commissariat à l’information avait rejetées. L’exercice que la commissaire a fait en l’espèce du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 24(1)a) était raisonnable.

 

[58]           Dans sa lettre du 7 novembre 2007 au demandeur, le Commissariat à l’information expliquait qu’il n’avait pas compétence parce que le demandeur avait déposé sa plainte après l’expiration du délai prescrit. Il est déraisonnable de la part du demandeur, qui n’a pas respecté le délai qui lui était imparti, de soutenir maintenant que la commissaire doit intervenir pour mener une enquête en vertu d’un régime législatif différent. Le défendeur affirme qu’en agissant ainsi, le demandeur plaide la même question de façon indirecte devant un autre tribunal pour la simple raison qu’il n’a pas respecté le délai prescrit par le premier tribunal.

 

ANALYSE

            La situation fondamentale

 

[59]           La demande principale porte sur le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la commissaire, Mme Christiane Ouimet, a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à décider d’enquêter sur la divulgation faite par le demandeur au sujet d’actes répréhensibles commis par des fonctionnaires et a refusé de lui fournir les fonds nécessaires pour obtenir des services de consultation juridique.

 

[60]           La divulgation a été faite par le demandeur le 16 avril 2008 en vertu de l’article 13 de la Loi. Elle a trait aux mesures qu’aurait prises son employeur, la CCSN, en réponse à sa demande de renseignements portant sur des questions de relations avec le personnel.

 

[61]           Le demandeur a d’abord porté plainte auprès de la direction de la CCSN en 2003. Insatisfait de la réponse, il a réclamé en 2006 l’intervention du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, qui a déféré sa plainte au Commissariat à l’information au motif qu’il s’agissait d’une demande d’accès à l’information. Le Commissariat à l’information a informé le demandeur en novembre 2006 que le délai prescrit pour déposer sa plainte était expiré, mais qu’il pouvait présenter une nouvelle demande à la CCSN et déposer une nouvelle plainte auprès du Commissariat à l’information en cas de refus de sa demande par la CCSN.

 

[62]           Le demandeur a contesté cette évaluation en faisant valoir dans la lettre qu’il a par la suite adressée au Commissariat à l’information ainsi que dans la divulgation qu’il a faite le 16 avril 2008 à la commissaire que la question ne portait pas sur le rejet d’une demande d’accès à l’information, mais bien sur une dissimulation de documents et sur une fabrication de preuves visant à l’empêcher de prendre connaissance des renseignements qu’il réclamait.

 

[63]           Le demandeur affirme que le Commissariat à l’information garde le dossier ouvert mais explique qu’il n’a pas enquêté sur ses allégations d’actes criminels, d’où la divulgation qu’il a faite à la commissaire. En ce qui concerne cette plainte ainsi que d’autres plaintes, il a réclamé l’intervention du ministre du Travail et du ministre de la Justice et Procureur général du Canada. Dans sa réponse, le ministre du Travail a expliqué qu’il ne pouvait pas intervenir, et le bureau du ministre de la Justice lui a suggéré de communiquer avec les autorités policières locales s’il disposait d’indices laissant croire à la commission d’actes criminels.

 

[64]           La décision de la commissaire a été communiquée au demandeur le 12 juin 2008 dans une lettre signée par M. Wayne Watson, qui était à l’époque sous-commissaire. La lettre citait l’alinéa 24(1)a) de la Loi, qui prévoit que le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation s’il estime que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle-ci. La lettre citait l’examen auquel avait procédé le Commissariat à l’information sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information comme motif justifiant le refus de donner suite à la divulgation. Le demandeur a de nouveau été informé qu’il pouvait s’adresser aux autorités policières locales pour leur faire part de ses allégations d’inconduite criminelle.

 

[65]           Dans l’avis de demande qu’il a déposée le 11 juillet 2009 conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le demandeur sollicite un bref de mandamus pour forcer la commissaire à accepter ses divulgations d’actes répréhensibles et à approuver le financement qui lui permettra de recevoir des services de consultation juridique.

 

La décision

 

[66]           L’alinéa 22d) de la Loi oblige la commissaire à :

d) veiller à ce que les droits, en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, des personnes mises en cause par une enquête soient protégés, notamment ceux du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible;

 

(d) ensure that the right to procedural fairness and natural justice of all persons involved in investigations is respected, including persons making disclosures, witnesses and persons alleged to be responsible for wrongdoings;

 

 

[67]            Dans la lettre qu’il a adressée le 16 avril 2008 au greffe du Commissariat, le demandeur fait des divulgations se rapportant à ce qui suit :

 

1.             Perpétration d’actes criminels, à savoir dissimulation et amputation des dossiers publics en vue d’entraver la divulgation des renseignements qu’il réclamait en vertu de la Loi sur l’accès à l’information;

2.             fabrication de preuves en vue de nuire au déroulement d’une instance devant un tribunal.

Il s’agissait d’une plainte portée en vertu de l’article 13 de la Loi, et non d’une plainte visant des mesures de représailles au sens des articles 19.1 et 19.2 de la Loi.

 

[68]           Cette divulgation avait trait à la conversation téléphonique que le demandeur avait eue le 16 avril 2008 avec M. Ronald Calvert, l’analyste de la commissaire, ainsi que M. Calvert le précise dans son affidavit du 10 juillet 2009, de même qu’aux documents soumis par le demandeur avec la lettre du 16 avril 2006 qu’il a envoyée par télécopieur.

 

[69]           L’article 13 de la Loi permet à un fonctionnaire de divulguer au commissaire tout renseignement qui pourrait démontrer qu’un acte répréhensible a été commis.

 

[70]           Le fonctionnaire qui fait une divulgation en vertu de l’article 13 doit se conformer à l’article 15.1 :

15.1    Le fonctionnaire qui fait une divulgation au titre de la présente loi :

 

a) ne communique que les

renseignements qui sont raisonnablement nécessaires pour faire la divulgation;

 

b) se conforme aux règles et procédures relatives à la manipulation, la conservation, le transport et la transmission de renseignements ou documents, notamment ceux à l’égard desquels le gouvernement fédéral ou un élément du secteur public prend des mesures de protection.

