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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100119

Dossier : IMM-1450-09

Référence : 2010 CF 51

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE. O’KEEFE

 

 

ENTRE :

ZAHEER MOHIUDDIN MOHAMMAD

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision, datée du 10 mars 2009, qui a été rendue par un agent d’immigration ayant conclu à l’interdiction de territoire du demandeur en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de l’affaire à un autre agent pour nouvel examen.

 

Contexte

 

[3]               Mohammad Zaheer Mohiuddin (le demandeur) est né à Karachi et est citoyen du Pakistan. Il appartient au sous-groupe ethnique des Mohajirs, établi dans la province de Sindh, dans le sud du Pakistan. La plupart des Mohajirs vivant au Pakistan qui parlent l’ourdou sont les descendants de familles qui avaient fui l’Inde au moment de la partition de ce pays en 1947. Le Mouvement Mohajir Quami (MQM) a été formé en 1984 pour défendre les intérêts des Mohajirs du Sindh de langue ourdoue.

 

[4]               Tout de suite après son admission au collège en 1987, le demandeur s’est joint à l’Organisation de tous les étudiants mohajirs du Pakistan (APMSO), l’aile étudiante du MQM, dont il était également membre.

 

[5]               Le demandeur était un membre actif de l’APMSO et travaillait pour le MQM. En septembre 1988, le demandeur a été nommé secrétaire adjoint de l’APMSO à son collège pour un mandat d’un an. À la fin de son mandat en 1989, le demandeur est demeuré un membre actif de l’APMSO, travaillant bénévolement à la plupart des activités. Au MQM, le demandeur était principalement bénévole lors des activités ponctuelles tenues pendant les campagnes électorales et les activités caritatives. En 1989, le gouvernement pakistanais a adopté une position dure envers le MQM (baptisée Opération Nettoyage), ce qui a amené le demandeur et beaucoup d’autres travailleurs du MQM à quitter la province de Sindh ou à se cacher. De 1992 à 1997, le demandeur a vécu par moments dans la clandestinité dans d’autres régions du Pakistan. Durant ces périodes, il ne participait pas régulièrement aux activités du MQM, mais rencontrait des locuteurs d’une autre langue que l’ourdou à divers endroits pour leur expliquer les principes que défendait le MQM et pour dissiper les opinions défavorables envers ce mouvement.

 

[6]               Tout bien considéré, le demandeur a été membre de l’APMSO de septembre 1987 à juin 1992, et il a travaillé pour le MQM de juin 1987 à décembre 1997 et pour le MQM(Canada) de janvier 1998 à mai 2005.

 

[7]               Le demandeur est arrivé au Canada le 2 janvier 1998, a alors demandé l’asile et l’a obtenu le 4 décembre 1998. Les circonstances qui l’ont incité à présenter une demande d’asile sont décrites dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Dans sa demande d’asile, le demandeur a prétendu que son appartenance aux organisations mentionnées ci-dessus lui avait valu d’être harcelé par les autorités pakistanaises.

 

[8]               Le 17 février 1999, le demandeur a obtenu l’approbation de principe de sa demande de résidence permanente, même s’il restait à faire une vérification des antécédents. Il a été interviewé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) le 18 novembre 1999 et, depuis, il a fait l’objet de trois décisions distinctes d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi ou des dispositions correspondantes de l’ancienne Loi sur l’immigration.

 

[9]               Le 8 mai 2002, le demandeur est comparu devant un agent d’immigration pour enquête. Il a ensuite appris au moyen d’une lettre datée du 21 mai 2002 qu’il était interdit de territoire en vertu de la division 19(1)f)(iii)(B) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Il a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire, mais l’affaire a été réglée avant l’audience parce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a accepté de renvoyer l’affaire à un autre agent pour réexamen.

 

[10]           Par une décision datée du 5 décembre 2005, le demandeur a été déclaré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, en raison de son appartenance au MQM. Dans Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1767, la Cour a annulé la décision et renvoyé l’affaire à un autre agent pour réexamen. Dans cette affaire, la seule question en litige était celle de savoir si la décision de l’agent d’immigration pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. En novembre 2008, l’agent A. Sorenson a envoyé une lettre au demandeur lui indiquant à nouveau que, selon certains renseignements détenus par CIC, il était peut-être interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi du fait de son appartenance au MQM. Un dossier d’information sur le MQM était joint à la lettre. En guise de réponse, le demandeur a envoyé une lettre contenant une demande de résidence permanente révisée et un dossier d’information sur le MQM visant à contrer l’information transmise par CIC. Le dossier renfermait notamment des transcriptions de témoignages faits par Mme Lisa M. Given et M. Gowher Rizvi en 2006, à l’audition d’une demande d’asile (les transcriptions des témoignages d’experts).

 

[11]           Le 3 février 2009, le demandeur a assisté à une entrevue au bureau de CIC à Scarborough, en compagnie d’un avocat. À cette entrevue, il a contesté l’usage du terme « membre » et a seulement admis avoir travaillé pour le MQM durant les années mentionnées. Interrogé sur la violence employée par le MQM au cours des périodes allant de 1987 à 1992 et de 1992 à 1997, le demandeur a déclaré que le MQM n’était jamais violent et n’avait jamais ni soutenu ni encouragé le recours à la violence. Il a ajouté que tout acte de violence qui a pu être commis en 1995 aurait été l’œuvre de membres voyous du MQM agissant contre les activités sanctionnées par le groupe. Il a aussi répondu, au sujet des rapports sur la violence du MQM, que la plupart de ceux cités par CIC étaient tirés de journaux pakistanais qui faisaient preuve de partialité contre le MQM. Pour démontrer que le MQM(A) n’était pas un groupe terroriste, le demandeur a souligné que le sous-secrétaire d’État des États-Unis avait rencontré le chef de ce mouvement, Altaf Hussain, en plus de mentionner que le maire de Karachi, un représentant du MQM, était un homme respecté. Il a aussi soulevé le fait que tous les documents de CIC étaient rédigés par des gens qui n’avaient pas vu de leurs yeux la violence dont ils rendaient compte. Pour terminer, le demandeur a signalé que tout acte de violence du MQM, le cas échéant, était probablement attribuable à la faction Haqiqi du MQM, ou MQM(H), laquelle avait été éliminée du parti, ou à d’autres membres voyous.

