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Date : 20100127

Dossier : T-1026-09

Référence : 2010 CF 91

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

LINDA ARMSTRONG

demanderesse

 

 

et

 

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Linda Armstrong est membre de la GRC depuis 1977 et est en congé pour cause de maladie depuis cinq ans. On a diagnostiqué chez elle le syndrome du défilé thoraco-brachial gauche, ce qui la rend inapte au travail.

 

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire vise les efforts qu’elle a déployés pour obtenir une pension d’invalidité. En résumé, pour avoir droit à cette pension, il faut que la blessure soit consécutive ou se rattache directement au travail.

 

[3]               Quatre décisions ont été rendues jusqu’à maintenant. La demande a initialement été rejetée au motif que l’invalidité de la demanderesse n’était pas reliée à son travail. Ensuite, après ce que l’on appelle une « audience d’examen de l’admissibilité », elle a obtenu 20 p. 100 d’une pension d’invalidité. La décision du comité d’examen a été confirmée par le« comité d’appel ». La quatrième décision, celle qui fait l’objet du présent contrôle, est le refus de réexaminer la décision du « comité d’appel ».

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que le refus de réexaminer la demande était déraisonnable, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire et ordonne que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.

 

LE CONTEXTE LÉGISLATIF

[5]               Avant d’examiner les antécédents médicaux de Mme Armstrong, il me paraît utile d’exposer le régime législatif applicable à sa demande de pension d’invalidité, étant donné qu’il est constitué de trois lois.

 

[6]               La demande est fondée sur l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, qui dispose :

            32. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et des règlements, une compensation conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée, chaque fois que la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service dans la Gendarmerie, à toute personne, ou à l’égard de toute personne :

            32. Subject to this Part and the regulations, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of the following persons if the injury or disease — or the aggravation of the injury or disease — resulting in the disability or death in respect of which the application for the award is made arose out of, or was directly connected with, the person’s service in the Force

 

[7]               Ainsi, la Loi sur la pension de retraite de la GRC fait intervenir la Loi sur les pensions, qui, à son tour, renvoie à la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel).

 

[8]               Conformément aux dispositions de ces lois, la première demande a été présentée au ministère des Anciens combattants. Mme Armstrong soutient que son invalidité découlait d’une blessure reliée à son service, subie en 1991. Elle est tombée dans un trou d’homme au cours d’une enquête sur un vol qualifié, et elle a subi diverses blessures. Elle a pu continuer à travailler mais son état de santé s’est aggravé, en particulier lorsqu’elle a obtenu un poste de superviseur qui exigeait qu’elle travaille dans un poste de travail mobile placé dans un véhicule de police. Il était conçu de telle façon qu’il a entraîné chez elle une aggravation des douleurs qu’elle ressentait au cou, à l’épaule et dans son bras droit, douleurs qui s’accompagnaient d’une gêne et d’une perte de mobilité. En janvier 2005, un neurologue lui a ordonné de cesser définitivement de travailler.

 

[9]               Au ministère des Anciens combattants, l’arbitre des pensions a estimé que sa blessure n’était pas liée à son service : le service n’en était pas la cause première ni une source d’aggravation. L’arbitre a donc rejeté sa demande.

 

[10]           L’étape suivante était celle de « l’examen de l’admissibilité » par le Tribunal des anciens combattants. Le Tribunal a estimé que le problème de santé de la demanderesse n’était pas dû à son travail bien que son travail l’avait dans une certaine mesure aggravé et il lui a donc accordé un droit à 20 p. 100 de pension pour cette aggravation.

 

[11]           Cette décision a été portée en appel devant un « comité d’appel » qui a autorisé la demanderesse à présenter de nouveaux éléments de preuve, ce qu’elle a fait. Le Tribunal a conclu que le dossier ne comportait aucun document dans lequel elle avait signalé des plaintes à l’épaule gauche ou au cou après l’accident, ou faisant état de telles plaintes, et que Mme Armstrong estimait elle-même que cette chute avait aggravé une blessure à l’épaule qu’elle avait subie au hockey au cours des années 1970, avant qu’elle n’entre dans la GRC.

