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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100217

Dossier : T-654-09

Référence : 2010 CF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2010

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

CASEY RATT, RICKEY DECOURSAY, ROGER JEROME,

WAYNE PAPATIE et DONAT THUSKY, EN LEUR QUALITÉ DE

CHEF ET DE CONSEILLERS DE LA BANDE et LES AÎNÉS DE

MITCHIKINABIKOK INIK (ALGONQUINS DE LAC-BARRIÈRE)

et le PEUPLE

 

demandeurs

 

et

 

JEAN MAURICE MATCHEWAN, BENJAMIN NOTTAWAY,

EUGENE NOTTAWAY, JOEY DECOURSAY et DAVID

WAWATIE, EN LEUR QUALITÉ DE PRÉSUMÉS NOUVEAUX CHEF ET CONSEILLERS DE LA BANDE DU CONSEIL COUTUMIER

DES ALGONQUINS DE LAC-BARRIÈRE et

EDDY NOTAWAY, MICHEL THUSKY, JEANNINE MATCHEWAN

 et LOUISA PAPATIE, EN LEUR QUALITÉ DE PRÉSUMÉS

MEMBRES DU CONSEIL DES AÎNÉS DE MITCHIKANIBIKOK INIK

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]             La présente affaire concerne une demande de contrôle judiciaire contestant la validité du processus de sélection coutumier des dirigeants qui s’est terminé le 24 juin 2009 et qui s’est soldé par la sélection des défendeurs Jean Maurice Matchewan, Benjamin Nottaway, Eugene Nottaway, Joey Decoursay et David Wawatie à titre de présumés chef et conseillers des Algonquins de Lac-Barrière.

 

[2]             Voici les réparations que les demandeurs sollicitent :

1.         le contrôle judiciaire, en vertu de l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de la présumée sélection des dirigeants effectuée le 24 juin 2009 et du processus de sélection suivi;

2.         un bref de quo warranto, en vertu de l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales, remettant en question la légitimité de Jean Maurice Matchewan, Benjamin Nottaway, Eugene Nottaway, Joey Decoursay et David Wawatie en tant que chef et conseillers des Algonquins de Lac-Barrière;

3.         un bref de quo warranto, en vertu de l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales remettant en question le pouvoir d’Eddy Nottaway, Michel Thusky, Jeannine Matchewan et Louisa Papatie d’agir comme Conseil des aînés en liaison avec le processus de sélection des dirigeants du 24 juin 2009;

4.         un jugement déclaratoire, en vertu de l’art. 18 de la Loi sur les Cours fédérales, portant que Jean Maurice Matchewan, Benjamin Nottaway, Eugene Nottaway, Joey Decoursay et David Wawatie n’ont aucune légitimité pour agir comme chef et conseillers des Algonquins de Lac-Barrière en raison de l’invalidité de la sélection des dirigeants et du processus de sélection.

 

[3]             Plusieurs moyens sont invoqués au soutien de la présente demande, y compris l’argument que les demandeurs Casey Ratt, Rickey Decoursay, Roger Jerome, Wayne Papatie et Donat Thusky ont été choisis comme chef et conseillers coutumiers des Algonquins de Lac‑Barrière le 30 janvier 2008 lors d’un processus qui n’aurait pas été contesté et que leurs postes ont été reconnus par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC).

 

Contexte général

 

[4]             Les Algonquins de Lac-Barrière revendiquent un territoire traditionnel qui couvre une grande partie du Nord-Ouest du Québec. Une petite réserve connue sous le nom de Lac‑Rapide et située dans le territoire traditionnel en question a été créée pour leur usage et une collectivité s’est installée sur cette réserve, qui est située à environ 120 kilomètres au nord-ouest de Maniwaki. La population de cette réserve compte entre 600 et 700 membres inscrits, dont certains vivent à l’extérieur de la réserve sur le territoire traditionnel ou en milieu urbain.

 

[5]             Les conditions socioéconomiques qui existent dans la réserve sont difficiles. La réserve est isolée et ses habitants sont démunis. Le taux de chômage est élevé. Les membres de cette collectivité tirent une grande partie leur gagne‑pain de l’exercice d’activités traditionnelles et dépendent des paiements de transfert gouvernementaux.

 

[6]             La collectivité est dirigée par un chef et des conseillers qui sont élus selon la coutume et qui, en temps normal, gèrent les affaires de la collectivité et représentent celle-ci dans les négociations en cours avec le gouvernement. Or, la situation qui existe au sein de cette collectivité n’a rien de normal.

 

[7]             Les Algonquins de Lac-Barrière font eux-mêmes partie de la nation algonquine, laquelle englobe diverses collectivités autochtones d’ascendance algonquine qui vivent principalement au Québec. Ces collectivités se sont regroupées en deux associations tribales. L’une d’entre elles est le Secrétariat de la nation algonquine auquel les Algonquins de Lac-Barrière ont adhéré jusqu’à ce que des événements récents viennent remettre en question la participation de cette collectivité à cette organisation.

 

[8]             Les Algonquins de Lac-Barrière semblent être farouchement attachés à leur système de gouvernement traditionnel. Ils sont l’une des rares bandes indiennes canadiennes qui n’a jamais était assujettie au processus d’élection des bandes prévu par la Loi sur les Indiens, L.R.C., ch. I-5 (la Loi), ce qui entraîne des conséquences juridiques importantes qui exigent certaines explications.

 

[9]             En effet, le paragraphe 74(1) de la Loi confère au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) le pouvoir de déclarer que le conseil d’une bande doit être constitué à la suite d’élections tenues selon la procédure prévue par la Loi. L’Arrêté sur l’élection du conseil de bandes indiennes, DORS/97-138, énumère les bandes visées par une déclaration du ministre. La plupart des bandes indiennes du Canada ont, à un moment ou à un autre, fait l’objet d’une telle déclaration. Toutefois, au cours des dernières années, le ministre a établi un processus qui permet à une bande indienne de demander la révocation du décret pris en application du paragraphe 74(1) et de revenir au processus de sélection coutumier du chef et des conseillers. Parmi les conditions énoncées par le ministre pour accorder cette révocation, il y a des exigences qui peuvent, dans certains cas, être incompatibles avec le processus traditionnel de sélection des dirigeants.

 

[10]         Les rares bandes indiennes qui, comme les Algonquins de Lac-Barrière, n’ont jamais fait l’objet de l’arrêté prévu au paragraphe 74(1) de la Loi, peuvent choisir leurs dirigeants conformément à leurs coutumes sans être assujetties aux conditions ou exigences que le ministre peut juger bon d’imposer pour permette un retour à la tenue d’élections selon la coutume. Cette distinction est importante.

 

[11]         Suivant les coutumes des Algonquins de Lac-Barrière, que nous examinerons plus en détail plus loin, les dirigeants sont traditionnellement choisis parmi les candidats proposés par les aînés de la collectivité, qui peuvent tenir compte de l’hérédité comme facteur permettant d’évaluer l’aptitude à exercer une charge de dirigeant. Seuls les membres de la collectivité qui ont des liens avec le territoire traditionnel et qui ont une bonne connaissance de celui-ci peuvent prendre part au processus de sélection. Les dirigeants occupent leur poste à vie, mais ils peuvent avoir à rendre des comptes et ils peuvent même être destitués dans certaines circonstances exceptionnelles.

 

[12]         Il ressort du dossier qui m’a été soumis que jusqu’à récemment, les Algonquins de Lac‑Barrière étaient traditionnellement dirigés par des leaders forts qui avaient exercé leur charge pendant de longues années. Avant 1964, le chef David Makokoose avait été à la tête de la collectivité pendant presque 60 ans. Mais, depuis quelques années, le processus de sélection coutumier a été semé d’embûches.

 

[13]         La première grande crise concernant la sélection des dirigeants dont fait état le dossier qui m’a été soumis remonte à 1996, année où le MAINC a reconnu l’existence d’un « conseil de bande provisoire » en dépit d’une forte opposition. Le chef traditionnel Jean Maurice Matchewan et ses conseillers traditionnels avaient été sélectionnés dans le cadre d’un processus coutumier 16 ans plus tôt, en 1980. Le leadership du chef Matchewan (un des défendeurs dans la présente instance) a été remis en question, et cette contestation a donné lieu à une instance introduite devant la Cour fédérale du Canada en décembre 1995 par un groupe se désignant lui-même sous le nom de conseil de bande provisoire. Pour des raisons qui ne sont pas entièrement expliquées dans le dossier qui m’a été soumis, le MAINC a, le 23 janvier 1996, reconnu que le conseil de bande provisoire en question formait le conseil légitime de la bande. Cette décision a provoqué une crise politique majeure au sein de la collectivité : le conseil traditionnel et les personnes qui l’appuyaient ont introduit leur propre action dans laquelle ils contestaient la reconnaissance du conseil de bande provisoire par le MAINC.

 

[14]         Cependant, avant que ce litige ne soit finalement tranché, le chef traditionnel Jean Maurice Matchewan et certains de ses conseillers ont remis leur démission, le 18 mars 1996, pour permettre la sélection d’un nouveau chef et de nouveaux conseillers traditionnels, sous la direction, cette fois­-ci, du chef traditionnel Harry Wawatie. Le MAINC a néanmoins refusé de reconnaître ce nouveau conseil traditionnel; il a plutôt décidé, en mai 1996, de nommer le juge Réjean Paul de la Cour supérieure du Québec comme médiateur.

 

[15]         Le juge Réjean Paul a terminé sa médiation en janvier 1997, après avoir constaté l’existence d’un consensus au sein de la collectivité au sujet du processus de sélection coutumier des dirigeants.

 

[16]         Par suite de cette médiation, et sur demande de 19 aînés de la collectivité, le MAINC a nommé MM. André Maltais et Michel Gratton comme facilitateurs pour aider la collectivité à résoudre ses problèmes de leadership conformément à un mandat qui prévoyait notamment la codification du processus de sélection coutumier des dirigeants.

 

[17]         À la suite d’une série de rencontres, le processus de sélection coutumier des dirigeants a été codifié et ratifié en 1997 sous le nom de Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, ou en français, le code de gouvernance coutumier des Algonquins de Lac-Barrière.

 

[18]         Par ailleurs, deux modifications au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin ont été approuvées en 1997. La première modifiait la coutume afin de permettre à la fille d’un chef ou d’un conseiller d’être proposée comme candidat pour succéder à son père, mettant ainsi fin à la tradition de succession masculine au sein de l’équipe dirigeante. Cette modification prévoyait également une révision régulière, aux quatre ans, du mandat du conseil. La seconde modification prévoyait l’élection d’un conseil d’administration qui venait s’ajouter au Conseil. Le conseil d’administration devait être chargé de l’administration des programmes et des services destinés à la collectivité.

 

[19]         Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin a été examiné en 1997 par le professeur Peter Douglas Elias, Ph.D., à la demande des facilitateurs. Voici les conclusions formulées par le professeur Elias dans le long rapport qu’il a rédigé sur la question (à la page 20, reproduite à la page 124 de l’affidavit de Michel Thusky) :

[traduction] Bien que le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin ne soit pas identique à tous les égards à ce qui ce faisait jadis, il est non seulement compatible avec ce qu’on appelle les traditions des Algonquins de Lac-Barrière, mais il n’aurait probablement pas pu provenir d’une autre collectivité. S’il n’est pas identique à leurs traditions ancestrales, c’est un produit contemporain incontournable des traditions ancestrales en question.

 

[20]         Les tentatives faites par ailleurs par les facilitateurs pour aider à la sélection du chef et des conseillers conformément au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin ont conduit, le 9 avril 1997, à la tenue d’une assemblée générale de la collectivité au cours de laquelle Harry Wawatie a été confirmé comme chef coutumier et les conseillers coutumiers ont été choisis.

 

[21]         Le chef Wawatie et son conseil ont par la suite été officiellement reconnus par le MAINC. Les facilitateurs ont toutefois fait observer que la sélection du chef Wawatie et de son conseil ne recueillait pas l’appui de tous, et que le groupe de dissidents trouvait encore un écho et des appuis au sein de la collectivité.

 

Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin

 

[22]         Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin est une loi fondamentale des Mitchikanibikok Inik, qui sont également connus sous le nom d’Algonquins de Lac-Barrière. Cette loi est censée avoir la préséance sur toute autre loi.

 

[23]         Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin est fondé sur les principes suivants : a) Nitochkiteaminan (notre Feu), qui représente le Soleil, la Terre et le Peuple, en tant que Première nation; b) Niteabetomowinan (notre Credo), qui représente la connaissance et la compréhension de la loi naturelle, des valeurs culturelles, de la langue et du respect; c) Nimokichanan (notre Festin), qui représente la réaffirmation de notre appartenance à la Terre et à tous les êtres vivants, la protection de notre identité dans notre vie quotidienne et l’importance d’assurer la survie de notre Première nation. Ce sont les fondements du droit coutumier, d’où la nécessité de bien comprendre et interpréter le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Dans le cadre du présent litige, ces fondements revêtent une importance particulière. Ainsi que le professeur Peter Douglas Elias le fait observer : [traduction] « ils constituent incontestablement la pierre d’angle de la culture politique des Algonquins de Lac‑Barrière « (reproduit à la page 120 de l’affidavit de Michel Thusky).

