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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100218

Dossier : IMM-1166-09

Référence : 2010 CF 170

Ottawa (Ontario), le 18 février 2010

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

REGINA ESTRADA LUGO

TAMARA ITZE CARRASCO ESTRADA

 

demanderesses

 

et

 

 

Le ministre de la citoyenneté

ET DE l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

Le juge O’KEEFE

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission), datée du 16 février 2008, laquelle a conclu que les demanderesses n'étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Les demanderesses demandent que la décision de la Commission soit annulée et que leurs demandes d'asile soient renvoyées à la Commission pour être examinées par un tribunal différemment constitué.

 

Le contexte

 

[3]               Les demanderesses, Regina Estrada Lugo (la demanderesse principale) et Tamara Itze Carrasco Estrada (la demanderesse mineure), sont mère et fille. Elles sont toutes deux citoyennes du Mexique et vivaient à Pachuca, dans l'État d’Hidalgo.

 

[4]               En mai 2004, la demanderesse principale a divorcé du père de la demanderesse mineure, Adrian Carrasco Tovar. La situation avait été calme jusqu'au 15 novembre 2006, alors que, comme la demanderesse principale l'allègue, elle a remarqué une voiture noire à la fenêtre. La demanderesse principale a continué de remarquer la même voiture, qui la suivait et qui stationnait devant l'école de sa fille.

 

[5]               La demanderesse principale allègue qu'elle a commencé à recevoir des appels téléphoniques de la part du lieutenant-colonel Jose Armendariz (Armendariz), qui exigeait de savoir où se trouvait son ancien mari. La demanderesse principale a répondu qu'elle ne savait pas où se trouvait son ancien mari. Entre la fin de novembre 2006 et janvier 2007, des personnes s'identifiant comme venant du Bureau du procureur général de l'État d’Hidalgo (le PRG) se sont présentées à la résidence des demanderesses et les ont menacées.

 

[6]               La demanderesse principale allègue qu'elle a été en mesure de communiquer avec son ancien mari, qui lui a dit qu'il avait fui le Mexique pour échapper à Armendariz, parce qu'il avait commencé à entretenir une relation avec l'ancienne fiancée d'Armendariz.

 

[7]               Après une menace proférée par des membres du PRG le 10 janvier 2007, la demanderesse principale a déposé une plainte auprès de l'administration du PRG le 18 janvier 2007. Plutôt que de recevoir de l'aide, la demanderesse principale a reçu l'ordre de subir une évaluation psychologique. Armendariz l'aurait menacée par téléphone ce jour-là, affirmant qu'elle l'avait dénoncé aux autorités.

 

[8]               La demanderesse principale allègue que, le 21 janvier 2007, alors qu'elle était en voiture avec sa fille et des amis, la même voiture noire les a forcés à quitter la route. Des hommes de la voiture noire ont tenté d'ouvrir les portières, mais des témoins sont venus à la rescousse. À ce moment-là, la demanderesse principale a décidé d'emménager chez son frère, mais elle a continué à recevoir des menaces de mort par téléphone (son cellulaire) et a aperçu la même voiture noire stationnée à proximité de la résidence de son frère. À ce moment-là, les demanderesses ont décidé de s'enfuir au Canada. Elles sont arrivées le 29 janvier 2007 et ont présenté une demande d'asile deux jours plus tard en invoquant leur crainte d’Armendariz de l'armée mexicaine.

 

[9]               La Commission a entendu les demandes d'asile des demanderesses le 17 novembre 2008 et le 8 décembre 2008 à Toronto.

 

La décision de la Commission

 

[10]           Dans sa décision, la Commission commence en examinant les éléments de preuve présentés par les demanderesses. Le commissaire a alors déclaré que la question déterminante était de savoir s'il existait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable pour les demanderesses au Mexique.

 

[11]           La Commission a déclaré que le critère à appliquer pour établir l'existence d'une PRI comporte deux volets : (i) il n'existe pas pour le demandeur d’asile de risque grave d'être persécuté ou qu’il sera, selon la prépondérance des probabilités, soumis à la persécution ou à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans la région de la PRI envisagée, et (ii) les conditions dans la région de la PRI doivent être telles qu'il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que le demandeur d'asile y cherche refuge (voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration), [1994] C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (C.A.) (QL)).

