Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20100125

Dossier : T-1475-09

Référence : 2010 CF 84

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 janvier 2010

En présence de Me Roger R. Lafrenière, protonotaire

 

ENTRE :

HIGHLAND PRODUCE LTD.

demanderesse

et

 

LES PRODUCTEURS D’œufs dU CANADA (anciennement appelés

OFFICE CANADIEN DE COMMERCIALISATION DES œufs)

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

[1]               L’instance principale est une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse, Highland Produce Ltd. (Highland), d’une décision du Conseil national des produits agricoles (CNPA), datée du 5 août 2009, laquelle a rejeté une plainte de Highland en vertu de l’alinéa 7(1)f) de la Loi sur les offices des produits agricoles. La demande de contrôle judiciaire est le dernier élément d’un différend qui dure depuis dix ans entre Highland et les défendeurs, les Producteurs d’œufs du Canada (POC), anciennement appelés l’Office canadien de commercialisation des œufs (OCCO), concernant la fixation des prix des œufs entre 1999 et 2003.

 

[2]               Les POC sollicitent, par voie de requête écrite, une ordonnance exigeant que Highland consigne à la cour la somme de 250 000 $ à titre de cautionnement pour les dépens, représentant des dépens impayés dont l’adjudication a été enregistrée comme jugement en faveur des POC contre Highland auprès de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, ainsi qu’une somme supplémentaire de 59 662,82 $ à titre de cautionnement pour les dépens dans la présente demande. Highland s’oppose à la requête, à la fois en ce qui a trait au droit des POC à l’égard d’un cautionnement pour les dépens et au montant du cautionnement demandé.

 

[3]               Dans ses observations écrites en réponse à la requête, Highland mentionne que la Cour pourrait souhaiter entendre les avocats des parties pour aider à clarifier certaines questions soulevées dans la requête. Il n’y a toutefois pas de demande officielle pour une audience. Après examen des documents déposés par les parties, je suis convaincu que l’affaire peut être tranchée de manière équitable sans la comparution des parties. 

 

Contexte

[4]               À titre d’information, Highland est une entreprise familiale de troisième génération qui exerce des activités d’exploitation à titre de transformateur d’œufs depuis 1969. À toutes les époques pertinentes, l’OCCO était responsable de l’administration du système de gestion de l’approvisionnement en œufs du Canada.

 

[5]               Avant 1998, l’OCCO fournissait des œufs aux transformateurs industriels de manière non officielle. L’OCCO a voulu officialiser les modalités de l’approvisionnement en œufs aux transformateurs d’œufs et, en 1998, il a conclu des ententes avec tous les transformateurs d’œufs, y compris Highland (l’entente de 1998). En juin 1999, l’OCCO a rouvert les discussions concernant les contrats et les prix à l’égard des œufs excédentaires sur le marché des œufs de consommation et est parvenu à un compromis à l’égard d’un nouveau contrat avec les transformateurs d’œufs en 2000 (l’entente de 2000). Highland s’est opposée à diverses modalités que contenait l’entente de 2000.

 

[6]               En juin 2000, l’OCCO a résilié l’entente de 1998 conclue avec Highland, mais a continué à faire bénéficier Highland de prix moins élevés, comme l’exigeaient les dispositions concernant les avis dans l’entente de 1998.

 

[7]               Le 10 novembre 2000, Highland a institué une action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta contre l’OCCO et ses administrateurs. Highland sollicitait une somme de 18 millions de dollars en dommages-intérêts pour inexécution de contrat découlant de la présumée résiliation illicite de l’entente de 1998. Highland alléguait, plus particulièrement, un manquement à l’obligation d’équité et à l’obligation de négocier de bonne foi. L’action a été suspendue par ordonnance de la juge J.B. Veit, datée du 24 octobre 2003. Au paragraphe 41 de ses motifs, la juge Veit a conclu que Highland était tenue de procéder par voie d’arbitrage conformément au contrat régissant les parties. Elle a écrit ce qui suit :

[traduction] La clause d’arbitrage prévue dans le contrat survit à la résiliation du contrat. En conséquence, indépendamment des questions concernant la signification ex juris, l’instance de Highland doit être suspendue pour que la procédure d’arbitrage suive son cours. De plus, une partie des réparations demandées par Highland, plus particulièrement le jugement déclaratoire contre un organisme gouvernemental fédéral, est une mesure de réparation que seule la Cour fédérale du Canada peut accorder. L’action de Highland en Alberta doit être suspendue également pour cette raison.

