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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


  Date : 20100211

 

Dossier : IMM-2312-09

Référence : 2010 CF 148

Québec (Québec), le 11 février 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

APOLONIA ASONG ALEM

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Apolonia Asong Alem (la demanderesse) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une décision rendue le 17 avril 2009 par un représentant du ministre (l’agent des visas) à l’ambassade du Canada à Abidjan, dans laquelle l’agent des visas a refusé la demande de visa de résident temporaire présentée par la demanderesse.

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Cameroun âgée de 60 ans. Huit de ses enfants sont encore en vie; cinq vivent au Cameroun et les trois autres vivent respectivement en France, en Allemagne et au Canada.

 

[3]               La demanderesse est une négociante et elle voyage souvent entre le Cameroun et le Nigeria dans le cadre de ses activités. En outre, elle s’est rendue en Allemagne en 2007 et elle y est demeurée trois mois.

 

[4]               En janvier 2009, la demanderesse a présenté une demande de visa de visiteur au Canada. Elle voulait être avec sa fille qui lui avait demandé son aide, car elle vivait une grossesse difficile et avait déjà deux jeunes enfants. La demande de la demanderesse a été refusée.

 

[5]               La demanderesse a présenté une autre demande de visa de visiteur au Canada le 14 avril 2009. Elle a présenté de nouveaux renseignements à l’appui de sa demande. Cette demande a été refusée le 17 avril 2009.

 

[6]               La lettre envoyée à la demanderesse concernant le refus de sa demande mentionnait que l’on avait tenu compte des facteurs qui suivent : ses [traduction]  « liens familiaux au Canada et au [Cameroun] »; la « durée du séjour envisagé au Canada »; les « perspectives d’emploi limitées au [Cameroun] »; l’insuffisance des documents déposés; l’objet de sa visite au Canada; ses « antécédents de voyage » et ses « biens personnels et [sa] situation financière ».

 

[7]               Les notes du STIDI de l’agent des visas révèlent que ce dernier a estimé que la demanderesse n’avait pas les moyens de payer son séjour au Canada; n’était pas suffisamment établie; avait peu d’antécédents de voyages; n’était pas indépendante financièrement et n’avait pas suffisamment de raison de retourner dans son pays. Par conséquent, l’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour en tant que résidente temporaire.

 

[8]               La demanderesse soutient principalement que les motifs fournis par l’agent des visas pour refuser sa demande de visa de visiteur étaient insuffisants.

 

[9]               La demanderesse plaide que les motifs de l’agent des visas ne lui permettent pas de savoir pourquoi sa demande a été refusée. Ni la lettre envoyée à la demanderesse ni les notes du STIDI de l’agent des visas n’expliquent son raisonnement; en particulier, l’agent n’explique pas comment les facteurs dont il affirme avoir tenu compte l’avaient précisément mené à tirer la conclusion selon laquelle la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour.

 

[10]           Pour sa part, le ministre soutient que les motifs de l’agent des visas sont suffisants [traduction] « et [qu’]ils expliquent clairement et sans équivoque les motifs ayant mené au refus de la demande de visa de résident temporaire ».

 

[11]           L’agent des visas a noté que les liens familiaux et économiques de la demanderesse au Cameroun n’établissaient pas que la demanderesse y retournerait et que cette dernière avait peu d’antécédents de voyages, et, selon le ministre, il pouvait se fonder sur ces faits. En outre, l’agent des visas a souligné que l’argent que la demanderesse avait dans son compte en banque avait été déposé deux semaines avant qu’elle présente sa demande de visa. Il a également noté que la demanderesse n’avait pas d’emploi stable et, selon le ministre, il pouvait se fonder sur ce facteur. Enfin, l’agent des visas était d’avis que le faible revenu de la famille de la demanderesse faisait en sorte que la demanderesse ne pourrait pas assumer toutes ses dépenses liées à son séjour de trois mois au Canada.

 

[12]           Le ministre ajoute que, contrairement aux observations de la demanderesse, l’agent des visas a bien expliqué ses conclusions et a tenu compte de la preuve pertinente. Il soutient que l’obligation de fournir des motifs dans le cadre du refus d’une demande de visa de résident temporaire est limitée et que l’agent des visa s’en est acquitté parce que les motifs fournis établissent clairement les raisons expliquant le refus de la demande de la demanderesse. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord avec le ministre.