 

15.1  In making a disclosure under this Act, a public servant must

 

(a) provide no more

information than is reasonably necessary to make the disclosure; and

 

(b) follow established procedures or practices for the secure handling, storage, transportation and transmission of information or documents, including, but not limited to, information or documents that the Government of Canada or any portion of the public sector is taking measures to protect.

 

 

 

[71]           Pour l’examen des plaintes soumises en vertu de la Loi, le commissaire est assujetti aux obligations générales prévues à l’article 22 :

22. Le commissaire exerce aux termes de la présente loi les attributions suivantes :

 

a) fournir des renseignements et des conseils relatifs aux divulgations faites en vertu de la présente loi et à la tenue des enquêtes menées par lui;

 

b) recevoir, consigner et examiner les divulgations afin d’établir s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite;

 

 

c) mener les enquêtes sur les divulgations visées à l’article 13 ou les enquêtes visées à l’article 33, notamment nommer des personnes pour les mener en son nom;

 

 

d) veiller à ce que les droits, en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, des personnes mises en cause par une enquête soient protégés, notamment ceux du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible;

 

e) sous réserve de toute autre loi fédérale applicable, veiller, dans toute la mesure du possible et en conformité avec les règles de droit en vigueur, à ce que l’identité des personnes mises en cause par une divulgation ou une enquête soit protégée, notamment celle du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible;

 

f) établir des procédures à suivre pour le traitement des divulgations et assurer la confidentialité des renseignements recueillis relativement aux divulgations et aux enquêtes;

 

g) examiner les résultats des enquêtes menées sur une divulgation ou commencées au titre de l’article 33 et faire rapport de ses conclusions aux divulgateurs et aux administrateurs généraux concernés;

 

h) présenter aux administrateurs généraux concernés des recommandations portant sur les mesures correctives à prendre et examiner les rapports faisant état des mesures correctives prises par les administrateurs généraux à la suite des recommandations;

 

i) recevoir et examiner les plaintes à l’égard des représailles, enquêter sur celles-ci et y donner suite.

 

22. The duties of the Commissioner under this Act are to

 

(a) provide information and advice regarding the making of disclosures under this Act and the conduct of investigations by the Commissioner;

 

(b) receive, record and review disclosures of wrongdoings in order to establish whether there are sufficient grounds for further action;

 

(c) conduct investigations of disclosures made in accordance with section 13, and investigations referred to in section 33, including to appoint persons to conduct the investigations on his or her behalf;

 

(d) ensure that the right to procedural fairness and natural justice of all persons involved in investigations is respected, including persons making disclosures, witnesses and persons alleged to be responsible for wrongdoings;

 

 

(e) subject to any other Act of Parliament, protect, to the extent possible in accordance with the law, the identity of persons involved in the disclosure process, including that of persons making disclosures, witnesses and persons alleged to be responsible for wrongdoings;

 

 

 

(f) establish procedures for processing disclosures and ensure the confidentiality of information collected in relation to disclosures and investigations;

 

 

(g) review the results of investigations into disclosures and those commenced under section 33 and report his or her findings to the persons who made the disclosures and to the appropriate chief executives;

 

 

(h) make recommendations to chief executives concerning the measures to be taken to correct wrongdoings and review reports on measures taken by chief executives in response to those recommendations; and

 

 

 

(i) receive, review, investigate and otherwise deal with complaints made in respect of reprisals.

 

 

 

[72]           Outre ces obligations générales, le commissaire est également assujetti aux restrictions que l’on trouve à l’article 23 et il se voit conférer les pouvoirs discrétionnaires prévus à l’article 24. Voici les restrictions et les pouvoirs qui nous intéressent dans la présente demande :

23. (1) Le commissaire ne peut donner suite à une divulgation faite en vertu de la présente loi ou enquêter au titre de l’article 33 si une personne ou un organisme — exception faite d’un organisme chargé de l’application de la loi — est saisi de l’objet de celle-ci au titre d’une autre loi fédérale.

 

...

 

24. (1) Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime, selon le cas :

 

 

a) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle‑ci;

23. (1) The Commissioner may not deal with a disclosure under this Act or commence an investigation under section 33 if a person or body acting under another Act of Parliament is dealing with the subject-matter of the disclosure or the investigation other than as a law enforcement authority.

 

...

 

24. (1) The Commissioner may refuse to deal with a disclosure or to commence an investigation — and he or she may cease an investigation — if he or she is of the opinion that

 

(a) the subject-matter of the disclosure or the investigation has been adequately dealt with, or could more appropriately be dealt with, according to a procedure provided for under another Act of Parliament;

 

 

 

[73]           Le 16 avril 2008, lorsqu’il a parlé au téléphone avec M. Calvert, le demandeur a obtenu des renseignements sur la procédure à suivre pour porter plainte. Les restrictions prévues à l’alinéa 24(1)a) de la Loi lui ont également été lues au téléphone. Le demandeur a ensuite transmis sa plainte au Commissariat par télécopieur.

 

[74]           Dans sa lettre de divulgation du 16 avril 2008, le demandeur résumait la nature de sa plainte et attirait l’attention sur le fait qu’il avait déjà essayé de faire examiner ses plaintes par le Commissariat à l’information :

[traduction] J’ai tenté sans succès de demander au Commissariat à l’information d’enquêter sur mes plaintes. Le Commissariat à l’information m’a informé que le commissaire n’avait pas compétence pour mener une telle enquête. Aucune réponse n’a été donnée à ma demande visant à être entendu par le commissaire à l’information.

