Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100112

Dossier : IMM-1639-09

Référence : 2010 CF 35

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

KOFI AMPONG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant une décision défavorable (la décision) qui a été rendue le 17 février 2009 à l’égard de l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) du demandeur et qui rejetait la demande du demandeur par laquelle il voulait se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en application des articles 96 et 97 de la LIPR. 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Ghana âgé de 27 ans, qui a obtenu un visa pour visiter le Canada. Après être arrivé au Canada, il a obtenu un permis d’études, valide jusqu’en août 2005. Le demandeur n’a pas quitté le Canada quand son permis a expiré. Au lieu de cela, il a travaillé sans permis jusqu’en septembre 2007, période à laquelle sa situation a été portée à l’attention des autorités de l’immigration. En octobre 2007, une mesure de renvoi a été prise à son endroit.

 

[3]               En septembre 2007, le demandeur a été victime d’une agression. Il a alors subi de graves lésions de la moelle épinière. Le demandeur est aujourd’hui paraplégique et n’a qu’une mobilité réduite des membres supérieurs. Il ne peut se tenir debout ou marcher et souffre également d’incontinence.

 

[4]               Le demandeur a présenté deux demandes de résidence permanente, qui ont toutes deux été refusées. Sa première demande, déposée au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, a été rejetée en janvier 2005. Sa seconde demande, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, a été rejetée en juillet 2008.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[5]               La demande d’ERAR du demandeur était fondée sur l’idée que sa vie serait gravement menacée s’il ne recevait pas les soins médicaux dont il a besoin. Le demandeur prétend qu’il ne pourrait pas recevoir ces soins au Ghana.

 

[6]               En l’espèce, l’agent d’ERAR (l’agent) a examiné tous les documents que le demandeur a présentés, soit un rapport de la GRC relatif aux voies de fait graves dont le demandeur a été victime en 2007, une lettre d’un médecin décrivant la gravité des blessures du demandeur et les soins qui lui sont devenus nécessaires du fait de ces blessures ainsi que les documents personnels du demandeur.

 

[7]               Dans la lettre déposée en preuve, le médecin a souligné que [traduction] « le traitement des patients souffrant de lésions de la moelle épinière est une sous-spécialité qui n’est pas pratiquée ou n’est pas offerte dans les régimes de santé des pays du tiers-monde. » Le médecin a laissé entendre qu’en matière de système de santé, il était vraisemblable de considérer le Ghana comme un pays du tiers‑monde.

 

[8]               En outre, le médecin a établi que le demandeur serait exposé à des risques importants s’il était renvoyé au Ghana, affirmant : [traduction] « il est probable qu’il souffre de complications et il y a de grands risques qu’il contracte une maladie grave potentiellement mortelle ». Toutefois, l’agent a conclu que ces déclarations avaient une valeur probante limitée dans la mesure où elles étaient [traduction] « plutôt de nature conjecturale ».

 

[9]               L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas produit de [traduction] « preuve objective reposant sur des sources montrant que le Ghana est incapable de fournir des soins médicaux adéquats à ses citoyens ». En outre, le demandeur n’est pas parvenu à prouver que le Ghana [traduction] « entretient des pratiques de l’ordre de la persécution, ou discriminatoires au point de pouvoir constituer de la persécution, en ce qui a trait à l’accès aux soins médicaux ».

 

[10]           Bien que l’agent ait admis que le demandeur souffrait de lésions de la moelle épinière permanentes et débilitantes, il n’était pas convaincu que le demandeur était une personne à protéger du fait de ses problèmes médicaux. Par conséquent, il a conclu que le demandeur serait exposé aux mêmes menaces et risques que toutes les personnes dans sa situation au Ghana, et il a conclu que l’incapacité du Ghana à fournir au demandeur les soins médicaux dont il a besoin ne mettait pas la vie de ce dernier en danger.

 

[11]           L’agent a conclu que les risques auxquels le demandeur était exposé n’étaient pas énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR. En outre, il a conclu que le demandeur avait fondé sa demande sur [traduction] « des circonstances personnelles exclues par l’alinéa 97(1)b) ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[12]           En l’espèce, les questions en litige peuvent être résumées de la manière suivante :

 

1.                  L’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur ne serait pas exposé à une menace ou à un risque à son retour au Ghana, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR;

2.                  L’agent a commis une erreur dans son appréciation de la preuve;

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[13]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[14]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a admis que même si la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement raisonnable sont des normes théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devraient être fusionnées pour en former une seule : « la raisonnabilité ».