 

Décision de l’agent

 

[12]           Dans cette décision datée du 10 mars 2009, l’agent A. Sorensen (l’agent) a conclu que le demandeur était membre du MQM/MQM(A) et de son aile étudiante, l’APMSO, et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM/MQM(A) s’était livré au terrorisme.

[13]           L’agent a conclu sans beaucoup d’analyse que la participation du demandeur au MQM(A) et à l’APMSO signifiait qu’il était membre des deux organisations. L’agent a pris cette décision en se fondant sur la définition large et sans restriction du terme « membre », figurant à la section 4.5 du chapitre 2 du Guide d’exécution de la loi (ENF) et après avoir examiné le FRP du demandeur datant de 1998 (dans lequel il se décrit lui-même comme un membre des deux organisations) ainsi que ses demandes de résidence permanente. L’agent a aussi conclu qu’au cours de la période allant de 1992 à 1997, le demandeur était un porte-parole du MQM.

 

[14]           Le demandeur a confirmé sa participation au MQM(A) et à l’APMSO à l’entrevue tenue le 3 février 2009.

 

[15]           L’agent a ensuite examiné les sources suivantes de preuve documentaire sur le MQM (sources de CIC) :

-         Document de la CISR datant de novembre 1996, intitulé Le Pakistan : le Mouvement

Qaumi Mohajir (MQM) à Karachi, janvier 1995-avril 1996 : origines du MQM et de l’APMSO, deux organisations fondées par Altaf Hussain en 1984 et en 1978 respectivement.

-         Publication de Jane’s intitulant Jane’s World Insurgency and Terrorism profile : chronologie de faits cruciaux liés au MQM(A), notamment :

- 1986 – Altaf Hussain a déclaré lors d’un grand rassemblement du MQM que les Mohajirs devaient constituer des stocks d’armes. À un autre rassemblement, il a affirmé : [traduction] « si nos droits ne nous sont pas rendus, nous emploierons la force sous toutes ses formes ».

- 1988 – le MQM est présumé avoir assassiné 90 Sindhis au cours de divers incidents.

- 1990 – Karachi et Hyderbad ont été le siège d’émeutes violentes et d’actes de terrorisme politique; le MQM a refusé de participer à une conférence visant à négocier la paix au Sindh.

-         Article du New York Times datant de 1986 sur la violence généralisée entre les Mohajirs et d’autres groupes à Karachi.

-         Document intitulé : Muttahida Quomi Mahaz, Terrorist Group of Pakistan (le MQM, groupe terroriste du Pakistan), diffusé par le portail sur le terrorisme en Asie du Sud (SATP).

-         Article de la revue universitaire Asian Survey, qui décrit la création du MQM, engendrée par la violence ethnique.

-         Comptes rendus de la violence commise en 1995 lorsque le MQM se serait livré à des actes de terrorisme en déclenchant des émeutes et en organisant une attaque massive des quartiers anti-MQM. Selon les sources, la violence a été provoquée par l’assassinat d’un membre important du MQM et le viol de la sœur d’un autre membre.

- L’agent a examiné et cité des articles des sources suivantes : CISR, Toronto Star, New York Times, Reuters News et Agence France-Presse.

-         Document de 1996 d’Amnesty International, intitulé Pakistan: Human Rights Crisis in Karachi  (Pakistan : crise des droits de la personne à Karachi) : description des actes de violence et des atteintes aux droits de la personne attribués au MQM durant les émeutes de 1995 à Karachi.

 

[16]           L’agent a reproduit la définition du terme « terrorisme » adoptée par la Cour suprême dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 98 :

[…] tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.

 

 

[17]           L’agent a aussi examiné les documents produits par le demandeur, notamment :

-         Manifeste du MQM (Pakistan).

-         Articles du site Web du MQM.

-         Articles au sujet du portail sur le terrorisme en Asie du Sud (SATP), qui remettent en question son objectivité et la moralité de son directeur.

-         Photos de représentants du MQM(Canada) en compagnie du premier ministre Stephen Harper, à l’une des escales de sa campagne.

-         Articles sur les rencontres entre Altaf Hussain et les représentants de gouvernements occidentaux.

-         Transcriptions des témoignages d’experts.

-         Affidavit de Mme Lisa Given de l’Université de l’Alberta, daté du 21 septembre 2006, y compris son curriculum vitae et son témoignage à une audition de demande d’asile devant la SPR.

-         Recherche sur le MQM effectuée par M. Gowher Rizvi, de Harvard. Son curriculum vitae et son témoignage devant la SPR en 2006.

 

[18]           L’agent a noté les déclarations de Mme Given selon lesquelles les méthodes de recherche de certaines sources de CIC, dont Jane’s et Amnesty International, semblaient être défectueuses. Il a par ailleurs constaté que Mme Given n’avait signalé aucun problème pour bon nombre de sources de CIC et que CIC avait puisé ses renseignements sur le MQM dans un éventail de sources et pas seulement Jane’s et Amnesty International.

 

[19]           L’agent a aussi contesté les critiques faites par Mme Given et a fait remarquer que la CISR et les tribunaux avaient confirmé la fiabilité de Jane’s et d’Amnesty International à titre de sources. Malgré les critiques, l’agent a déclaré être persuadé que, dans l’ensemble, les sources de CIC étaient fiables et valables.