 

Le premier volet

 

[12]           La Commission a noté que la question de l'existence d’une PRI avait été soulevée au cours de l'audience et a conclu qu'il existait une PRI viable à Guadalajara ou à Monterrey. La Commission a souligné que la demanderesse principale avait dit avoir songé à se réinstaller au Mexique, mais savait qu'elle ne serait pas en sécurité à 100 % parce qu'il était très facile de la trouver grâce à l'inscription de la demanderesse mineure à l'école ou par le biais de son utilisation de sa carte bancaire. La demanderesse principale croyait également que les agents de police transmettraient des renseignements à Armendariz.

 

[13]           La Commission a mis en doute l'observation de la demanderesse principale selon laquelle Armendariz pouvait avoir accès à des banques de données publiques, mentionnant la preuve documentaire de 2006 et de 2007, qui donne à penser qu'il serait très difficile pour une personne d'avoir accès à ces données. La Commission a mentionné certains éléments de preuve documentaire de 2005 selon lesquels la gestion de certaines banques de données exploitées par l'Institut électoral fédéral (IEF) connaissait des problèmes de confidentialité, mais a souligné que ce rapport a déclaré également que la confidentialité des renseignements était assurée et qu'ils étaient protégés par la loi. Quoi qu'il en soit, la Commission a affirmé qu'elle s'en tenait plutôt à la preuve documentaire plus récente de 2006 et de 2007 provenant du cartable de la SPR, parce que les documents étaient plus précis.

 

[14]           En décidant que les demanderesses auraient dû demander la protection au Mexique, la Commission a mis en doute l'observation des demanderesses selon laquelle elles ne pouvaient pas compter sur la police pour être protégées d’Armendariz, qui était un militaire. La Commission a affirmé que la présomption de protection de l'État s'applique au Mexique et qu’en règle générale, les autorités civiles assurent le contrôle des forces de sécurité. Le gouvernement du Mexique respecte habituellement les droits de la personne; il fait des enquêtes, poursuit des fonctionnaires et des membres des forces de sécurité et leur impose des peines. La Commission a mentionné plusieurs initiatives du gouvernement fédéral de lutte contre la corruption dans la fonction publique et de recours accordés aux victimes de crimes.

 

Le deuxième volet

 

[15]           La Commission a estimé qu'il n'aurait pas été déraisonnable que les demanderesses se prévalent de la protection de l'État à Guadalajara ou à Monterrey. La Commission était fermement d’avis qu'il incombait aux demanderesses d'avoir au moins tenté de chercher une PRI ailleurs au Mexique. La Commission a mentionné l’âge et l'expérience de la demanderesse principale comme facteurs qui faciliteraient son adaptation à la vie dans une nouvelle région de son propre pays, notant plus particulièrement qu'elle avait montré cette capacité en allant dans un nouveau pays, comme le Canada

 

[16]           La Commission a conclu que les demanderesses ne s'étaient pas acquittées de leur responsabilité de montrer qu'elles seraient exposées au risque de préjudice qu'elles craignent, en tout lieu du Mexique, aux termes de l'alinéa 97(1)b) de la Loi. La Commission a déclaré « qu’il est encore possible au Mexique d’améliorer le climat de corruption et de criminalité, mais ce sont là des problèmes auxquels se heurtent tous les citoyens du Mexique, qui ne deviennent pas pour autant des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger ».

 

Les questions en litige

 

[17]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ce qui a trait à l'application du critère juridique de la possibilité de refuge intérieur?

3.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'elle a tirées sans tenir compte des éléments de preuve dont elle était saisie?

 

Les observations écrites des demanderesses

 

La PRI : application du mauvais critère

 

[18]           Les demanderesses commencent par prétendre que le demandeur d'asile doit recevoir un avis valable de la PRI envisagée et se voir accorder l'occasion de répondre. Le décideur doit ensuite entreprendre une démarche en deux étapes. Premièrement, il doit évaluer si le demandeur d'asile a montré, selon la prépondérance de la preuve, qu'il existe un risque grave de persécution dans la PRI envisagée. Par la suite, le décideur doit évaluer si, compte tenu de toutes les circonstances propres au demandeur d'asile, les conditions de la PRI envisagée sont telles qu'il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d'asile d'y chercher refuge.