 

[15]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir a aussi décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[16]           La question de l’application d’un critère juridique aux faits d’une affaire est une question mixte de fait et de droit. En pareil cas, c’est la norme de raisonnabilité qui s’applique. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 164. Ainsi, la Cour fera preuve de retenue en examinant la question de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur ne serait pas exposé à une menace ou à un risque s’il retournait au Ghana, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[17]           L’évaluation de la preuve que l’agent a effectuée est susceptible de contrôle selon la norme de raisonnabilité. Voir Dunsmuir, précité au paragraphe 51. Ainsi, il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation de la preuve faite par l’agent ainsi de la décision qu’il a prise quant au poids à lui accorder.

 

[18]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        La méconnaissance de la preuve d’expert

 

[19]           Le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur en concluant que le témoignage du médecin était [traduction] « plutôt de nature conjecturale ». Le demandeur fait valoir que le médecin est un spécialiste, qui a établi qu’[traduction] « il est probable qu’il souffre de complications » et qu’[traduction] « il y a de grands risques qu’il contracte une maladie grave potentiellement mortelle ». L’agent a commis une erreur en n’accordant qu’une faible valeur probante à ce témoignage d’expert et en se fiant à sa propre opinion pour décider si la vie du demandeur serait en danger du fait que le Ghana est incapable de lui fournir les soins médicaux dont il a besoin.

 

Le sous‑alinéa 97(1)b)(iv)

 

[20]           La LIPR exige que « la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats ». Cependant, le demandeur affirme que ce n’est pas son cas dans la mesure où les soins médicaux qui lui sont nécessaires sont directement liés au fait qu’il a été agressé au Canada par un Canadien. Le demandeur ajoute que le Canada doit prendre ses responsabilités à l’égard de ses victimes.

 

[21]           En outre, le demandeur affirme qu’en l’espèce, la question n’est pas simplement de savoir s’il recevra un traitement adéquat dans le cas où il serait expulsé, mais bien de savoir s’il recevra un traitement adéquat s’il est renvoyé du pays dans lequel il a été blessé, pays qui n’est pas disposé à le protéger maintenant qu’il est devenu vulnérable.

 

Les articles 96 et 97

 

[22]           Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur en établissant que les menaces et les risques auxquels le demandeur est exposé ne sont pas visés par les articles 96 et 97 de la LIPR. Le demandeur craint avec raison d’être persécuté du fait de son invalidité. Au Ghana, les personnes handicapées sont exposées à la discrimination, à la pauvreté et à la mort.

 

[23]           À titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que d’après la décision Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1008, 256 F.T.R. 154, une conclusion défavorable (sur la crédibilité dans la décision Ozdemir) relative à l’article 96 ne règle pas nécessairement la demande au regard du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[24]           Le demandeur affirme être exposé à des risques de discrimination et de pauvreté en raison de son invalidité. Au Ghana, en tant que personne handicapée, il sera dans l’impossibilité de subvenir à ses besoins et d’obtenir les soins adéquats. Le demandeur soutient que sa vie sera en danger parce qu’il ne sera pas capable de subvenir à ses besoins. Cette incapacité fera surtout en sorte qu’il vivra dans l’indigence et qu’il s’affaiblira. Le demandeur soutient que cette situation accroîtra sa vulnérabilité, ce qui le conduira à un état de pauvreté accrue.

 

[25]           Finalement, le demandeur soutient que la Cour devrait accueillir le contrôle judiciaire de la décision afin de respecter les objectifs de la LIPR, dont l’alinéa 3(2)e) est ainsi rédigé :

de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain[.]

 

            Le défendeur

                        Le sous‑alinéa 97 (1)b)(iv)

 

[26]           Le défendeur fait valoir que la demande du demandeur est exclue en application du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR, étant donné qu’elle se fonde sur son état de santé et sur l’incapacité prétendue du Ghana de lui fournir des soins médicaux adéquats. Dans l’arrêt Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169, au paragraphe 41, la Cour d’appel fédérale a étudié cette disposition et a conclu que le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) :

[…] empêche de reconnaître la qualité de personnes à protéger aux personnes qui fondent leur demande sur des éléments de preuve tendant à démontrer que leur pays d'origine est incapable de fournir des soins médicaux adéquats parce qu'il a choisi de bonne foi, pour des raisons légitimes de politique et de priorités financières, de ne pas fournir de tels soins à ses ressortissants. Cependant, le demandeur qui réussit à démontrer que le refus de son pays de fournir les soins en question n'est pas légitime peut éviter de tomber sous le coup de cette exception.