 

[24]         Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin énumère cinq institutions de gouvernance qui possèdent chacune leurs attributions respectives, à savoir l’Anishinabek (le Peuple), l’Ode (la Famille), les Ketizijik (les Aînés), le Nikanikabwijik (le Conseil), et l’Oshibikewini (l’Administrateur).

 

[25]         Parmi ces institutions, l’autorité suprême est l’Anishinabek (le Peuple). Selon le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, toutes les décisions importantes doivent être prises par le Peuple, qui doit se réunir en assemblée générale au moins quatre fois par année, une fois par saison. Une assemblée extraordinaire peut être convoquée par le Nikanikabwijik (le Conseil) chaque fois que se présentent des questions importantes devant être examinées par le Peuple.

 

[26]         L’Ode (la Famille) est chargée de s’occuper des membres qui la composent et elle s’occupe spécialement du soin, de l’éducation et du développement culturel des enfants. Les familles sont également chargées de l’intendance des territoires familiaux traditionnels et de l’utilisation et de la gestion des ressources sur le territoire traditionnel.

 

[27]         Les Ketizijik (les Aînés) sont les gardiens de la connaissance des coutumes et des traditions et ils sont chargés de veiller à leur respect et de leur transmission aux jeunes. Ils sont également chargés de désigner les candidats aux postes de conseillers au sein du Nikanikabwijik (le Conseil) au cours d’un processus de sélection des dirigeants, et ils doivent présider la révision de la direction, servir de médiateurs en cas de conflit, prodiguer des conseils et servir de guides.

 

[28]         Le Nikanikabwijik (le Conseil) est composé du chef et de quatre conseillers, qui représentent les quatre secteurs du territoire traditionnel. Le Conseil est l’organe directeur de la Première nation. Il doit rendre des comptes au Peuple. Les principales attributions du Conseil sont les suivantes :

a.       le soin, l’intendance et la gestion du territoire traditionnel en consultation, coordination et coopération avec les familles;

b.      la protection des droits ancestraux et des droits issus de traités de la Première nation;

c.       les relations avec la Couronne, notamment en vue de la conclusion de traités et d’ententes, sous réserve de l’approbation du Peuple.

 

Il vaut la peine de signaler que le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin prévoit expressément que le Conseil n’est pas chargé de l’administration des programmes et des services, qui relèvent plutôt de l’Administrateur, lequel a depuis été remplacé par un conseil d’administration. Le Conseil conserve toutefois le pouvoir inhérent de superviser le conseil d’administration en ce qui a trait à ces questions.

 

[29]         À la tête du Conseil se trouve le chef, qui sert de principal porte-parole de la Première nation et qui dirige en donnant l’exemple. Le chef consulte régulièrement la collectivité et s’occupe des relations extérieures avec la Couronne, les autres gouvernements et les autres Premières nations. Suivant le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, le chef a un rôle important à jouer dans les activités traditionnelles en facilitant et en coordonnant la répartition des aires de cueillette, en s’assurant que tous les membres ont accès aux terres et aux ressources pour leur subsistance, et en s’assurant que les terres, la faune, les ressources et l’environnement situés dans le territoire traditionnel sont protégés. Des attributions importantes semblables portant sur l’utilisation des terres traditionnelles et l’exercice d’activités traditionnelles sont confiées aux conseillers pour les zones du territoire traditionnel qu’ils représentent.

 

[30]         L’Oshibikewini (l’Administrateur) se voit confier l’administration des programmes et des services destinés aux Algonquins de Lac-Barrière. Cependant, toutes les décisions importantes prises sur ces questions doivent être ratifiées par le Conseil. La seconde modification au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin a eu pour effet de remplacer l’Administrateur par un conseil d’administration composé de quatre personnes élues au scrutin secret pour un mandat de trois ans. Ce conseil est chargé de l’administration de la presque totalité des programmes et des services offerts à la collectivité, notamment l’éducation, la santé, la protection de la jeunesse, le développement économique, le maintien de l’ordre, le logement et les infrastructures ainsi que les finances et le personnel.

 

[31]         Dans la foulée de la création de ce conseil d’administration aux termes de la seconde modification, deux circuits différents touchant la prise de décisions ont été ajoutés au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Le premier circuit concerne les décisions relatives à l’administration des programmes et des services, qui doivent être prises à l’initiative du conseil d’administration, pour être ensuite ratifiées par le Conseil, sous réserve toutefois du droit de regard de la collectivité, vraisemblablement lors d’une assemblée générale ordinaire. Le second circuit concerne les décisions qui ont trait aux terres et aux ressources, aux activités traditionnelles, aux droits issus de traités et à l’élaboration de traités. Ces décisions doivent émaner du Conseil après consultation des familles visées, et elles sont également assujetties au droit de regard de la collectivité.

 

[32]         Le processus de sélection du Conseil est prévu aux articles 8.5 à 8.12 de la version codifiée du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, dans sa rédaction modifiée à la suite de la première modification, tandis que le processus de sélection du conseil d’administration est prévu aux articles 3.4 à 3.11 de la seconde modification du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Par souci de commodité, ces dispositions sont reproduites à l’annexe jointe au présent jugement.

 

[33]         Suivant le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, les deux moyens fondamentaux de remplacer un chef ou un conseiller sont par succession ou à la suite d’une destitution ou d’une démission.

 

[34]         Ainsi, en principe, les membres du Conseil sont nommés à vie, sous réserve de leur destitution ou de leur démission. En cas de décès du chef ou d’un conseiller, un de ses enfants lui succède s’il est proposé comme successeur convenable et si la collectivité n’est pas contre cette décision.

 

[35]         Le poste de tout dirigeant membre du Conseil est toutefois susceptible de révision en tout temps. La révision de la direction peut être déclenchée lorsqu’un [traduction] « nombre suffisant de membres » s’adresse aux aînés pour qu’ils convoquent une réunion portant sur la révision de la direction. S’ils estiment qu’il convient de procéder à une révision de la direction, les aînés convoquent une assemblée de révision de la direction et invitent le dirigeant concerné à s’y présenter. La révision de la direction n’a pas pour objet de destituer un dirigeant mais de chercher à résoudre les problèmes à l’origine de la révision de la direction. Si les problèmes soulevés ne sont pas résolus par consensus, les aînés peuvent demander aux membres de la collectivité de destituer le dirigeant en question, s’ils le désirent. Si un consensus se dégage en faveur de sa destitution, le dirigeant est destitué, ce qui déclenche le processus de sélection de son remplaçant.

 

[36]         La Wasakawegan, qui se traduit par « la flambée », est le processus suivi pour sélectionner les dirigeants. Au cours de ce processus, les aînés proposent des candidats aux postes de dirigeants et les membres de la collectivité procèdent à leur sélection. Pour enclencher le processus de sélection, le Conseil consulte les aînés et leur demande de proposer des candidats convenables. Seuls les membres adultes mariés sont éligibles au poste de chef ou de conseiller; ils doivent utiliser et occuper le territoire traditionnel et ils doivent avoir une bonne connaissance de la terre et avoir des liens avec celle-ci; enfin, ils doivent parler l’algonquin et avoir une bonne connaissance des coutumes et des institutions.

 

[37]         Une fois qu’un candidat convenable a été trouvé, les aînés convoquent le Peuple à une assemblée pour élire les dirigeants. Pour participer à la sélection du chef et des conseillers, il faut être un membre adulte de la Première nation, utiliser et occuper le territoire traditionnel et avoir une bonne connaissance de la terre et avoir des liens avec celle-ci. Lors de cette assemblée de sélection, les sièges représentant le nombre de postes à pourvoir sont placés au centre de la salle où se déroule la réunion. On attribue un nombre égal de sièges aux conjoints des candidats choisis. Les aînés escortent les candidats choisis et leur conjoint jusqu’à un endroit où l’on a disposé des sièges. Les aînés qui proposent des candidatures, les candidats et leur conjoint prennent la parole devant l’assemblée et on invite les personnes présentes à prendre part à un débat général. Si les personnes chargées de sélectionner un dirigeant parviennent à un consensus sur un candidat, on en fait l’annonce.

 

[38]         Une fois qu’il a été choisi, le candidat est soumis à une période de formation, de mise à l’essai et d’évaluation de deux ans, après laquelle les aînés convoquent les membres de la collectivité à une autre assemblée pour confirmer le choix du candidat.

 

[39]         Ainsi, le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin prévoit essentiellement un système de gouvernement extrêmement stable, dont les dirigeants sont nommés à vie et sont remplacés au fur et à mesure que leur poste devient vacant. La coutume prévoit cependant aussi la possibilité de destituer un dirigeant ainsi qu’une révision régulière de la direction.

 

[40]         Le processus de sélection des quatre membres du conseil d’administration est cependant une innovation par rapport à la coutume. Les élections doivent avoir lieu au moins tous les trois ans. Tout membre ayant résidé de façon ininterrompue dans le territoire traditionnel au cours des douze mois précédents et qui est d’ascendance algonquine, qui parle l’algonquin et qui est âgé d’au moins 18 ans peut être présenté comme candidat à un poste au conseil d’administration. Ont le droit de vote les membres de la Première nation qui sont âgés d’au moins 18 ans et qui ont résidé de façon ininterrompue dans le territoire traditionnel au cours des douze mois précédant le scrutin. Ceux qui sont absents du territoire traditionnel parce qu’ils suivent des cours à l’extérieur ou qui ont dû s’absenter pour des raisons de santé ont quand même le droit de voter, tout comme ceux qui sont absents pour moins de six mois en raison de leur travail.

 

[41]         Un scrutateur impartial désigné par le Conseil surveille le déroulement du scrutin. Le scrutateur établit la liste des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants et prépare les bulletins de vote en vue du scrutin secret. Une assemblée de mise en candidature a lieu au moins douze jours avant la date du scrutin pour permettre aux candidats de se présenter et de faire connaître leur programme électoral. Les quatre candidats qui recueillent le plus grand nombre de suffrages sont déclarés élus et deviennent alors membres du conseil d’administration.

 

[42]         Dans les 21 jours qui suivent l’élection des membres du conseil d’administration, un candidat peut contester les résultats du scrutin en faisant appel devant un Conseil des aînés qui est constitué de quatre aînés (deux hommes et deux femmes) choisis par les aînés de la collectivité pour un mandat de trois ans.

 

Faits à l’origine de la présente demande

 

[43]         Il s’agit d’une affaire dans laquelle les faits se passent de commentaires. Il est donc utile d’examiner en détail le dossier soumis à la Cour. Bien qu’il soit un peu long, le récit des faits permet de jeter un éclairage utile sur les divisions profondes qui affligent cette collectivité et sur le dysfonctionnement que ces divisions ont engendré en ce qui a trait aux processus politiques de la collectivité.

 

[44]         Harry Wawatie a occupé le poste de chef pendant une dizaine d’années jusqu’à ce qu’il démissionne avec son conseil traditionnel, en juillet 2006, pour protester contre la décision du MAINC de nommer un séquestre-administrateur chargé de s’occuper des affaires de la bande.

 

[45]         Le chef Wawatie a peu de temps après été nommé par un groupe d’aînés à la tête d’un Conseil des aînés composé de quatre membres. Ce conseil était censé être habilité à présider le processus de sélection des dirigeants de la collectivité déclenché par suite de ces démissions. À cette fin, l’ancien chef Wawatie et son Conseil des aînés ont immédiatement organisé une assemblée en vue de sélectionner les dirigeants de la collectivité à la suite de la sélection de Jean Maurice Matchewan comme chef traditionnel (l’ancien chef traditionnel à qui le chef Wawatie avait lui‑même succédé) et de nouveaux membres du conseil traditionnel. Nous désignerons désormais ce chef et ses conseillers sous l’appellation de « groupe Matchewan ».

 

[46]         L’ancien chef Wawatie et son Conseil des aînés ont ensuite déposé le 10 août 2006 une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale sous le numéro de dossier T-1514-06 pour contester la décision du ministre de nommer un séquestre-administrateur pour administrer les programmes et les services de la bande. Cette demande a été rejetée sur le fond par le juge Harrington le 15 avril 2009. Ce jugement est présentement en appel.

 

[47]         Le processus de sélection qui avait été organisé par l’ancien chef Wawatie et par son Conseil des aînés et qui s’était soldé par la sélection du groupe Matchewan n’avait pas recueilli un appui unanime au sein de la collectivité. Un autre groupe d’aînés a simultanément enclenché sa propre sélection de dirigeants et procédé à la sélection d’un autre chef traditionnel et d’autres conseillers traditionnels en prétendant agir en vertu du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

[48]         Face à ces sélections de dirigeants contradictoires, le MAINC a refusé de reconnaître l’une ou l’autre et a plutôt offert une médiation. On a de nouveau fait appel aux services du juge Réjean Paul pour agir comme médiateur, mais cette fois-ci, ces efforts n’ont pas porté fruit.

 

[49]         Dans son rapport de médiation, le juge Paul a signalé qu’il existait un climat de tension au sein de la réserve entre les groupes concernés et qu’aucun n’était disposé à faire des concessions. Il a également expliqué qu’il avait perdu la confiance d’un de ces groupes au cours des négociations et qu’il avait dû cesser ses activités de médiateur. Il a néanmoins exprimé l’avis que, selon son évaluation de la situation, seul le groupe Matchewan pouvait légitimement prétendre former le

Conseil de bande en vertu du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. En conséquence, peu de temps après, le 29 mai 2007, le MAINC a officiellement reconnu la sélection du groupe Matchewan.

