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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100218

Dossier : IMM-3517-09

Référence : 2010 CF 179

Montréal (Québec), le 18 février 2010

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

MIRIAM ARACELI DENA HERNANDEZ

ALEJANDRO CERVANTES DENA

DIANA CAROLINA DENA

LAURA HERMINIA DENA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Hernandez et ses trois enfants mineurs, Diana, Laura et Alejandro, sont des ressortissants du Mexique. Leur demande d’asile a été refusée le 19 juin 2009 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal), d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

 


I.          ALLÉGATIONS DES DEMANDEURS

[2]               Mme Hernandez dit craindre son ancien conjoint, M. Raul Tapia Rangel, qui en plus de l’abuser physiquement et psychologiquement, lui aurait proféré des menaces de mort après qu’elle ait déposé une plainte en reconnaissance de paternité visant Diana et Laura. Les deux sœurs jumelles sont lourdement handicapées physiquement. Aussi, elles doivent faire face non seulement à la discrimination, mais leurs chances d’être acceptées et d’étudier dans une école au Mexique sont à peu près nulles selon Mme Hernandez qui a été désignée comme représentante des trois enfants mineurs.

 

[3]               Du point de vue des facteurs de crainte subjective, Mme Hernandez serait restée avec M. Rangel jusqu’au mois de juillet 2002. À cette époque, il l’aurait battue pendant qu’elle était enceinte des jumelles. C’est alors qu’elle aurait décidé de le quitter. Après la naissance des jumelles, Mme Hernandez aurait eu besoin d’aide financière pour pourvoir à leurs besoins spéciaux mais M. Rangel aurait refusé de l’aider.

 

[4]               En décembre 2003, Mme Hernandez aurait rencontré M. Javier Atahualpa Cervantes Macias. Son nouveau conjoint aurait accepté de payer les dépenses médicales des jumelles. Le 2 juin 2005, Mme Hernandez accouchait d’une troisième fille (laquelle est restée au Mexique avec son père, M. Macias). La situation se serait envenimée après que M. Macias aurait perdu son emploi et que Mme Hernandez est devenue enceinte d’un quatrième enfant, Alejandro. Mme Hernandez et M. Macias auraient décidé de se séparer en août 2006. 

 

[5]               À cette époque, Mme Hernandez aurait cherché une école pour les jumelles qui avaient alors presque quatre ans. La seule école qui aurait accepté les jumelles, étant donné leurs problèmes physiques, était le Centre d’attention Multiple 5, une école pour des enfants qui ont des incapacités intellectuelles. Toutefois, parce que les jumelles souffrent exclusivement d’une incapacité motrice, elles ont été notifiées en mai 2007 de leur renvoi de l’école.

 

[6]               Par la suite, Mme Hernandez aurait essayé, sans succès, de trouver une autre école pour les filles. Une des écoles qu’elle aurait contactées lui a répondu que les filles « ne sont pas acceptées dans ce groupe à cause de l’incapacité motrice que les mineure[s] présentent car il leur sera difficile d’élaborer certaines activités qu’elles doivent réaliser ». Étant incapable de trouver une autre école, Mme Hernandez aurait porté plainte à la Secrétaire d’éducation publique; celle-ci se serait néanmoins contentée de lui fournir une liste d’écoles à contacter. D’ailleurs, aucune de ces écoles n’aurait accepté les jumelles aux dires de Mme Hernandez.

 

[7]               Au mois de janvier 2007, Mme Hernandez aurait déposé une plainte pour la reconnaissance de paternité contre M. Rangel. Non seulement ce dernier n’aurait pas voulu reconnaître les jumelles mais il aurait recommencé à menacer Mme Hernandez. Au mois d’août 2007, elle serait allée à la police pour porter plainte contre M. Rangel mais la police n’aurait rien fait.

 

[8]               Entretemps, au mois de juin 2007, Mme Hernandez aurait quitté Aguascalientes avec ses enfants pour aller vivre avec sa sœur à Leon Guanajuato, une ville qui est à environ 200 kilomètres d’Aguascalientes. Sans succès, Mme Hernandez aurait encore essayé de trouver une école pour les jumelles. De plus, elle n’aurait pas pu échapper à M. Rangel qui l’aurait appelée pour lui dire qu’elle ne pourrait jamais le fuir si elle ne se désistait pas de sa plainte. C’est alors qu’elle aurait décidé de retourner à Aguascalientes.

 

[9]               Le 10 septembre 2007, Mme Hernandez, un médecin, le tuteur des jumelles et M. Rangel ont dû se présenter devant un juge pour faire les preuves d’ADN. Ni le médecin ni le tuteur ne seraient venus. Suite à l’audience, M. Rangel serait allé au travail de Mme Hernandez pour lui proférer des menaces et lui aurait dit que ce n’était pas la dernière fois que le médecin et le tuteur ne se présenteraient pas. Encore une fois, il aurait répété qu’elle devait se désister de la plainte ou bien il la tuerait. C’est après cet incident que Mme Hernandez est partie du Mexique avec ses trois enfants.