 

[12]           Le Tribunal a confirmé la décision précédente. Voici ce qu’il a indiqué :

[traduction]

Compte tenu de tous les éléments de preuve, il semble que l’appelante devrait être satisfaite du droit au cinquième de pension qui lui a été accordé. En fait, la preuve indique que la cause première de son problème à l’épaule est la blessure qu’elle a subie au hockey au cours des années 1970 avant son enrôlement, étant donné qu’elle ne s’est pas plainte de son épaule gauche immédiatement après l’accident de mars 1991.

 

 

[13]           Ce résultat a donné lieu à une quatrième décision, la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, savoir la décision qu’a prise le Tribunal, à l’étape du réexamen, de ne pas réexaminer la décision rendu en appel.

 

[14]           La demande de réexamen est fondée sur le paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), lequel dispose de concert avec l’article 31 :

31. La décision de la majorité des membres du comité d’appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

 

32. (1) Par dérogation à l’article 31, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

 

31. A decision of the majority of members of an appeal panel is a decision of the Board and is final and binding.

 

32. (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

 

 

 

[15]           Mme Armstrong souhaitait présenter de nouveaux éléments de preuve pour contester la conclusion selon laquelle la cause première de son invalidité était son ancienne blessure de hockey et, quoi qu’il en soit, elle soutenait que des erreurs, tant de fait que de droit, avaient été commises.

 

LA DÉCISION DU TRIBUNAL DE NE PAS RÉEXAMINER L’AFFAIRE

[16]           Le Tribunal a tout d’abord examiné la question de savoir si les nouvelles preuves médicales présentées étaient vraiment de nouvelles preuves. Il a renvoyé au critère à quatre volets exposé par la Cour suprême dans Palmer & Palmer c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 759, 106 D.L.R. (3d) 212, à la page 224. Le Tribunal devait décider si ces nouvelles preuves auraient pu, avec diligence raisonnable, être présentées plus tôt, si elles étaient pertinentes, si elles étaient plausibles et si elles étaient telles que, si l’on y ajoutait foi, on puisse raisonnablement penser qu’elles auraient influé sur le résultat. Madame la juge Heneghan a utilisé dans le contexte d’une pension le critère à quatre volets applicable aux nouveaux éléments de preuve dans la décision Avocat-conseil en chef des pensions c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1317, 302 F.T.R. 201, conf. par 2007 CAF 298, 370 N.R. 314.

 

[17]           Le Tribunal a estimé que les « nouveaux éléments de preuve » précisaient les renseignements figurant au dossier mais qu’ils n’étaient pas vraiment « nouveaux » étant donné qu’ils auraient pu être présentés plus tôt. Il a reconnu que les éléments de preuve étaient pertinents dans la mesure où ils précisaient des renseignements fournis antérieurement, mais il ne s’est pas prononcé sur leur caractère plausible. Enfin, il a estimé que [traduction] « compte tenu que les éléments de preuve présentés visent à préciser la preuve figurant déjà au dossier, ils ne sont aucunement susceptibles de modifier le résultat de la décision d’appel ».

 

[18]           Après avoir ensuite conclu que les éléments de preuve ne répondaient pas aux exigences du paragraphe 32(1) de la Loi, Le Tribunal a examiné la décision antérieure et a affirmé ce qui suit : [traduction] « … Rien ne nous permet de conclure que des erreurs de fait ou d’interprétation du droit ont été commises. » Il a fait remarquer que le dossier faisait été de plaintes de douleurs à l’épaule gauche et au cou dès 1992, alors que le comité d’appel n’avait indiqué que les plaintes de 1995. Il a toutefois estimé que les plaintes présentées en 1992, contrairement à celles de 1991, n’étaient ni pertinentes ni importantes.

 

LES PRÉSOMPTIONS DE DROIT

[19]           Certaines présomptions assez exceptionnelles doivent être prises en considération pour déterminer la source première ou la source d’aggravation de l’invalidité de Mme Armstrong.

 

[20]           Le paragraphe 21(9) de la Loi sur les pensions crée une présomption réfragable selon laquelle Mme Armstrong était en bonne santé lorsqu’elle est entrée dans la GRC en 1977, quelques années après sa blessure liée au hockey. Les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) prévoient que, pour tenir compte des risques que prennent les hommes et les femmes de nos forces armées et de la GRC qui mettent leurs vies en danger pour protéger le reste de la population, toutes les lois et tous les règlements qui établissent la compétence du Tribunal « doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge ». Le Tribunal était tenu de tirer des circonstances et des éléments de preuve les conclusions les plus favorables possibles à Mme Armstrong, de trancher en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande et d’« accepte[r] tout élément de preuve non contredit que lui présente [celle-ci] et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence ».