 

 

[75]           Ces renseignements se rapportent à plusieurs demandes que le demandeur avait faites au Commissariat à l’information pour qu’il enquête sur ses plaintes et les examine. Ils se rapportent notamment à la lettre que Mme Louise Gale, enquêteure au Commissariat à l’information, a écrite au demandeur le 7 novembre 2007 au sujet des dossiers A-2003-0005/pd et A-2006-0038. Se référant aux délais prescrits à l’article 31 de la Loi sur l’accès à l’information, Mme Gale a fait savoir ce qui suit au demandeur :

[traduction] La CCSN a reçu votre demande le 24 juillet 2003 et vous a répondu le 11 août. La date limite pour déposer une plainte était le 11 août 2004. Or, nous avons reçu votre plainte le 27 février 2007, près de deux ans et demi après l’expiration de ce délai.

 

Comme la loi ne lui donne pas le pouvoir de proroger ce délai, le commissaire à l’information n’a plus compétence pour enquêter officiellement sur votre plainte.

 

 

[76]           Malgré ce problème de compétence, Mme Gale a poursuivi en expliquant au demandeur comment il pouvait contourner le problème :

[traduction] Vous voudrez peut-être soumettre de nouveau votre demande à la CCSN en acquittant les frais de demande obligatoires de cinq dollars. En cas de refus d’accès aux renseignements réclamés, vous aurez le droit de porter plainte au Commissaire à l’information dans les soixante jours (souligné dans l’original) de la date à laquelle vous avez reçu la réponse.

 

 

[77]           Loin de s’en laver les mains en excipant de l’absence de compétence, le Commissariat à l’information a offert une solution au demandeur et lui a expliqué comment il pouvait soumettre de nouveau sa plainte.

 

[78]           Le demandeur affirme maintenant que la plainte qu’il a faite à la commissaire avait trait à des actes criminels se rapportant à la destruction, l’amputation, la dissimulation et la fabrication de documents et qu’elle ne concernait pas le refus d’une demande d’accès à l’information.

 

[79]           Il y a une certaine confusion dans le dossier en ce qui concerne le nombre de dossiers que le Commissariat à l’information a ouverts au sujet des plaintes du demandeur, de la nature de ces plaintes et du statut actuel de tous les dossiers. Dans sa lettre du 7 novembre 2007, Mme Gale mentionne uniquement les dossiers A-2003-0005/pd et A-2006-0038. Le demandeur allègue que le Commissariat à l’information est demeuré muet sur toutes les autres questions.

 

[80]           Ce problème n’a toutefois rien à voir avec la décision de la commissaire qui m’est soumise, puisque je dois évaluer cette décision en fonction de ce que le demandeur a dit à la commissaire et des documents qu’il lui a soumis. Il se peut que le demandeur n’en ait pas terminé avec le Commissariat à l’information et qu’il dispose encore de recours auprès du Commissariat à l’information en ce qui concerne ses plaintes. Quoi qu’il en soit, la question ne m’a pas été soumise parce qu’au lieu de persister dans ses démarches auprès du Commissariat à l’information, le demandeur a décidé d’approcher la commissaire et de recommencer depuis le début devant un nouvel organisme d’enquête.

 

[81]           Il ressort clairement de la lettre de plainte qu’il a soumise à la commissaire le 16 avril 2008 et des pièces qui y étaient jointes que le demandeur a lui-même fait savoir à la commissaire que le Commissariat à l’information avait examiné les mêmes plaintes que celles qu’il soumettait maintenant à la commissaire, et que le Commissariat à l’information avait décliné sa compétence parce que les plaintes lui avaient été soumises après l’expiration du délai prescrit. Le Commissariat à l’information a informé le demandeur qu’il pouvait présenter une nouvelle demande à la CCSN et que, si sa demande d’accès était refusée, il pouvait soumettre de nouveau sa demande au Commissariat à l’information dans les 60 jours suivants.

 

[82]           Dans la lettre qu’il a adressée à la commissaire le 16 avril 2008, le demandeur précise que la raison pour laquelle il avait approché la commissaire était qu’il avait déjà soumis les mêmes plaintes au Commissariat à l’information, qui lui avait répondu qu’il ne pouvait en connaître parce que le demandeur n’avait pas respecté le délai prescrit.

 

[83]           Dans sa décision, le Commissariat précise qu’il a informé le demandeur qu’il avait reçu sa plainte contenant des renseignements suivant lesquels [traduction] « des dossiers publics ont été cachés ou tronqués pour entraver la divulgation des renseignements demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information » et suivant lesquels [traduction] « des preuves ont été fabriquées en vue de nuire au déroulement d’une instance devant un tribunal » et [traduction] « le demandeur se plaint du refus du Commissariat à l’information d’enquêter sur ses plaintes ».

 

[84]           Dans sa décision, la commissaire passe également en revue l’histoire des échanges que le demandeur a eus avec le Commissariat à l’information et les quelques dossiers que le Commissariat à l’information a ouverts au sujet des plaintes du demandeur.

 

[85]           La commissaire en arrive aux conclusions suivantes :

[traduction] Suivant les documents qui ont été soumis, il est évident que les préoccupations de l’intéressé ont trait aux demandes de renseignements qu’il a présentées à son institution. Il se plaint aussi de la réponse que le Commissariat à l’information a donnée à ses plaintes. Or, les documents versés au dossier démontrent que les plaintes qu’il a soumises au Commissariat à l’information ont fait l’objet d’une enquête et que l’intéressé était insatisfait du résultat de ces enquêtes.

 

 

[86]           On ne sait pas avec certitude ce que la commissaire voulait dire en écrivant [traduction] « les plaintes qu’il a soumises au Commissariat à l’information ont fait l’objet d’une enquête ». Il n’y a rien dans le dossier qui permette de savoir quel sort a été réservé à l’ensemble des dossiers que le Commissariat à l’information a ouverts au sujet du demandeur. Tout ce que nous savons c’est que le Commissariat à l’information a décliné compétence relativement au dossier A-2003-0005/pd, mais qu’il a informé le demandeur qu’il pouvait présenter de nouveau sa demande à la CCSN et qu’en cas de refus de celle-ci, il pourrait soumettre de nouveau sa plainte au Commissariat à l’information dans les 60 jours suivants.