 

II.         CONCLUSIONS DU TRIBUNAL

[10]           Le tribunal a décidé que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger. Essentiellement, le tribunal conclut que Mme Hernandez n’est pas crédible et qu’elle n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État. D’autre part, bien que le tribunal reconnaisse que les deux jumelles subissent de la discrimination, celui-ci conclut qu’elles ne sont pas victimes de persécution.

 

[11]           La raisonnabilité de toutes et chacune des conclusions du tribunal est attaquée par les demandeurs qui, de surcroît, questionnent le comportement à l’audience du commissaire ayant entendu l’affaire. Au contraire, le défendeur soumet que la décision en cause est raisonnable et qu’il n’y a aucun déni de justice ni crainte raisonnable de partialité.

 

III.       ANALYSE

[12]           Pour les motifs qui suivent, la décision en cause doit être cassée et la demande d’asile doit être retournée au tribunal pour une nouvelle audition et redétermination par un autre commissaire.

 

A.        CONCLUSION GÉNÉRALE DE NON‑CRÉDIBILITÉ

 

[13]           En premier lieu, force est de constater à la lecture des formulaires de renseignements personnels (FRP) et de la transcription du témoignage oral de Mme Hernandez que la véracité des principaux faits relatés plus haut par la Cour et soutenant la demande d’asile des demandeurs, n’a pas été véritablement mise en doute par le tribunal dans sa décision, sinon de façon oblique tel que ci-après expliqué. En effet, dans la décision sous étude, le tribunal n’a relevé aucune invraisemblance, incohérence ou contradiction dans le récit écrit ou le témoignage à l’audition de Mme Hernandez.

 

[14]           La conclusion générale de non-crédibilité repose exclusivement sur le défaut de Mme Hernandez de produire des documents supplémentaires. Les motifs du tribunal sont brefs et succincts. D’une part, le tribunal reproche à Mme Hernandez de ne pas avoir essayé d’obtenir une lettre de son avocat concernant le suivi de la plainte qu’elle a faite au ministère public. D’autre part, quant à la situation personnelle des jumelles, le tribunal reproche à Mme Hernandez de ne pas avoir soumis de « preuve corroborative à l’effet que ses deux filles ne pouvaient pas être acceptées à l’école régulière, une école qui répondrait à leurs besoins ».

 

[15]           Pourtant, le tribunal ne met pas en doute dans sa décision le fait que Mme Hernandez a déposé une plainte en reconnaissance de paternité et qu’avant de quitter le Mexique, elle a formulé à la police une plainte dénonçant les menaces proférées par M. Rangel. L’existence de la plainte corrobore le témoignage de Mme Hernandez. Le simple défaut d’effectuer un suivi de la plainte à la police n’entache pas la crainte subjective de Mme Hernandez mais constitue plutôt un facteur pertinent au niveau de la question de savoir si Mme Hernandez a pu démontrer à la satisfaction du tribunal qu’elle ne peut bénéficier de la protection de l’État mexicain.

 

[16]           D’autre part, la preuve médicale au dossier établit clairement qu’à cause d’un problème de respiration à leur naissance, les jumelles présentent une encéphalopathie de forme diplégie et qu’une des conséquences de leur diplégie est l’incontinence. À l’appui de la demande d’asile, les demandeurs ont soumis de nombreux documents médicaux du Mexique et du Canada. Parmi les documents les plus récents, on retrouve diverses lettres et rapports de spécialistes (travailleuse sociale, physiothérapeute, physiatre, ergothérapeute, psychologue) décrivant avec force détails la capacité motrice et l’assistance dont ont besoin les jumelles (voir notamment les pièces P-14 à P‑20).

 

[17]           En outre, le témoignage de Mme Hernandez concernant les démarches infructueuses à Aguascalientes et Leon Guanajuato pour inscrire les jumelles dans une école est corroboré par l’unique lettre qu’elle a reçue d’une école refusant l’inscription des jumelles. Enfin, les documents généraux soumis en preuve par les demandeurs font notamment état des difficultés à l’emploi et des problèmes d’accessibilité à l’éducation auxquels les personnes souffrant d’un handicap physique font face au Mexique (voir les articles de journaux produits comme pièce P-13 ainsi que les documents se retrouvant dans le cartable national de documentation sur le Mexique).

 

[18]           Bien qu’il ait vu les jumelles avant le commencement de l’audience dans des chaises roulantes et qu’on lui ait fourni un diagnostic d’un médecin précisant bien que les jumelles présentent une encéphalopathie de forme diplégie et qu’elles sont incontinentes, le commissaire semble s’être acharné à vouloir nier les limitations dont souffrent les jumelles.