 

[19]           Les demanderesses font valoir qu'elles ne sont pas tenues de rechercher des PRI éventuelles avant de présenter une demande d'asile. La question pertinente est de savoir si une PRI existe et non si les demanderesses ont recherché une PRI. Les demanderesses doivent uniquement montrer, si elles ont été avisées d’une PRI éventuelle, qu'elles craignent objectivement avec raison la persécution partout dans le pays d'origine, y compris la PRI envisagée (voir Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (C.A.) (QL)). L'exigence selon laquelle les demanderesses doivent recevoir un avis de la PRI envisagée et avoir l'occasion de répondre (voir Thirunavukkarasu) serait une incohérence s'il existait une obligation d'avoir déjà recherché cette PRI.

 

[20]           Les demanderesses soutiennent que la question de savoir si la Commission a appliqué le bon critère est susceptible de contrôle selon la décision correcte.

 

Les conclusions relatives à la PRI sont déraisonnables et tirées sans prise en compte de la preuve

 

[21]           Les demanderesses soutiennent que la Commission n'a pas évalué des régions de PRI précises et a uniquement présenté des conclusions générales concernant la présomption de protection au Mexique. De plus, la Commission n'a pas tenu compte du fait que les persécuteurs de la demanderesse étaient notamment des militaires et d'autres agents de l'État et que l'armée avait récemment déployé des soldats à Monterrey. La Commission n'a pas non plus examiné l'incidence de l'identité des persécuteurs sur l'accès à des PRI. La Commission a uniquement tiré des conclusions générales et a même nommé le PRG comme source auprès de laquelle les demanderesses pouvaient obtenir de la protection dans une PRI. La Commission aurait dû porter attention au fait qu’Armendariz est un militaire et que la police locale pourrait ne pas être en mesure d'offrir une protection suffisante. En conséquence, la décision de la Commission selon laquelle Monterrey constituait une PRI ne comporte pas les attributs de l'intelligibilité et de la justification.

 

Il n'a pas été tenu compte de la preuve

 

[22]           Les demanderesses soutiennent que la Cour a statué à maintes reprises que l'état psychologique des demandeurs d'asile constitue un facteur pertinent lors de l'examen du deuxième volet du critère de la PRI (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL); Cartagena c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 289, 69 Imm. L.R. (3d) 289; Parrales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 504, [2006] A.C.F. no 624; Javaid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1730, 157 F.T.R. 233 (QL)).

 

[23]           Les demanderesses ont présenté un rapport psychologique selon lequel la demanderesse principale était atteinte du syndrome de stress post-traumatique. Ce rapport explique en détail les symptômes et l'anxiété dont souffre la demanderesse principale en raison de son passé au Mexique et de la crainte d'y retourner. En conclusion, le rapport précise que l'état de la demanderesse principale se détériorerait si elle retournait au Mexique. La Commission n'a pas mentionné ni analysé le rapport à quelque endroit dans ses motifs.

 

[24]           Les demanderesses soutiennent que le décideur doit mentionner les éléments de preuve importants, plus particulièrement les éléments de preuve qui contredisent directement les conclusions qu'il tire. L'omission de fournir une appréciation d'importants éléments de preuve contradictoires entraîne que la décision est déraisonnable (voir Hassaballa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489, [2007] A.C.F. no 658 (QL), aux paragraphes 23 à 26; Nyoka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 568, [2008] A.C.F. no 720 (QL), au paragraphe 21; Cepeda-Gutierrez, précité; Ranji c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 521, [2008] A.C.F. no 675).

 

Les observations écrites du défendeur

 

La PRI : application du mauvais critère

 

[25]           Le défendeur soutient que les demanderesses font un examen tatillon de ce qu’a écrit la Commission. Il ressort de l'examen de l'analyse de la PRI prise dans son ensemble que le principal élément de la décision était l'existence d'une PRI pour les demanderesses à Guadalajara et à Monterrey. La Commission a entendu les arguments des demanderesses et examiné la preuve avant de tirer sa conclusion.