 

[13]           Bien que le ministre souligne à juste titre que les exigences liées à l’équité procédurale dans le contexte des demandes de visa de résident temporaire sont limitées, il faut que les motifs fournis par l’agent des visas pour refuser une telle demande « soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour que le demandeur puisse savoir pourquoi sa demande a été refusée », comme la juge Eleanor Dawson l’a conclu au paragraphe 4 de la décision Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 687. De façon semblable, au paragraphe 60 de la décision Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 471, la Cour a conclu que « les notes versées au système STIDI peuvent constituer des motifs suffisants, mais uniquement si elles renfermement assez de détails pour que l’intéressé puisse savoir pourquoi sa demande a été refusée ». Dans le contexte d’un refus d’une demande de visa de visiteur, il faut que les notes « contiennent […] une analyse suffisamment approfondie des raisons pour lesquelles l’agent a estimé que les demandeurs ne retourneraient pas [dans leur pays d’origine] au terme de leur période de séjour autorisé ».

 

[14]           Bien que je sois consciente des contraintes de temps auxquelles doivent faire face les agents des visas, ces derniers doivent néanmoins fournir aux demandeurs déboutés une explication quant aux éléments qui ont milité contre leur demande, plutôt que fournir une litanie de facteurs sans explication quant à savoir pourquoi ces facteurs appuient le refus de leur demande.

 

[15]           À mon avis, la lettre que l’agent des visas a envoyée à la demanderesse et ses notes du STIDI ne révèlent pas pourquoi la demande de la demanderesse a été refusée. Bien qu’il ressorte clairement des notes que l’agent des visas était d’avis que la demanderesse avait peu de ressources financières et n’était pas suffisamment établie au Cameroun et que, par conséquent, elle serait peu encline à y retourner, l’agent des visas n’a aucunement expliqué pourquoi il a formulé ces opinions.

 

[16]           Comme la demanderesse le souligne, les explications du ministre au sujet de la décision de l’agent des visas se basent peu, voir aucunement, sur la lettre envoyée à la demanderesse ou sur les notes du STIDI. Par conséquent, même si l’agent des visas a écrit que la demanderesse [traduction] « n’a pas prouvé son établissement », il n’a pas mentionné que cinq des enfants de la demanderesse vivent au Cameroun, qu’elle y exploite une entreprise et qu’elle y possède des biens. Il n’explique pas non plus pourquoi la demanderesse aurait « peu » d’antécédents de voyage malgré qu’elle soit allée en Allemagne en 2007 (les estampilles des douanes sont clairement visibles sur son passeport). De plus, contrairement à allégations du ministre, l’agent des visas n’a tout simplement pas dit qu’il croyait que le relevé bancaire de la demanderesse était faux et avait pour but de créer des liens économiques qui n’existaient pas, ni que la demanderesse n’avait pas un emploi stable, ni que sa famille ne pourrait pas l’appuyer au Canada.

 

[17]           En outre, plusieurs motifs invoqués dans la lettre envoyée à la demanderesse, tels que la durée de son séjour au Canada et les perspectives d’emploi au Cameroun, ne sont même pas mentionnés dans les notes de l’agent des visas.

 

[18]           En résumé, la lettre et les notes du STIDI, même lues de concert, ne sont pas « suffisamment clair[e]s, précis[es] et intelligibles » (Mendoza, précitée, paragraphe 4) pour permettre à la demanderesse de savoir pourquoi sa demande a été rejetée ou pour permettre à la Cour de déterminer si le refus était raisonnable.

 

[19]           Les explications du ministre sont peut-être exactes, mais leur exactitude importe peu. La Cour a conclu de façon constante que le fait même que le raisonnement du décideur nécessite des explications, par voie d’affidavit signé par le décideur lui-même (comme dans la décision Ogunfowora, précitée) ou par une partie (comme dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Wong, 2009 CF 1085) témoigne de l’insuffisance des motifs. Il en va de même pour les conjectures auxquelles se livrent les avocats dans leurs observations. L’obligation de fournir des motifs dans le cadre du refus d’une demande de résidence temporaire est limitée, mais la personne déboutée ne devrait tout de même pas avoir à présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision afin que le ministre, dans ses observations, puisse lui expliquer pourquoi sa demande a été refusée.

 

[20]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

 

 

 


JUGEMENT

[21]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2312-09

 

INTITULÉ :                                                   APOLONIA ASONG ALEM

                                                            c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             QUÉBEC (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 11 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 FÉVRIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andréa de Rocquigny

 

POUR LA DEMANDERESSE

Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andréa de Rocquigny

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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