 

[19]           De fait, lorsque Mme Hernandez a tenté d’expliquer à l’audience qu’elle n’avait pas d’autres documents que ceux déjà produits, mais qu’elle pouvait démontrer au commissaire les limites physiques des jumelles, le commissaire lui a répondu sèchement :

-           C’est pas comme ça que je voudrais procéder. C’est que moi je m’attendrais des rapports des médecins ou des spécialistes qui diraient exactement ces choses-là, de quoi ils sont capables, de quoi ils ne sont pas capables. Médecin qui me dirait, ils ont besoin des couches en salle, à l’école, par exemple. Là, vous me le dites, mais j’ai rien par écrit et ç’aurait pu être obtenu, parce que c’est une condition médicale.

 

 

[20]           De surcroît, le commissaire semble même questionner à l’audience l’incontinence des jumelles, ou pire, ne semble pas comprendre le sens du mot « incontinent ». Bien qu’il ait déjà vu le diagnostic indiquant que les jumelles sont incontinentes, lorsque Mme Hernandez explique que les jumelles ont besoin de couches, il semble surpris de ce fait :

R.         Ils ont besoin de soins particuliers.

-                     OK.

Q.                Des soins particuliers dans quel sens ? Est-ce que, est-ce que c’est dans le sens que l’édifice doit être équipé pour les enfants en chaise roulante?

 

R.                 Oui effectivement, et je me réfère aussi à d’autres soins particuliers, c’est qu’elle... et des enfants qui utilisent des couches.

 

PAR LE CONSEILLER (à la personne en cause)

 

Q.                Pourquoi est-ce qu’ils utilisent des couches?

 

R.                 À cause de leur incapacité.

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (à la personne en cause)

 

-                     OK. Mais ça c’est le type de choses que je ne vois pas mentionné.

 

[21]           Bref, aucun document ne semblait satisfaire le commissaire. Lorsque Mme Hernandez fait état dans son témoignage du contenu d’un rapport préparé par un psychologue concernant l’état des jumelles, le commissaire lui indique qu’il préfère avoir un rapport préparé par un médecin. Et lorsque Mme Hernandez réfère le commissaire au rapport qu’a préparé le docteur Marois, un médecin spécialisé en physiatrie et en réhabilitation, le commissaire s’empresse de relancer Mme Hernandez en lui demandant les lettres d’un médecin spécialisé en neurologie.

 

[22]           L’échange suivant entre le commissaire et Mme Hernandez est particulièrement révélateur :

R.         Un docteur en physiatrie. Ce que ça indique, c’est que c’est un médecin en physiatrie et en réhabilitation.

 

Q.        Et les lettres de neurologue ou des...des suivis par écrit, vous avez rien du neurologue Fernandez?

 

R.                 Non.

 

Q.                Il vous a jamais donné quoi que ce soit par écrit?

 

R.                 Tout a été donné au physiatre pour qu’il puisse faire un diagnostic.

 

Q.                Et vous avez jamais reçu quoi que ce soit?

 

R.         Non seulement quand j’ai demandé une lettre au sujet des incapacités des enfants, ils m’ont donné celle-ci. C’est la même chose ici au Canada, j’ai demandé, j’ai demandé une attestation pour..., écrite, pour que, disant que les enfants étaient handicapés et ils m’ont donné, en fait, cette feuille en tant que preuve, qu’elles sont handicapées. Normalement, les médecins ne donnent pas, ils ne donnent pas, ils ne donnent rien en généralement d’écrit, seulement un diagnostic.

 

Q.        Mais là, vous faites référence au Mexique ou au Canada?

 

R.         Aux deux. (2).

 

 

[23]           Le commissaire semble clairement de mauvaise foi. En effet, les jumelles ont été vues à Montréal par plusieurs spécialistes, et ce notamment dans le cadre du programme des déficits moteurs cérébraux de la clinique de physiatrie. Dans son rapport du 29 mai 2008, le docteur Pierre Marois, physiatre, décrit bien le handicap dont souffre Laura, rappelant que sa condition nécessite de l’équipement spécialisé :

Il y a eu plusieurs complications durant la période néonatale et tout comme sa sœur, elle a présenté des complications d’ordre neurologique. Éventuellement, un diagnostic d’encéphalopathie néonatale avec diplégie a été posé. C’est une jeune patience qui a eu il y a quelques années un allongement bilatéral des triceps suraux de même qu’une ténotomie des adducteurs possiblement associée à une neurectomie obturatrice. Elle n’a actuellement aucun équipement spécialisé. Elle ne marche pas. Elle réussit à se déplacer tenue des mains. Elle avait déjà eu semble-t-il une marchette à appui postérieur qu’elle parvenait à propulser sur des courtes distances.

 

 

[24]           En ce qui concerne Diana qui est plus atteinte que Laura, le docteur Marois note le même jour dans un rapport distinct :

Elle a présenté une lésion neurologique significative et est un peu plus atteinte que sa sœur Laura. Elle ne se déplace pas en station verticale. Elle réussit un peu à se déplacer au sol. Elle a eu dans le passé une chirurgie au niveau des hanches soit une ténotomie des adducteurs associée possiblement à une neuroctomie obturatrice. Elle a eu également un allongement bilatéral des triceps suraux.