 

[27]           Le demandeur a allégué un risque qui tombe manifestement sous le coup de ce sous‑alinéa. Il ne peut donc s’en servir pour fonder sa demande de protection aux fins de l’ERAR. Le défendeur ajoute qu’un agent d’ERAR n’a pas la compétence voulue pour déclarer cette disposition inopérante. Voir l’arrêt Covarrubias, précité, au paragraphe 56.

 

[28]           L’agent était lié par ce sous‑alinéa et il a reconnu avec raison que cette disposition lui imposait certaines limites. En outre, les facteurs invoqués par le demandeur sont des questions à examiner dans le cadre d’une demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire. Un ERAR n’est pas le cadre approprié pour examiner de tels facteurs. Voir Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 516, 273 F.T.R. 11, aux paragraphes 15 et 16. Le demandeur ne peut avoir gain de cause en se fondant sur des facteurs qui ne sont pas des motifs de protection recevables, ou qui conviennent davantage à une demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire.

 

 

 

 

L’examen approprié de la preuve

 

[29]           Le défendeur soutient que la décision prise à l’égard de la preuve présentée par le demandeur était fondée sur l’examen et l’évaluation de la preuve effectués par l’agent. Ces tâches relèvent clairement du mandat et du pouvoir discrétionnaire de l’agent.

 

[30]           L’agent a étudié aussi bien la preuve du demandeur que son état de santé et il a conclu qu’il n’était pas une personne à protéger. Pour ce faire, l’agent a apprécié la preuve afin de savoir si elle était suffisante quant à sa valeur probante, son poids et sa pertinence.

 

[31]           Même si le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur en évaluant la preuve médicale, le défendeur soutient que l’agent l’a correctement évaluée. En outre, l’agent avait tout loisir de tirer la conclusion selon laquelle la preuve avait une faible valeur probante dans la mesure où elle était de nature conjecturale. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve et de substituer sa propre décision à celle de l’agent.

 

[32]           La décision de l’agent était une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». 

 

 

 

 

ANALYSE

 

[33]           Il ressort clairement de la décision de l’agent qu’il a estimé que le demandeur n’avait pas fourni de [traduction] « preuve objective reposant sur des sources montrant que le Ghana est incapable de fournir des soins médicaux adéquats à ses citoyens ».

 

[34]           L’agent a conclu que l’opinion médicale fournie par le docteur Milczarek sur la question des soins médicaux au Ghana était [traduction]  « plutôt de nature conjecturale », mais le docteur Milczarek a renvoyé au site Internet de l’Organisation mondiale de la santé et aux problèmes qui y étaient qualifiés d’inhérents aux pays du tiers-monde, tirant la conclusion suivante :

[traduction]

 

Par conséquent, si M. Ampong devait être expulsé au Ghana, il est probable qu’il souffre de complications et il y a de grands risques qu’il contracte une maladie grave potentiellement mortelle.

 

 

[35]           En un sens, il est évident qu’il s’agit d’une opinion « plutôt de nature conjecturale », dans la mesure où personne ne peut affirmer que le demandeur mourra. Toutefois, si on garde à l’esprit le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur pour l’application des articles 96 et 97, je pense qu’il est déraisonnable que l’agent rejette ce témoignage, dans la mesure où la conclusion d’un médecin praticien qualifié selon laquelle le demandeur tomberait vraisemblablement gravement malade et mourrait s’il ne recevait pas les traitements qui lui sont nécessaires, n’est pas conjecturale.

 

[36]           Toutefois, le demandeur n’est pas au bout de ses peines parce que l’agent a également conclu, à titre subsidiaire, que les menaces et les risques auxquels le demandeur serait exposé ne tombaient pas sous le coup des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[37]           L’agent a conclu que le demandeur n’était pas visé par l’article 97 de la LIPR dans la mesure où les menaces et les risques auxquels il prétend être exposé sont, en fin de compte, fondés sur l’incapacité du Ghana de lui fournir les soins médicaux dont il a besoin. Il s’agit de l’exception prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. Voir l’arrêt Covarrubias, précité, au paragraphe 41.