 

[8]               Highland n’a pas interjeté appel de la décision de la juge Veit. Elle a plutôt changé d’avocat et institué une deuxième poursuite contre l’OCCO et le Conseil canadien des transformateurs d’œufs et de volailles le 28 juin 2005, alléguant que l’OCCO avait manqué à son obligation d’agir de bonne foi et équitablement [traduction] « en raison de rajustements de prix inefficaces qui ont eu pour effet d’éliminer l’approvisionnement en œufs comme produits industriels à Highland ». Les dommages-intérêts réclamés s’élevaient à 11 500 000 $.

 

[9]               Après quelques requêtes préliminaires, les parties ont convenu que les questions en litige relevées dans la deuxième action devaient être renvoyées à l’arbitrage, accompagnées des questions soulevées dans la première action. Du consentement des parties, la deuxième action a été suspendue par ordonnance datée du 17 octobre 2005.

 

[10]           La convention d’arbitrage entre les parties prévoyait que la décision de l’arbitre était finale et exécutoire, sous réserve uniquement des droits d’appel prévus par la loi, et que la décision de l’arbitre ne ferait l’objet d’aucune contestation incidente.

 

[11]           À l’arbitrage, Highland demandait des dommages-intérêts contre l’OCCO pour négligence, manquement à l’obligation fiduciaire, inexécution de contrat, manquement à l’obligation d’agir de bonne foi et complot. Les actions qui, selon les allégations, avaient donné lieu à ces manquements en droit privé, concernaient toutes l’administration de l’OCCO du système de gestion d’approvisionnement en œufs.

 

[12]           L’arbitrage a été présidé par l’honorable John W. Morden, ancien juge de la Cour d’appel de l’Ontario (arbitre). Après une audience de 22 jours, l’arbitre a prononcé une décision le 5 août 2008. Bien qu’il ait conclu que l’OCCO était [traduction] « loin d’être parfait à plusieurs égards », l’arbitre a conclu que Highland avait omis d’établir la responsabilité de l’OCCO et de prouver une perte. En conséquence, il a rejeté toutes les allégations de Highland. 

 

[13]           Highland n’a pas interjeté appel de la décision arbitrale ni ne l’a autrement contestée et celle-ci a été reconnue comme jugement de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta le 8 janvier 2009. Les deux actions de Highland qui avaient été suspendues pour permettre la tenue de l’arbitrage ont été rejetées par le juge Graesser de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Highland n’a pas interjeté appel du rejet de ses deux actions.

 

[14]           Les parties ont ensuite présenté des observations à l’arbitre concernant les dépens de l’arbitrage. Le 29 avril 2009, l’arbitre a accordé à l’OCCO des dépens de 250 000 $, soulignant que l’OCCO avait obtenu gain de cause à l’égard de chacune des allégations de Highland. Highland n’a pas interjeté appel de l’adjudication des dépens et ne l’a pas autrement contestée et celle-ci a été reconnue comme jugement de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta le 8 octobre 2009. Malgré une demande de paiement, Highland n’a pas payé les dépens adjugés, en totalité ou en partie.

 

[15]           Le président de Highland, Larry Ewanishan, déclare dans son affidavit en réponse à la requête des POC que Highland n’est pas une entreprise en exploitation depuis octobre 2003 lorsque les actions de l’OCCO ont fait en sorte que Highland a dû mettre fin à ses activités d’exploitation. M. Ewanishan déclare que Highland n’a pas gagné de revenu important depuis ce moment, ne possède aucun élément d’actif important et n’a pas les fonds pour payer les dépens accordés. L’état financier de Highland pour 2008, joint en pièce à l’affidavit de M. Ewanishan, indique que son solde de trésorerie avait diminué de 3 442 573 $ à zéro entre 2007 et 2008. En 2008, le montant de 3 390 000 $ a été versé à J.D.D. Holdings Ltd., une société liée.