 

[20]           L’agent a signalé que, dans sa déclaration et son témoignage de 2006, M. Rizvi avait mentionné que le MQM ne préconisait pas la violence, mais il a aussi ajouté que M. Rizvi ne pouvait pas nier que des membres du MQM avaient commis des actes de violence.

 

[21]           L’agent a conclu qu’après avoir examiné les sources susmentionnées et les transcriptions des témoignages d’experts, il était convaincu que le MQM(A) s’était livré à des actes de terrorisme et il n’était pas convaincu, par contre, que les actes de terrorisme en question étaient attribuables à des membres qui agissaient à titre personnel.  

 

[22]           En conclusion, l’agent a décidé qu’à la suite d’un examen des documents au dossier, il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM ou le MQM(A) s’était livré au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c), que l’APMSO constituait l’aile étudiante du MQM et que la participation du demandeur aux deux organisations signifiait qu’il en était membre. Par conséquent, le demandeur est interdit de territoire au Canada.

 

Questions à trancher

 

[23]           Le demandeur a soumis les questions suivantes pour examen :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur de droit en omettant d’utiliser le critère applicable à une situation où une organisation se livre à des actes de terrorisme?

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur de droit en concluant que le MQM(A) s’était livré à des actes de terrorisme, en ce sens qu’il a omis d’expliquer comment il comprenait la notion de « terrorisme » et comment il l’a appliquée, et qu’il a omis de fournir une analyse et des motifs adéquats relativement à sa conclusion?

3.                  L’agent a-t-il commis une erreur de droit en ce sens qu’il a mal compris la preuve d’expert de Mme Given et de M. Rizvi et qu’il a omis de fournir des motifs valables de son refus d’accepter la preuve d’expert?

 

[24]           Je reformulerai les questions de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         L’agent a-t-il analysé la preuve et l’a-t-il appliquée à la définition du terme « terrorisme » comme il convenait?

            3.         Était-il raisonnable que l’agent conclue à l’existence de motifs raisonnables de croire que le MQM(A) est une organisation qui s’est livrée au terrorisme. Plus particulièrement :  

                        a.         Était-il raisonnable de rejeter la preuve du demandeur indiquant que les actes de violence étaient attribuables à des membres voyous?

                        b.         L’agent a-t-il négligé de tenir compte des transcriptions des témoignages d’experts?

 

Observations écrites du demandeur

 

[25]           Le demandeur fait valoir que la norme de contrôle appropriée est la décision raisonnable.

 

Critère applicable lorsqu’une organisation se livre au terrorisme

 

[26]           Le demandeur soutient que l’affaire soulève une question grave quant au critère à appliquer pour établir qu’une organisation se livre au terrorisme. Le demandeur admet que des membres du MQM(A) ont commis des actes de violence, mais il allègue que la position officielle de la direction du MQM consiste à ne pas tolérer ni encourager la violence, quelle qu’elle soit, et que les membres qui ont commis des actes de violence ont été expulsés. C’est le MQM(H) qui a commis des actes de violence susceptibles de constituer des actes de terrorisme, et le MQM(A) nie tout lien avec le MQM(H). L’agent a conclu que des membres de l’organisation s’étaient livrés au terrorisme, alors qu’il devait conclure que l’organisation même s’était livrée à de tels actes et fournir un raisonnement juridique pour soutenir sa position. Il en est ainsi parce que les dispositions législatives visent les organisations qui commettent des actes de terrorisme et non les membres ou les activistes d’une organisation qui commettent des actes de terrorisme. L’agent n’a pas saisi cette distinction. Dans ses motifs, il n’a jamais mentionné le manifeste ou la plateforme politique du MQM, ou encore le fait que l’organisation rejetait la violence.

 

[27]           Le demandeur prétend que ni le manifeste du MQM ni la philosophie d’Altaf Hussain axée sur « le réalisme et le pragmatisme » ne contiennent la moindre indication que le MQM croit dans la violence ou la préconise. Au contraire, les documents révèlent la foi en la tolérance, la démocratie et l’égalité des droits. L’agent a également reçu un exposé de principe que M. Altaf Hussain avait rédigé en réponse aux allégations non fondées des autorités pakistanaises. De plus, il importe de souligner que ni le Canada ni les États-Unis n’ont placé le MQM(A) sur leurs listes de groupes terroristes et que le MQM(A) exerce ouvertement ses activités au Canada.

 

[28]           Le demandeur allègue que le MQM(A) est un parti politique du Pakistan qui est représenté à l’Assemblée législative et au gouvernement de la province de Sindh ainsi qu’au Parlement et au Sénat du Pakistan. Le MQM(A) exerce aussi ses activités ouvertement au Royaume-Uni, où se trouve son siège.

 

Absence d’analyse pertinente pour expliquer la conclusion que le MQM(A) s’est livré au terrorisme

[29]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur de droit, en ce sens qu’il a omis d’expliquer comment il comprenait la notion de « terrorisme » et comment il l’a appliquée, et qu’il a omis de fournir une analyse et des motifs adéquats relativement à sa conclusion.