 

[87]           Dans la lettre du 12 juin 2008 par laquelle elle l’avise de sa décision, la commissaire explique ce qui suit au demandeur : [traduction] « Nous avons conclu que les préoccupations que vous soulevez ont déjà été examinées par le Commissariat à l’information dans les dossiers précités, en l’occurrence les dossiers A-2003-005/pd, A-2006-0038 et A-2003-0004/pd ».

 

[88]           Vu l’ensemble de la preuve, il semble que, par « enquête », la commissaire ne voulait pas dire que le Commissariat à l’information avait mené une enquête sur le bien-fondé des plaintes, mais que le Commissariat à l’information avait examiné les plaintes du demandeur ou était en train de les examiner : [traduction] « Nous croyons comprendre que le Commissariat à l’information a ouvert trois enquêtes au sujet de vos plaintes. » Nous savons, en ce qui concerne une de ces enquêtes (A-2003-0005/pd), que le Commissariat à l’information a décliné compétence mais qu’il a expliqué au demandeur qu’il pourrait présenter de nouveau sa plainte. Nous ignorons le statut actuel des dossiers A-2006-0038 et A-2003-0004/pd.

 

[89]           La commissaire semble vouloir dire que les plaintes du demandeur ont été soumises au Commissariat à l’information et que les dossiers sont encore en instance ou, dans le cas du dossier A-2003-0005/pd, que le demandeur a été informé qu’il avait agi après l’expiration du délai prescrit mais qu’il aurait la possibilité de soumettre de nouveau sa plainte. C’est bien ce qui ressort de la lettre du 12 juin 2008 dans laquelle on informe le demandeur : [traduction] « En vertu de l’alinéa 24(1)a) de la Loi, nous estimons que notre Bureau ne peut pas accepter votre divulgation étant donné qu’elle relève du Commissariat à l’information ». Le mot [traduction] « relève » n’est pas entièrement satisfaisant, mais il laisse entrevoir que la commissaire ne prétend pas que le Commissariat à l’information avait déjà entrepris d’enquêter sur les plaintes en question.

 

[90]           Le fondement juridique de la décision de la commissaire confirme aussi cette conclusion. Après avoir cité le paragraphe 24(1) de la Loi et après avoir souligné que la commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation si elle estime « a) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle-ci « (souligné dans l’original), la commissaire conclut qu’il [traduction] « ressort de la preuve documentaire que les plaintes s’inscrivaient dans le cadre de la procédure prévue par une autre loi fédérale. L’alinéa 24(1)a) s’applique dans le cas présent ».

 

[91]           La commissaire a donc refusé de donner suite aux plaintes du demandeur, soit parce qu’elles « avaient été instruites » ou « pourraient avantageusement être instruites » par le Commissariat à l’information. Le demandeur a été informé des motifs du refus dans la lettre du 12 juin 2008 du Commissariat qui portait la signature du sous-commissaire, M. Wayne Watson.

 

Questions soulevées

 

            Équité procédurale

 

[92]           Le demandeur affirme que, lorsqu’elle a pris sa décision, la commissaire a manqué à l’équité procédurale dont elle devait faire preuve envers lui dans le cas présent du fait que :

a.                   on lui a dit que l’analyste communiquerait avec lui avant qu’une décision ne soit prise, ce qui ne s’est pas produit;

b.                   on aurait dû lui accorder la possibilité de soumettre des renseignements complémentaires après que l’analyste eut signalé qu’il manquait des renseignements;

c.                   on aurait dû lui accorder la possibilité d’examiner les recommandations de l’analyste et de formuler des observations à leur sujet avant qu’elles ne soient soumises pour approbation au sous-commissaire et que la décision ne soit prise.

 

[93]           Avant d’examiner la jurisprudence portant sur l’équité procédurale, il est important de se souvenir des motifs extrêmement ténus sur lesquels reposait la décision de la commissaire, ainsi que des faits précis entourant la prise de cette décision.

 

[94]           Ainsi qu’il ressort de la documentation, pour refuser de se prononcer sur le bien-fondé des plaintes du demandeur, la commissaire a invoqué le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 24(1)a) de la Loi, et elle a refusé de donner suite aux divulgations du demandeur au motif que l’objet de la divulgation avait déjà fait l’objet d’un examen en bonne et due forme par le Commissariat à l’information dans le cadre de la procédure prévue par la Loi sur l’accès à l’information, ou pouvait l’être avantageusement selon ce service et cette loi.

 

[95]           Ainsi qu’il ressort aussi de la décision, avant de formuler ses observations écrites au Commissariat, le demandeur était parfaitement conscient du fait que le refus discrétionnaire d’intervenir était fondé sur l’alinéa 24(1)a), et c’était ce à quoi il devait répondre :

[traduction] Après que sa divulgation eut été entendue, l’intéressé a été informé des dispositions de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi) au sujet des divulgations qui ont déjà été examinées selon un autre mécanisme. À cette fin, l’alinéa 24(1)a) lui a été lu au téléphone.

 

Le demandeur ne conteste pas ces faits.

 

 

[96]           Ces faits sont également confirmés par la lettre du 12 juin 2008 de la commissaire :

[traduction] Le 16 avril 2008, M. Ronald Calvert, l’enquêteur assigné à votre divulgation, vous a informé que la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi) prévoit qu’un fonctionnaire peut divulguer des renseignements au commissaire s’il estime qu’ils sont susceptibles de démontrer qu’un acte répréhensible grave a été commis ou est sur le point de l’être. M. Calvert vous a également informé que la Loi confère au commissaire le droit de refuser de donner suite à une divulgation dans les cas précis ci-après énumérés.

 

Le demandeur ne conteste pas l’exactitude de cette déclaration.