 

[50]         Les termes choisis par le juge Réjean Paul dans son rapport de médiation du 15 mai 2007 illustrent bien l’ampleur des problèmes qui affligent les structures politiques et la cohésion même de la collectivité (les pages citées renvoient à l’affidavit de Michel Thusky) :

Le conflit entre deux groupes d’algonquins vivant dans cette communauté ne date pas d’hier...et c’est désolant ! (à la page 186)

 

[...]

 

Loin de régler les problèmes comme l’on est en droit de s’attendre d’eux, plusieurs aînés sont carrément ligués en deux camps; ils sont pour la plupart des adversaires acharnés, se spécialisant dans l’insinuation, la délation voire, selon ce que l’on m’a rapporté, le chantage et l’intimidation ! Quel bel exemple pour la jeunesse ! Jamais je n’ai vu pareille confrontation autodestructrice. Au lieu de régler des problèmes, ils les créent de toutes pièces par leur attitude de confrontation. Dans un pareil climat, la solution toute trouvée est de blâmer les autres pour ses malheurs et sa piètre existence. Que ce soient les gouvernements, les fonctionnaires, les gestionnaires, voire même les facilitateurs et le médiateur, ceux qui, aux yeux d’un groupe, n’adoptent pas l’attitude qu’ils désirent sont désavoués et décriés, quand ce n’est pas carrément dénoncés publiquement. C’est une attitude totalement inacceptable. (à la page 189)

 

[...]

 

Bien sûr, si l’on étudie de près la situation de cette communauté, il est patent que l’adage bien connu « Diviser pour régner » prend tout son sens. Chaque clan tente de s’organiser pour prendre le pouvoir et contrôler les finances de la Bande. C’est totalement néfaste et ça ne peut qu’engendrer ressentiment et abus. (à la page 190)

 

[...]

 

Enfin, je note qu’il n’y a, semble-t-il, aucune réconciliation possible entre les aînés de l’un et l’autre clan. (à la page 206, souligné dans l’original)

 

 

[51]         Ces profondes divisions n’ont pas tardé à refaire surface peu de temps après que le MAINC eut confirmé la légitimité du groupe Matchewan.

 

[52]         Quelques mois après cette confirmation, en septembre 2007, des accusations ont été portées contre le chef Matchewan. Le groupe Matchewan, de concert avec l’ancien chef Wawatie et son Conseil des aînés, a décidé que l’un des conseillers, Benjamin Nottaway, deviendrait chef « par intérim » en attendant de connaître la suite des accusations portées contre le chef Matchewan. Le chef Matchewan a néanmoins continué à siéger au Conseil en remplacement du conseiller Benjamin Nottaway.

 

[53]         La nomination d’un chef « par intérim » par un Conseil des aînés et le maintien en poste de Jean Maurice Matchewan au Conseil en attendant l’issue des accusations portées contre lui a déplu à certains membres de la collectivité, en particulier à l’ancien groupe de « dissidents », qui ont insisté pour qu’une révision de la direction soit entamée conformément au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Cette révision de la direction s’est toutefois butée à une farouche résistance de la part tant du groupe Matchewan que du Conseil des aînés de l’ancien chef Wawatie.

 

[54]         De plus, pour des raisons qui ne sont pas entièrement expliquées dans le dossier qui m’a été soumis, le groupe Matchewan (alors symboliquement dirigé par le chef Benjamin Nottaway) a décidé au cours du mois de novembre 2007 de fermer l’école communautaire et d’ériger des barricades pour bloquer l’accès à la réserve du séquestre-administrateur nommé par le MAINC. Pour justifier ces mesures spectaculaires, le groupe Matchewan a expliqué qu’il voulait forcer le MAINC et le séquestre-administrateur nommé par ce dernier à faire des concessions. Cette tactique inusitée n’a pas été bien accueillie par le MAINC et par certains membres de la collectivité.

 

[55]         À la suite de ces événements inusités, le ministre a nommé M. Marc Perron pour tenter de reprendre les pourparlers avec le groupe Matchewan.

 

[56]         Dans le rapport qu’il a soumis au ministre le 20 décembre 2007 (dont des extraits sont reproduits aux pages 38 et 39 de l’affidavit de Casey Ratt), M. Perron a fait observer qu’à son avis, aucun dialogue utile ne pouvait avoir lieu dans le climat de confrontation qui régnait dans la réserve. Il s’est également dit d’avis que le groupe Matchewan n’avait nullement l’intention d’améliorer ses relations avec le MAINC à moins d’obtenir satisfaction sur chacune de ses demandes. Dans ces conditions, M. Perron a recommandé que l’on mette fin à son mandat et qu’on reprenne l’instance judiciaire déjà entamée.

 

[57]         M. Perron a également signalé que la fermeture de l’école avait eu de graves répercussions sur les enfants de la collectivité. Il a déclaré : « Pour votre information, l’école de Lac‑Rapide fournit deux repas par jour à près de 70 enfants qui la fréquentent. Depuis plusieurs semaines, je suis convaincu que des enfants ont faim dans cette communauté ».

 

[58]         Dans ce climat survolté, un groupe d’aînés de la collectivité différent de celui qui appuyait le Conseil des aînés de l’ancien chef Wawatie a, selon toute vraisemblance sans l’appui du groupe Matchewan et de ses partisans, décidé d’entamer une révision de la direction en vertu du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. À cette fin, le groupe a organisé le 30 janvier 2008 une rencontre avec certains membres de la collectivité.

 

[59]         Un assistant parajudiciaire, M. Laurier Riel, a préparé un rapport en tant qu’observateur de la rencontre en question. Ce rapport porte la date du 6 février 2008, mais il a été corrigé le 10 février 2008. Suivant ce rapport, la vingtaine d’aînés de la collectivité présents lors de la rencontre du 30 janvier 2008 a procédé à la sélection d’un nouveau chef et d’un nouveau conseil en invitant les candidats, dont Casey Ratt, en tant que chef, et les autres demandeurs à la présente instance, en tant que conseillers, à s’asseoir sur des chaises disposées à cette fin. M. Riel explique, dans son rapport, que 76 personnes ont approuvé ce nouveau conseil et que 13 votes par procuration ont été acceptés. Ce nouveau chef et ces conseillers sont désignés sous le nom de « groupe Ratt » dans le présent jugement.

 

[60]         Il vaut la peine de signaler qu’on n’a versé au dossier qui m’a été soumis aucun avis de convocation, aucune liste des personnes présentes et aucune liste des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants pour démontrer la légitimité de la sélection du groupe Ratt. De plus, M. Riel a pris la peine de signaler dans son rapport corrigé du 10 février 2008 (reproduit à la page 251 de l’affidavit de Michel Thusky) qu’il n’était pas en mesure de [traduction] « confirmer que le Conseil des aînés a été avisé ou que cette assemblée a été dûment convoquée conformément aux règlements ou encore que les personnes habilitées à voter pour les postes de chef et de conseillers avaient été dûment avisées ».

 

[61]         Le 31 janvier 2008, M. Casey Ratt a écrit au ministre pour l’informer qu’il avait été choisi comme chef avec un nouveau conseil. Peu de temps après, le 4 février 2008, l’ancien chef Wawatie a également écrit au ministre au nom de son Conseil des aînés pour dénoncer le processus de sélection du groupe Ratt et pour expliquer que son Conseil des aînés n’y avait pas pris part. L’ancien chef Wawatie a exprimé de nouveau son appui et celui de son Conseil des aînés au groupe Matchewan. Le ministre se retrouvait donc pour la troisième fois avec des prétendants opposés aux postes de chef et de conseillers prévus par la coutume.

 

[62]         Le Secrétariat de la nation algonquine est intervenu dans le conflit relatif au leadership. Il a explicitement donné son appui au groupe Matchewan au moyen d’une résolution adoptée le 22 février 2008, qui a été confirmée par une lettre du 25 février 2008 adressée au chef Casey Ratt par le Grand Chef Norman Young. Cet appui officiel en faveur du groupe Matchewan faisait suite à une plainte formulée par le chef Casey Ratt au sujet de l’intervention dans ce conflit d’un conseiller du Secrétariat de la nation algonquine, Russell Diabo qui, comme nous le verrons plus loin, a joué un rôle clé dans la suite des événements.

 

[63]         Le 10 mars 2008, le MAINC a informé les deux groupes opposés qu’il consignerait les résultats du processus de sélection des dirigeants qui avait eu lieu le 30 janvier 2008 dans le Système d’information sur l’administration des bandes, et qu’il traiterait avec le groupe Ratt.

 

[64]         L’ancien chef Wawatie et son Conseil des aînés ont alors contesté les décisions prises par le MAINC en introduisant une instance devant la Cour fédérale le 25 mars 2008 dans le dossier T‑462‑08. Cette instance est toujours en cours.

 

[65]         Pour sa part, le groupe Ratt a commencé à exercer le pouvoir qu’il venait de se voir reconnaître.

 

[66]         Le groupe Ratt a adopté le 15 mars 2008 une résolution par laquelle la collectivité se retirait officiellement du Secrétariat de la nation algonquine. À la suite de cette décision, le MAINC a réduit le financement accordé au Secrétariat de la nation algonquine, et ce, malgré les objections de cette dernière.

 

[67]         Un climat de tension s’est installé entre le groupe Ratt et le Secrétariat de la nation algonquine. Le 11 juillet 2008, le Grand Chef Norman Young du Secrétariat de la nation algonquine a écrit au ministre pour dénoncer le processus qui s’était soldé par la sélection, puis par la reconnaissance du groupe Ratt, et pour réclamer l’organisation d’un nouveau processus de sélection des dirigeants.

 

[68]         Au début de février 2009, des personnes étroitement associées au Secrétariat de la nation algonquine, qui étaient d’ardents défenseurs du groupe Matchewan, ont décidé de prendre des mesures concrètes pour s’assurer qu’un nouveau processus de sélection des dirigeants ait lieu au sein de la collectivité. Un des principaux conseillers du Secrétariat de la nation algonquine, M. Russell Diabo, a communiqué avec M. Keith Penner au cours de la première semaine de février 2009 pour l’informer que les aînés étaient sur le point de prendre des mesures pour établir un gouvernement « légitime » et pour lui demander s’il serait intéressé à offrir son aide en tant que facilitateur pour favoriser l’atteinte de cet objectif. M. Penner a accepté à la condition que le Secrétariat de la nation algonquine lui paie ses honoraires et ses dépenses, ce qui a été fait.

 

[69]         M. Keith Penner est un ancien député fédéral qui a siégé pendant de nombreuses années et qui a présidé le Comité permanent des affaires indiennes et du développement du Nord canadien de la Chambre des communes dans les années 1980. Il est bien connu dans les milieux autochtones pour le « Rapport Penner », publié en 1983, dans lequel le Comité permanent avait examiné la question de l’autonomie gouvernementale et de la gouvernance des Premières nations. À l’époque qui nous intéresse en l’espèce, il était à la tête de son propre cabinet de règlement des différends, qui se spécialisait dans le domaine des transports, des litiges commerciaux et des différends au sein des collectivités autochtones.

 

Le processus de sélection des dirigeants contesté

 

[70]         À la suite de ce premier contact entre MM. Diabo et Penner, le groupe Matchewan a adressé, le 19 février 2009, une lettre dans laquelle il demandait au Conseil des aînés d’enclencher un nouveau processus de sélection des dirigeants. Il est utile de rappeler que le Conseil des aînés appuyait clairement le groupe Matchewan plutôt que le groupe Ratt et qu’il était partie à une instance judiciaire dans laquelle la reconnaissance du groupe Ratt par le MAINC était contestée.

 

[71]         Dans sa lettre, le groupe Matchewan annonçait son intention de démissionner. Il demandait par ailleurs au Conseil des aînés de trouver des successeurs en conformité avec le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Les démissions devaient prendre effet après la tenue de l’assemblée de sélection des dirigeants de la collectivité. Le groupe Matchewan a par ailleurs élaboré un processus détaillé qu’il a suggéré au Conseil des aînés de suivre. Ce processus prévoyait notamment la désignation d’un facilitateur de l’extérieur, ce qui faisait écho aux communications antérieures échangées entre MM. Diabo et Penner.

 

[72]         Une rencontre a eu lieu le 23 février 2009 avec M. Penner à Lac-Rapide. Le groupe Matchewan et un groupe d’aînés qui appuyaient vraisemblablement ce groupe ont participé à cette rencontre. Aucun représentant du groupe Ratt et aucun de ses partisans n’a été invité ou n’a pris part à la rencontre. Une version détaillée du mandat de M. Penner a été examinée lors de cette réunion, et il a été convenu qu’on distribuerait et afficherait dans la collectivité de Lac‑Rapide un avis de convocation à une assemblée conjointe des aînés et des membres de la collectivité devant avoir lieu le 9 mars 2009. Cette rencontre été convoquée en vue d’adopter le mandat du facilitateur, de nommer M. Penner comme facilitateur, de désigner le Conseil des aînés chargé de présider le processus de sélection des dirigeants, et d’adopter l’échéancier des rencontres subséquentes pour établir la version définitive de la liste d’admissibilité et pour fixer la date de l’assemblée consacrée à la sélection des dirigeants.