 

[38]           De plus, l’agent a visiblement estimé que le demandeur ne pouvait se réclamer de la protection offerte par l’article 96 de la LIPR relativement à la persécution, dans la mesure où [traduction] « les informations présentées ne permettent pas de parvenir à la conclusion selon laquelle le Ghana entretient des pratiques de l’ordre de la persécution, ou discriminatoires au point de pouvoir constituer de la persécution, en ce qui a trait à l’accès aux soins médicaux ».

 

[39]           Il est clair que les conclusions tirées par l’agent relativement à la persécution visée à l’article 96 et aux menaces et aux risques visés à l’article 97 étaient fondées sur les éléments de preuve que le demandeur lui avait fournis. Si c’est tout ce qu’il y avait à faire, je crois que la preuve du demandeur ne suffirait pas à fonder une demande pour des raisons de persécution au sens de l’article 96 ou de menaces et de risques au sens de l’article 97.

 

[40]           Toutefois, dans le contexte d’une demande d’ERAR, l’agent ne peut se limiter à examiner la preuve du demandeur; il doit mener ses propres recherches. Voir le guide des politiques et procédures relatives à l’ERAR (PP3) de Citoyenneté et Immigration Canada, à la section 10.3 (le guide d’ERAR), et Hassaballa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489, [2007] A.C.F. n° 658, au paragraphe 33. La décision de l’agent trahit le fait qu’il n’a pas consulté d’autres sources avant de rendre sa décision.

 

[41]           Si l’agent avait mené ses propres recherches, conformément au guide d’ERAR et aux motifs de la décision Hassaballa, il aurait pu trouver, par exemple, le rapport de 2007 intitulé Survey on Health in Ghana (Rapport sur la santé au Ghana), dans lequel on peut lire que [traduction] « les personnes handicapées au Ghana, ainsi que dans la plupart des régions de l’Afrique, sont exposées à de multiples discriminations, que ce soit au foyer, dans la communauté ou dans l’ensemble de la société. C’est également le cas sur le plan de la répartition des ressources et des débouchés offerts. »

 

[42]           Les discriminations multiples peuvent équivaloir à de la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR. Ainsi, dans la décision Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 466, [2008] A.C.F. n° 1028, il a été décidé que dans le contexte d’une décision relative à de la persécution, il était important de tenir compte des effets cumulatifs. Dans cette décision, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) avait commis une erreur en se contentant de conclure à la disponibilité des soins médicaux, négligeant d’étudier les effets cumulatifs de la discrimination dans la fourniture des soins de santé ainsi que de la discrimination dont les chercheurs d’emploi étaient victimes.

 

[43]           D’après le rapport sur la santé au Ghana de 2007, les personnes handicapées représentent environ 10 % de la population du pays. Par conséquent, il est tout à fait possible que le demandeur fasse partie d’un groupe social particulier au Ghana, victime d’une forme de discrimination équivalant à de la persécution, que ce soit sur le plan de la fourniture des soins de santé ou en raison des effets cumulatifs des autres formes de discrimination, y compris [traduction] « de multiples discriminations, que ce soit au foyer, dans la communauté ou dans l’ensemble de la société. C’est également le cas au niveau de la répartition des ressources et des débouchés offerts ». Voir le rapport sur la santé au Ghana de 2007.

 

[44]           Le défendeur soutient que la demande d’ERAR du demandeur était fondée sur l’incapacité du Ghana de lui fournir des soins médicaux adéquats et qu’il serait déraisonnable de demander à l’agent d’effectuer des recherches et de consulter des sources d’information relatives aux menaces et aux risques autres que ceux allégués par le demandeur. Le défendeur prétend que cela aurait pour effet de décharger le demandeur du fardeau qui lui incombe de préciser les risques sur lesquels il fonde sa demande, ce qui serait inacceptable.