 

LES ANTÉCÉDENTS MÉDICAUX DE Mme ARMSTRONG

[21]           Il importe de souligner qu’immédiatement après sa chute en 1991, survenue au cours d’une enquête sur un vol qualifié, elle a fait état d’un certain nombre de problèmes, notamment de douleurs dans la région de son sein gauche.

 

[22]           Après l’accident, son médecin de famille lui a fait suivre une physiothérapie et lui a fait consulter un autre médecin qui a diagnostiqué chez elle un blocage de l’épaule gauche. Il a ordonné une physiothérapie intensive qui a permis de libérer l’articulation de l’épaule.

 

[23]           La blessure reliée au hockey subie avant son entrée dans la GRC a déjà été mentionnée. On ne sait même pas très bien de quelle épaule il s’agissait. Le seul médecin qui a fait un commentaire à ce sujet était le Dr McCormick, un chirurgien orthopédique à qui elle avait été référée. Il a déclaré : [traduction] « Ses antécédents concernent principalement une blessure à l’épaule subie dans les années 1970 à la suite d’une chute survenue au cours d’un matche de hockey mais cette blessure a été guérie grâce à un traitement symptomatique et il est difficile de savoir avec précision quel était le diagnostic qui avait été posé à l’époque. » Il a également mentionné une intervention chirurgicale à la mâchoire. Il n’a pas constaté de signes de tendinite mais a recommandé qu’elle poursuive la physiothérapie.

 

[24]           À la fin de l’année 1995, Mme Armstrong occupait le poste de surveillante de la circulation à Burnaby dans un véhicule policier qui était équipé d’un poste de travail mobile, ce qui constituait à l’époque un projet pilote. Il semble que l’utilisation de ce poste ait aggravé de façon importante les problèmes qu’elle connaissait sur le côté gauche de son cou, sur son omoplate gauche et dans son bras gauche.

 

[25]           Malgré les traitements chiropratiques et les massages, les symptômes se sont aggravés à un point tel qu’elle était incapable de tenir quoi que ce soit ou de le lever le bras gauche pour se laver les cheveux.

 

[26]           Elle a obtenu un congé de maladie en janvier 1998, mais après une longue physiothérapie et un programme de retour au travail progressif, elle a repris ses activités à temps plein en octobre 1999. Cependant, en mai 2004, ses problèmes étaient devenus permanents. Au mois de novembre, le Service de santé de la GRC est intervenu et a pris des dispositions pour qu’elle consulte une clinique spécialisée.

 

[27]           Le premier neurochirurgien, le Dr Sahpaul, a recommandé qu’elle ne travaille que des demi-journées. Ses problèmes ne se sont pas améliorés et ils ont en fait empiré.

 

[28]           En janvier 2005, un neurologue, le Dr Teal, lui a ordonné de cesser de travailler pour une période indéterminée. Elle a subi un test de conduction nerveuse et a été examinée par le Dr Salvian, un neurologue, qui a diagnostiqué chez elle le syndrome du défilé thoraco-brachial gauche. Elle a demandé deux mois plus tard une pension d’invalidité.

 

[29]           Ce n’est qu’au moment où le « comité d’appel » a été saisi de l’affaire qu’a été présenté le témoignage du Dr Peter Fry, un spécialiste de la chirurgie vasculaire et un expert du syndrome du défilé thoraco-brachial. Il a appuyé l’opinion du Dr Salvian, qui n’a jamais été contestée, mais il a également émis une opinion au sujet de la cause du problème. Il a passé en revue ses antécédents médicaux, effectué des tests et a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Je pense que la blessure s’explique par le fait que la demanderesse est sans doute née avec des défilés thoraco-brachiaux étroits par rapport à des bandes anormales, ce que nous constatons très souvent au cours des interventions chirurgicales, et les antécédents de blessure aux tissus mous, de traumatisme et de surcharge chronique ont ensemble causé l’apparition du syndrome neurogène et vasculogène du défilé thoraco-brachial, avec des symptômes plus accentués du côté gauche que du côté droit.