 

[73]         Même si elle avait été convoquée au moyen d’un avis public et bien que M. Penner se soit rendu à Lac-Rapide pour y participer, la rencontre conjointe du 9 mars 2009 des aînés et de la collectivité n’a jamais eu lieu. On ignore pourquoi cette rencontre a été annulée et M. Penner lui-même ne peut l’expliquer, sauf pour confirmer que des représentants du groupe Matchewan (plus précisément, le chef « par intérim » Benjamin Nottaway et Michel Thusky) l’avaient informé que la date retenue pour cette rencontre ne convenait plus (page 66 du contre‑interrogatoire de M. Penner).

 

[74]         Comme cette réunion a été annoncée, les membres du groupe Ratt ont ainsi appris que leur leadership était contesté.

 

[75]         En conséquence, le 8 mars 2009, un groupe de 24 aînés qui appuyaient le groupe Ratt se sont réunis pour signer une résolution pour confirmer leur appui à ce groupe, confirmer le processus qui s’était soldé par la sélection de ce conseil et dénoncer le nouveau processus de sélection engagé par le Conseil des aînés opposé.

 

[76]         Fort de cet appui, le chef Ratt a, le 12 mars 2009, écrit à M. Penner pour contester le nouveau processus de sélection des dirigeants proposé en faisant valoir plusieurs motifs, dont le conflit inhérent résultant de l’intervention dans le processus du Secrétariat de la nation algonquine et de ses conseillers. M. Penner a répondu en informant le chef Ratt le 19 mars 2009 que le processus se poursuivrait et qu’une rencontre aurait lieu à cette fin à Lac-Rapide et que le chef Ratt serait invité à y participer. M. Penner a expliqué, dans sa réponse, que son rôle en était un de « facilitateur neutre ». Le groupe Ratt a répondu le lendemain par l’intermédiaire de son conseiller juridique, qui s’est dit d’avis que M. Penner n’était pas neutre et qu’il devrait se retirer et mettre fin à son mandat.

 

[77]         Une rencontre des aînés et de la collectivité a néanmoins eu lieu à Lac-Rapide le 24 mars 2009. Elle avait vraisemblablement été organisée par les partisans du groupe Matchewan et M. Penner était présent. Alors que l’avis de convocation précisait qu’elle devait se tenir au gymnase de l’école communautaire, la réunion a été déplacée sans préavis à un autre endroit de la collectivité. Avec à leur tête l’aîné Hector Jerome, plusieurs des aînés qui appuyaient le groupe Ratt se sont réunis au gymnase de l’école pour constater qu’ils ne se trouvaient pas au bon endroit. Ils ont fini par trouver le nouveau lieu de réunion, où ils sont arrivés en retard. Ils ont décidé de participer à la rencontre à la fois pour protester contre le changement de lieu et pour faire part de leur farouche opposition au processus. Après que l’aîné Elder Jerome eut pris la parole pour dénoncer ces points, les partisans du groupe Ratt ont quitté la salle en signe de protestation.

 

[78]         Les autres participants à la rencontre du 24 mars 2009 ont alors adopté trois résolutions signées par un groupe composé de 26 aînés :

a.       la résolution portant le numéro 03-24-09 (A) entérinant le mandat du facilitateur et nommant M. Penner comme facilitateur;

 

b.      la résolution portant le numéro 03-24-09 (B) désignant un conseil des aînés chargé de présider le processus de sélection des dirigeants et comprenant Eddy Nottaway, Michel Thusky, Jeannine Matchewan et Louise Papatie, qui appuyaient le groupe Matchewan, et fixant au 14 avril 2009 la date prévue pour finaliser la liste d’admissibilité et au 25 avril 2009 la date de la tenue de l’assemblée de sélection des dirigeants;

 

c.       la résolution portant le numéro 03-24-09 (C) approuvant une liste d’admissibilité provisoire des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants.

 

 

[79]         À partir de ce moment-là, il était évident que les personnes qui appuyaient le groupe Matchewan suivraient le nouveau processus de sélection indépendamment de la participation ou des préoccupations du groupe Ratt ou de ses partisans.

 

[80]         Le Conseil des aînés a alors invité le MAINC et d’autres personnes à participer à titre d’observateurs à l’assemblée de sélection et une liste provisoire des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants a été adoptée le 14 avril 2009 par les aînés qui appuyaient le groupe Matchewan.

 

[81]         Le chef Ratt a dénoncé tout le processus dans une lettre adressée au MAINC le 14 avril 2009 dans laquelle il critiquait sévèrement l’intervention du Secrétariat de la nation algonquine et de M. Penner.

 

[82]         À la lumière des critiques formulées par le chef Ratt au sujet de la présumée manipulation, par le Conseil des aînés, de la liste des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants, le conseiller juridique du Secrétariat de la nation algonquine a dû intervenir auprès du Conseil des aînés pour s’assurer que l’on utilise l’ancienne liste pour approuver la liste actualisée des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants.

 

[83]         Pour des raisons qui demeurent obscures, le Conseil des aînés a écrit au chef Ratt le 16 avril 2009 pour lui proposer de nommer son propre cofacilitateur pour travailler avec M. Penner, et pour lui expliquer qu’un processus de réconciliation entre les camps rivaux serait mis sur pied pour régler toutes les questions se rapportant au processus de sélection des dirigeants. Cette offre a toutefois été rejetée par le chef Ratt le 21 avril 2009.

 

[84]         Le 23 avril 2009, le groupe Ratt a plutôt décidé d’introduire devant la Cour fédérale, sous le numéro de dossier T-654-09, la présente instance, qui s’est graduellement métamorphosée.

 

[85]         Le 8 mai 2009, le groupe Ratt a déposé une requête visant à obtenir une injonction provisoire en vue de faire interdire au Conseil des aînés de tenir la rencontre prévue pour le 13 mai 2009. Cette requête a été rejetée par le juge Harrington le 12 mai 2009.

 

[86]         Lors de la rencontre du 13 mai 2009, le Conseil des aînés a décidé de renouveler son offre de réconciliation et proposé de suspendre pendant dix jours son processus de sélection des dirigeants pour donner au groupe Ratt l’occasion de nommer un cofacilitateur et d’entreprendre des démarches de réconciliation. Le même jour, le chef Ratt a écrit à M. Penner pour l’informer que son Conseil [traduction] « accepte de nommer un cofacilitateur pour faciliter le processus de réconciliation et pour compléter les démarches que nous avons effectuées jusqu’à maintenant » (page 296 de l’affidavit de Michel Thusky). C’était une réponse ambiguë à l’offre de réconciliation, mais le Conseil des aînés l’a tout de même accueillie favorablement.

 

[87]         Le chef Ratt n’a jamais procédé à la désignation d’un cofacilitateur, faisant valoir qu’il n’avait pas eu assez de temps pour trouver la bonne personne, et qu’il fallait régler des questions budgétaires pour pouvoir obtenir des fonds à cette fin.

 

[88]         Le Conseil des aînés n’a pas tardé à remettre en question la volonté réelle de réconciliation du chef Ratt et il l’a informé le 3 juin 2009 qu’il reprendrait le nouveau processus de sélection et qu’il convoquait une assemblée pour le 10 juin 2009 pour approuver la liste d’admissibilité des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants, ce qu’il a effectivement fait.

 

[89]         Le 24 juin 2009, une assemblée de sélection des dirigeants organisée par le Conseil des aînés a eu lieu à Lac-Barrière, lequel se trouve à l’extérieur de la localité de Lac-Rapide, à 45 minutes de route de celle-ci. Plus d’une centaine de membres de la collectivité qui étaient habilités à sélectionner les dirigeants ont participé à cette assemblée au cours de laquelle Jean Maurice Matchewan a été sélectionné comme chef et quatre autres personnes comme conseillers, dont Benjamin Nottaway.

 

[90]         M. Penner a rédigé un rapport au sujet de cette assemblée de sélection. Il a conclu que le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin avait été suivi et que le nouveau chef et les nouveaux conseillers avaient été légitimement et régulièrement choisis comme dirigeants de la collectivité. Le Conseil des aînés a alors écrit au ministre, le 2 juillet 2009, pour l’informer des résultats.

 

[91]         En présence pour la quatrième fois d’un conflit entre divers groupes revendiquant la gouvernance légitime de la collectivité des Algonquins de Lac-Barrière, le ministre a pris beaucoup de temps avant de répondre. La dernière lettre écrite par le ministre date du 30 octobre 2009. Elle se passe de commentaires. En un mot, le ministre attribue bon nombre des problèmes qui affligent la collectivité à des dissensions internes entre les membres de la collectivité et à un processus de sélection des dirigeants qui aggrave selon lui la situation pénible qui existe en ce qui concerne la gouvernance. En conséquence, le ministre a décidé de prendre des mesures importantes et d’une grande portée (pages 336 et 337 de l’affidavit de Michel Thusky) :

[traduction]

 

À ce moment-ci, je considère l’établissement d’un processus de sélection des dirigeants transparent, démocratique et accessible comme la seule solution viable pour résoudre les conflits qui persistent au sein de collectivité en ce qui concerne la gouvernance et pour assurer le bien-être des résidents et des membres de la collectivité de Lac-Barrière. J’ai donc décidé d’invoquer les pouvoirs qui me sont conférés par la Loi sur les Indiens en vue d’assujettir les Algonquins de Lac-Barrière aux dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux élections, et ce, à compter du 1er avril 2010.

 

Je prends cette affaire très au sérieux et j’ai pris cette décision en tenant surtout compte de l’intérêt supérieur de la collectivité. J’offre à la collectivité la possibilité, au cours des prochains mois, d’établir et de confirmer un processus clair de sélection des dirigeants qui prévoit un vote secret et qui respecte les principes énoncés dans la Politique sur la conversion à un système électoral communautaire du Ministère. Si la collectivité réussit à établir et à confirmer un nouveau code de sélection des dirigeants d’ici le 31 mars 2010, je n’exercerai pas le pouvoir susmentionné. Si un consensus se dégage au sein de la collectivité en vue de l’élaboration d’un code électoral, le Ministère est disposé à discuter de la possibilité d’offrir une aide financière et un soutien technique appropriés, en s’inspirant de l’aide accordée à d’autres Premières nations. Le personnel du Ministère peut également être mis à contribution pour aider la collectivité à élaborer un code de sélection des dirigeants.

 

Dans l’intervalle, j’ai donné pour instruction aux fonctionnaires du Ministère de mettre fin, dès le 30 octobre 2009, à tout rapport officiel avec tout groupe qui se dit constituer le conseil de bande et je leur ai donné pour instruction de travailler en collaboration avec tous les dirigeants et membres de la collectivité à l’établissement d’un nouveau code électoral. Les programmes et les services essentiels offerts à la collectivité continueront d’être dispensés par le séquestre-administrateur. Les projets de construction de logements déjà en cours seront maintenus et d’autres mesures seront prises pour améliorer les conditions de vie des membres de la collectivité.

 

 

 

Thèses des parties

 

[92]         Les demandeurs et les défendeurs ont présenté des arguments détaillés à l’appui de leur thèse respective. Leurs thèses sont simples.

 

[93]         Les demandeurs affirment que, suivant le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, le Conseil des aînés n’a pas le pouvoir de présider le processus de sélection coutumier des dirigeants. Les demandeurs ajoutent que tout le processus du 24 juin 2009 qui a mené à la sélection des dirigeants était entaché de partialité et qu’il était irrégulier en raison de l’existence d’un conflit d’intérêts. Les demandeurs soutiennent enfin qu’un grand nombre de membres de la collectivité vivant à l’extérieur de la réserve ont été exclus de la liste d’admissibilité en violation des principes énoncés dans les arrêts Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203 (arrêt Corbière), et Esquega c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 182, [2009] 1 R.C.F. 448.

 

[94]         Les défendeurs affirment que le Conseil des aînés avait le pouvoir d’agir comme il l’a fait et qu’il était régulièrement constitué, que le processus était juste et impartial, que la liste d’admissibilité respectait le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin et que les principes posés dans l’arrêt Corbière ne s’appliquent pas en l’espèce. Ils ajoutent que les demandeurs sont irrecevables, en raison de leur conduite, à invoquer des arguments fondés sur l’équité procédurale étant donné qu’ils ont refusé toutes les démarches entreprises en vue de réconcilier les parties en présence et de tenir compte de leurs besoins.

 

Questions en litige

 

[95]          On peut énoncer brièvement comme suit les questions en litige :

a.       La Cour fédérale a-t-elle compétence?

 

b.      Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin a-t-il été respecté?

 

c.       Le processus était-il entaché de partialité ou était-il autrement inéquitable?

 

d.      La Cour devrait-elle procéder à une analyse fondée sur l’arrêt Corbière?

 

e.       Y a-t-il lieu d’accorder une réparation?