 

 

[97]           Dans l’affidavit qu’il a souscrit au soutien de la présente demande, M. Calvert relate la conversation téléphonique qu’il a eue avec le demandeur le 16 avril 2008 et comment, après que le demandeur [traduction] « eut fourni plusieurs détails au sujet de l’objet de la divulgation qu’il entendait faire », M. Calvert a donné au demandeur [traduction] « des renseignements au sujet de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi) et sur la suite que le Commissariat à l’intégrité du secteur public donnerait à sa divulgation s’il décidait d’en faire une ». La conversation téléphonique a duré entre 15 et 20 minutes. Le demandeur ne conteste pas le récit que M. Calvert donne de ce qui s’est produit avant qu’il ne fasse sa divulgation au Commissariat.

 

[98]           M. Calvert a pris des notes détaillées au sujet de sa conversation téléphonique avec le demandeur dans le système de gestion des dossiers du Commissariat. En voici un extrait :

L’applicant m’a mentionné avoir déposé une plainte au BIFP il y a de cela 3 ans et que la réponse était que son institution n’était pas assujettie à la Politique, donc que le BIFP n’avait pas juridiction dans son cas. L’applicant demande si on peut l’aider présentement étant donné que la Loi a été adoptée dernièrement.

 

Bien que je lui à posé des questions sur ses demandes exactes, l’applicant  préfère nous faire parvenir sa divulgation par télécopieur. Je lui ai cependant fait comprendre qu’il avait déjà utilisé des mécanismes existants et j’ai tenté de lui expliquer 24(1)a) de la LPFDAR. De plus, comme il mentionnait une possibilité d’accusations criminelle pour fabrication de preuve dans un processus judiciaire, je lui ai mentionné entre autre qu’il serait probablement préférable d’avoir recours à son corps policier local.

 

 

Le demandeur ne conteste pas l’exactitude de ces notes et confirme que le récit que M. Calvert fait de leur conversation téléphonique correspond à ce qui s’est effectivement produit.

 

[99]           Il ressort de tout ce qui précède qu’avant de formuler ses observations, le demandeur a été pleinement informé de ce qui l’attendait, et notamment du fait qu’il fallait résoudre le problème soulevé au sujet de l’alinéa 24(1)a).

 

[100]       Le demandeur se représente lui-même. C’est un homme très intelligent qui a de la facilité à s’exprimer. Les observations tant verbales qu’écrites qu’il m’a présentées démontrent qu’il n’a aucune difficulté à saisir les concepts juridiques et la procédure et qu’il est habitué aux dispositions législatives. On ne peut douter qu’avant qu’il n’envoie par télécopieur ses observations au Commissariat, il était parfaitement au courant que l’alinéa 24(1)a) était la principale question préliminaire qu’il devait aborder et que sa plainte pouvait être refusée en vertu du pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 24(1)a).

 

[101]       C’est le demandeur qui a choisi de télécopier sans attendre sa divulgation, et c’est lui qui a choisi quels arguments et quels documents seraient soumis au Commissariat au sujet de cette question préliminaire.

 

[102]       Rien dans le dossier ne permet de croire que le demandeur a été amené à penser ou qu’il pouvait raisonnablement conclure qu’on lui permettrait de soumettre des renseignements complémentaires ou qu’on lui donnerait l’occasion d’examiner et de commenter le rapport de l’analyste avant qu’une décision ne soit prise. En fait, la preuve indique clairement que le demandeur était tenu d’aborder sans délai la question préliminaire de l’alinéa 24(1)d) dans ses observations écrites.

 

[103]       Le demandeur signale la lettre du 22 mai 2008 par laquelle le registraire du Commissariat accuse réception de sa télécopie du 16 avril 2008 et lui dit : [traduction] « M. Calvert est l’analyste assigné à votre dossier; il communiquera directement avec vous ». Le demandeur explique que cette lettre a suscité une attente légitime, en l’occurrence qu’on communiquerait avec lui et qu’on lui donnerait une nouvelle occasion de faire valoir son point de vue avant qu’une décision ne soit prise.

 

[104]       À mon avis, si l’on tient compte de tout le contexte de la présente affaire, on ne peut donner ce sens à cette lettre. Tout d’abord, le demandeur avait déjà eu des échanges assez poussés avec M. Calvert le 16 avril 2008 avant de formuler ses observations. Le 16 avril 2008, on lui a expliqué en détail la procédure à suivre pour porter plainte et on lui a indiqué que la principale question préliminaire à résoudre était celle concernant l’alinéa 24(1)a). Le demandeur a formulé ses observations en se basant sur cette conversation téléphonique et avant d’avoir reçu la lettre du 22 mai 2008. Par ailleurs, rien de ce qui était écrit dans cette lettre n’aurait pu avoir d’incidence sur les observations qu’il avait déjà décidé de soumettre au sujet de la principale question préliminaire.

 

[105]       En second lieu, la lettre est de toute évidence une lettre type. Elle dit simplement que la seule personne avec qui le demandeur pourra parler du dossier est M. Calvert. Elle ne dit pas que le demandeur doit s’attendre à ce qu’on lui accorde une autre possibilité de formuler des observations. De plus, un contact direct avait déjà été établi avec M. Calvert, qui avait expliqué au demandeur la procédure à suivre et qui lui avait parlé de la question de l’alinéa 24(1)a). C’est le demandeur qui a choisi de formuler ses observations immédiatement après cette conversation téléphonique.

 

[106]       Il est donc clair que si l’on donne effet à l’obligation de la commissaire de protéger le droit à l’équité procédurale qui est prévu à l’alinéa 22d) de la Loi et qu’on applique les facteurs de l’arrêt Baker aux faits de l’espèce, on est justifié de tirer les conclusions suivantes :

a.                   L’alinéa 22d) de la Loi impose l’obligation générale d’assurer l’équité procédurale, mais la Loi ne précise pas la teneur de cette obligation dans un cas précis. En l’espèce, il s’agit d’une personne qui a expliqué qu’elle voulait porter plainte en vertu de l’article 13 de la Loi.