 

[30]           Le demandeur prétend que l’agent a simplement énuméré des incidents violents étayés. L’agent a reproduit la bonne définition stipulative de « terrorisme », adoptée dans l’arrêt Suresh, précité, et a conclu que la documentation tirée de sources crédibles indiquait que le MQM(A) s’était livré au terrorisme. Dans Fuentes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 540, le juge Lemieux a statué qu’il faut soutenir par des éléments de preuve une conclusion selon laquelle une organisation se livrait au terrorisme. Dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, la Cour a exprimé ses préoccupations quant au fait qu’un agent avait omis d’indiquer des actes précis posés par le MQM(A) qui correspondaient à la définition de « terrorisme » adoptée dans Suresh ou avait omis de fournir quelque analyse de cette preuve. De plus, dans Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997, la Cour a souligné que le décideur doit préciser les actes auxquels se livre l’organisation. Dans Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246, [2006] 4 R.C.F. 471 (Jalil 2006) au paragraphe 32, la Cour a soutenu que l’agent devait fournir la définition du terme « terrorisme » et expliquer en quoi les actes énumérés satisfaisaient à la définition. Voir aussi Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 658, [2007] A.C.F. no 173 au paragraphe 46, où la juge Dawson a affirmé qu’il incombait à l’agente d’expliquer pourquoi elle considérait certains actes comme des actes de terrorisme.  

 

[31]           Le demandeur prétend que, selon l’approche exigée dans Fuentes, Ali et Alemu, un agent doit conclure que les actes commis avaient pour but de tuer ou de blesser grièvement, que ces actes avaient été commis contre des civils et qu’ils visaient à intimider une population ou à contraindre un gouvernement à faire ou ne pas faire un acte quelconque. Dans le cadre du présent litige, l’agent a omis d’expliquer pourquoi il avait assimilé ces actes violents à des actes de terrorisme. Il est à noter que l’agent n’a jamais tiré de conclusion de fait relativement aux buts des actes commis et quant à savoir s’ils s’inscrivaient parmi les buts du MQM(A) ou étaient approuvés par la direction du MQM(A).

 

[32]           Le demandeur allègue que l’article de 1986 du New York Times fait uniquement état de la violence généralisée qui règne à Karachi et décrit en réalité des incidents dans lesquels les Mohajirs sont les victimes de cette violence, que le gouvernement attribue à des trafiquants d’armes et de drogue mécontents.

 

[33]           Le demandeur soutient que le rapport de Jane’s sur le MQM(A) est d’une fiabilité douteuse et ne peut être qualifié de source de renseignements « crédibles et convaincants » permettant de respecter la « norme des motifs raisonnables de croire », telle que décrite dans Mugesera c. Canada (Ministre Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, [2005] R.C.S. no 39 (QL).

 

[34]           Le demandeur prétend qu’un bon nombre de ces incidents violents sont survenus en juin et en juillet 1995 à Karachi, et qu’il résidait ailleurs à ce moment-là. L’agent n’aurait pas dû se fonder sur des éléments de preuve portant sur la période de 1992 à1997 puisque le demandeur n’était pas un membre actif du MQM(A) à cette époque et vivait dans la clandestinité. 

 

Mauvaise interprétation d’une preuve d’expert

 

[35]           Le demandeur avance que l’agent a mal interprété et négligé la preuve d’expert émanant de Mme Given et M. Rizvi, et qu’il a omis d’expliquer pourquoi il avait rejeté cette preuve. L’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] R.C.S. no 74 (QL) souligne l’importance de la preuve d’expert dans le règlement des litiges factuels.

 

[36]           Le demandeur prétend que l’agent n’a pas compris le but de la preuve émanant de Mme Given, soit de donner un aperçu de la façon de déterminer la fiabilité et la crédibilité des renseignements tirés d’une source d’information, et qu’il s’agit d’une erreur susceptible de révision. Mme Given a souligné qu’il faut aborder les questions d’autorité, de fiabilité, d’objectivité et de couverture. Ces questions étaient fondamentales pour établir la fiabilité des documents sur lesquels l’agent s’était fondé. Mme Given a aussi mis en garde contre le phénomène du document qui acquiert une fiabilité non méritée du seul fait qu’il est devenu une source pour d’autres documents. Le fait que l’agent n’ait pas expliqué à ce moment-là pourquoi il acceptait encore la preuve tirée de Jane’s et d’Amnesty, en dépit des critiques formulées par Mme Given, constitue une erreur susceptible de révision.

 

[37]           Le demandeur allègue que l’agent a commis une erreur de droit en omettant de fournir une analyse et les motifs de son refus d’accepter la preuve de M. Rizvi. Il s’agissait d’une erreur plus flagrante parce que la preuve corroborait le témoignage du demandeur sur les politiques du MQM(A). La Cour a établi que plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs du tribunal est importante, plus la Cour sera disposée à inférer de ce silence que le tribunal a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.1re inst.) QL). M. Rizvi est très réputé pour sa connaissance de la politique pakistanaise; il représentait une partie indépendante dans cette affaire et il avait accepté de témoigner gratuitement pour que la vérité jaillisse. M. Rizvi a été catégorique sur le fait que le MQM(A) ne prônait pas la violence et constitue un parti politique démocratique. La documentation de M. Rizvi révélait aussi que, par le passé, les militaires pakistanais s’étaient empressés d’interdire certains partis politiques, mais jamais le MQM, et que ce dernier fait la promotion d’objectifs séculiers. L’agent n’a tenu compte d’aucun de ces éléments de preuve cruciaux.

 

Observations écrites du défendeur

 

[38]           Le défendeur a convenu que la norme de contrôle appropriée pour les décisions d’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi est celle de la décision raisonnable. Il s’agit d’une décision fondée sur des faits, sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire et sur l’interprétation par le décideur de sa propre loi habilitante et de ses politiques.

 

[39]           Le défendeur allègue ensuite qu’étant donné son FRP, ses aveux explicites et le droit relatif à la « qualité de membre », le demandeur est manifestement un « membre » visé par l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

Motifs raisonnables de croire de l’agent

 

[40]           Le défendeur fait valoir qu’il n’est pas obligatoire de fournir une preuve directe de l’approbation officielle des actes terroristes. Le droit exige seulement que l’agent établisse si la preuve est suffisante pour conclure que l’organisation sanctionnait les actes.