 

Très probablement, la chute dans le trou d’homme a été l’élément principal pour ce qui est des événements déclencheurs et la situation qu’a entraîné une surcharge chronique après la réhabilitation, la physiothérapie, la réactivation et le retour au travail, a exacerbé le problème.

 

 

[30]           Il conclut ce qui suit dans son résumé :

[traduction]

Je n’ai donc aucune hésitation à attribuer entièrement la cause de ses symptômes à ces deux événements mais j’ajouterais, à titre de précision, que l’anatomie sous-jacente anormale du défilé thoraco-brachial l’a peut-être rendue plus vulnérable à ces événements.

 

 

LES NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE PREUVE PRÉSENTÉS À L’AUDIENCE DE RÉEXAMEN

 

[31]           Les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés dans le cadre de la demande devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) en vue de réexaminer la décision prise par le « comité d’appel » étaient des lettres provenant du médecin de famille de Mme Armstrong, le Dr van der Merwe et le Dr Salvian. Les deux contestaient la conclusion selon laquelle son invalidité découlait de la blessure qu’elle avait subie en jouant au hockey au cours des années 1970. Le Dr Salvian a fait remarquer qu’elle avait travaillé à temps plein avant la blessure subie en 1991 sans qu’elle n’ait ressenti aucun symptôme dans le bras gauche et qu’elle s’était plainte de douleurs dans la région du sein gauche. Il a fait référence au rapport du Dr McCormick, un spécialiste de l’épaule. Il a fait remarquer que les problèmes qu’elle connaissait au bras gauche n’étaient pas reliés à l’épaule gauche. Le syndrome du défilé thoraco-brachial est une compression des nerfs et des vaisseaux sanguins irrigant le bras. Son bras gauche était entièrement fonctionnel avant l’accident de 1991. Il a mis en doute l’opinion du Tribunal selon laquelle le fait de tomber dans un trou d’homme à ce moment-là n’est pas un accident suffisamment grave pour avoir entraîné l’apparition du syndrome post-traumatique du défilé thoraco-brachial et il a fourni un article médical sur ce sujet.

 

[32]           Il a mentionné à nouveau que son dossier médical après la chute dans le trou d’homme survenue en 1991 contenait un grand nombre de conclusions correspondant à un patient souffrant d’un syndrome post-traumatique du défilé thoraco-brachial. [traduction] « Elles n’ont certainement rien à voir avec une blessure subie en 1970 à la suite de laquelle elle n’a eu aucun symptôme au bras gauche. » Il a estimé qu’un droit à de 20 p. 100 d’une pension d’invalidité était beaucoup trop faible.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[33]           La norme de contrôle de la décision raisonnable, telle qu’exposée dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a été expressément appliquée dans ce contexte par le juge Mosley dans la décision Bullock c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1117, 336 F.T.R. 73, dans laquelle le juge s’est fondé sur la jurisprudence antérieure. Cette norme de contrôle n’est pas contestée.

 

ANALYSE

[34]           L’article 31 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) n’exige pas, à la différence de l’article 111 qui traite de la compétence qu’il a héritée des tribunaux précédents, que soient présentés de nouveaux éléments de preuve pour appuyer la décision de réexaminer.

 

[35]           La Cour est invitée à examiner une révision. En définitive, il ne s’agit donc pas de savoir si j’estime que la décision du comité d’appel est déraisonnable mais plutôt si j’estime que le réexamen de cette décision par une autre formation du Tribunal est déraisonnable.

 

[36]           Le comité d’appel ne disposait toutefois d’aucun fait l’autorisant à établir un lien entre l’invalidité de Mme Armstrong et la blessure qu’elle avait subie au hockey dans les années 1970; par conséquent, aucun élément du dossier n’autorisait le comité à affirmer par la suite, à l’étape de l’examen, que cette décision ne comportait aucune erreur. L’opinion du Dr McCormick, formulée plusieurs années avant que Mme Armstrong demande une pension, était à l’effet contraire. L’opinion du Dr Fry, qui a été jugé crédible, relie directement son invalidité à l’accident de travail subi en 1991, aggravé par ses tâches postérieures qu’exigeait son poste de travail mobile dans son véhicule de police.