...

C’est une petite fille qui présente une encéphalopathie avec quadriparésie. Elle est issue d’une grossesse gémellaire. Sa sœur a une problématique relativement semblable. C’est une petite fille qui ne parvient pas à se déplacer en station verticale de façon autonome. Elle se déplace à quatre pattes.

 

 

[25]           Ceci dit, ayant attentivement lu les transcriptions, la Cour constate que le témoignage de Mme Hernandez n’a jamais été hésitant ou confus tout au long de l’audience qui a duré plusieurs heures. Derechef, celle-ci a admis n’avoir pas d’autre preuve additionnelle concernant les démarches effectuées auprès de diverses écoles, ce qui aurait dû contenter l’appétit du commissaire, mais peine perdue, il continue d’insister. Piquée au vif, Mme Hernandez lui répond en désespoir de cause :

R.                 De quel type de preuve avez-vous besoin? Ma parole, ma parole vaut. Moi, je suis une maman...  

 

 -          Je suis au courant de ça.

 

R.       ...et tous les jours, je sortais pour aller demander de l’éducation pour mes enfants.

 

-           OK...

 

R.                 ...et que j’étais pos...

 

-           Mais à part de vos paroles, il y aurait eu des preuves disponibles du département d’Éducation, qui aurait pu constater, voici ce qui est disponible pour ces deux (2) filles-là, par écrit.

 

R.         Premièrement, Monsieur, ils ne les donnent pas.

 

-           Mais Madame, vous dites...Attendez, Madame, quand je parle, s’il vous plaît, arrêtez.

 

R.         D’accord.

 

 

[26]           Comme l’a rappelé récemment mon collègue le juge Pinard dans Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1091 au paragraphe 18, le tribunal « peut soulever l’absence de preuves documentaires pertinentes s’il trouve des contradictions ou des inconsistances » dans le témoignage d’un demandeur d’asile et conclure que celui-ci n’est pas crédible. Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce. Or, la présente affaire se distingue justement d’autres cas où les nombreux problèmes de crédibilité des demandeurs d’asile étaient déjà développés par le tribunal dans des motifs touffus, clairs et bien articulés (par exemple, Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 136).

 

[27]           La Cour est donc d’avis qu’il était déraisonnable dans le cas sous étude d’exiger d’autres preuves documentaires que celles déjà soumises par les demandeurs, ce qui constitue en l’espèce une erreur déterminante justifiant l’annulation de la conclusion générale de non-crédibilité (Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 974 au paragraphe 9).


B.         FONDEMENT OBJECTIF DE LA DEMANDE D’ASILE

[28]           Pour réfuter la présomption selon laquelle les États sont capables de protéger leurs citoyens, le demandeur d’asile doit présenter au tribunal une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État en cause d’assurer une protection adéquate. Aussi, n’eût été des autres vices fondamentaux affectant la validité de la décision sous étude, l’analyse du tribunal concernant la protection de l’État aurait peut-être permis à la Cour de confirmer la légalité de la conclusion à l’effet que Mme Hernandez n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Mais voilà, il ne s’agit pas seulement de savoir si l’État mexicain peut offrir une protection adéquate dans les cas de violence conjugale, voire lorsqu’une femme a reçu des menaces de mort d’un ex-conjoint et qu’elle s’en est plainte à la police comme dans le cas présent.

 

[29]           En l’espèce, dans le cas de la revendication portée au nom des deux jumelles, le tribunal devait en premier lieu déterminer si celles-ci sont persécutées, et c’est bien là où le bât blesse.

 

[30]           La Cour a déjà relevé plus haut le caractère pernicieux et déraisonnable de la conclusion du tribunal à l’effet qu’il n’y avait pas au dossier « de preuves corroborantes à l’effet que ces deux filles mineures ne puissent pas recevoir l’éducation et les soins qu’il leur faut dans leur cas particuliers au Mexique. »

 

[31]           Rappelons à cet égard que Mme Marie-Ève Morin, travailleuse sociale au Centre de santé et de services sociaux d’Ahuntsic et Montréal-Nord, qui a vu les jumelles, a bien résumé dans une lettre datée du 6 avril 2009, l’étendue de leurs besoins quotidiens qui requièrent un placement dans une institution éducative spécialisée :

Madame et ses deux filles sont connues par le programme DI-TED du CLSC d’Ahuntsic depuis décembre 2008 étant donné l’handicap des fillettes, Laura-Herninia et Diana-Carolina (DDN : 2002-12-22). Celles-ci sont en effet atteintes d’une paralysie cérébrale, elles sont paralysées à partir des membres inférieurs jusqu’au bassin. Elles nécessitent donc une assistance au niveau de la mobilité et des activités de la vie quotidienne.

 

...

 

Les jumelles se sont bien intégrées au milieu scolaire et elles évoluent très bien. Malheureusement, les services obtenus ici par Laura-Herninia et Diana-Carolina (aide technique, intégration scolaire) ne seraient pas disponibles dans leur pays d’origine; leur développement s’en trouverait donc grandement compromis d’autant plus qu’elles risqueraient d’être fortement victimes de discrimination.