 

[41]           Le défendeur prétend ensuite que la preuve de la participation personnelle du chef du MQM(A) à la promotion de la violence ainsi que la preuve du rôle du siège du MQM(A) dans la coordination de cette violence suffisent à établir que le MQM-A sanctionnait les actes de terrorisme.

 

[42]           Le défendeur fait valoir que la Cour a confirmé les conclusions selon lesquelles le MQM(A) est une organisation visée par l’alinéa 34(1)f) dans plusieurs décisions récentes (voir Omer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2007 CF 478, [2007] A.C.F. n642 (QL) au paragraphe 31, Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 568, [2007] A.C.F. no 763 (QL) (Jalil 2007), Jilani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 758, [2008] A.C.F. no 974 (QL) au paragraphe 16, Memom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 610, [2008] A.C.F. n779 (QL) aux paragraphes 29 et 30, et Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 7, 78 Imm. L.R. (3d) 8, au paragraphe 32).

 

[43]           Le défendeur soutient en outre que les arguments du demandeur, à savoir qu’il n’avait pas participé aux actes de terrorisme allégués du MQM(A) et ne se trouvait même pas dans la région à ce moment-là, sont dénués de fondement. Les dispositions législatives ne contiennent pas d’exigences en matière de complicité ni de nature temporelle. Il s’agit seulement de déterminer si la personne est ou a été membre de l’organisation en question (voir Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457, [2006] A.C.F. no 1826 (QL) aux paragraphes 11 et 12).

 

[44]           Les dispositions législatives exigent seulement qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que l’organisation se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme. La présentation de preuves n’est pas requise.

 

[45]           Le défendeur soutient que l’agent a énoncé la définition du terme « terrorisme » qui convient, soit celle établie dans l’arrêt Suresh, précité, et qu’il a tenu compte des actes de violence attribués au MQM(A) et conclu que ces actes constituaient des actes de terrorisme. Il a donc respecté le processus indiqué par le juge Teitlebaum dans Jalil, précité, au paragraphe 18.

 

[46]           Dans Jalil 2007, précité, aux paragraphes 33 à 35, il a été confirmé que les mêmes activités du MQM(A) que celles citées par l’agent en l’espèce constituent des actes de terrorisme selon Suresh parce qu’il s’agit d’actes perpétrés à des fins politiques qui ont causé des décès et des blessures graves.

 

Transcriptions des témoignages d’experts

 

[47]           Les arguments du demandeur concernant l’évaluation que l’agent a faite des transcriptions des témoignages d’experts indiquent simplement son désaccord quant à la méthode d’évaluation de la preuve employée par ce dernier. Le défendeur fait valoir que l’agent a procédé à une analyse approfondie de chacune des transcriptions et a tenu compte des arguments qu’elles contenaient, mais il a expliqué en fin de compte pourquoi il préférait l’autre preuve. Cette évaluation de la preuve relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent.

 

Analyse et décision

 

[48]           Première question

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            La Cour a déjà statué que la norme de contrôle applicable, pour déterminer s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une organisation se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme aux termes du paragraphe 34(1)f) de la Loi, est celle de la décision raisonnable (voir Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 7, 78 Imm. L.R. (3d) 8 au paragraphe 16, Daud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 701, [2008] A.C.F. n913 (QL) au paragraphe 5, Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 568, [2007] A.C.F. no 763 (QL) (Jalil 2007) au paragraphe 15, Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246, [2006] 4 R.C.F. 471 (Jalil 2006) aux paragraphes 19 et 20). Je conviens que la décision raisonnable constitue la norme de contrôle appropriée.

 

[49]           Il est à noter que l’application de la norme de la décision raisonnable dans ce genre d’affaires pose un problème, car la législation prévoit que des « motifs raisonnables  de croire » suffisent. Ainsi, exiger au contrôle qu’il y ait eu des motifs raisonnables de croire revient à appliquer la norme de la décision raisonnable. Appliquer la norme de la décision raisonnable signifie que la Cour n’a pas besoin d’être persuadée qu’il y avait bel et bien des motifs raisonnables de croire, mais seulement que la conclusion de l’agent selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire constituait de sa part une conclusion raisonnable.

 

[50]           La norme des « motifs raisonnables de croire » énoncée à l’article 33 de la Loi exige davantage que de simples soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la « prépondérance des probabilités » en matière civile. C’est une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi (voir Jalil 2006, au paragraphe 27).

 

[51]           La norme des « motifs raisonnables de croire » ne s’applique pas, cependant, à la décision d’un agent sur une question de droit : voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, [2005] R.C.S. no 39 (QL) au paragraphe 116. Établir ce qui constitue un acte de terrorisme est une question de droit. Même si l’agent devait seulement avoir des motifs raisonnables de croire qu’un acte avait été commis et qu’il pouvait tirer des conclusions de fait quant aux fins de l’acte en question, sa décision qu’il s’agissait d’un acte de terrorisme devait être correcte.

 

[52]           Deuxième question

            L’agent a-t-il analysé la preuve et l’a-t-il appliquée à la définition du terme « terrorisme » comme il convenait?

            L’affiliation de longue durée du demandeur au MQM(A) et à l’APMSO n’est pas contestée dans le cadre du présent contrôle judiciaire et, de toute manière, la conclusion de l’agent à savoir si le demandeur était membre des organisations susmentionnées était raisonnable. La non-participation du demandeur aux actes de terrorisme allégués n’est pas non plus contestée. La seule question soumise au présent contrôle réside dans la preuve entourant la participation du MQM(A), en tant qu’organisation, à des actes de terrorisme.

 

[53]           L’agent a énoncé de façon appropriée la définition stipulative suivante du terme « terrorisme » établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, précité, au paragraphe 98 :

[…] tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.