 

[37]           Rien ne permet de tenir pour acquis que le Tribunal possède lui-même une expertise médicale. L’article 38 de la Loi l’autorise à demander l’avis d’un expert médical. C’est ce qui a amené le juge Nadon, maintenant juge à la Cour d’appel, à conclure, dans Rivard c. Procureur général du Canada, 2001 CFPI 704, 209 F.T.R. 43, que le Tribunal ne possédait aucune expertise inhérente dans ce domaine.

 

[38]           La conclusion du comité d’appel qui reliait son invalidité à la blessure subie au hockey n’était donc qu’une pure conjecture à laquelle il est impossible d’accorder une force probante. Il n’y avait aucune preuve médicale contradictoire dans la présente affaire. Le dossier ne contenait aucun fait autorisant le Tribunal à établir un lien causal entre sa blessure subie au hockey et son invalidité. S’il se posait des questions à ce sujet, le Tribunal aurait pu demander un autre avis médical.

 

[39]           Le juge MacGuigan, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a fait remarquer ce qui suit dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, [1989] A.C.F. n° 505 (QL) :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.) :

 

[TRADUCTION]  Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et, si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction…

 

[40]           Il pourrait être fait droit à la demande de contrôle judiciaire pour ce seul motif. Compte tenu de l’absence de lien causal entre l’invalidité de Mme Armstrong et l’accident de hockey, nous avons ici une affaire classique de « vulnérabilité de la victime », si l’on se base sur l’opinion du Dr Fry selon lequel elle avait une prédisposition à cette maladie. La règle de « la vulnérabilité de la victime », qui veut que l’auteur du délit prenne sa victime comme elle est, est bien connue en droit pénal et en droit de la responsabilité délictuelle. Dans Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458, aux paragraphes 34 à 36, le juge Major a résumé cette règle de la façon suivante :

34.            Les intimés ont affirmé que le demandeur avait une prédisposition à subir une hernie discale et qu’il y a donc lieu d’appliquer la règle de la vulnérabilité de la victime, qui repose sur le principe assez simple que l’auteur du délit est responsable des dommages subis par le demandeur, même s’ils sont d’une gravité imprévue en raison d’une prédisposition.  L’auteur du délit doit prendre sa victime comme elle est, et il est donc responsable même si le préjudice subi par le demandeur est plus considérable que si la victime avait été une personne ordinaire.

 

35.            La règle de la vulnérabilité de la victime reconnaît simplement que l’état préexistant du demandeur était inhérent à sa « situation originale ».  Le défendeur n’a pas à rétablir le demandeur dans une meilleure situation que sa situation originale.  Le défendeur est responsable du préjudice causé, même s’il est très grave, mais il n’a pas à indemniser le demandeur des effets débilitants qui sont imputables à l’état préexistant et que ce dernier aurait subis de toute façon.  Le défendeur est responsable des dommages supplémentaires mais non des dommages préexistants :  Cooper‑Stephenson, op. cit., aux pp. 779 et 780; et John Munkman, Damages for Personal Injuries and Death (9e éd. 1993), aux pp. 39 et 40.  De même, s’il y a un risque mesurable que l’état préexistant aurait entraîné des conséquences nuisibles pour le demandeur dans l’avenir, indépendamment de la négligence du défendeur, il peut alors en être tenu compte pour réduire le montant de l’indemnité globale:  Graham c. Rourke et Malec c. J. C. Hutton Proprietary Ltd., précités; Cooper‑Stephenson, op. cit., aux pp. 851 et 852.  Ce résultat est conforme à la règle générale suivant laquelle il  faut rétablir le demandeur dans la situation où il aurait été, avec ses risques et ses inconvénients, et non dans une meilleure situation.

 

36.            L’argument fondé sur la vulnérabilité de la victime est l’argument le plus solide des intimés, mais il doit, à mon avis, être rejeté à la lumière des faits constatés par le juge de première instance.  Celle‑ci n’a pas conclu à l’existence de quelque risque mesurable que l’hernie discale se serait produite sans l’accident, et il n’y avait donc aucune raison de réduire le montant de l’indemnité pour tenir compte d’un tel risque.

