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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100211

Dossier : IMM-3883-09

Référence : 2010 CF 131

Ottawa (Ontario), le 11 février 2010

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

ESTEFANIA LOPEZ DIAZ

 

demanderesse

 

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Estefania Lopez Diaz a quitté le Mexique et est arrivée au Canada alors qu’elle était adolescente. Elle a demandé l’asile au Canada parce que l’amant de sa mère la tenait responsable de leur séparation. Il la battait et menaçait de la tuer.

 

[2]               À l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, non seulement Mme Lopez Diaz était représentée par un avocat, mais elle était également représentée par un représentant désigné car elle n’avait pas encore 18 ans.

 

[3]               L’un des documents qu’elle a soumis en preuve était un rapport de police relatif à sa plainte. Le tribunal a mis en doute la provenance de ce document et a obtenu l’autorisation de vérifier son authenticité. Le tribunal a reçu des rapports provenant du Mexique, notamment un rapport émanant de l’agent qui aurait pris la plainte, selon lesquels les autorités ne détenaient aucun rapport relatif à cette plainte.

 

[4]               Ce fait a été porté à l’attention de l’avocat et du représentant de Mme Lopez Diaz. Ceux‑ci ont décidé de ne pas l’importuner avec ce renseignement. Sans demander aucune directive, l’avocat a prétendu que le document avait été fabriqué par la mère de Mme Lopez Diaz au Mexique, qu’il n’a aucune incidence sur Mme Lopez Diaz et que celle‑ci a droit d’obtenir l’asile au Canada.

 

[5]               Le tribunal a rejeté la demande en raison de son manque de crédibilité, qu’elle était essentiellement liée à ce qui, selon lui, était un rapport falsifié.

 

[6]               La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée.

 

[7]               Par la suite, Mme Lopez Diaz a retenu les services d’un nouvel avocat qui a obtenu, du même agent de police, un autre rapport qui semble confirmer qu’il avait vraiment reçu la plainte initiale de Mme Lopez Diaz. L’avocat a ensuite demandé la réouverture de l’audience, mais sa demande a été refusée.

 

[8]               Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[9]               La réouverture d’une demande est assujettie à l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés. Les paragraphes 1 et 4 de cette disposition prévoient ce qui suit :

(1) Le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou d’un désistement.

 

[…]

 

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

 

(1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

 

[…]

 

   (4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

[10]           Les motifs du rejet de la requête en réouverture de la demande sont très brefs. Ils sont ainsi libellés :

La compétence de la CISR en matière de réouverture d’audience est très restreinte; en fait, une fois qu’elle a rendu sa décision, la CISR s’est acquittée de ses fonctions et est réputée dessaisie de l’affaire. Elle peut la rouvrir dans certaines circonstances, notamment lorsqu’il y a eu manquement aux règles de justice naturelle. En l’espèce, après avoir examiné la demande et les pièces déposées à l’appui et avoir écouté les enregistrements de l’audience ainsi que tous les éléments qui y sont contenus, le soussigné conclut que la commissaire de la SPR chargée de la demande d’asile a rendu une décision justifiée tout à fait conforme aux règles de procédure et de justice naturelle. La demandeure d’asile a dûment été convoquée à une audience, et elle était représentée par un conseil et un représentant désigné. Après l’audience, une vérification d’un document a été effectuée. La demandeure d’asile en a été informée, et le conseil a eu la possibilité de répondre. Par conséquent, la commissaire a rendu sa décision en se fondant sur les éléments de preuve dont elle était saisie. De plus, les arguments présentés par la demandeure ne justifient pas la réouverture aux termes de l’article 55 des Règles de la SPR, parce qu’ils reposent sur une interprétation des faits de l’espèce et du droit applicable. Il s’agit plutôt d’arguments à invoquer à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas de questions de justice naturelle.

 

[11]           Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour qu’une demande de réouverture ne peut être, et ne doit être, accueillie que s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle. La décision rendue par le juge Mosley dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1153, 258 F.T.R. 226, 44 Imm. L.R. (3d) 4, a été suivie à maintes reprises. Plusieurs décisions ont été énumérées par la juge Layden-Stevenson, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans Lakhani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 612. Ce point de vue a été approuvé, bien qu’à titre incident, par la Cour d’appel fédérale dans Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 35, [2007] 4 F.C.R. 515, 60 Imm. L.R. (3d) 159, décision qui portait sur l’article 71 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dont le libellé diffère quelque peu de celui de l’article 55 des Règles.