 

 

 

Compétence de la Cour fédérale

 

[96]         Les plaideurs s’entendent tous pour dire que la Cour fédérale a compétence pour trancher les questions en litige en l’espèce. Cependant, bien que les parties s’entendent toutes sur ce point, il ne s’ensuit pas pour autant que la Cour soit effectivement compétente. Il faut quand même vérifier si elle a compétence (Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c. Bande de Rat Portage no 38B (Nation Wauzhushk Onigum), 2008 CF 812, [2009] 2 R.C.F. 267, au paragraphe 26, Chavali c. Canada, 2001 CFPI 268, 202 F.T.R 166, au paragraphe 6, conf. par 2002 CAF 209, 291 N.R. 311).

 

[97]         Dans le cas qui nous occupe, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si le conseil traditionnel des Algonquins de Lac-Barrière qui a été sélectionné selon la coutume, et les organes qui sont censés superviser pareille sélection suivant la coutume, tels que le Conseil des aînés, répondent à la définition d’« office fédéral » que l’on trouve aux paragraphes 18(1), 18.1(2) et 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[98]         La définition que l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales donne de l’expression « office fédéral » renvoie à la compétence ou aux pouvoirs prévus par une loi fédérale :

« office fédéral » Conseil, bureau, commission

ou autre organisme, ou personne ou groupe de

personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale [...]

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown [...]

 

 

[99]         Voici comment la Loi sur les Indiens définit le « conseil de la bande » pour l’application de cette Loi :

« conseil de la bande »

 

a) Dans le cas d’une bande à laquelle s’applique l’article 74, le conseil constitué conformément à cet article;

 

b) dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci.

“council of the band” means

 

(a) in the case of a band to which section 74 applies, the council established pursuant to that section,

 

(b) in the case of a band to which section 74 does not apply, the council chosen according to the custom of the band, or, where there is no council, the chief of the band chosen according to the custom of the band;

 

 

[100]     Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin constitue de toute évidence une « coutume de la bande » au sens où cette expression est employée dans la définition précitée.

 

[101]     Les processus de sélection coutumiers constituent l’un des rares droits de gouvernance autochtones qui bénéficient d’une reconnaissance législative explicite dans une loi fédérale, la Loi sur les Indiens. Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin est lui-même une expression contemporaine du système de sélection traditionnel des dirigeants des Algonquins de Lac‑Barrière. Cette coutume est explicitement reconnue par la Loi sur les Indiens.

 

[102]     En tant que loi coutumière autochtone, le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin découle de la common law fédérale, suivant les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322. Dans cette affaire, la Cour a jugé que la common law fédérale faisait partie des lois du Canada au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour suprême du Canada a également expliqué que les règles de droit relatives au titre ancestral faisaient partie de la common law fédérale. Cette opinion a été reprise dans l’arrêt R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139, au paragraphe 49. Comme le font remarquer J.M. Evans et B. Slattery :

[traduction] Les règles de droit de la common law relatives au titre ancestral – et, en fait, les règles de common law régissant les droits ancestraux et les droits issus de traités en général – sont devenues de la common law fédérale. Pour être plus précis, elles sont devenues un ensemble de règles de droit public essentielles appliquées de façon uniforme sur tout le territoire canadien dans les matières relevant de la compétence fédérale. À cet égard, les règles relatives au titre ancestral s’apparentent à celles concernant la responsabilité de l’État, que le juge en chef du Canada Laskin avait déjà citées comme exemple parfait de règles constituant de la common law fédérale. [« Federal Jurisdiction-Pendant Parties-Aboriginal Title and Federal Common Law-Charter Challenges-Reform Proposals : Roberts v. Canada » (1989) 68 R. du B. can. 817, à la page 832]

 

 

 

[103]     À défaut d’arrêté pris en application du paragraphe 74(1) de la Loi, la mise en œuvre du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin constitue, selon la Loi sur les Indiens, une condition préalable à la reconnaissance du conseil de bande des Algonquins de Lac-Barrière selon la Loi. L’exercice, par ce conseil de bande, des pouvoirs prévus par la Loi en question dépend du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. En conséquence, le conseil traditionnel choisi conformément au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, tout comme les organes qui, comme le Conseil des aînés, sont censés contrôler la régularité de la sélection du chef et des conseillers en vertu de la coutume, répondent à la définition d’« office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[104]     Je relève que la Cour d’appel fédérale n’a pas hésité à conclure qu’un conseil des aînés qui exerce son pouvoir de destituer un chef en vertu de la Constitution de la bande peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Dans l’arrêt Minde c. Nation crie d’Ermineskin, 2008 CAF 52, 372 N.R. 268, le juge Noël déclare ce qui suit au paragraphe 33 :

En ce qui concerne l’argument préliminaire de M. Minde suivant lequel la décision du Conseil des anciens, s’il s’agissait du décideur, ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’il n’est pas un office fédéral au sens de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, il me suffit de dire que la compétence de la Cour fédérale prévue à l’article 18 ne dépend pas de la forme de l’entité mais de son pouvoir de décider. Dans la mesure où le Conseil des anciens est habilité à démettre M. Minde de sa fonction de chef conformément à la Constitution de la bande et c’est ce qu’il a fait, sa décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.

 

 

 

[105]     Notre Cour a également constamment réaffirmé son pouvoir de contrôle sur les élections tenues conformément à la coutume; voir, notamment, les décisions Francis c. Conseil mohawk de Kanasetake, 2003 CFPI 115, [2003] 4 C.F. 1133, aux paragraphes 11 à 18, et Ballantyne c. Nasikapow, [2001] 3 C.N.L.R. 47, 197 F.T.R. 184, aux paragraphes 5 et 6.

 

[106]     En conséquence, peu importe que le processus de sélection se déroule dans le cadre d’un scrutin tenu conformément à la Loi sur les Indiens ou qu’il ait lieu selon la coutume, la Cour fédérale a un pouvoir de contrôle sur le processus et sur les organes tels que les présidents d’élections, les comités d’appel et les conseils des aînés qui prétendent exercer un pouvoir relativement à ce processus. J’estime qu’il en est ainsi indépendamment de la question de savoir si le processus de sélection découle d’une ancienne coutume, comme c’est le cas en l’espèce, ou d’une coutume qui a été élaborée à la suite de la révocation d’un arrêté visé à l’article 74 de la Loi qui doit se conformer aux conditions imposées par le ministre. Dans un cas comme dans l’autre, la Cour a compétence.

 

Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin a-t-il été respecté?

 

 

[107]     Je tiens d’abord à préciser que l’important conseil d’administration qui est expressément prévu par le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, dans sa version modifiée, semble être tombé en désuétude. Bien qu’ils aient été interrogés à ce sujet à l’audience, les avocats des deux parties ne semblaient pas trop préoccupés par la chose, et ce, même si ce conseil est l’organe qui se voit confier la gestion des programmes sociaux et économiques de la collectivité. Ces programmes sont maintenant gérés par un séquestre-administrateur. On s’attendrait, dans la foulée de cette gestion par un séquestre-administrateur, que la question de la défaveur dans laquelle est tombé le conseil d’administration élu aurait été l’une des principales préoccupations de la collectivité, mais la question n’a pas été soulevée par les parties au présent litige.

 

[108]     J’accepte, pour les besoins de la présente demande et sans me prononcer sur la question, que la sélection du groupe Matchewan en juillet 2006 s’est déroulée en conformité avec le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin et que le chef Matchewan et son conseil ont été dûment et régulièrement reconnus par le MAINC le 29 mai 2007.

 

[109]     La tournure des événements après le 29 mai 2007 démontre toutefois clairement que les parties à la présente instance ont dénaturé chacune à leur tour le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin pour le faire cadrer avec leurs visées personnelles selon la tournure des événements.

 

[110]     Il y a tout d’abord eu la démission du chef Jean Maurice Matchewan en septembre 2007, à la suite des accusations portées contre lui. Il ressort du dossier que le chef Matchewan a décidé de démissionner pour attendre de connaître la suite qui serait donnée à ces accusations. Il aurait pu décider de demeurer en poste comme chef en faisant valoir que ce n’était pas parce que des accusations étaient portées contre lui qu’il était pour autant coupable de quoi que ce soit. Il a toutefois décidé de remettre sa démission, ce qui aurait dû donner lieu à la sélection d’un nouveau chef.

 

[111]     Au lieu de cela, l’ancien chef Wawatie, le chef démissionnaire Matchewan et le conseiller Benjamin Nottaway se sont concertés pour assurer le maintien de M. Matchewan au sein du Conseil par le truchement d’une désignation inusitée, celle de Benjamin Nottaway comme chef « par intérim », et par la décision quelque peu curieuse de faire occuper par l’ancien chef Matchewan le siège laissé vacant par le conseiller Benjamin. En conséquence, le chef Matchewan a « démissionné » alors qu’il avait encore bien en mains les rênes du pouvoir au sein du Conseil. Toutes ces mesures ont été prises sans consulter la collectivité ou même les aînés. Le Conseil des aînés contrôlé par l’ancien chef Wawatie s’est attribué le pouvoir de décider la question avec le groupe Matchewan. Le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin ne lui conférait ni le pouvoir ni la légitimité nécessaires pour agir ainsi.

 

[112]     L’article 8.10 du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin indique clairement qu’un membre du Conseil, y compris le chef, cesse d’exercer ses fonctions lorsqu’il remet sa démission. Cet article prévoit aussi que lorsqu’un poste devient vacant, les autres membres du Conseil décident, après avoir consulté les aînés, de l’opportunité de pourvoir au poste et du moment de le faire.

 

[113]     Dans le cas qui nous occupe, le Conseil aurait pu décider, après avoir consulté les aînés, de ne pas pourvoir au poste laissé vacant par le chef tant qu’une décision n’aurait pas été prise au sujet des accusations portées contre M. Matchewan et aurait pu continuer d’exercer ses activités avec les quatre conseillers restants. Un nouveau processus de sélection aurait pu se dérouler à une date ultérieure, à un moment où M. Matchewan aurait pu tenter de revenir comme chef advenant le rejet des accusations portées contre lui. Le Conseil a toutefois décidé de pourvoir au poste, de continuer à exercer ses fonctions et de permettre à M. Matchewan de siéger au Conseil. Cette décision n’était pas prévue par le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Il aurait plutôt fallu déclencher un processus de sélection pour pourvoir au poste vacant de chef.

 

[114]     Il n’est donc pas étonnant qu’une grande partie de la collectivité s’interrogeait sur ces manœuvres. Il ressort du dossier qui m’a été soumis que le groupe Matchewan et le Conseil des aînés ont fait la sourde oreille aux appels qui leur étaient adressés pour organiser des assemblées avec la collectivité en vue de discuter de la question ou de réviser la direction dans la foulée de ces événements. Si l’on ajoute ces faits à la fermeture de l’école, une crise en grande partie provoquée par le groupe Matchewan lui-même, il n’est pas étonnant que les tensions se soient exacerbées au sein de la collectivité.

 

[115]     Le processus qui a conduit à la sélection du groupe Ratt le 30 janvier 2008 ne cadrait lui‑même pas très bien avec le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

[116]     Les avocats des demandeurs ont fait valoir lors de l’instruction de la présente demande que la sélection des dirigeants qui a eu lieu le 30 janvier 2008 ne peut être remise en question dans le cadre de la présente instance. Je rejette cet argument.

 

[117]     En fait, la présente instance oblige la Cour à se prononcer sur la légitimité du processus de sélection ayant conduit à l’assemblée de sélection des dirigeants du 24 juin 2009. Pour ce faire, il faut également examiner la légitimité du processus par lequel le groupe Matchewan aurait été destitué le 30 janvier 2008 et par lequel le groupe Ratt aurait été choisi à sa place. La légitimité de la sélection du groupe Ratt est donc de toute évidence en cause dans la présente instance.

 

[118]     En fait, la légitimité du groupe Ratt est le premier moyen qu’invoquent les demandeurs dans leur demande au soutien de leur thèse. Les demandeurs étaient parfaitement conscients que cette question était en jeu dans la présente instance, et en plaidant qu’elle ne devrait pas être examinée, ils cherchent tout simplement à amener la Cour à appliquer deux normes différentes, l’une pour le groupe Matchewan et l’autre pour eux-mêmes. La Cour refuse de s’engager dans la voie que les demandeurs l’invitent à suivre.

 

[119]     Au lieu de réclamer une ordonnance judiciaire pour contester la nomination du chef  « par intérim » Nottaway et l’attribution du siège d’un des conseillers au chef Matchewan sans consulter la collectivité, les opposants ont décidé de se servir du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin comme moyen radical d’évincer tous les membres du Conseil. Pour arriver à leurs fins, ils ont organisé une rencontre avec les aînés et les membres de la collectivité qui les appuyaient. Il n’y a rien dans le dossier dont je dispose qui permette de penser que les dirigeants destitués ont été invités à cette réunion ou que les membres de la collectivité qui appuyaient le groupe Matchewan y ont participé ou y ont même été invités. Le 30 janvier 2008, les opposants ont donc procédé simultanément à leur propre révision de la direction et à une assemblée de sélection des dirigeants qui s’est soldée par la sélection du groupe Ratt.