 

[41]           Ce principe a été appliqué dans des affaires de pension. M. le juge Blanchard a fait droit à une demande de contrôle judiciaire dans Dugré c. Canada (Procureur général), 2008 CF 682. M. Dugré, un membre des Forces canadiennes, a fait une chute sur le dos au cours d’une séance d’activités physiques. Cette chute a aggravé un état de santé apparemment asymptomatique à tous autres égards. Le comité d’examen a retenu les trois cinquièmes de sa pension. Voici ce qu’a dit le juge Blanchard au paragraphe 24 :

L’argument du défendeur s’appuie essentiellement sur la règle de la vulnérabilité de la victime qui repose sur le principe que l’auteur du délit est responsable des dommages subis par le demandeur, même s’ils sont d’une gravité imprévue en raison d’une prédisposition. Cette doctrine prévoit aussi que le défendeur n’a pas à rétablir le demandeur dans une meilleure situation que sa situation originale. En fait, le défendeur est responsable du préjudice causé, mais il n’a pas à indemniser le demandeur des effets débilitants qui sont imputables à l’état préexistant et que ce dernier aurait subis de toute façon. En d’autres mots, l’auteur du délit doit prendre sa victime comme elle est, et il est donc responsable même si le préjudice subi par le demandeur est plus considérable que si la victime avait été une personne non atteinte de la spondylolyse (Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458 aux paragraphes 34 et 35). Ici, le défendeur affirme que les affections dont souffre le demandeur ne sont pas entièrement le résultat de sa chute du 21 juillet 1988, mais que sa condition préexistante, c’est‑à-dire le spondylolisthésis asymptomatique, était également contributive. Le défendeur affirme aussi que les affections dont souffre le demandeur sont « également le résultat de sa condition personnelle reconnue par les médecins et par le demandeur lui-même. »  Ainsi, toujours selon le défendeur, en vertu du paragraphe 21(2.1) de la Loi, il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de retenir deux cinquièmes de la pension. Je ne peux retenir cet argument. La preuve au dossier indique clairement qu’avant la chute du 21 juillet 1988, le demandeur était en bonne santé malgré l’existence d’un spondylolisthésis asymptomatique. Aucune preuve en l’espèce n’indique que les effets débilitants dont souffre le demandeur sont imputables à l’état préexistant.

 

 

Voir également Matusik c. Canada (Procureur général), 2005 CF 198. Le comité d’examen a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas examiné le droit à 20 p. 100 de la pension d’invalidité en tenant compte de la règle de la « vulnérabilité de la victime », étant donné que Mme Armstrong était en mesure d’exercer toutes ses fonctions d’agent de la GRC avant qu’elle ne se blesse au travail en 1991.

 

[42]           En outre, la conclusion selon laquelle il n’y avait pas de « nouveaux éléments de preuve » était déraisonnable. Selon le Tribunal, Mme Armstrong aurait dû prévoir la possibilité qu’il tire une conclusion établissant un lien entre son invalidité et sa blessure de hockey et que, par conséquent, elle n’a pas exercé une diligence raisonnable pour présenter les derniers rapports médicaux émanant du Dr van der Merwe et du Dr Salvian. Cependant, étant donné la présomption selon laquelle la preuve médicale était crédible, je ne vois pas comment elle aurait pu prévoir la conclusion à laquelle le Tribunal allait en arriver en « comité d’appel » et elle a donc respecté l’obligation de diligence raisonnable. Elle n’aurait pu présenter une opinion médicale démontrant que la conclusion du Tribunal était mal fondée avant que cette conclusion ne soit tirée.

 

[43]           Pour les présents motifs, il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire avec dépens.


 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.      Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

2.      La décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) datée du 29 avril 2009 dans laquelle il refusait de réexaminer la décision du 18 décembre 2007 d’un comité d’appel et de rouvrir l’appel est annulée.

3.      L’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant une nouvelle formation du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) conformément aux présents motifs.

4.      Le tout avec dépens.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Linda Brisebois, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-1026-09

 

INTITULÉ :                                                   Linda Armstrong c. Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           le 11 janvier 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 27 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Barry Carter

 

POUR LA DEMANDERESSE

Malcolm Palmer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mair Jensen Blair

Avocats

Kamloops (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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