 

[12]           Il s’agit en l’espèce d’un nouveau fait. À la suite de la décision de la Section de la protection des réfugiés, l’agent de police semble s’être rétracté. Toutefois, il n’est pas suffisant d’être saisi de nouveaux faits, contrairement à la procédure de réouverture prévue dans d’autres lois. Il doit y avoir violation des principes de justice naturelle.

 

[13]           Selon l’avocate du ministre, il ne fait aucun doute que la décision initiale de la Section de la protection des réfugiés était équitable. Elle l’était, cela ne fait aucun doute. L’ancien avocat et l’ancien représentant désigné de Mme Lopez Diaz ont laissé tomber cette dernière. S’ils lui avaient transmis les renseignements reçus du Mexique par la Section de la protection des réfugiés, elle aurait réitéré qu’elle s’était trouvée en présence de l’agent de police. Cela aurait pu donner lieu à d’autres enquêtes. Certes, l’avocat n’avait pas le mandat d’admettre que le rapport de police initial était un faux. Compte tenu des derniers renseignements, il se peut que ce ne soit pas le cas.

 

[14]           Bien que le ministre qualifie de stratégique la décision de l’avocat et du représentant désigné de ne pas discuter de cette question avec leur cliente, il me semble que ce manquement devrait être qualifié d’inaction plutôt que de faute d’exécution (Medawatte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2005 CF 1374, 52 Imm. L.R. (3d) 109).

 

[15]           La décision rendue par le juge Lemieux dans Bouguettaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 3 (1re inst.) est tout à fait pertinente. L’interprétation faite par le juge Mosley dans la décision Parshottam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 51, 68 Imm. L.R. (3d) 288, s’applique en l’espèce. Il a affirmé ce qui suit au paragraphe 22 :

Les décisions citées par le demandeur à l’appui de l’allégation selon laquelle le dépôt de la preuve est nécessaire dans l’intérêt de la justice ne portent pas directement sur cette question. Dans la décision Ou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 235, 48 Imm. L.R. (2d) 131, la Cour a permis l’audition d’un nouveau témoignage très pertinent d’un témoin qui avait par mégarde donné des renseignements erronés à la Commission avant une audience sur le désistement. De même, dans la décision Bouguettaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 1 C.F. 3, [2000] A.C.F. no 992, le tribunal avait commis une erreur en concluant que le fait qu’il s’était fondé sur des renseignements factuels erronés ne constituait pas un manquement à la justice naturelle, lorsque cela avait été porté à son attention lors d’une requête en réouverture de l’audience.

 

[16]           C’est le cas en l’espèce. Le tribunal pouvait à bon droit conclure que le rapport de police initial était un faux. S’il avait su qu’il ne s’agissait pas d’un faux, il aurait peut‑être conclu que Mme Lopez Diaz était crédible. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer là‑dessus (Cardinal c. Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643). Si elle avait été jugée crédible, alors le tribunal aurait été obligé de tenir compte de la protection de l’État et peut‑être de la possibilité de refuge intérieur.

 

[17]           Le ministre prétend que la demande de réouverture constitue un abus de procédure parce que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision initiale du tribunal a été rejetée. Ma décision a été invoquée dans Skandrovski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 341, 29 Admin. L.R. (4th) 70. Toutefois, c’est à tort qu’on l’a invoquée. J’ai affirmé qu’il serait inacceptable que la Commission en arrive en fait à réviser involontairement et inconsciemment la décision de la Cour de refuser d’accorder l’autorisation demandée. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. Les « nouveaux faits » qui ont été soumis au tribunal dans le cadre de la demande de réouverture n’ont pas été soumis à la Cour dans le cadre de la demande d’autorisation. J’ai affirmé ce qui suit au paragraphe 16 de Skandrovski :

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit jamais possible de présenter une demande de réouverture d’une demande si la Cour refuse d’accorder l’autorisation. Ainsi, de nouveaux faits pourraient être révélés. […]

 

C’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce; de nouveaux faits ont été portés à l’attention de la Commission. La décision qui fait l’objet du présent contrôle est erronée en droit. Il s’agit de questions de justice naturelle.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[18]           Les motifs de mon ordonnance, telle que délivrée à l’origine, comprenaient les paragraphes suivants. À l’audience, j’ai accordé à chaque partie un délai pour proposer une question pour certification et un délai supplémentaire à chaque partie pour répondre à l’autre. Comme aucune question ne m’a été soumise, j’ai présumé qu’aucune question n’a été proposée par les parties, et comme j’ai estimé qu’il n’était pas nécessaire de certifier une question, j’ai accueilli la demande de contrôle judiciaire sans certification.