 

b.                   Le demandeur était parfaitement conscient, avant de formuler ses observations le 16 avril 2008, que l’alinéa 24(1)a) était une question préliminaire qu’il fallait résoudre et qu’il était possible que la commissaire refuse d’enquêter sur la plainte en raison de cet alinéa.

 

c.                   Rien ne permet de penser que, lorsqu’il a formulé ses observations le 16 avril 2008, le demandeur s’attendait ou pouvait raisonnablement s’attendre, avant qu’une décision ne soit prise au sujet de la question préliminaire de l’alinéa 24(1)a), qu’il aurait la possibilité de soumettre d’autres arguments ou éléments de preuve ou que l’analyste aurait d’autres échanges avec lui sur cette question.

 

d.                   La Loi ne confère pas à la personne qui fait une divulgation en vertu de l’article 13 le droit d’être entendue ou de formuler d’autres observations une fois que la plainte a été déposée. En outre, vu l’ensemble des faits de l’espèce, la commissaire n’avait pas besoin d’autres renseignements pour prendre une décision en vertu de l’alinéa 24(1)a).

 

e.                   Ainsi que la juge L’Heureux-Dubé l’indique clairement dans l’arrêt Baker, « l’obligation d’équité [est] souple et variable et [...] repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés [...] ».

 

f.                     La décision qui a été prise en l’espèce ne s’apparente pas à une décision juridictionnelle. Comme le demandeur le savait, la commissaire allait décider si elle exercerait ou non son pouvoir discrétionnaire et allait faire enquête sur les plaintes en vertu de la Loi et, plus particulièrement, elle allait décider si les plaintes avaient déjà été instruites comme il se doit ou pouvaient « l’être avantageusement »  selon une autre loi fédérale. Il ne s’agissait ni de près ni de loin d’une décision juridictionnelle. Même une enquête en bonne et due forme ne se solde pas par une décision juridictionnelle. Le rôle que la Loi confie à la commissaire est un rôle purement consultatif. Ses rapports, conclusions et recommandations n’ont aucune force exécutoire. Elle se contente de faire part au Parlement de ses conclusions et des actes répréhensibles commis dans le secteur public.

 

g.                   Ainsi que le paragraphe 26(2) de la Loi l’indique clairement, « les enquêtes sont menées, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité ». Il n’y a pas eu d’enquête en l’espèce, mais ce n’est pas une raison suffisante pour conclure que les décisions fondées sur l’alinéa 24(1)a) ne devraient pas également être rendues sans formalisme et avec célérité.

 

h.                   Le paragraphe 27(3) de la Loi précise que le commissaire n’est pas obligé de tenir d’audience et que nul n’est en droit d’exiger d’être entendu par lui, à moins qu’« au cours de l’enquête », il estime qu’il peut y avoir des motifs suffisants pour faire un rapport ou une recommandation « susceptibles de nuire à un particulier ou à un élément du secteur public [...] ». Rien de tel ne s’est produit en l’espèce, suivant les faits, et la commissaire ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 24(1)a) était susceptible de nuire au demandeur.

 

i.                     Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 24(1) a une très large portée. Il semble qu’il vise à permettre au commissaire de décider s’il est dans l’intérêt du public de faire enquête sur la plainte ou de déterminer, sur la foi des renseignements fournis par le plaignant, si l’affaire pourrait avantageusement être instruite sous le régime d’une autre loi. Il y a lieu de présumer que le Commissariat possède une certaine expertise en la matière.

 

j.                     Celui qui porte plainte en vertu de l’article 13 n’est pas nécessairement victime d’un acte répréhensible ou susceptible de subir des conséquences néfastes. La commissaire ne disposait en l’espèce d’aucun élément de preuve tendant à démontrer que, par suite d’une décision fondée sur l’alinéa 24(1)a), quelque chose d’important arriverait au demandeur. Le demandeur s’acquitte admirablement de son devoir en tant que fonctionnaire en poursuivant les plaintes en question, mais la commissaire ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que la décision serait susceptible de nuire personnellement au demandeur. Cette décision n’est visée ni par l’alinéa 51.2(1)a) ni par l’alinéa 51.2(1)b) de la Loi.

 

k.                   La commissaire se voit confier une obligation bien précise aux termes de l’alinéa 22b) de la Loi, celle d’examiner les divulgations afin d’établir « s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite ». La commissaire avait donc l’obligation, en l’espèce, d’examiner la question préliminaire soulevée par l’alinéa 24(1)a). Le choix de la procédure adaptée visait à expliquer au demandeur les démarches à suivre pour déposer une plainte, de préciser qu’il devait répondre à la question soulevée par l’alinéa 24(1)a) et de lui permettre ensuite de formuler des observations écrites.

 

l.                     Ainsi que je l’ai déjà expliqué, il ne s’est rien produit en l’espèce qui aurait eu pour effet de permettre au demandeur d’avoir des attentes légitimes plus élevées que celles prévues par l’économie générale de la Loi ou par les renseignements et les conseils que lui avait donnés M. Calvert lors de l’appel téléphonique du 16 avril 2008 et sur lesquels le demandeur s’est fondé pour formuler ses observations.

 

[107]       Pour les motifs que je viens d’exposer, le degré d’équité procédurale qui a été accordé au demandeur était, à mon avis, tout à fait approprié selon les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Si l’on tient compte du contexte de cette loi particulière et des droits du demandeur visé, le processus était entièrement équitable. Le demandeur a reçu un avis suffisant relativement à la question préliminaire soulevée par l’alinéa 24(1)a) à laquelle il devait répondre, et il a eu pleinement l’occasion de formuler des observations à ce sujet.