 

[120]     Cette méthode de révision de la direction et ce processus de sélection ne cadrent pas bien avec la lettre et l’esprit du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. L’article 8.11 du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin permet clairement la tenue en tout temps d’une révision de la direction si un « nombre suffisant » et non précisé de membres de la collectivité demandent aux aînés de convoquer une assemblée de révision de la direction. Si les aînés acceptent de tenir cette assemblée, ils doivent inviter le(s) dirigeant(s) concerné(s) à y participer. L’objet de l’assemblée n’est pas de destituer les dirigeants mais de résoudre les problèmes au moyen de discussions. Toutefois, si un consensus en ce sens se dégage, le dirigeant doit être destitué, et le processus de sélection est alors enclenché.

 

[121]     Il ressort du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin qu’une assemblée de révision de la direction et la sélection des dirigeants qui s’ensuit sont deux processus différents qui n’ont pas lieu simultanément. Si la révision de la direction se solde par la destitution d’un dirigeant, le Conseil doit alors trouver des candidats convenables après avoir consulté les aînés conformément au paragraphe 8.6(2) du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Les aînés doivent ensuite convoquer une assemblée pour désigner les dirigeants conformément au paragraphe 8.6(3) et, par voie de conséquence logique, il est alors nécessaire, pour donner effet à l’article 8.9, de dresser une liste des personnes habilitées à sélectionner des dirigeants. Enfin, il est nécessaire de tenir une assemblée de sélection.

 

[122]     En combinant toutes ces étapes et en tenant une seule assemblée portant à la fois sur la révision de la direction et sur la sélection des dirigeants à laquelle seule une fraction de la collectivité avait été invitée, les opposants ne se sont pas conformés au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin. Les opposants cherchaient plutôt à évincer les conseillers en place en suivant un processus qui semblait leur accorder la légitimité pour le faire. On peut jusqu’à un certain point comprendre que les opposants aient agi ainsi étant donné que le groupe Matchewan lui-même ne respectait pas la coutume, mais le processus qu’ils ont utilisé ne s’en trouve pas pour autant légitimé.

 

[123]     Le processus conduisant à l’assemblée de sélection du 24 juin 2009 au cours de laquelle le chef Matchewan et le conseiller Benjamin Nottaway ont été choisis de nouveau était une tentative d’utiliser le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin pour parvenir à certaines fins précises. Le succès de cette nouvelle tentative de sélection des dirigeants dépendait dans une large mesure de l’intervention d’un conseil des aînés comme comité organisateur de la sélection.

 

[124]     La seconde modification apportée au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin prévoit effectivement un conseil des aînés, mais le seul rôle qui lui est attribué est de siéger comme tribunal d’appel pour régler les différends portant sur les résultats d’élections au conseil d’administration ou sur les destitutions de ce même conseil. Les alinéas 3.4(1)c) et d), le paragraphe 3.10(2) et l’article 3.11 de la seconde modification à la coutume sont clairs sur ce point. Je relève par ailleurs qu’aux termes du paragraphe 3.11(4), aucun membre du Conseil des aînés [traduction] « ne vote ou n’appuie un candidat lors du scrutin ».

 

[125]     Il semble toutefois que ce conseil des aînés faisait ce qu’il voulait et qu’il s’arrogeait des mandats et des pouvoirs qui n’étaient pas prévus par le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

[126]     Comme nous l’avons déjà signalé, sous le contrôle de l’ancien chef Wawatie, le Conseil des aînés avait tenté de rendre légitimes les manœuvres entourant la « démission » du chef Matchewan après que des accusations eurent été portées contre ce dernier. Le Conseil des aînés est alors intervenu activement pour faire obstacle à la révision de la direction du groupe Matchewan. Le Conseil des aînés a également introduit diverses instances en justice contre le ministre pour contester la nomination du séquestre-administrateur et pour contester la reconnaissance subséquente du groupe Ratt par le MAINC. Certes, le Conseil des aînés en question s’arrogeait un rôle beaucoup plus étendu que celui de comité d’appel des élections qui était prévu par le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

[127]     Au cours du processus conduisant à l’assemblée de sélection des dirigeants du 24 juin 2009, le Conseil des aînés a décidé de son propre chef de désigner M. Penner comme facilitateur et d’agir de façon générale comme autorité chargée d’organiser le processus de sélection. Ce processus de sélection était une tentative à peine voilée d’évincer le groupe Ratt. Même s’ils savaient fort bien que bon nombre de personnes parmi les aînés et la collectivité n’étaient pas d’accord avec les manœuvres auxquelles ils recouraient, les membres du Conseil des aînés ont continué en faisant totalement fi de ces sérieuses réserves.

 

[128]     Lorsque le Conseil des aînés s’est arrogé le pouvoir d’organiser le processus de sélection, alors que la coutume ne lui reconnaissait pas ce pouvoir, la méthode qu’il a suivie n’était guère compatible avec celle d’un organisme agissant de façon objective sans parti pris pour l’un ou l’autre candidat, ainsi que l’exigeait le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

Le processus était-il entaché de partialité ou était-il autrement inéquitable?

 

 

[129]     Je signale que le processus de sélection coutumier en litige dans le cas qui nous occupe n’est pas un processus décisionnel et que M. Penner et le Conseil des aînés n’ont joué aucun rôle décisionnel en l’espèce. En conséquence, les obligations d’équité et d’impartialité en cause sont différentes de celles qui s’appliquent aux organismes chargés de rendre des décisions.

 

[130]     La Cour suprême du Canada a affirmé à plusieurs reprises que les obligations imposées par l’obligation d’équité varient selon les circonstances : Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 682, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 21.

 

[131]     De plus, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, aux pages 636 à 639, l’ampleur de l’obligation d’équité dépend de la nature et des fonctions de l’organisme administratif en cause et, en conséquence, une allégation de crainte raisonnable de partialité sera considérée différemment dans le cas d’un organisme décisionnel par rapport à un organisme investi de vastes pouvoirs en matière d’élaboration de politiques. On trouve les observations suivantes à la page 638 de cet arrêt :

De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C’est‑à‑dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. À l’autre extrémité se trouvent les commissions dont les membres sont élus par le public. C’est le cas notamment de celles qui s’occupent de questions d’urbanisme et d’aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux. Pour ces commissions, la norme est nettement moins sévère. La partie qui conteste l’habilité des membres ne peut en obtenir la récusation que si elle établit que l’affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s’occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l’application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur.

 

 

 

[132]     Je suis disposé à reconnaître aux fins du présent litige, sans toutefois trancher la question, que, dans la mesure où ils prétendaient être habilités à organiser le processus de sélection coutumier des dirigeants, le Conseil des aînés et ses représentants, comme M. Penner, étaient tenus à une obligation d’équité peu exigeante.

 

[133]     Néanmoins, ceux qui exécutent et supervisent des processus de sélection des dirigeants pour des organismes publics comme un conseil de bande, sont tenus au minimum de manifester et de démontrer un degré d’équité et d’impartialité suffisant pour assurer la crédibilité du résultat de ce processus.

 

[134]     Je trouve un appui pour cette proposition dans le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin lui-même, qui est fondé sur les principes du Nitochkiteaminan (notre Feu), du Niteabetomowinan (notre Credo) et du Nimokichanan (notre Festin), qui incarnent les valeurs culturelles du respect, de l’unité et de la bonne foi. Je trouve aussi un appui en faveur de cette proposition, pour ce qui est des élections coutumières, dans diverses décisions judiciaires, y compris notamment les décisions Francis c. Conseil mohawk de Kanasetake, 2003 CFPI 115, [2003] 4 C.F. 1133, aux paragraphes 72 et 73, et Ballantyne c. Nasikapow, [2001] 3 C.N.L.R. 47, 197 F.T.R. 184, aux paragraphes 55, 66 et 67.

 

[135]     Pour déterminer s’il y a partialité, la Cour doit se demander à quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’Énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394). Bien que, dans cette affaire, cette question ait été appliquée à une fonction décisionnelle, on trouve dans cet arrêt un point de départ utile pour décider si l’on a assuré un degré minimum d’équité et d’impartialité pour assurer la crédibilité des résultats du processus de sélection en litige en l’espèce.

 

[136]     Même en appliquant un critère aussi peu exigeant, je conclus que le processus qui a conduit à l’assemblée de leadership du 24 juin 2009 était à fois entaché de partialité et inéquitable. Ce processus ne visait qu’un seul objectif, celui d’évincer le groupe Ratt et de rétablir dans leur poste Jean Maurice Matchewan et ses partisans en vue de tenter de forcer la main au ministre pour qu’il les reconnaisse comme chef et conseillers.

 

[137]     Il y a lieu de s’arrêter quelque peu sur le rôle joué par M. Penner. Bien que le processus soit lui-même partial et inéquitable, cette conclusion ne vaut pas nécessairement pour M. Penner. On ne m’a soumis aucun élément de preuve qui me permettrait de douter de l’intégrité de M. Penner ou de son attachement à ce qu’il croyait être l’intérêt supérieur de la collectivité. Malheureusement, il s’est empêtré dans une situation difficile et s’en est tiré du mieux qu’il a pu.

 

[138]     Lorsque M. Penner a été contacté pour la première fois par le Secrétariat de la nation algonquine, et lorsqu’il a accepté le mandat de facilitateur, il était bien compris qu’il travaillerait sous la direction d’un seul groupe, en l’occurrence le groupe Matchewan. C’est bien ce qui ressort du paragraphe 3 de l’affidavit souscrit par M. Penner le 25 novembre 2009 :

[traduction] Les Aînés des Algonquins de Lac-Barrière (ALB) et le conseil coutumier de Michikanibikok Inik, dirigé par le chef par intérim Benjamin Nottaway et les conseillers Jean Maurice Matchewan, Moïse Papatie, David Wawatie et Jean-Paul Ratt (le conseil Matchewan-Nottaway) m’ont invité à aider les ALB à préparer un nouveau processus de sélection des dirigeants. J’ai travaillé avec les ALB, sous la direction de leurs aînés, du 23 février 2009 au 24 juin 2009, pour faciliter le processus de sélection des dirigeants. Ce processus a conduit à l’assemblée de sélection des dirigeants du 24 juin 2009. J’ai été mis au courant des faits ci-après exposés au cours de la période où j’ai ainsi œuvré auprès des ALB.

 

 

[139]     Le fait même que le Secrétariat de la nation algonquine payait le facilitateur pour le processus de sélection entachait ce processus de partialité dès le départ. D’ailleurs, le Secrétariat de la nation algonquine s’était déjà prononcé clairement et énergiquement contre le groupe Ratt et en faveur du groupe Matchewan.

 

[140]     Il est encore plus significatif que le Secrétariat de la nation algonquine avait fortement intérêt, sur le plan financier, à ce que le groupe Ratt soit évincé. D’ailleurs, comme nous l’avons déjà signalé, ce groupe avait retiré la collectivité du Secrétariat de la nation algonquine, ce qui avait entraîné une baisse importante du financement accordé par le MAINC à cet organisme. Dans ces conditions, il existait une apparence de partialité évidente dès lors que le Secrétariat de la nation algonquine finançait quelqu’un pour qu’il dirige le processus de sélection des dirigeants des Algonquins de Lac-Barrière.

 

[141]     Le processus de sélection reposait sur la prémisse que le groupe Matchewan était légitime tandis que le groupe Ratt ne l’était pas. En fait, l’événement précis qui a déclenché le processus de sélection est la démission du groupe Matchewan, ce qui présupposait que le groupe Ratt était illégitime et qu’il ne pouvait faire l’objet d’une révision rétroactive de la direction effectuée en vertu du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

[142]     Qui plus est, le Conseil des aînés appuyait clairement le groupe Matchewan et s’était lui‑même retrouvé mêlé à un conflit aigu avec le ministre en raison de son opposition au groupe Ratt. Dans ces conditions, le Conseil des aînés ne pouvait prétendre organiser et présider un processus de sélection impartial et équitable.

 

[143]     De surcroît, il ressort de l’examen du déroulement du processus lui-même que celui‑ci était truffé d’irrégularités. Je relève notamment les incidents suivants pour illustrer quelques‑unes de ces irrégularités.

 

[144]     L’assemblée conjointe des aînés et de la collectivité qui avait été convoquée au moyen d’un avis public et qui était prévue pour le 9 mars 2009 a été annulée sans explication par les partisans de Matchewan.

 

[145]     Le lieu de la rencontre subséquente du 24 mars 2009 a été modifié sans explication, de sorte que les aînés qui appuyaient le groupe Ratt n’ont pas été informés de ce changement. Lorsque, finalement, les partisans du groupe Ratt ont réussi à se rendre au lieu de la rencontre, les réserves sérieuses qu’ils ont exprimées au sujet du processus sont tout simplement restées sans suite ou ont été écartées.

 

[146]     Le Conseil des aînés, qui était déjà partial, l’est devenu encore plus lorsque des partisans du groupe Matchewan ont été choisis pour remplacer l’ancien chef Wawatie au Conseil des aînés à la suite de son décès.

 

[147]      La liste d’admissibilité des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants a été modifiée en profondeur, de sorte que l’intervention d’un conseiller juridique s’est avérée nécessaire pour corriger la situation et revenir à la liste antérieure approuvée.

 

[148]     L’assemblée de sélection a été tenue hors des limites de la collectivité de Lac-Rapide, de sorte qu’il était difficile et malaisé pour ceux qui appuyaient le groupe Ratt de faire valoir leur point de vue lors de cette assemblée ou d’exprimer leur opposition à la tenue de cette assemblée.