 

 

[32]           De fait, Mme Hernandez a confirmé à l’audition devant le tribunal que les jumelles étaient inscrites à Montréal à l’école Victor-Doré. Cette dernière institution offre des services éducatifs adaptés aux enfants souffrant d’un handicap physique et est équipée pour ceux qui se meuvent en chaise roulante ou encore qui utilisent des couches comme les jumelles.

 

[33]           Dans son témoignage, en plus de sa propre expérience et en réponse à la question de son avocat lui demandant si elle a eu connaissance de personnes handicapées n’ayant pu obtenir de ressources éducatives au Mexique, Mme Hernandez relate :

R.         .... Dans la ville où je vis, une ville avec pas beaucoup de ressources, il y a un enfant handicapé, à qui... il ne lui donne pas de l’éducation médicale ni les services d’éducation, parce que les parents n’ont pas les ressources. Il n’est pas accepté dans aucune institution gouvernementale. Donc, l’enfant n’étudie pas et il n’a pas d’éducation, parce que les listes sont très longues.

 

 

[34]           Malgré le témoignage de Mme Hernandez et les preuves extrinsèques corroborant le fait qu’il est pratiquement impossible pour les jumelles d’être acceptées dans une école au Mexique, le tribunal a néanmoins conclu que ces dernières n’étaient pas des victimes de « persécution » au sens de la Convention. Pour toute justification, le tribunal s’est contenté du fournir le raisonnement lapidaire suivant que l’on retrouve au paragraphe 31 de la décision en cause :

Le document P-12, provenant du centre de réadaptation de Sainte‑Justine à Montréal et daté du 24 septembre 2008, parle d’une affectation du cerveau de nature non inflammatoire et d’affectations dégénératives et de lésions cérébrales qui compliquent certaines intoxications, soit des encéphalopathies, ayant comme résultat que la jeune fille ne retient pas l’urine. Que ce soit une situation difficile et qu’elles puissent être la cible d’une certaine discrimination ne veut pas dire qu’elles seraient ciblées pour la persécution.

 

 

[35]           Il va sans dire que la qualification de ce qui constitue de la discrimination par opposition à de la persécution est un exercice éminemment complexe relevant bien entendu de l’expertise spécialisée du tribunal. Mais encore faut-il être en mesure de comprendre le raisonnement sous-tendant la conclusion du tribunal. Ce n’est pas le cas en l’espèce. L’absence d’une véritable analyse de la preuve, incluant les éléments de preuve documentaire touchant la condition des personnes handicapées et leur accessibilité à l’éducation au Mexique, fait en sorte que la Cour est justifiée de retourner l’affaire au tribunal.

 

[36]           Au demeurant, concernant le fardeau que doivent rencontrer les demandeurs en cette matière, le commissaire a mentionné à plus d’une reprise à l’audition que l’handicap physique dont souffrent les deux jumelles devait rendre leur vie « intolérable » au Mexique. Or, il n’y a pas de définition universellement acceptée de la « persécution ». Ce n’est que dans des circonstances particulières que la « discrimination » équivaudra à de la « persécution ». Il est donc nécessaire pour le tribunal de ne pas approcher l’étude d’une demande d’asile en fonction de préjugés ou d’opinions préconçues, d’autant plus que la situation personnelle d’un demandeur d’asile pourra varier considérablement d’un pays à l’autre.

 

[37]           En l’espèce, parlant de préjugés ou d’opinions préconçues, le commissaire mentionne à l’audition :

...Je peux voir des gens en chaise roulante, qui peuvent assister à une classe normale. Je veux dire, avec d’autres étudiants, j’en ai déjà vus.

 

 

[38]           Le caractère intolérable d’une situation discriminatoire tombe certainement dans la catégorie de la « persécution ». Toutefois, cette détermination ne dépend pas de la sévérité du handicap sur le plan objectif, mais plutôt du traitement discriminatoire vécu par la personne souffrant d’un tel handicap.

 

[39]           D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que des « motifs cumulés » peuvent fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention : « Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous. » (Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (le Guide), réédition, Genève, janvier 1992, aux paragraphes 53 et 54).

 

[40]           D’ailleurs, il est bien établi par la jurisprudence que la persécution peut être causée par des actes discriminatoires qui sont suffisamment graves et qui se produisent sur une période de temps assez longue pour en conclure que l'intégrité physique ou morale des revendicateurs est menacée (N.K. c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 889 au paragraphe 21 (1re inst.) (QL) ; Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 768 au paragraphe 12). Ainsi, une personne peut être victime de persécution si, à cause d’un des motifs de la Convention, elle est empêchée de poursuivre ses études (Alfredo Manuel Oyarzo Marchant c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 2 C.F. 779 (C.A.F.) au paragraphe 5; Ali c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1392 au paragraphe 4 (QL)).