 

 

[54]           L’agent avait fourni auparavant une liste des éléments de preuve à l’appui des actes attribués au MQM(A). Bon nombre des actes signalés correspondaient manifestement à la définition de terrorisme formulée dans l’arrêt Suresh parce que le MQM(A) avait perpétré des actes de violence à des fins politiques qui avaient causé des décès et des blessures graves. Le demandeur reconnaît les fins politiques poursuivies par le MQM(A), mais nie que l’organisation ait eu recours à la violence pour promouvoir ses buts. Les articles et sources mentionnés par l’agent affirment toutefois sans détour que le MQM ou le MQM(A) est une organisation impliquée dans des assassinats.

 

[55]           Le demandeur fait valoir que l’agent qui applique la définition de terrorisme doit explicitement : (i) préciser en quoi les actes commis étaient destinés à causer la mort ou des blessures graves, (ii) indiquer que les actes avaient été commis contre des civils et (iii) établir que ces actes visaient à intimider une population ou à contraindre un gouvernement à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. Je ne suis pas de cet avis. Le droit n’exige pas de l’agent d’immigration une analyse aussi précise.

 

[56]           Dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, [2005] 1 R.C. F. 485, la Cour a conclu qu’une erreur susceptible de révision avait été commise lorsqu’une agente avait omis de se reporter à la définition de terrorisme de l’arrêt Suresh, et ce, parce qu’il était impossible de savoir comment l’agente définissait le terme. Comme la définition applicable n’avait pas été fournie, la Cour s’inquiétait aussi du fait que l’agente avait omis de « …mentionner des actes précis posés par le MQM-A qui satisferaient à la définition de " terrorisme " de l'arrêt Suresh ou de fournir une analyse de ces éléments de preuve » (paragraphe 64). De toute évidence, le fait que l’agente avait omis d’énoncer la définition pertinente de terrorisme augmentait son fardeau relativement à l’analyse de la preuve à sa disposition.

 

[57]           Dans Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997, [2004] A.C.F. no 1210 (QL), la Cour a exprimé à nouveau sa préoccupation quant à l’omission de la définition de terrorisme adoptée dans l’arrêt Suresh et a jugé l’analyse insuffisante (paragraphes 33 et 41) :

[…] le décideur doit préciser les actes auxquels l'organisation s'est livrée, savoir s'il s'agit d'un ou de plusieurs des actes mentionnés aux alinéas a), b) ou c). Une simple affirmation péremptoire fondée sur l'alinéa 34(1)f), sans plus, ne suffit pas.

 

[. . .]

 

Une conclusion d'exclusion doit être fondée sur des motifs qui permettent de connaître la nature du groupe et de conclure à la participation du demandeur au groupe.

 

[58]           Dans Jalil 2006, précité, au paragraphe 32, la Cour a statué que l’agent devait produire la définition du terme « terrorisme » et expliquer en quoi les actes énumérés satisfaisaient à la définition.

 

[59]           Dans Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 658, [2007] A.C.F. no 173 (Naeem 2007) au paragraphe 46, la juge Dawson s’est reportée à Jalil 2006 en déclarant ceci :

À mon avis, la décision de l’agente souffre en l’espèce des mêmes failles. On ne sait trop comment l’agente a interprété et appliqué la définition du terme « terrorisme ». Les motifs de sa décision n’exposent pas les détails et les circonstances des actes qualifiés de terroristes. L’enlèvement, l’agression et l’assassinat sont sans aucun doute des actes criminels, mais ne sont pas nécessairement des actes terroristes. Il incombait à l’agente d’expliquer pourquoi, selon elle, il s’agissait d’actes terroristes. Elle ne l’a pas fait, et ses motifs ne résistent donc pas à un examen assez poussé.

 

[60]           Dans les affaires précitées, les agents ont tous commis la même erreur fatale, soit celle de ne pas fournir de définition de terrorisme. L’agent responsable d’une telle omission peut seulement remédier à la situation en présentant une analyse détaillée de ses raisons de croire que les actes commis sont des actes de terrorisme, afin que la cour de révision puisse établir si l’agent comprenait correctement ce que désigne le terme « terrorisme », même s’il avait omis de mentionner la définition.

 

[61]           Lorsque le décideur présente la bonne définition de terrorisme, une analyse aussi approfondie n’est pas toujours requise. Dans Jalil 2007, précité, la Cour a accepté une explication guère évidente de ce en quoi les actes en litige constituaient des actes de terrorisme :

33     Le défendeur affirme qu’il ressort des motifs de l’agente que les actes attribués au MQM-A sont manifestement visés par la définition de terrorisme établie dans l’arrêt Suresh étant donné que toutes les activités énumérées comportent des actes de violence perpétrés par le MQM-A à des fins politiques qui ont causé des décès ou des blessures graves. De plus, le défendeur soutient la présente affaire se distingue des affaires Naeem et Jalil parce que dans ces cas les agents d’immigration n’ont fourni aucune définition du terme « terrorisme » ni n’ont expliqué comment ils sont arrivés la conclusion que les actes de violence attribués au MQM-A étaient de nature terroriste.

 

34     Je suis d’accord avec le défendeur. Contrairement aux affaires Jalil et Naeem, l’agente a inclu une définition du terme terrorisme dans sa décision. Bien qu’elle n’aie pas explicitement expliqué ce qu’elle a compris de ce terme ni la façon dont elle l’a appliqué, elle l’a implicitement fait lorsqu’elle a soutenu qu’[traduction] « une preuve abondante établit – et tous les observateurs à Karachi le disent – que des membres du parti MQM recourent à la violence pour servir leurs objectifs politiques » [non souligné dans l’original]. A mon avis, cela semble indiquer que l’agente a considéré les actes attribués au MQM-A comme davantage que des actes criminels.