 

[149]     Dans ces conditions, il est tout simplement impossible de prétendre que la procédure suivie était objective et équitable.

 

[150]     C’est donc sans aucune hésitation que je conclus que le processus de sélection ayant conduit à l’assemblée de sélection du 24 juin 2009 était entaché de partialité et était inéquitable et qu’en plus, comme il a déjà été indiqué, il ne respectait pas le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

La Cour devrait-elle procéder à une analyse fondée sur l’arrêt Corbière?

 

[151]     Les demandeurs soutiennent par ailleurs qu’un grand nombre des membres de la collectivité qui vivent à l’extérieur de la réserve ont été exclus de la liste d’admissibilité des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants, et ce, contrairement aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Corbière, précité.

 

[152]     Pour les motifs qui suivent, j’estime qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de procéder à une analyse fondée sur l’arrêt Corbière ou à tout autre analyse fondée sur l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[153]     Il n’y a rien dans le dossier qui m’a été soumis qui permette de penser que, lors de l’assemblée de sélection des dirigeants du 30 janvier 2008 qui s’est soldée par la sélection du groupe Ratt, les demandeurs avaient des réserves au sujet de l’admissibilité des personnes habilitées à sélectionner les dirigeants ou de l’application des principes posés dans l’arrêt Corbière. Les demandeurs sont mal placés pour invoquer maintenant cette question contre les défendeurs alors qu’ils ont eux-mêmes négligé de la soulever plus tôt.

 

[154]     De plus, le motif analogue de « l’autochtonité-lieu de résidence (la qualité de membre hors réserve d’une bande indienne) » qui a été reconnu dans l’arrêt Corbière ne s’applique pas nécessairement en l’espèce, étant donné que la distinction qui est faite à l’alinéa 8.9(2)b) du Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin se rapporte plutôt à l’utilisation et à l’occupation du territoire traditionnel et à la connaissance de la terre et aux liens avec celle-ci. Il n’est toutefois pas nécessaire de décider si la distinction que fait le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin relève ou non du motif analogue de « l’autochtonité-lieu de résidence (la qualité de membre hors réserve d’une bande indienne) » ou si elle constitue ou non un autre motif analogue visé à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[155]     D’ailleurs, aucun des demandeurs n’est visé par la distinction. Bien que, dans l’affidavit qu’il a souscrit, M. Chad Thusky remette en question son exclusion de la liste d’admissibilité, M. Thusky n’est pas au nombre des demandeurs en l’espèce. De plus, M. Chad Thusky affirme dans son affidavit qu’il répond à la définition de personne habilitée à sélectionner les dirigeants prévue par le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin, de sorte que les griefs qu’il expose dans son affidavit ne semblent pas se rattacher directement à l’arrêt Corbière.

 

[156]     Je tiens à signaler qu’on ne trouve pas au dossier le contexte factuel nécessaire pour examiner correctement cette question. Il n’y a pas d’élément de preuve démontrant clairement comment un grand nombre de membres des Algonquins de Lac-Barrière sont exclus en raison de la distinction que fait le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin ou la façon dont cette distinction peut les toucher.

 

 

Y a-t-il lieu d’accorder une réparation?

 

 

[157]     Les défendeurs soutiennent que, même si la Cour concluait que le processus ayant conduit, le 24 juin 2009, à la sélection des dirigeants était vicié, les demandeurs sont irrecevables à obtenir la réparation qu’ils réclament étant donné qu’ils ont repoussé toutes les démarches que les défendeurs ont entreprises pour se réconcilier avec eux et pour tenir compte de leurs besoins.

 

[158]     Malgré le fait que j’ai constaté l’existence de graves lacunes dans le processus qui a conduit le 24 juin 2009 à la sélection des dirigeants, il n’en demeure pas moins que le Conseil des aînés a effectivement fait une offre au chef Ratt, en lui suggérant de nommer un cofacilitateur et d’entamer des démarches de réconciliation qui auraient pu se traduire par un processus de sélection conforme au Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin.

 

[159]     Les demandeurs remettent en question la sincérité de cette offre de réconciliation et soutiennent en outre qu’on leur a imposé des délais déraisonnables pour trouver un cofacilitateur et pour le payer. Je n’accepte pas les arguments des défendeurs sur ces questions.

 

[160]     Le 16 avril 2009, le Conseil des aînés a écrit au chef Ratt pour lui faire sa première offre de réconciliation. Cette première proposition a été rejetée peu de temps après par le chef Ratt. Ce n’est qu’après que le groupe Ratt eut échoué dans ses tentatives pour obtenir une injonction interlocutoire le 12 mai 2009 que le chef Ratt a finalement accepté d’envisager la possibilité d’un processus de réconciliation. Il l’a toutefois accepté en des termes fort ambigus, en se disant seulement d’accord avec l’idée que l’on nomme un cofacilitateur [traduction] « pour faciliter le processus de réconciliation et pour compléter les démarches que nous avons effectuées jusqu’à maintenant » (page 296 de l’affidavit de Michel Thusky). On ne saurait qualifier cette réponse d’engagement ferme à entreprendre des démarches de réconciliation relativement au processus de sélection des dirigeants approprié.

 

[161]     L’argument que le temps et l’argent ont fait obstacle à la sélection du cofacilitateur est un argument spécieux. Je suis d’accord avec M. Penner pour dire que, si le chef Ratt avait fait preuve d’une volonté sincère de s’engager dans un processus de réconciliation et s’il avait entrepris certaines démarches pour faciliter la désignation d’un cofacilitateur, on aurait pu s’entendre pour consacrer plus de temps pour régler ces questions. Ainsi que M. Penner le fait observer au paragraphe 38 de son affidavit :

[traduction] Dans une conversation personnelle que j’ai eue avec lui, j’ai assuré Casey Ratt que le délai de dix jours imposé visait à s’assurer qu’il prenne des mesures pour trouver un cofacilitateur conformément à la lettre du 13 mai 2009 dans laquelle il avait promis de le faire.

 

[162]     Le chef Ratt et ses conseillers avaient une occasion unique or de résoudre la crise qui faisait rage au sein de leur collectivité au sujet de la sélection des dirigeants. Le Conseil des aînés qui s’opposait au groupe Ratt s’était clairement engagé à entreprendre des démarches en vue d’une réconciliation, et M. Penner était disponible pour faciliter cette réconciliation. Au lieu de saisir cette occasion unique, le chef Ratt a écrit le 20 mai 2009 une longue lettre à M. Penner dans laquelle il se félicitait de tout ce qu’il avait fait pour résoudre cette crise, rejetant ainsi toute tentative sérieuse de réconciliation.

 

[163]     Il est de jurisprudence constante que les réparations prévues aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales sont discrétionnaires et que le tribunal peut refuser de les accorder le cas échéant (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 40). Le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser ces réparations doit évidemment être exercé de manière judiciaire et en conformité avec les principes applicables.

 

[164]     La conduite du demandeur est considérée comme un facteur dont on peut tenir compte pour refuser certaines réparations (Homex Realty c. Wyoming, [1980] 2 R.C.S. 1011, aux pages 1033 et 1034; Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 14, 263 D.L.R. (4th) 51, aux paragraphes 9 et 10). Toutefois, sauf en cas d’acquiescement ou de retard indu, la conduite du demandeur n’est peut-être pas un facteur approprié pour refuser d’accorder un bref de quo warranto compte tenu de la nature même de ce bref. Il n’est cependant pas nécessaire que je tranche cette question ici.

 

[165]     D’ailleurs, bien que le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une réparation sous forme de bref de quo warranto puisse être très limité, le critère à respecter pour pouvoir accorder cette réparation est quand même rigoureux. Le critère à respecter pour accorder un bref de quo warranto et les autres facteurs dont le tribunal peut tenir compte pour décider de l’opportunité de l’accorder sont énoncés dans la décision Jock c. Canada, [1991] 2 C.F. 355 (C.F. 1re inst.). Les règles de droit en matière de brefs de quo warranto exigent notamment « que le titulaire ait déjà exercé la charge; il ne suffit pas qu’il ait simplement revendiqué le droit de le faire » (décisions Jock c. Canada, précitée, à la page 370, et Catholique c. Première nation Lutsel K’e, 2005 CF 1430, 282 F.T.R. 138, au paragraphe 63).

 

[166]     En l’espèce, rien ne permet de penser que les défendeurs occupent les charges de chef et de conseillers. Au contraire, les éléments de preuve qui ont été présentés donnent à penser que, même s’ils peuvent revendiquer le droit d’occuper ces postes, ils ne semblent pas avoir effectivement exercé les pouvoirs conférés par ces charges. À ceci s’ajoute la décision du ministre de refuser de reconnaître les qualités de chef et de conseillers à l’une ou l’autre des parties à la présente instance.

 

[167]     Compte tenu de ce qui précède, je refuse d’accorder une réparation sous forme de bref de quo warranto en ce qui a trait aux postes de chef et de conseillers.

 

[168]     Je refuse également d’accorder une réparation sous forme de bref de quo warranto en ce qui a trait au Conseil des aînés. Comme les présents motifs du jugement le démontrent amplement, le rôle du Conseil des aînés, suivant la coutume relative à la sélection des dirigeants, est de trancher les appels portant sur les résultats d’élections ou les décisions de destituer un membre du conseil d’administration. Un bref de quo warranto serait, dans ces conditions, inutile étant donné qu’il semble que le conseil d’administration soit tombé en désuétude et que, de toute façon, la gestion des programmes et des services qui incomberait à ce conseil d’administration a été prises en charge par un séquestre-administrateur.

 

[169]     Bien que je reconnaisse que les demandeurs ont refusé l’offre de réconciliation qui leur a été faite, je ne considère pas, eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, que ce refus devrait empêcher la Cour de déclarer invalide le processus qui a conduit, le 24 juin 2009, à la sélection des dirigeants. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, la Cour manquerait à son devoir si elle se dérobait à ses obligations en refusant de prononcer un jugement déclaratoire. On peut cependant tenir légitimement compte du refus des demandeurs d’accepter une réconciliation lors de l’adjudication des dépens.

 

[170]     La Cour déclarera donc que le processus qui s’est soldé le 24 juin 2009 par la sélection des dirigeants était invalide étant donné qu’il était entaché de partialité et qu’il était inéquitable et ne se conformait pas à la coutume de la bande en matière de sélection de ses dirigeants. Ce jugement déclaratoire ne doit pas être interprété comme une acceptation des prétentions des demandeurs en ce qui concerne les postes de chef et de conseiller.

 

[171]     Il s’agit d’une affaire dans laquelle une adjudication des dépens ne ferait qu’aggraver une situation déjà tendue et ne favoriserait pas la réconciliation dont cette collectivité troublée a tant besoin. De plus, ce procès aurait pu être évité si les demandeurs avaient accepté l’offre de réconciliation que le Conseil des aînés leur a faite. J’ai donc décidé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales et de ne pas adjuger de dépens.

 

[172]     Lors de l’instruction de la présente demande, les parties ont expliqué qu’elles pouvaient poursuivre leurs discussions pour résoudre leurs différends en ce qui concerne la sélection des dirigeants de la collectivité. Il faut espérer que le présent jugement les aidera à parvenir à un consensus qui a cruellement fait défaut au cours des dernières années.


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

                                                               i.      la demande est accueillie en partie;

                                                             ii.      le processus ayant conduit le 24 juin 2009 à la sélection des dirigeants des Algonquins de Lac-Barrière est déclaré invalide;

                                                            iii.      aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE

EXTRAITS DE LA COUTUME CODIFIÉE ET MODIFIÉE

DES ALGONQUINS DE LAC-BARRIÈRE

 

 

[traduction]

Succession du chef et des conseillers

 

8.5       (1)        Les membres du Conseil occupent leur poste à vie, sous réserve de leur démission         ou de leur destitution en conformité avec l’article 8.10.

 

(2)               En cas de décès du chef ou d’un conseiller, un de ses enfants lui succède à la condition que :

 

a)      l’enfant soit proposé comme successeur convenable par le chef ou par un conseiller;

 

b)      le Peuple n’exprime pas son désaccord à ce que cet enfant succède au chef ou au conseiller.

 

(3)               Si le chef ou le conseiller n’a pas d’enfant, si l’enfant refuse ou si le chef ou le conseiller ne croit pas que l’enfant conviendrait ou si le Peuple n’est pas d’accord pour que l’enfant soit désigné comme successeur, le chef ou le conseiller entame immédiatement un processus de sélection pour choisir un successeur.

 

Wasakawegan

 

8.6       (1)        La Wasakawegan, ou la flambée, est le processus suivi pour choisir les dirigeants. Selon ce processus, les dirigeants sont proposés par les Aînés et choisis par le Peuple.

 

(2)        Pour entamer un processus de sélection, le Conseil consulte les Aînés et leur demande de l’aider à trouver un ou plusieurs candidat(s) convenable(s) pour pourvoir au(x) poste(s) vacant(s).

 

(3)        Une fois qu’un ou plusieurs candidat(s) convenable(s) a (ont) été trouvé(s), les Aînés convoquent une assemblée de sélection des dirigeants du Peuple.