 

[41]           À tout le moins, le tribunal aurait dû expliquer de façon intelligible sa conclusion et traiter de l’ensemble de la preuve, ce qui inclut les allégations non-contredites contenues dans les FRP, le témoignage à l’audience de Mme Hernandez, les lettres et les rapports déposés par les demandeurs, ainsi que la preuve documentaire concernant la situation des personnes handicapées au Mexique.

 

[42]           Par exemple, dans le document de 2008 « U.S. Department of State. « Mexico ». Country Reports on Human Rights Practices for 2007 », on peut lire :

Although the law prohibits discrimination against persons with physical and mental disabilities in employment, education, access to health care, and the provision of other services, the government did not effectively enforce all these provisions.

 

 

[43]           Bien que le tribunal ne soit pas tenu de faire référence à tous les éléments de preuve dans sa décision, il faut au moins traiter de tous ceux qui sont importants à l’égard de l’issue de l’affaire (Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429 au paragraphe 45). Sans pour autant conclure ici que les jumelles sont victimes de persécution, l’absence d’une véritable analyse dans la décision en cause rend donc déraisonnable la conclusion du tribunal à l’effet que les jumelles ne sont pas persécutées.

 

C.        COMPORTEMENT DU COMMISSAIRE

[44]           Non seulement justice doit être rendue, mais l’apparence que justice est rendue de façon impartiale est tout aussi importante. Il va sans dire que la conduite des commissaires doit en tout temps être irréprochable et empreinte d’objectivité, d’autant plus qu’en pratique, c’est le plus souvent la seule occasion où les demandeurs d’asile auront la chance d’être entendus en personne (Guermache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 870 aux paragraphes 5 et 6).

 

[45]           En toute déférence pour le commissaire qui avait un travail difficile à effectuer et sans vouloir le stigmatiser, il semble bien que le commissaire n’était pas attentif à la situation personnelle des demandeurs, ni véritablement intéressé à entendre le témoignage de Mme Hernandez.D’une part, le commissaire a clairement fait montre d’agressivité et d’impatience injustifiées à l’endroit de Mme Hernandez et de son procureur. D’autre part, il semble bien que le commissaire avait une idée préconçue du résultat de l’affaire, multipliant d’ailleurs à souhait des demandes impossibles à satisfaire et coupant court aux explications de Mme Hernandez.

 

[46]           À un certain moment, Mme Hernandez, désespérée du fait que le commissaire ne la laisse pas s’exprimer, demande poliment à ce dernier de lui accorder « cinq (5) minutes » pour expliquer l’origine d’un document espagnol des plus pertinent expliquant le renvoi de Diana d’une école pour enfants handicapés. Plutôt que d’entendre ses explications, le commissaire met de l’avant une autre interprétation du même document.

 

[47]           Au beau milieu de l’audition, Mme Hernandez fait une objection à cause des interruptions et du ton agressif du commissaire, mais il ne répond pas et préfère continuer avec ses questions :

R.         ...Est-ce que vous me permettez, Monsieur, à faire une objection?

 

Q.        Une objection à quoi, Madame?

 

-           Vous voulez objecter, aussi, OK

 

Q.        Quelle est votre objection, Madame?

 

-           J’écoute votre objection.

 

R.         Que de ne pas vous fâcher. C’est parce que vous ne me laissez pas m’expliquer.

 

-           Mais...

 

R.         Est-ce que c’est, c’est parce que vous vous fâchez avant que je puisse donner mes explications et...

 

-           Je comprends pas...

 

R.         ...et ça me gêne de...

 

-           ... que vous, vous objectez. Je vous, essaie de comprendre à quoi vous vous objectez.

 

R.         Je vous demande, je vous sollicite à vous.

 

-           Madame, je vous demande des questions que j’ai besoin pour rendre ma décision. Je demande, concernant la plainte que vous avez fait, par écrit, que j’ai une copie ici.

 

Q.        Qu’est-ce que les autorités ont fait avec cela?

 

 

[48]           Pire encore, l’avocat de Mme Hernandez fait une objection parce qu’il a perçu que sa cliente ne comprend pas le sens du mot « superviseur » utilisé par le commissaire dont le degré de frustration augmente au thermomètre. L’échange qui suit est particulièrement symptomatique du malaise qui s’est progressivement installé à l’audience : 

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

-           Monsieur le commissaire, objection.

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (à la personne en cause)

-           Vous répondez pas à la question. Je vous demande un oui ou non.

Q.        Avez-vous demandé à la personne auquel vous faites la plainte, de voir le superviseur, oui ou non?

 

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

-           Objection ...

R.         Non.

-           ... Monsieur le commissaire.

R.         Non, je veux entendre la réponse.

PAR LA PERSONNE EN CAUSE (au membre audiencier)

-           Oui j’ai demandé.

...

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

-           Monsieur le commissaire, je m’objecte, parce que on parle d’un superviseur, mais dans l’institution du ministère Public, il n’y a pas de superviseur monsieur le commissaire.