 

[26]           Même si la Commission a commis une erreur en utilisant les mots « obligation » et « il incombait », il serait futile de renvoyer l'affaire pour nouvelle décision, puisque le raisonnement de la Commission concernant l'existence d'une PRI était bien fondé et déterminant à l'égard de la question (voir Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 C.F. 317, au paragraphe 31).

 

[27]           De plus, la conclusion selon laquelle le demandeur d'asile devrait déménager lorsqu'il y a une PRI ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Le droit international en matière de protection des réfugiés a été mis au point pour s'appliquer dans les situations où il n'est pas possible d'obtenir la protection qu'une personne s'attend d'obtenir de l'État dans son pays de nationalité. Si une personne a une PRI, elle devrait tout d'abord se prévaloir de cette option (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 709, [1993] A.C.S. no 74 (QL); Thabet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 160 D.L.R. (4th) 666, [1998] A.C.F. no 629 (C.A.) (QL)).

 

Les conclusions relatives à la PRI sont déraisonnables et tirées sans prise en compte de la preuve

 

[28]           Le défendeur soutient que l'argument des demanderesses sur ce point n'est pas fondé. L'observation de la demanderesse principale selon laquelle Armendariz et ses hommes la retrouveraient n'importe où au Mexique était insuffisante. La Commission a mentionné les éléments de preuve documentaire qu'elle a utilisés pour conclure qu’il était très peu probable qu'elle soit retrouvée. La décision de la Commission est en outre étayée par l’aveu même de la demanderesse principale selon lequel Armendariz ne s'adressait à elle que parce qu'il n'était pas lui-même en mesure de retrouver son ancien mari.

 

[29]           Le défendeur prétend que la preuve n'établissait pas que les hommes qui recherchaient la demanderesse principale appartenaient à la police, à l’armée ou étaient employés par le PRG, ni qu'ils agissaient officiellement. La preuve n'établissait donc pas que ses persécuteurs pouvaient la retrouver en raison des postes qu'ils occupaient.

 

Analyse et décision

 

[30]           Question no 1

Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Un demandeur d'asile visé par la définition de la Convention doit montrer qu'il ne veut solliciter ou qu'il ne peut obtenir la protection de son État sur l'ensemble du territoire de cet État. Une demande d'asile est rejetée à juste titre lorsque la Commission conclut à l'existence d'une PRI. Réfuter la preuve d'une PRI éventuelle est devenu l’une des plus grandes entraves à la capacité d'un demandeur d'asile d'obtenir la protection au Canada. L'énonciation du critère de base pour l'établissement de l'existence d'une PRI est devenue une question de droit générale à l'égard de laquelle la Commission n'a pas droit à la déférence.

 

[31]           Les demanderesses soulèvent toutefois des questions concernant l'application par la Commission du critère concernant une PRI et le fait qu’elle n’a pas pris la preuve en compte en ce faisant. À mon avis, une fois que le bon critère concernant une PRI est énoncé, l'application de ce critère juridique aux faits par la Commission repose principalement sur des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit. Le législateur a chargé la SPR de tirer ces conclusions, et non les tribunaux. À ce titre, ces conclusions sont susceptibles de contrôle selon la norme de raisonnabilité.

 

[32]           Question no2

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ce qui a trait à l'application du critère juridique de la possibilité de refuge intérieur?

            Les demanderesses ne mettent pas en doute l'énonciation par la Commission du critère concernant une PRI. Les demanderesses soutiennent plutôt que, lorsqu'elle a appliqué le critère, la Commission a ajouté que les demanderesses avaient l'obligation d'avoir au moins tenté d'obtenir refuge dans les PRI éventuelles avant de demander la protection du Canada. Après avoir expliqué le deuxième volet du critère, la Commission a déclaré ce qui suit :

J’estime que les demandeures d’asile avaient l’obligation d’essayer, tout au moins, de trouver un endroit sûr dans leur propre pays avant de l’abandonner complètement, et, à moins qu’il n’ait été manifestement déraisonnable pour elles de le faire, leur inaction à cet égard porte un coup fatal à leurs demandes d’asile.