 

(4)               L’assemblée de sélection des dirigeants se déroule comme suit :

 

a)      l’assemblée commence le matin;

 

b)      on place au milieu de l’assemblée un nombre de sièges correspondant au nombre de postes à pourvoir;

 

c)      on place un nombre égal de sièges au centre pour les conjoints des dirigeants à choisir;

 

d)      le Peuple se rassemble en cercle autour des sièges;

 

e)      le candidat proposé est escorté par un des aînés jusqu’à un des sièges disposés au centre;

 

f)        le conjoint du candidat proposé est également escorté par un autre aîné jusqu’à un siège;

 

g)      l’aîné qui propose le candidat prend la parole devant l’Assemblée et l’aîné qui accompagne le conjoint adresse aussi la parole à l’Assemblée;

 

h)      le candidat et son conjoint prennent aussi la parole devant l’Assemblée;

 

i)        on invite les personnes présentes à prendre part à un débat général;

 

j)        si un consensus se dégage parmi le Peuple au sujet du candidat, l’annonce en est faite à l’Assemblée;

 

k)      l’Assemblée se poursuit tant que tous les postes ne sont pas pourvus.

 

(5)        Une fois qu’il a été choisi, le candidat est soumis à une période de formation, de mise à l’essai et d’évaluation de deux ans. Cette période de transition permet au candidat retenu d’améliorer et de développer ses aptitudes au leadership en observant le conseil existant et en travaillant avec lui.

 

Confirmation de la sélection

 

8.7       (1)        Une fois la période de formation, de mise à l’essai et d’évaluation terminée, les Aînés convoquent les membres de la collectivité à une assemblée du Peuple visant à confirmer le choix du candidat.

 

(2)               L’Assemblée procède de la manière prévue au paragraphe 8.6(4), sauf que d’autres aînés doivent escorter les candidats et leur conjoint.

 

(3)               La sélection du candidat est confirmée s’il y a un consensus parmi le Peuple.

 

(4)               Le candidat confirmé commence à exercer immédiatement les attributions du poste, mais le titre ne lui est dévolu qu’après le décès de son titulaire actuel.

 

 

 

 

Éligibilité des candidats

 

8.8       (1)        Seuls les membres adultes de la Première nation qui sont mariés peuvent présenter leur candidature au poste de chef ou de conseiller.

 

(2)        Pour remplir les conditions requises pour présenter sa candidature, l’intéressé doit également :

 

a)      être ouvert d’esprit et avoir un bon jugement et du courage;

 

b)      utiliser et occuper le territoire traditionnel et avoir une bonne connaissance de la terre et avoir des liens avec celle-ci, surtout dans le secteur qu’elle doit représenter;

 

c)      avoir de l’Okima mskwe, du sang de leader;

 

d)      parler l’algonquin et avoir une bonne connaissance des coutumes et des traditions.

 

Personnes admissibles à

sélectionner les dirigeants

 

8.9       (1)        Seules les personnes habilitées à sélectionner des dirigeants sont autorisées participer à la sélection du chef ou des conseillers.

 

(2)               Pour être admissible à sélectionner les dirigeants, une personne doit :

 

a)      être un adulte membre de la Première nation;

 

b)      utiliser et occuper le territoire traditionnel et avoir une bonne connaissance de la terre et avoir des liens avec celle-ci.

 

 

Fin du mandat

 

8.10          (1)        Le mandat du membre du Conseil prend fin en raison :

 

a)      de sa démission;

 

b)      de son décès;

 

c)      de la perte de sa qualité de membre de la Première nation;

 

d)      de sa destitution conformément à l’article 8.11.

 

(2)               Lorsqu’un poste devient vacant, les autres membres du Conseil décident, après avoir consulté les Aînés, de l’opportunité de pourvoir au poste et du moment pour le faire.

 

Révision de la direction

 

8.11          (1)       Le leadership de tout membre du Conseil peut être révisé en tout temps.

 

(2)               La révision de la direction peut être déclenchée lorsqu’un nombre suffisant de membres s’adresse aux Aînés pour qu’ils convoquent une réunion portant sur la révision du leadership d’un ou de plusieurs membres du Conseil.

 

(3)               S’ils estiment qu’il convient de procéder à une révision de la direction, les Aînés convoquent une assemblée de révision de la direction et invitent le dirigeant concerné à s’y présenter.

 

(4)               La révision de la direction n’a pas pour objet de destituer le dirigeant. Si le Peuple estime qu’un dirigeant a mal agi, il doit d’abord en faire part à celui-ci et lui donner l’occasion de corriger la situation.

 

(5)               Si le Peuple n’est pas satisfait de la révision de la direction, parce que le dirigeant n’a pas fourni d’explications adéquates ou parce qu’il n’est pas disposé à démissionner ou à s’amender, les Aînés peuvent demander au Peuple s’il veut de destituer le dirigeant en question.

 

(6)               Si un consensus se dégage au sujet de la destitution, le chef ou le conseiller est alors destitué de son poste.

 

Révision du mandat du Conseil

 

8.12     (1)        Le mandat du Conseil est révisé au moins une fois aux quatre ans.

 

(2)               La date de la révision du mandat est fixée par les Aînés après avoir consulté le Conseil.

 

(3)               Une fois que la date de la révision a été fixée, les Aînés convoquent une assemblée du Peuple.

 

(4)               L’assemblée de révision du mandat du Conseil se déroule comme suit :

 

a)      les Aînés lisent à voix haute le Mitchikanibikok Anishinabe Onakinakewin;

b)      les Aînés examinent avec le Conseil et le Peuple les attributions du Conseil;

 

c)      le Peuple examine le dossier du Conseil pour les quatre années précédentes;

 

d)      le Peuple définit le mandat du Conseil pour les quatre prochaines années.

 

 

EXTRAIT DE LA MODIFICATION À LA COUTUME CODIFIÉE

EN CE QUI CONCERNE LE CONSEIL D’ADMINISTRATION

 

 

Fin du mandat

 

3.4        (1)        Le membre du conseil d’administration cesse d’être membre et quitte son siège :

 

a)      s’il remet sa démission par écrit au chef;

 

b)      s’il est jugé médicalement inapte à exercer ses fonctions et à terminer son mandat pour cause d’une déficience physique ou intellectuelle;

 

c)      s’il s’est absenté, sans motif valable selon ce que détermine le Conseil des Aînés, de quatre (4) réunions ordinaires consécutives du conseil d’administrationrégulièrement fixées;

 

d)      s’il est jugé responsable d’une conduite inconvenante qui par le Conseil des Aînés;

 

e)      s’il est reconnu coupable d’un acte criminel;

 

f)        s’il cesse d’être membre des Algonquins de Lac-Barrière.

 

(2)               Si un membre du conseil d’administration cesse d’occuper sa charge conformément au paragraphe 3.4(1) dans les six (6) mois qui précèdent la fin de son mandat, une élection spéciale a lieu afin de remplir cette vacance pour le reste de son mandat.

 

 

Élections

 

3.5       (1)        Les élections ont lieu au moins une fois tous les trois (3) ans. Entre dix‑huit (18) et vingt-et-un (21) jours avant la date de l’élection, le chef déclare la date à laquelle le scrutin aura effectivement lieu après avoir consulté le conseil d’administration.

           

(2)        Le candidat qui recueille le plus grand nombre de votes est élu au conseil d’administration.

 

(3)               Lorsqu’il arrive que deux candidats ou plus ont obtenu un nombre égal de votes et qu’il est nécessaire de rompre l’égalité parce qu’un seul poste est à pourvoir, le scrutateur procède sur-le-champ à un nouveau dépouillement. En cas de partage des voix à la suite du nouveau dépouillement, un nouveau scrutin a lieu dans les plus brefs délais pour élire un candidat.

 

 

Éligibilité

 

3.6              Est habile à être présenté comme candidat au conseil d’administration tout membre de la Première nation qui a résidé de façon ininterrompue dans le territoire traditionnel au cours des douze (12) mois précédents, qui est d’ascendance algonquine, qui parle l’algonquin et qui est âgé d’au moins dix-huit (18) ans.

 

 

       Habilité à voter

 

 

3.7       (1)        Seuls les électeurs admissibles peuvent participer à la mise en candidature et à      l’élection aux postes de membres du conseil d’administration. Pour avoir les qualités requises pour voter, une personne doit satisfaire aux conditions suivantes :

 

a)      être membre de la Première nation;

 

b)      être âgé d’au moins dix-huit (18) ans;

 

c)      avoir résidé de façon ininterrompue dans le territoire traditionnel au cours des douze (12) mois précédents.

 

(2)               Les règles qui suivent s’appliquent à la détermination de la qualité d’électeur admissible :

 

a)      tout membre qui est absent du territoire traditionnel pour fréquenter un établissement d’enseignement, pour suivre une formation, pour être hospitalisé ou pour se faire soigner dans une maison de soins infirmiers ne perd pas sa résidence du seul fait de son absence;

 

b)      tout membre qui est absent du territoire traditionnel pour travailler à l’extérieur pendant une période maximale de six (6) mois au cours de la période de douze (12) mois précédant les élections ne perd pas sa résidence du seul fait de son absence.

 

 

Assemblée de mise en candidature

 

 

3.8       (1)        Chaque fois qu’une élection au conseil d’administration a lieu, une assemblée de mise en candidature doit être convoquée au moins douze (12) jours avant l’élection pour proposer des candidats.

 

(2)               Lors de l’assemblée de mise en candidature, les candidats décrivent leurs qualifications et participent à une séance publique de questions et de réponses.

 

 

Procédure électorale

 

3.9       (1)        Dès que la date de l’élection est déclarée, le conseil coutumier nomme un scrutateur et un scrutateur adjoint chargés de surveiller le déroulement de l’élection. Le scrutateur et le scrutateur adjoint doivent être entièrement impartiaux; ils n’ont pas le droit de vote et ils ne doivent appuyer aucun des candidats.

 

(2)               Le scrutateur et le scrutateur adjoint dressent une liste dans laquelle ils inscrivent, par ordre alphabétique, le nom des votants admissibles selon leur nom de famille usuel.

 

(3)               Les noms des candidats par ordre alphabétique selon leur nom de famille usuel sont inscrits sur les bulletins de vote.

 

(4)               Les élections ont lieu au scrutin secret et les électeurs votent dans des isoloirs assurant le secret du scrutin.

 

(5)               Le(s) bureau(x) de scrutin est(sont) ouvert(s) de 9 h à 21 h le jour du scrutin.

 

(6)               Chaque votant admissible exprime par vote secret son suffrage en traçant une croix ou une marque à côté du nom d’au plus quatre (4) candidats qu’il souhaite choisir comme membres du conseil d’administration.

 

(7)               Chaque votant doit pouvoir exercer son droit de vote en toute liberté et sans entrave et aucun votant ne doit être forcé de révéler les choix qu’il a faits.

 

(8)               Immédiatement après la clôture du scrutin, à 21 h, le scrutateur et le scrutateur adjoint, en présence des candidats qui ont choisi d’être présents, ouvrent les urnes, dépouillent le scrutin et annoncent le nom des candidats élus.

 

(9)               Les quatre (4) candidats qui recueillent le plus grand nombre de voix sont déclarés élus comme membres du conseil d’administration.

 

(10)           Tous les documents électoraux doivent être placés dans des enveloppes, qui doivent être scellées et conservées précieusement pendant six (6) mois, après quoi elles sont détruites en présence du scrutateur et du scrutateur adjoint, qui doivent attester avoir été personnellement témoins de leur destruction.

 

Appels

 

 

3.10       (1)      Dans un délai de vingt-et-un (21) jours après l’élection, un candidat qui n’a pas été élu peut contester les résultats de l’élection sur preuve suffisante :

 

a)      de manœuvres frauduleuses en rapport avec l’élection;

 

b)      de violation de la procédure électorale ou des règlements électoraux;

 

c)      d’inéligibilité d’une des personnes qui a été élue;

 

d)      d’inadmissibilité d’un des votants.

 

(2)               L’appel est interjeté devant le Conseil des Aînés constitué par les Aînés des Algonquins de Lac-Barrière.

 

Conseil des Aînés

 

3.11     (1)        Le Conseil des Aînés des Algonquins de Lac-Barrière est constitué de                                       quatre (4) aînés, dont deux (2) sont de sexe masculin et deux (2) de sexe féminin.

 

(2)               Le Conseil des Aînés est choisi par les aînés des Algonquins de Lac-Barrière selon les critères suivants :

 

a)      l’âge;

 

b)      le respect;

 

c)      l’impartialité;

 

d)      la connaissance de la terre et les liens avec celle-ci.

 

(3)               Le mandat des aînés faisant partie du Conseil des Aînés est d’une durée de trois (3) ans.

 

(4)               Aucun des membres du Conseil des Aînés ne doit voter ou exprimer son appui pour un des candidats à une élection.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-654-09

 

 

INTITULÉ :                                       Casey Ratt et autres c. Jean Maurice Matchewan et autres

                                                                                   

                                                                                   

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 1er et 2 février 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Michael Swinwood

Mme Liza Swale

 

POUR LES DEMANDEURS

 

M. David Nahwegahbow

Mme Tammy Desmoulins

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aînés Without Borders

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

David Nahwegahbow Corbière

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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