 

R.         Il y a une hi[ér]archie.

-           Il est... si vous, si vous savez, dans la preuve documentaire, on voit clairement que le ministère Public, il est maître de la dénonciation, c’est-à-dire on ne parle pas des hi[ér]archies. Madame n’est pas une professionnelle, on ne sait pas, vous parlez de superviseur, mais il n’y a pas de superviseur dans le ministère Public.

 

R.         OK, vous allez laissez ça pour vos arguments.

-           Non, mais simplement, objection parce que, dans le sens que vous avez demandé plusieurs fois, superviseur, superviseur, mais Madame ne connaît pas le mot superviseur.

 

R.         Donc, elle aurait rien qu’à répondre de ce façon-là, que je ne comprends pas ce que ça veut dire un superviseur.

 

 

[49]           Voici un autre exemple d’objection, en apparence pleinement justifiée, du procureur de Mme Hernandez, étant donné une traduction apparemment déficiente, qui ne fera pas long feu devant le commissaire :

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

 

-           Je m’excuse, monsieur le commissaire, il y a eu certains problèmes de traduction dans le sens que moi-même, la question n’était pas vraiment claire. C’est, on pourrait poser une autre fois la même question peut-être plus expliquée.

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (au conseiller)

 

Q.        Est-ce que vous avez une objection, Maître? Est-ce que c’est une objection u un commentaire?

 

R.                 Oui, ça c’est une objection.

 

Q.        Objection de quoi?

 

R.         La objection, la traduction n’a pas été bien fait. On pourrait simplement répéter et expliquer la...

 

-                     Si vous avez une objection...

 

R.                 C’est ça.

 

-                     ... en ce qui concerne la traduction, il y a des moyens de s’objecter, que vous connaissez bien.

 

R.         Monsieur le commissaire. Je m’objecte, parce que il y a une erreur de traduction simplement. Je demande simplement que la question soit...

 

Q.        Donc, vous voulez une expertise? Vous voulez une expertise?

 

R.         Non, monsieur le commissaire, c’est par pour perdre du temps, mais c’est simplement, je demande que la question soit reformulée.

 

-                     J’ai dit à Madame, si vous ne comprenez pas la question, n’hésitez pas à ce qu’elle soit reformulée.

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (à la personne en cause)

 

Q.        Est-ce que vous avez fait la plainte à votre persécuteur, le père de vos deux (2) enfants?

 

PAR L’INTERPRÈTE (au membre audiencier)

 

-                     Faire la plainte au persécuteur.

 

R.                 Oui.

 

PAR LE CONSEILLER (au membre audiencier)

 

-         Je demande, monsieur le commissaire, la question n’était pas claire, c’est simplement dire, dire...dans le sens que Madame est-ce que vous avez...

 

PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (au conseiller)

 

Q.             Maître, vous avez une objection?

 

R.              Oui, parce que la question n’était pas claire...

 

-                     Je vous ai écouté.

 

R.         ...monsieur le commissaire.

 

-                     Madame me dira si elle ne comprend pas la question. Si vous avez une objection, dites vous avez une objection.

 

R.         Oui, monsieur le commissaire.

 

 

[50]           À la fin du marathon inquisitoire subi par Mme Hernandez, le commissaire acquiesce, mais non sans montrer son impatience, à la demande de son avocat de poser enfin des questions supplémentaires, tout lui rappelant que les faits ont déjà été soumis dans le récit de Mme Hernandez et donc qu’elle n’a pas besoin de tout raconter. Ainsi, on pourrait penser qu’après plusieurs heures d’interrogatoire du commissaire, Mme Hernandez aurait enfin la chance de répondre de façon complète aux questions de son avocat, quitte à ce que le tribunal relève ultérieurement dans sa décision toute contradiction entre les réponses de Mme Hernandez et ce qu’elle a affirmé dans son FRP. Or, l’échange suivant est particulièrement révélateur du caractère vicieux de l’interruption du commissaire :

PAR LE CONSEILLER (à la personne en cause)

Q.        Madame, vous avez, vous avez été victime de violence conjugale?

 

R.         Oui.

 

Q.        Pourriez-vous nous expliquer quant était la première fois que votre...

 

                        PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (au conseiller)

-           Maître, on a déjà ça dans les, dans les faits.  J’ai dit que je prenais pour acquis que tout...

 

R.         OK.

 

-           ...serait la même chose...

 

R.         OK.

 

-           ...que déjà là, par écrit. Je vois pas...

 

R.         Alors, le tribunal, il y a pas de problèmes de crédibilité, dans ce cas.

 

                        -           J’ai pas dit ça.

 

                        R.         Mais si vous...

 

                        -           Mai ce que Madame a déjà d’écrit, elle est déjà dans son récit.

 

                        R.         OK.

 

                        -           Elle a parlé

 

                        R.         Mais...

 

                        -           ...de son, du viol, elle a parlé de menaces de mort.

 

                        R.         Viol non, il n’y a pas eu de viol, monsieur le commissaire.

 

                        -           Attendez, elle a parlé de...

