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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100211

Dossier : IMM-1441-09

Référence : 2010 CF 135

Ottawa (Ontario), le 11 février 2010

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

Entre :

XIAO HONG LIU

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.        Aperçu

 

[1]               Mme Xiao Hong Liu a demandé l’asile au Canada sur le fondement de persécution religieuse en Chine. Elle affirme qu’elle était membre d’une église chrétienne clandestine et qu’elle s’est enfuie après que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) eut fait une descente dans son église. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a pas cru son récit et a rejeté sa demande. Mme Liu soutient que l’analyse de la preuve effectuée par la Commission était erronée et que sa conclusion n’était pas raisonnable. Elle me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission.

 

[2]               Je souscris à l’allégation de Mme Liu selon laquelle la conclusion de la Commission n’était pas raisonnable. Par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.     Analyse

 

  1. La décision de la Commission

[3]               La Commission a estimé que de nombreux passages du témoignage de Mme Liu posaient problème. Premièrement, Mme Liu a affirmé que ce n’est que pendant la seconde conversation avec une nouvelle recrue qu’elle lui avait expliqué qu’il était important de garder secrète l’existence de l’église clandestine.

 

[4]               Deuxièmement, la Commission a conclu que la description faite par Mme Liu de sa fuite lors de la descente du BSP à l’église « est trop fortuite pour être vraie ». Mme Liu a affirmé s’être enfuie par la porte arrière, s’être frayé un passage dans les bois puis avoir hélé un taxi et s’être rendue à la maison de sa tante.

 

[5]               Troisièmement, la Commission a noté que le BSP laissait souvent des assignations à comparaître aux membres de la famille d’une personne recherchée. La Commission a estimé que si le BSP cherchait Mme Liu, le BSP aurait laissé une assignation à comparaître à son mari, mais il ne l’a pas fait.

 

[6]               Quatrièmement, Mme Liu a affirmé dans son témoignage qu’elle avait compris que les églises sanctionnées par l’État étaient contrôlées par le gouvernement de la Chine. Par conséquent, même si Mme Liu n’a pas été capable d’établir des différences précises entre les églises inscrites et les églises non inscrites, elle préfère fréquenter ces dernières. Cependant, la Commission a conclu que le contrôle de l’État sur les églises inscrites était limité et qu’il y avait peu de différences en matière de doctrine entre les deux types d’église. Par conséquent, rien ne n’empêchait Mme Liu de pratiquer sa foi dans une église sanctionnée par l’État.

 

[7]               Cinquièmement, la Commission a examiné la preuve documentaire et a conclu que les autorités de la province du Fujian comptaient parmi les provinces les plus libérales en Chine. Par conséquent, les risques que l’église de Mme Liu attire l’attention du BSP étaient relativement faibles.

 

  1. La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

 

[8]               Je suis convaincu que certaines conclusions de la Commission n’étaient pas étayées par la preuve. À mon avis, ces conclusions font en sorte que la décision de la Commission n’était pas raisonnable.

 

[9]               Par exemple, les motifs de la Commission ne mentionnent pas clairement pourquoi la Commission a conclu que la description faite par Mme Liu de sa fuite lors de la descente du PSB « est trop fortuite pour être vraie ». Son témoignage n’était pas tiré par les cheveux ou invraisemblable en soi.

 

[10]           En outre, même si la Commission était en droit de noter que le BSP laissait parfois des assignations à comparaître à la famille de suspect, le fait qu’aucune assignation à comparaître n’a été laissée à la famille de Mme Liu n’étaye pas une conclusion selon laquelle elle n’était pas recherchée. Selon la preuve dont disposait la Commission, les pratiques du BSP n’étaient pas uniformes.

 

[11]           Ce que Mme Liu avait compris, à savoir que les églises chrétiennes sanctionnées par l’État étaient contrôlées par le gouvernement de la Chine, y compris dans la province du Fujian, était étayé par la preuve documentaire. Mme Liu a affirmé dans son témoignage que, dans ces églises, les intérêts de l’État primaient Dieu, ce qu’elle considérait comme inadmissible et en violation des dix commandements. À première vue, le fait que l’État ait un rôle à jouer dans l’élaboration de la doctrine d’une église donne à penser que la liberté de religion est brimée. Mme Liu considérait clairement l’idée d’une église supervisée par l’État comme étant ignoble. La conclusion de la Commission selon laquelle Mme Liu pourrait continuer de pratiquer librement sa religion dans une telle église semble incongrue.

 

[12]           En ce qui concerne la probabilité que Mme Liu soit persécutée dans la province du Fujian en particulier, la Commission a noté à juste titre que l’attitude des autorités dans cette province semble être plus tolérante envers le christianisme qu’ailleurs en Chine. En outre, les petits groupes de prière ou d’étude de la Bible sont rarement ciblés. Malgré tout, la preuve documentaire citée par la Commission mentionnait également ce qui suit :

 

•           les églises non inscrites sont illégales;

•           les réunions de prière sont habituellement permises, mais, dans certaines régions, même les maisons‑églises comptant peu de membres sont interdites;

•           les fonctionnaires harcèlent parfois les groupes religieux non enregistrés;

•           bien qu’il n’y ait eu en fait aucune arrestation ou poursuite judiciaire de chrétiens signalée dans la province du Fujian en 2007, les personnes ayant subi de la persécution mentionnent rarement en avoir été victimes.

 

[13]           Vu la nature équivoque de la preuve documentaire, il était important que la Commission mentionne et apprécie tant la preuve à l’appui de la demande de Mme Liu que la preuve contradictoire. Compte tenu de l’ensemble des conclusions tirées par la Commission, je dois conclure que sa décision était déraisonnable.

 


III.   Conclusion et décision

[14]           À mon avis, en raison des diverses conclusions tirées par la Commission, la décision de la Commission n’appartient pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits ou du droit. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission. Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé la certification d’une question de portée générale, et aucune n’est formulée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvelle audience.

2.                  Aucune question de portée générale n’est formulée.

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B.,M.A.Trad.jur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1441-09

 

INTITULÉ :                                                   LIU c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 28 OCTOBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ned Djordjevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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