 

Article 25.1

 

[108]       Le demandeur a également demandé, et s’est vu refuser, les services de consultation juridique visés à l’article 25.1 de la Loi. La prestation de ces services est toutefois assujettie aux conditions imposées aux paragraphes 25.1(2) et (3). Or, le demandeur n’a satisfait à aucune de ces conditions en l’espèce. Ainsi qu’on le lui a expliqué dans la lettre du 12 juin 2008 :

[traduction] En ce qui concerne votre demande de services de consultation juridique, le paragraphe 25.1(3) de la Loi impose des conditions qui doivent être respectées. Suivant la première de ces conditions, le commissaire doit être d’avis que la divulgation porte sur un acte susceptible de constituer un acte répréhensible au sens de la Loi. Comme l’acte en cause relève d’une autre loi fédérale, il ne constitue pas un acte répréhensible au sens de la Loi.

 

 

[109]       Cette explication est formulée de façon plutôt maladroite. Les conditions qu’il faut remplir pour obtenir des services de consultation juridique sont énoncées au paragraphe 25.1(3). Ainsi, le commissaire ne peut mettre de tels services à la disposition de celui qui les réclame :

b) que s’il est d’avis que la divulgation ou les renseignements portent sur un acte ou une omission susceptible de constituer un acte répréhensible en vertu de la présente loi et qu’ils pourraient mener à la tenue d’une enquête en vertu de celle-ci.

(b) only if the PSIC is of the opinion that the act or omission to which the disclosure or the information relates, as the case may be, likely constitutes a wrongdoing under this Act and that the disclosure or the provision of the information is likely to lead to an investigation being conducted under this Act.

 

 

[110]       Il est donc évident que si aucune enquête n’a lieu parce que le commissaire refuse d’entendre la plainte en vertu de l’alinéa 24(1)a), le commissaire ne se prononcera pas sur la question de savoir si la plainte vise un acte « susceptible de constituer un acte répréhensible » au sens de la Loi et si elle pourrait « mener à la tenue d’une enquête » en vertu de la Loi.

 

[111]       Vu l’ensemble des faits de l’espèce, j’estime donc qu’il découle nécessairement du refus qui a été opposé à la divulgation du demandeur en vertu de l’alinéa 24(1)a) que le demandeur ne pouvait pas satisfaire aux critères lui permettant d’obtenir des services de consultation juridique en vertu de l’article 25.1. Dès lors que la décision prise en vertu de l’alinéa 24(1)a) est raisonnable, le refus de fournir des services de consultation juridique au demandeur en vertu de l’article 25.1 ne saurait être qualifié d’incorrect ou de déraisonnable.

 

Conclusions de fait erronées

 

[112]       Outre le moyen fondé sur le manquement à l’équité procédurale, le demandeur affirme que la décision était déraisonnable parce qu’elle reposait sur des conclusions de fait déraisonnables et qu’elle ne tenait pas compte de la preuve présentée par le demandeur.

 

[113]       Le demandeur insiste ici sur le fait que les éléments de preuve qu’il a présentés [traduction] « contredisent carrément la conclusion que le commissaire à l’information avait déjà examiné la divulgation portant sur les infractions de dissimulation et d’amputation de documents ».

 

[114]       Les motifs de la décision elle-même sont plus fouillés que ce que le demandeur reconnaît. La décision est fondée sur l’alinéa 24(1)a) de la Loi et, après avoir souligné que la commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation si elle estime « que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle-ci », la décision précise ce qui suit : [traduction] « il ressort de la preuve documentaire que les plaintes s’inscrivaient dans le cadre de la procédure prévue par une autre loi fédérale. L’alinéa 24(1)a) s’applique dans le cas présent ». 

 

[115]       La décision elle-même indique clairement que la commissaire s’est fondée sur l’ensemble du texte de l’alinéa 24(1)a) et qu’elle l’a appliqué. Elle ne se contente pas de dire que les plaintes du demandeur avaient déjà été examinées par le Commissariat à l’information, mais aussi qu’il était plus avantageux qu’elles soient examinées par le Commissariat à l’information.

 

[116]       Suivant les éléments de preuve du demandeur, le dossier A-2003-0005 avait été refusé pour des motifs d’absence de compétence mais on avait expliqué au demandeur que, s’il le souhaitait, il pouvait présenter une nouvelle demande à la CCSN et, en cas de refus de celle-ci, il pouvait porter plainte au Commissariat à l’information dans un délai de 60 jours.

 

[117]       En ce qui concerne les autres dossiers soumis au Commissariat à l’information, on ne sait pas avec certitude à quelle étape ils en sont, mais, dans l’ensemble, on peut penser que le demandeur disposait de recours qui lui permettaient de soumettre toutes ses plaintes et tous ses dossiers au Commissariat à l’information. Il n’a pas soumis de nouveau le dossier qu’on lui avait dit qu’il pouvait soumettre et il n’a pas poursuivi ses démarches ni cherché à obtenir une solution juridique relativement à ses autres dossiers. Il a tout simplement cessé toutes ses démarches auprès du Commissariat à l’information et il s’est tourné vers la commissaire.

 

[118]       Dans sa décision, la commissaire précise qu’elle a tenu compte de l’état d’avancement de tous les dossiers et de toutes les plaintes que le demandeur avait soumis au Commissariat à l’information avant de prendre sa décision en vertu de l’alinéa 24(1)a). Je ne crois pas que la commissaire ait oublié quelque chose ou que sa décision était fondée sur une conclusion de fait erronée. Envisagée sous cet angle, sa décision est raisonnable.

 

Renvoi à la police

 

[119]       Dans sa décision, la commissaire explique, en ce qui concerne les allégations du demandeur selon lesquelles des dossiers publics ont été cachés ou tronqués et des preuves ont été fabriquées en vue de nuire au déroulement d’une instance devant un tribunal, que le demandeur [traduction] « devrait s’adresser aux autorités policières locales à ce sujet ».

 

[120]       Le demandeur affirme qu’il est [traduction] « déraisonnable de la part de la commissaire de refuser une divulgation en invoquant le fait qu’il est préférable qu’une autre autorité mène l’enquête, alors que cette autorité n’a pas compétence pour enquêter. Comme le démontre la réponse qu’elle a donnée au demandeur, la GRC n’a pas compétence pour enquêter sur la divulgation d’actes visés par l’article 67.1 de la Loi sur l’accès à l’information ».