 

                        PAR LE CONSEILLER (à la personne en cause)

                        Q.        Est-ce qu’il y a eu des viols, Madame, des viols?

                       

                        PAR LE MEMBRE AUDIENCIER (au conseiller)

 

                        -           Physique.

 

                        R.         Ah.

 

                        -           Excusez-moi.

 

                        PAR LA PERSONNE EN CAUSE (au conseiller)

 

                        -           Physique, agression physique.

 

                        PAR LE CONSEILLER (à la personne en cause)

                        -           Agression physique.

 

                        R.         Oui.

 

-                     Oui, mais pas le viol.

 

 

[51]           Il est pour le moins surprenant qu’à la fin de l’audience, le commissaire puisse suggérer que Mme Hernandez ait été violée, tandis qu’elle n’a jamais prétendu l’avoir été. Ou bien le commissaire n’était tout simplement pas attentif au récit de Mme Hernandez, ou bien il a voulu la piéger en posant une question qui n’était certainement pas autorisée dans les circonstances.

 

[52]           Il est toujours permis au commissaire de poser des questions pour éclaircir les réponses d’un demandeur, et ce même si ces questions peuvent sembler parfois brusques et répétitives (Moualek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 539 aux paragraphes 54 et 55; Mahendran c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 549 (C.A.F.) (QL)). Toutefois, dans la présente affaire, la question du commissaire ayant trait à un « viol » n’avait pas pour but d’éclaircir, étant donné que Mme Hernandez n’avait jamais parlé de viol dans FRP ou lors de son témoignage.

 

[53]           Le choix de certains qualificatifs douteux par le commissaire à l’audience est également troublant. À au moins deux reprises, le commissaire compare les jumelles avec les personnes qu'il qualifie de « normales ». Le fait que le commissaire se soit amendé du bout des lèvres et ait reformulé ses questions indique bien qu’il était conscient du caractère inapproprié des épithètes utilisées.

 

[54]           Or, le langage utilisé par le commissaire à l’audition est un gage que la justice est rendue et qu’elle apparaît l’être. Le commissaire doit en tout temps être attentif et sensible aux demandeurs, ce qui n’est pas apparent dans l’espèce. Que la parole de chaque commissaire soit impeccable et respectueuse des personnes qui comparaissent devant le tribunal, c’est le prix à payer pour que les cours en révision judiciaire accordent la latitude revendiquée au nom du tribunal pour évaluer la crédibilité de chaque demandeur d’asile.

 

[55]           Le défendeur a bien tenté de faire valoir à la Cour que le commissaire avait été très patient et qu’il avait même permis aux demandeurs de déposer des preuves hors délai. Même si le tribunal n’était pas obligé de recevoir des preuves additionnelles, ceci ne corrige pas le comportement répréhensible du commissaire à l’audience. En effet, on peut ici raisonnablement s’interroger sur l’état d’esprit et sur l’impartialité du commissaire.

 

[56]           Le défendeur soumet également que les demandeurs sont forclos de plaider une crainte raisonnable de partialité, parce que la loi exige que cette dernière soit invoquée à la première occasion possible. Cet argument ne peut prévaloir ici.

 

[57]           Comme cette Cour a remarqué dans l’arrêt Khakh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 548 au paragraphe 31 (1re inst.), il ne faut pas conclure à la légère à une renonciation des droits des demandeurs. Bien que l’ancien avocat des demandeurs n’a pas fait de soumissions écrites sur la possibilité d’une crainte raisonnable de partialité, Mme Hernandez elle-même a fait une objection à l’audience concernant le comportement du commissaire qui n’a rien fait pour régler la situation.

 

[58]           En dernière analyse, il est manifeste ici qu’il y a eu un déni de justice. En l’espèce, le comportement du commissaire à l’audience dépasse les limites acceptables (Ramirez, ci-dessus, au paragraphe 5). Reste à savoir au passage si le comportement du commissaire à l’audience soulève une crainte raisonnable de partialité. Ayant attentivement lu les transcriptions, une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, et ce, de façon réaliste et pratique, croirait que le comportement général du commissaire à l’audience soulève une crainte raisonnable de partialité (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369 aux pages 394 et 395).

 

IV.       CONCLUSION

[59]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.  Étant donné qu’aucune question grave de portée générale n’a été soumise par les parties, la Cour n’en certifiera pas.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  La décision rendue le 19 juin 2009 est cassée et l’affaire retournée au tribunal afin qu’une redétermination de la demande d’asile soit entreprise et qu’une nouvelle audition soit tenue devant un autre commissaire;

3.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM‑3517-09

 

INTITULÉ :                                         MIRIAM ARACELI DENA HERNANDEZ

                                                              ALEJANDRO CERVANTES DENA

                                                              DIANA CAROLINA DENA

                                                              LAURA HERMINIA DENA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 LE 27 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        LE 18 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annick Legault

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Geneviève Bourbonnais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Annick Legault

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

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