 

35     Bien qu’il eût été souhaitable que l’agente fournisse une analyse plus détaillée sur la façon dont les actes attribués au MQM-A satisfont à la définition de terrorisme donnée dans l’arrêt Suresh, je suis convaincu que ses motifs résistent à un « examen assez poussé » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., 1997 CanLII 385 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 748).

 

 

[62]           L’agent en l’espèce a cité le même passage du document d’Amnesty International : [traduction] « une preuve abondante établit – et tous les observateurs à Karachi le disent – que des membres du parti MQM recourent à la violence pour servir leurs objectifs politiques ». L’agent a aussi énuméré et décrit les éléments de preuve, tirés de nombreuses sources, en ce qui a trait aux meurtres attribués au MQM(A). En tout, l’agent a consacré plus de cinq pages de la décision à la définition du terme « terrorisme » et à la description de la preuve pertinente. J’hésiterais à exiger toujours davantage des motifs écrits des agents.

 

[63]           Le droit n’exige pas que la décision d’un agent résiste à une analyse encore plus poussée, contrairement à ce que prétend le demandeur. La notion de retenue au sens de respect a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] R.C.S. no 9 (QL) et confirmée dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] R.C.S. n12 (QL), aux paragraphes 4, 51 et 59. Selon cette notion, bien que les motifs écrits des tribunaux constituent pour eux le principal moyen de rendre compte de leurs décisions, il faut reconnaître que ces motifs écrits ne sont pas les jugements officiels et qu’ils n’ont pas à résister à une analyse juridique méticuleuse ou microscopique. Dunsmuir nous enseigne, au paragraphe 47, que, dans la mesure où une décision répond aux critères de « justification, transparence et intelligibilité » et appartient « aux issues possibles acceptables », les cours ne devraient pas intervenir.

 

[64]           En l’espèce, l’agent a présenté la définition légale appropriée du terme « terrorisme », et a ensuite cité et examiné les éléments de preuve relatifs aux activités du MQM(A) qui répondaient à cette définition. À mon avis, l’agent a appliqué la définition de terrorisme aux éléments de preuve énumérés conformément aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire sur cette question.

 

[65]           Troisième question

            Était-il raisonnable que l’agent conclue à l’existence de motifs raisonnables de croire que le MQM(A) est une organisation qui s’est livrée au terrorisme. Plus particulièrement :  

                        a.         Était-il raisonnable de rejeter la preuve du demandeur indiquant que les actes de violence étaient attribuables à des membres voyous?

            L’alinéa 34(1)f) exige qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que l’organisation s’est livrée, se livre ou se livrera au terrorisme. Il ne suffit donc pas que l’agent conclue que des personnes appartenant à une organisation se sont livrées à de tels actes. L’organisation même doit être l’auteur de ces actes.

 

[66]           Le demandeur prétend que le MQM(A) est un parti politique légitime au Pakistan. Malheureusement, au Pakistan, même les manifestations politiques légitimes se terminent parfois dans la violence. Toutefois, le demandeur allègue que la position officielle de la direction du MQM consiste à ne pas tolérer ni encourager la violence, quelle qu’elle soit, et que les membres qui ont eu recours à la violence ont été expulsés.

 

[67]           Le demandeur a soumis le manifeste du MQM et la philosophie « du réalisme et du pragmatisme » élaborée par Altaf Hussain, pour montrer que le MQM ne croit pas en l’usage de la violence et ne la préconise pas. Au contraire, les documents révèlent la foi en la tolérance, la démocratie et l’égalité des droits.

 

 

[68]           La Cour a cependant rejeté ce même argument par rapport à d’autres membres du MQM(A). Dans Jalil 2007, précité, au paragraphe 38, le juge Teitlebaum a conclu qu’établir si une organisation s’est livrée au terrorisme représente une décision de fait fondée sur la preuve documentaire. Cette preuve peut porter non seulement sur les déclarations des dirigeants ou des membres, mais aussi sur leurs actes.

 

[69]           L’agent n’a pas à produire des éléments de preuve attestant que l’organisation a sanctionné officiellement les actes de terrorisme. Dans Daud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 701, [2008] A.C.F. no 913 (QL), la juge Tremblay-Lamer a abordé précisément cette question:

 [14]     En ce qui a trait à la question connexe de savoir si le MQM‑A, en tant qu’organisation, a été l’auteur d’actes de terrorisme, le demandeur soutient que cette violence ne faisait pas partie des objectifs du MQM-A. Bien que la loi n’exige pas d’établir qu’une organisation « a sanctionné ou approuvé » les actes terroristes, l’agent doit dans son appréciation sous le régime de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, déterminer s’il existe assez d’éléments de preuve établissant que l’organisation sanctionne effectivement ces actes. (Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 568, [2007] A.C.F. no 763 (QL), au paragraphe 38). 

 

[15]      Le demandeur soutient que l’agent ne pouvait pas conclure que le MQM-A avait été l’auteur d’actes de violence puisque cela ne faisait pas partie des objectifs de l’organisation. Je ne suis pas d’accord avec lui. Cette décision est de nature factuelle et est fondée sur la preuve documentaire qui nous informe non seulement sur les déclarations des membres dirigeants ou de membres de l’organisation mais aussi sur leurs actions. L’analyse en soi se prête mal à une simple comptabilité des membres qui appuient ouvertement les actes de violence; cependant il devient difficile, à ce stade, compte tenu de l’importance et de la fréquence des tactiques de violence employées par l’organisation en question, de considérer les auteurs de ces actes comme de simples membres dévoyés agissant contrairement à la volonté du groupe.

 

                                                            (Non souligné dans l’original.)