 

 

[33]           Plus loin, la Commission a déclaré ce qui suit :

Je suis nettement d’avis que le fait de quitter son propre pays et de demander l’asile à l’étranger est une mesure de dernier recours, qui ne doit être prise que lorsque les autres mesures, comme celle de trouver une PRI dans son propre pays, se sont soldées par un échec ou sont manifestement inutiles. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Il est presque banal de dire que les demandeures d’asile ont l’obligation, à tout le moins, de tenter de trouver un autre endroit où vivre dans leur propre pays avant de décider de le quitter pour de bon. En l’espèce, je constate que les demandeures d’asile n’ont pas tenté de trouver une PRI où que ce soit dans la République du Mexique. J’estime qu’il incombait aux demandeures d’asile de déménager dans un lieu offrant une PRI, particulièrement Guadalajara ou Monterrey en l'espèce, avant de quitter le pays.

 

 

[34]           Aucune décision étayant la prétention de la Commission selon laquelle les demandeurs d'asile ont l'obligation d'avoir déjà demandé la protection dans la PRI envisagée n'a été porté à mon attention. Je conclus donc que les remarques de la Commission étaient erronées.

 

[35]           Ce critère de l'existence d'une PRI énoncée dans Thirunavukkarasu, précité, est un critère comportant deux volets, mais il s'agit d'un critère à l'égard duquel le demandeur d'asile n'est tenu de réfuter qu'un des volets. Les deux volets peuvent être réfutés avec succès sans qu’un demandeur d'asile ait vécu dans la PRI envisagée ou qu'il s'y soit même rendu. Le demandeur d'asile peut réfuter le premier volet en établissant qu'il existe un risque grave d'être persécuté ou qu’il sera, selon la prépondérance de la preuve, soumis à la persécution ou à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans la PRI envisagée. Subsidiairement, le demandeur d'asile peut réfuter le deuxième volet en établissant que les conditions dans la PRI sont telles qu'il lui serait déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, d’y chercher refuge.

 

[36]           La Commission doit non seulement énoncer le bon critère, mais elle doit aussi appliquer le bon critère. L'ajout d'une exigence supplémentaire dans l'application du critère fera que la Commission ira à l'encontre de la norme de raisonnabilité. L'ajout de l'exigence selon laquelle les demanderesses auraient dû tenter de vivre dans une autre région plus sécuritaire du pays témoigne d'une incompréhension du critère juridique concernant une PRI. Comme je l'ai dit plus haut, cela constituait une erreur.

 

[37]           Le défendeur a fait valoir qu'il ne conviendrait pas de renvoyer l'affaire pour nouvelle décision puisque la Commission a déjà appliqué le critère à deux volets pertinent concernant une PRI et que la nouvelle décision serait nécessairement la même. Je ne suis pas d'accord.

 

[38]           Il ressort clairement de sa décision que la Commission a estimé que l'omission de tenter de vivre dans la PRI constituait un facteur très important motivant son rejet de la demande d'asile des demanderesses. Je ne peux dire si la décision de la Commission aurait été la même si elle avait appliqué seulement les bons facteurs à l'évaluation d'une PRI. Il s'agit d'une décision qui relève de la Commission et non de la Cour.

 

[39]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l'affaire sera renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour nouvelle décision.

 

[40]           En raison de ma conclusion sur cette question, il est inutile que j'examine la dernière question.

 

[41]           Ni l'une ni l'autre partie n'a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

[42]           LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


ANNEXE

 

Les dispositions légales pertinentes

 

Les dispositions légales pertinentes sont énoncées dans la présente annexe.

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1166-09

 

Intitulé :                                       REGINA ESTRADA LUGO

                                                            TAMARA ITZE CARRASCO ESTRADA

 

c.

 

                                                            ministre de la citoyenneté

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 10 septembre 2009

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 février 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Alyssa Manning

 

Pour les demanderesses

Marcia Pritzer-Schmitt

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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