 

[45]           Je ne suis pas convaincu par l’argument du défendeur pour une simple et unique raison : l’agent a clairement tenu compte de l’existence d’une telle discrimination au Ghana dans ses motifs. Comme il l’a lui‑même écrit : [traduction] « les informations présentées ne permettent pas de parvenir à la conclusion selon laquelle le Ghana entretient des pratiques de l’ordre de la persécution, ou discriminatoires au point de pouvoir constituer de la persécution, en ce qui a trait à l’accès aux soins médicaux ». En s’exprimant ainsi, l’agent a clairement reconnu qu’il était possible que des pratiques discriminatoires aient cours en matière de fourniture de soins de santé, pratiques équivalant à de la persécution. Toutefois, l’agent a écarté cet élément en concluant que les informations présentées ne justifiaient pas une telle conclusion. L’agent a commis une erreur en négligeant de mener des recherches sur ce qu’il reconnaissait être une question potentiellement déterminante.

 

[46]           Comme l’agent l’a fait remarquer, des pratiques discriminatoires dans la fourniture des soins de santé peuvent constituer de la persécution. Voir par exemple la décision Diaz c. Canada (Ministre de la Sécurité publique), 2008 CF 1243, 336 F.T.R. 259. Comme il a été énoncé au paragraphe 35 de cette décision, « [d]es soins de santé inadéquats, en soi, ne peuvent pas servir de fondement à une demande (s’ils sont fournis sans discrimination […]) ». Le pendant de cette conclusion est que des soins de santé entachés de discrimination peuvent fonder une demande d’ERAR. L’article 3.1.9. du document de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulé « Regroupement des motifs de protection dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » est rédigé de la manière suivante :

[…] On peut généralement établir une distinction entre l’incapacité d’un pays à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats et les situations dans lesquelles des soins médicaux ou de santé adéquats sont fournis à certaines personnes, mais non à d’autres. Les personnes qui se voient refuser un traitement peuvent fonder une demande d’asile en vertu de l’alinéa 97(1)b) parce que dans leur cas, le risque découle du refus du pays à leur fournir des soins adéquats. Les demandes impliquant ces types de situations pourraient aussi donner lieu à la reconnaissance de la qualité de réfugié si le risque est lié à un des motifs prévus à la définition de réfugié au sens de la Convention. […]

 

 

Ainsi, l’agent a commis une erreur en écartant cet aspect de la demande sans avoir mené des recherches adéquates en vue de s’assurer que la demande ne devait pas être acceptée sur cette base.

 

[47]           Si on se fie au paragraphe 41 de l’arrêt Covarrubias, précité, le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) :

[…] empêche de reconnaître la qualité de personnes à protéger aux personnes qui fondent leur demande sur des éléments de preuve tendant à démontrer que leur pays d'origine est incapable de fournir des soins médicaux adéquats parce qu'il a choisi de bonne foi, pour des raisons légitimes de politique et de priorités financières, de ne pas fournir de tels soins à ses ressortissants. […]

 

 

[48]           Toutefois, s’il existe des raisons illégitimes de refuser de tels soins, des raisons relevant de la persécution par exemple, l’exception peut ne pas s’appliquer. Voir le paragraphe 41 de l’arrêt Covarrubias. Ainsi, d’après l’arrêt Covarrubias, au paragraphe 39 :

 

[…] Le libellé d[u sous‑alinéa 97(1)b)(iv)] permet de toute évidence à l'intéressé d'obtenir la qualité de personne à protéger lorsqu'il peut démontrer qu'il serait personnellement exposé à une menace à sa vie en raison du refus injustifié de son pays de lui fournir des soins de santé adéquats lorsque ce pays a la capacité financière de les lui offrir. […]

 

 

[49]           Il est impossible de conclure que la décision de l’agent est raisonnable dans la mesure où il a omis d’étudier si la demande d’ERAR du demandeur échappait à l’exclusion opérée par le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. En outre, l’agent a commis une erreur en négligeant de mener ses propres recherches afin d’établir quels étaient les effets cumulatifs possibles de la discrimination à laquelle le demandeur pourrait être exposé à son retour au Ghana.

 

[50]           Je pense que la décision est déraisonnable et qu’elle doit être renvoyée pour réexamen.

 

[51]           J’ai demandé aux avocats de signifier et de déposer, le cas échéant, des observations au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera ensuite de trois jours pour signifier et déposer, le cas échéant, sa réponse aux observations de l’autre partie. Un jugement sera ensuite rendu.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour-Lord, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1639-09

 

INTITULÉ :                                       KOFI AMPONG

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Aucoin

 

POUR LE DEMANDEUR

Melissa Cameron

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Soucy Richard Godbout Wallace

Dieppe (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LE DEMANDEUR

Justice Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.