 

[19]           Malheureusement, en raison d’une série de contretemps internes, il n’a été porté à mon attention que, le jour suivant la délivrance de mon ordonnance, le ministre avait, en fait, proposé une question pour certification, et que l’avocat de Mme Lopez Diaz avait répondu. J’ai immédiatement déclaré que, comme l’ordonnance avait été fondée sur un dossier incomplet, je la réexaminerais en conformité avec l’article 397 et suivants des Règles des Cours fédérales.

 

[20]           Le ministre a proposé la question suivante pour certification :

Un document dont le contenu contredit la preuve invoquée lors de la première conclusion de la CISR, et qui est obtenu après que la CISR a rendu une décision rejetant une demande d’asile, constitue‑t‑il un fondement suffisant permettant de démontrer qu’il y a eu violation des règles de justice naturelle au sens de l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés? Le recours opportun dans de telles circonstances est‑il un examen des risques avant renvoi plutôt qu’une requête en réouverture auprès de la CISR?

 

[21]           En l’absence d’une question certifiée, ma décision est définitive. Un appel à la Cour fédérale ne peut être interjeté que, comme le prévoit l’article 74 de la LIPR « […] si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ». Selon la Cour d’appel fédérale, la question doit :

a.       être déterminante quant à l’issue de l’appel. (Zozai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, 318 N.R. 365, 36 Imm. L.R. (3d) 167 et Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, 80 Imm. L.R. (3d) 1, au paragraphe 28);

b.      transcender les intérêts immédiats des parties au litige. (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4, Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, 357 N.R. 326, 57 Imm. L.R. (3d) 4 et Kunkel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347);

c.       soulever des questions graves ou de portée générale. (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, susmentionné).

 

[22]           Le ministre prétend qu’il y a deux écoles de pensée à la Cour en ce qui concerne les nouveaux faits donnant lieu à un manquement à la justice naturelle qui justifierait le dépôt d’une demande de réouverture d’une audience relative à une demande d’asile. À l’appui de cette thèse, un certain nombre de décisions ont été invoquées, notamment Hurtado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 270, 324 F.T.R. 192, 70 Imm. L.R. (3d) 142, aux paragraphes 46 à 50 et Enahoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 430, aux paragraphes 19 à 20 et 26 et 27.

 

[23]           Selon moi, ces décisions sont des cas d’espèce et ne consacrent pas le principe qu’il y a deux écoles de pensée en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles un refus de rouvrir une audience en raison de « nouveaux faits » constitue à manquement à la justice naturelle.

 

[24]           La preuve originale, qui, manifestement, constituait du ouï‑dire, a été demandée, obtenue et déposée par la SPR grâce à sa direction de la recherche et à son agent de tribunal. Il s’agit d’un cas semblable à celui de Bouguettaya, susmentionnée, où les renseignements erronés ont été fournis par la Commission elle‑même, dans son Cartable national de documentation sur l’Algérie qui existait alors. Les renseignements peu fiables en l’espèce ont été obtenus et soumis par le Tribunal lui‑même.

 

[25]           Dans l’arrêt Boni, susmentionné, le juge Noël, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a affirmé ce qui suit au paragraphe 10 :

Il s’ensuit qu’en répondant à la question certifiée, notre Cour ne pourrait se prononcer que sur la norme applicable à la décision rendue par l’agent de visa dans la présente affaire. Il est bien établi qu’une question qui ne transcende pas la décision particulière à l’égard de laquelle elle se pose ne devrait pas être certifiée et que, le cas échéant, la Cour d’appel ne devrait pas y répondre (voir Wong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1049; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637, (1994) 176 N.R. 4 au para. 4).

 

[26]           Il s’agit de ma propre appréciation de la présente affaire, donc aucune question ne sera certifiée.

 

[27]           De plus, selon moi, un examen des risques avant renvoi ne constitue pas un substitut adéquat à une réouverture d’audience. C’est une question de « nouveaux faits » qui est soumise à un agent d’ERAR et non pas une question de justice naturelle, et il n’existe aucune garantie de droit d’être entendu.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 7 juillet 2009 est annulée.

3.                  La demande de réouverture de la demande d’asile de la demanderesse est renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision.

4.                  Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3883-09

 

INTITULÉ :                                       ESTEFANIA LOPEZ DIAZ

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 février 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :                            Le 8 février 2010

                                                            Modifiés le 11 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jared Will

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jared Will

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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