 

[121]       Suivant les éléments de preuve invoqués à l’appui de cette affirmation, le demandeur a communiqué avec le détachement local de la GRC de Saint George (Nouveau-Brunswick) :

[traduction] L’agente Isabelle Trudel, enquêteure du détachement de la GRC de Saint George, m’a informé que la police n’avait pas compétence pour enquêter sur des allégations d’actes criminels visant la Loi sur l’accès à l’information, ajoutant que seul le Commissariat à l’information avait compétence pour mener ce genre d’enquête.

 

 

[122]       Bien que je ne doute pas que le demandeur ait fait cette demande auprès du détachement local de la GRC, il faudrait que la Cour dispose de beaucoup plus d’éléments de fait et de droit pour pouvoir accepter que les déclarations de l’agente Trudel constituent un exposé exact du droit faisant autorité sur cette question.

 

[123]       Quoi qu’il en soit, la décision de la commissaire ne reposait pas sur l’avis qu’elle avait donné au demandeur en lui suggérant de s’adresser à la police. Ainsi qu’il ressort de la lettre du 12 juin 2008, la plainte du demandeur a été refusée en vertu de l’alinéa 24(1)a) de la Loi parce que ses plaintes avaient été examinées par le Commissariat à l’information. L’allusion à la police ne se voulait qu’une suggestion :

[traduction] Nous profitons par ailleurs de l’occasion pour vous informer que vous devriez vous adresser aux autorités policières locales en ce qui concerne les allégations d’intention criminelle de fabrication d’éléments de preuve dont vous parlez dans les lettres que vous avez envoyées à notre bureau.

 

 

[124]       La décision elle-même montre qu’elle repose sur les mêmes motifs. Elle suggère simplement au demandeur de s’adresser à la police à ce sujet.

 

[125]       Je ne puis affirmer que la commissaire a commis une erreur justifiant notre intervention sur cette question.

 

Victime des lacunes du système

 

[126]       Au cours de son exposé très éloquent, le demandeur a fait part de ses sentiments fort compréhensibles d’exaspération. Il a formulé ses plaintes en respectant tous les paliers de la procédure interne de son employeur, et il a également saisi le Commissariat à l’information et le Commissariat à l’intégrité du secteur public de ses doléances. Malgré la très longue période de temps qui s’est écoulée, les questions qu’il soulève n’ont toujours pas été examinées.

 

[127]       Je n’ai aucune raison de douter de la totale sincérité du demandeur en ce qui concerne les démarches qu’il a entreprises pour dénoncer certains actes répréhensibles commis au sein de la fonction publique et je ne puis que le féliciter pour les principes qu’il professe et l’énergie qu’il met à les défendre.

 

[128]       Le demandeur fait valoir que, compte tenu des difficultés auxquelles il s’est buté lorsqu’il a tenté de mettre au jour les actes répréhensibles en question et de les faire scruter publiquement, la commissaire aurait dû intervenir pour s’assurer que les plaintes formulées par le demandeur et les efforts qu’il déployait pour s’acquitter de son devoir de citoyen ne soient pas annihilés en raison des défaillances du système et pour s’assurer qu’une suite soit donnée à sa divulgation d’actes répréhensibles.

 

[129]       Je suis loin d’être insensible à cet argument. D’un strict point de vue juridique, je ne puis déceler dans la décision de la commissaire aucune erreur qui justifierait notre intervention. Toutefois, on ne peut faire abstraction du fait que les plaintes formulées par le demandeur n’ont pas été examinées comme elles le devaient et que les actes répréhensibles reprochés risquent de ne pas être examinés.

 

[130]       En envisageant la situation dans son ensemble, il me semble qu’au lieu de persister dans ses démarches auprès du Commissariat à l’information, le demandeur a tenté de résoudre les difficultés auxquelles il était confronté en changeant sa stratégie et en essayant de saisir la commissaire de la question. Toutefois, en ce qui concerne son dossier A-2003-0005/pd, le Commissariat à l’information lui avait clairement dit, en novembre 2007, que, pour surmonter le problème de compétence, le demandeur pouvait présenter de nouveau sa demande à la CCSN et qu’en cas de refus de cette dernière, il pourrait alors porter plainte devant le Commissariat à l’information dans le délai de 60 jours prescrit.

 

[131]       En ce qui concerne les autres plaintes et dossiers du demandeur qui étaient soumis au Commissariat à l’information, le demandeur pouvait, s’il estimait qu’ils s’enlisaient ou encore qu’on n’y avait pas donné suite comme il se devait, chercher des solutions sur le plan juridique, en présentant par exemple une demande comme celle à laquelle il a recouru en l’espèce en s’adressant à la Cour. Or, au lieu de poursuivre les démarches qu’il avait entreprises auprès du Commissariat à l’information, le demandeur a plutôt choisi d’essayer de faire intervenir la commissaire. Compte tenu des démarches déjà entreprises par le demandeur, il n’est pas étonnant que la commissaire ait conclu que le Commissariat à l’information était l’organe compétent pour examiner ses plaintes. Les éléments de preuve dont je dispose ne permettent pas de savoir avec certitude si le demandeur peut encore recourir au Commissariat à l’information et d’ailleurs on ne m’a pas demandé de répondre à cette question dans le cadre de la présente demande.

 

Conclusion

 

[132]       Après avoir examiné le dossier et entendu les observations du demandeur et celles de l’avocat du défendeur, je ne puis affirmer que le demandeur a démontré qu’une erreur justifiant notre intervention avait été commise ou établi l’existence de motifs justifiant de lui accorder une réparation sous forme de bref de mandamus comme il le demande.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1078-08

 

INTITULÉ :                                                   JOHN DETORAKIS

                                                                        c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 13 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Detorakis

 

POUR LE DEMANDEUR

Richard Fader

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Detorakis

(pour son propre compte)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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