 

[16]           Le 18 septembre 2008, Highland a déposé une plainte officielle au CNPA concernant des questions qui, de l’avis de Highland, n’avaient pas été traitées dans la procédure d’arbitrage et relevaient de la compétence du CNPA. Le 5 août 2009, le CNPA a rejeté la plainte de Highland dans son entier. Highland a institué la présente instance le 3 septembre 2000 sollicitant une ordonnance de certiorari pour casser et annuler la décision du CNPA.

 

Analyse

[17]           Les parties s’entendent sur le droit et les principes généraux applicables à une requête en cautionnement pour les dépens. Le cautionnement pour les dépens constitue un octroi discrétionnaire. Il incombe tout d’abord à la partie requérante de démontrer qu’elle a droit au cautionnement pour les dépens en vertu de l’article 416 des Règles des Cours fédérales. Si la partie requérante prouve qu’elle a droit à l’octroi d’un cautionnement, à moins qu’il n’existe une autre raison pour laquelle le cautionnement ne devrait pas être accordé, il incombe alors à la partie adverse de prouver, conformément à l’article 417 des Règles, son indigence et qu’elle a une cause qui vaut d’être instruite.

 

[18]           Les POC s’appuient sur l’alinéa 416(1)f) des Règles, qui prévoit que la cour peut ordonner à un demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens du défendeur lorsqu’il semble que le défendeur a obtenu une ordonnance à l’encontre du demandeur pour les dépens dans la même instance ou dans une autre instance et qu’ils demeurent impayés en totalité ou en partie. (Les articles 416 à 418 des Règles s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, au demandeur et au défendeur dans une demande : voir l’article 415 des Règles.)

 

[19]           Highland ne conteste pas qu’une preuve prima facie a été présentée à l’égard du cautionnement pour les dépens, mais elle soutient qu’elle devrait être libérée de fournir le cautionnement en vertu de l’article 417 des Règles pour motif d’indigence. Après avoir examiné avec soin l’affidavit de M. Ewanishan, je ne me suis pas convaincu que l’indigence a été démontrée [traduction] « de façon particulièrement robuste » : voir Morton c. Canada (Procureur général), 2005 CanLII 6052 (C.S. de l’Ont.), (2005), 75 O.R. (3d) 63 (C.S.J.), au paragraphe 32.

 

[20]           Premièrement, selon M. Ewanishan, Highland possède un édifice et un terrain sur lequel l’entreprise exerçait ses activités. Bien que les éléments d’actif soient, semble-t-il, grevés de prêts en faveur de créanciers garantis, aucune information n’a été fournie quant à la valeur de l’avoir dans ce bien.

 

[21]           Deuxièmement, Highland a omis d’expliquer la raison pour laquelle la totalité des réserves liquides ont été retirées de l’entreprise et transférées au même moment dans une compagnie liée, en présence d’une décision défavorable de l’arbitre. Je conviens avec les POC que, en l’absence d’une explication vraisemblable, il y a lieu de tirer une inférence défavorable selon laquelle Highland cherchait à éviter une responsabilité éventuelle à l’égard des dépens découlant de l’arbitrage.

 

[22]           Troisièmement, Highland a omis d’établir qu’elle n’a aucune autre source de revenus, tels que des actionnaires, pour déposer un cautionnement pour les dépens.

 

[23]           Compte tenu du dossier devant moi, Highland a omis de s’acquitter du fardeau de démontrer qu’elle est indigente. En conséquence, il n’est pas nécessaire que j’examine, suivant l’article 417 des Règles, la question de savoir si la demande de Highland vaut d’être instruite.

 

[24]           Les POC ont présenté deux mémoires de dépens reflétant les honoraires et les débours prévus à l’égard de la demande à venir. Le premier mémoire de dépens est rédigé sur la base partie‑partie conformément à la colonne III du Tarif B et s’élève à 8 154,07 $. Le deuxième mémoire de dépens est rédigé sur la base avocat-client et s’élève à 59 662,82 $.