 

[70]           En l’espèce, la preuve ne porte pas à croire que l’agent n’a pas compris qu’il devait avoir des motifs raisonnables de croire que le MQM(A), en tant qu’organisation, s’était livrée au terrorisme. Selon les raisons qu’il a exposées, il s’intéressait aux témoignages sur la nature et le mandat du  MQM(A). L’agent a relevé divers éléments de preuve selon lesquels le MQM(A) condamnait toute action provoquant la mort d’innocents, la faction MQM(H) avait été éliminée ou expulsée et le MQM(A) s’opposait fermement au fanatisme religieux. L’agent a aussi renvoyé le demandeur à une liste d’incidents violents attribués au MQM ou à l’APMSO et a sollicité les commentaires du demandeur sur ces documents.

 

[71]           L’agent a pondéré la preuve portant sur les buts déclarés du MQM(A) et la preuve du demandeur en tenant compte de la preuve des actes de violence attribuables au MQM(A) et même de la preuve que les dirigeants du MQM(A) avaient prôné le recours à la force, et il a conclu à l’existence de motifs raisonnables de croire que le MQM(A) s’était livré au terrorisme. À mon sens, c’est une décision de fait qui appartient aux issues possibles acceptables. Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire sur cette question.

 

[72]           Troisième question

b.         L’agent a-t-il négligé de tenir compte des transcriptions des témoignages d’experts?      

            Le demandeur affirme que les agents sont tenus d’accorder une attention particulière à la preuve d’expert. Dans Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1375, [2008] A.C.F. n1750 (QL) (Naeem 2008), une affaire semblable impliquant le MQM(A), le juge Gibson a accueilli la demande de contrôle judiciaire pour trois motifs, le dernier étant que l’agent n’avait ni compris ni pris en compte la preuve d’expert déposée :

 [24]   Bien que les succincts motifs exposés ci-dessus justifient que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, j’ajouterai que, de l’avis de la Cour et avec égards, l’analyse effectuée par l’agente concernant la pertinente preuve de Mme Given et le rejet, sans analyse aucune, de la preuve de M. Rizvi constituent des erreurs susceptibles de contrôle. Une décision comme celle contestée dans la présente affaire est cruciale pour une personne telle que le demandeur en l’espèce. Lorsqu’une importante preuve d’expert est déposée par un avocat respecté au nom d’une personne telle que le demandeur en l’espèce, une analyse plus poussée et plus détaillée est nécessaire si l’on veut la rejeter.

 

 

[73]           La preuve émanant de Mme Given et M. Rizvi consistait en témoignages datant de 2006 qu’ils avaient faits devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Le demandeur exagère en qualifiant les transcriptions de « preuve d’expert ». Premièrement, il n’est pas certain que Mme Given ou M. Rizvi aient déjà été considérés comme des témoins experts par un tribunal judiciaire. Deuxièmement, ni Mme Given ni M. Rizvi n’ont témoigné devant le décideur dans cette affaire. Les transcriptions de leurs témoignages et déclarations ont simplement été présentés avec les autres pièces justificatives du demandeur. J’utiliserai pour les désigner l’expression « transcriptions d’experts ».

 

[74]           Néanmoins, l’agent en l’espèce a consacré une grande partie de ses motifs de décision aux transcriptions d’experts. Il a examiné chaque transcription en détail et analysé les arguments présentés, mais il a indiqué en fin de compte pourquoi il préférait les autres éléments de preuve. L’agent a pris acte du rapport de Mme Given et de ses déclarations au sujet des rapports de Jane’s, d’Amnesty International et de la CISR. Cependant, il a fait observer ce qui suit :

  1. Le rapport de Mme Given ne mentionnait pas d’autres éléments de preuve, tels que la revue Asian Survey et les articles du New York Times et du Toronto Star;
  2. La CISR et la Cour fédérale se sont fondées sur les rapports de Jane’s et d’Amnesty International;
  3. L’évaluation du MQM(A) ne reposait pas uniquement sur les rapports de Jane’s et d’Amnesty International. Plusieurs articles de sources diverses ont servi à évaluer les activités de l’organisation.

 

[75]           Ses motifs montraient aussi clairement que l’agent comprenait que le témoignage de Mme Given ne constituait pas un témoignage d’expert sur le MQM(A), mais était plutôt un élément de preuve attaquant certaines sources de CIC, surtout en ce qui concerne leur objectivité et leur fiabilité.

 

[76]           L’agent a aussi pris en compte le témoignage de M. Rizvi, à savoir que le MQM(A) était une organisation qui ne prônait pas la violence, et le fait qu’il ne pouvait pas nier, néanmoins, que certains membres du MQM s’étaient livrés au terrorisme.

 

[77]           Selon moi, c’est plus qu’il n’en faut pour dissiper les préoccupations exprimées par le juge Gibson dans Naeem 2008.

 

[78]           À mon avis, les arguments du demandeur concernant l’évaluation que l’agent a faite des transcriptions d’experts indiquent simplement son désaccord quant à la méthode d’évaluation de la preuve adoptée par ce dernier. Cette évaluation de la preuve relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent. La cour chargée du contrôle judiciaire n’a pas pour mandat de réévaluer la preuve présentée à un tribunal administratif. L’agent en l’espèce a sûrement admis l’importance de la preuve, mais il a expliqué pourquoi elle ne pouvait influencer sa décision définitive.

 

[79]           Je suis convaincu que cette partie de la décision de l’agent avait les qualités requises en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité et qu’elle appartenait aux issues possibles acceptables. L’agent a rendu une décision raisonnable en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM(A) s’était livré au terrorisme. Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire sur cette question.

 

[80]           En raison des conclusions ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[81]           Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

[82]           LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Copie certifiée conforme

Colette Dupuis

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les articles ci-dessous renferment les dispositions législatives pertinentes :

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

34.(1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

34.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1450-09

 

INTITULÉ :                                       ZAHEER MOHIUDDIN MOHAMMAD

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             Le 19 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Amy Lambiris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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