 

[25]           Prenant en compte le nombre d’instances instituées par Highland à l’encontre de l’OCCO au cours des dix dernières années et qui ont toutes été résolues en faveur de l’OCCO, le juge de l’audience peut être enclin à blâmer Highland dans le cas où la demande de contrôle judiciaire est déclarée vexatoire et qu’elle constitue un abus de procédure. Dans les circonstances, je conclus que Highland devrait déposer le cautionnement pour les dépens selon un montant à peu près équivalent aux dépens sur la base avocat-client prévus par les POC, à l’exception de ceux liés à un étudiant.

 

[26]           Les POC soutiennent que pour le cautionnement pour les dépens en vertu de l’alinéa 416(1)f) des Règles, il n’est pas nécessaire que l’ordonnance impayée pour les dépens soit issue d’une instance devant la Cour fédérale, s’appuyant sur une décision récente de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt B-Filer Inc. c. Bank of Nova Scotia, 2007 CAF 409 (CanLII). Dans l’arrêt B‑Filer, les intimés s’étaient vus accorder les dépens dans une audience devant le Tribunal de la concurrence, représentant une somme de 887 049,62 $. L’appelant n’a pas contesté le fait que les dépens accordés étaient exigibles et qu’ils n’étaient pas payés. Le juge Marc Noël de la Cour d’appel fédérale a accordé le cautionnement pour les dépens selon un montant équivalent aux dépens impayés découlant de l’instance devant le Tribunal de la concurrence.

 

[27]           Toutefois, l’arrêt B-Filer se distingue de la présente affaire au motif que, dans cet arrêt, l’appelant interjetait appel de la décision initiale du Tribunal de la concurrence devant la Cour d’appel fédérale. Même si Highland soulève dans la présente demande des questions semblables à certaines examinées par l’arbitre, il n’en demeure pas moins que la plainte de Highland devant le CNPA est une procédure distincte.

 

[28]           Pour les motifs qui précèdent, une ordonnance sera prononcée obligeant Highland à déposer un cautionnement pour les dépens d’une somme de 50 000 $ dans les trente-et-un jours de la date de la présente ordonnance. L’ordonnance prévoira également qu’aucune autre mesure, à l’exception de mesures à l’égard d’un appel interjeté à l’encontre de la présente ordonnance, ne peut être prise dans le cadre de la demande jusqu’à ce que le cautionnement soit déposé conformément à la présente ordonnance. Les POC ont droit aux dépens de la requête.


 

ORDONNANCE

 

La cour ordonne :

 

1.                  La demanderesse, Highland Produce Ltd., doit déposer un cautionnement d’une somme de 50 000 $ pour les dépens des défendeurs, les Producteurs d’œufs du Canada, au plus tard le 25 février 2010, à défaut de quoi la demande peut être rejetée sans autre avis à la demande des défendeurs.

 

2.                  La demanderesse doit payer aux défendeurs leurs dépens pour la présente requête, dont le montant est fixé à 3 000 $, immédiatement et au plus tard le 25 février 2010.

 

3.                  Sauf en ce qui a trait à un appel interjeté à l’encontre de la présente ordonnance, aucune autre mesure ne peut être prise dans l’instance jusqu’à ce que la demanderesse ne consigne le cautionnement pour les dépens ordonné dans la présente ordonnance.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1475-09

 

Intitulé :                                       HIGHLAND PRODUCE LTD. c.

                                                           Les producteurs d’œufs du Canada (anciennement appelés office canadien de commercialisation des œufs)

 

Requête écrite examinée à Vancouver (Colombie-Britannique), conformément à l’article 369 DES RÈGLES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE   

et ordonnance :                       LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

Date des motifs

ET DE L’ORDONNANCE :             le 25 janvier 2010

 

 

 

Observations écrites :

 

Kenneth Fritz

 

Pour la demanderesse

Colin Feasby

Tamara Prince

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McLennan Ross, s.r.l.

Edmonton (Alberta)

 

Pour la demanderesse

Osler Hoskins & Harcourt, s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

Pour les défendeurs

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.