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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20100222

Dossier : T-49-09

Référence : 2010 CF 181

[TRADUCTION CERTIFIÉE NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

HENRY SZTERN et

HENRY SZTERN & ASSOCIÉS INC.

 

demandeurs

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Henry Sztern (le demandeur) et Henry Sztern & Associés Inc. (ci-après appelés les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision disciplinaire en cours rendue par le délégué André Deslongchamps (le délégué), en sa qualité de délégué du surintendant des faillites, conformément à l’article 14.01 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 (la Loi). Le délégué a ordonné que les licences de syndic de Henry Sztern et Henry Sztern & Associés Inc. soient annulées.

 

[2]               Henry Sztern se représentait lui-même durant l’audience tenue devant la Cour. Par commodité, la Cour, dans sa décision, appellera Henry Sztern le demandeur, et Henry Sztern et Henry Sztern & Associés Inc. les demandeurs.

 

[3]               Henry Sztern détient une licence de syndic personne physique depuis 1985, et Henry Sztern & Associés Inc. détient une licence de syndic personne morale depuis le 27 septembre 1991. Ces deux licences n’ont pas été renouvelées par leurs titulaires en 2004.

 

[4]               Le Bureau du surintendant des faillites (le BSF) contrôle l’administration des actifs et des affaires régis par la Loi, y compris la conformité des syndics et des débiteurs à la Loi (paragraphe 5(2) de la Loi).

 

[5]               Après un rapport initial sur l’administration de Henry Sztern et de Henry Sztern & Associés Inc., l’honorable Benjamin Greenberg a approuvé par ordonnance l’accord conclu entre le surintendant et les demandeurs le 29 août 2001. Conformément à cette ordonnance, la licence de syndic du demandeur a été suspendue du 1er décembre 2001 au 30 juin 2002, et la licence de syndic de Henry Sztern & Associés Inc. a été soumise à des restrictions durant une période de deux mois débutant le 1er décembre 2001.

 

[6]               Le 2 avril 2003, à la suite de ces mesures disciplinaires et en conséquence de plusieurs plaintes reçues par le Bureau du surintendant des faillites, Alain Lafontaine, surintendant associé, a prononcé des mesures conservatoires conformément à l’article 14.03 de la Loi.

 

[7]               À la suite de nouvelles révélations, Alain Lafontaine a prononcé de nouvelles mesures conservatoires le 14 avril 2003 afin de préserver les actifs placés sous l’administration des demandeurs. Tous les dossiers ouverts ont été transférés à un syndic de tutelle, H.H. Davis & Associates Inc. (le syndic de tutelle), qui a été prié de prendre la possession et la conduite des dossiers des demandeurs. L’inventaire dressé le 14 avril 2003 a montré que 1 349 dossiers relevaient de la responsabilité de Henry Sztern en sa qualité de syndic.

 

[8]               Alain Lafontaine a prononcé d’autres mesures conservatoires le 6 mai 2003 et nommé Gilles-Normand Lavallée et/ou Bernadette Blain séquestres officiels chargés de mener à terme l’administration des dossiers des demandeurs.

 

[9]               À la suite d’une ordonnance rendue par le juge Pinard, de la Cour, en date du 27 juin 2003, des représentants du surintendant associé se sont rendus au domicile de Henry Sztern le 30 juin 2003 et ont pris possession des données électroniques manquantes et/ou se sont fait remettre les données en question.

 

[10]           Après le prononcé des premières mesures conservatoires, le BSF a ordonné l’ouverture d’une enquête sur la conduite des demandeurs, conformément à l’alinéa 5(3)e) de la Loi. Le mandat a d’abord été confié à l’analyste principale Deborah Jazey en mars 2003, puis à l’analyste principale Sylvie Laperrière (l’analyste principale) le 23 avril 2004.

 

[11]           L’enquête a révélé de nombreuses irrégularités dans la conduite des demandeurs. Avis en a été donné au surintendant des faillites dans un rapport rédigé par l’analyste principale le 26 août 2005, et plus tard modifié le 6 décembre 2007. Un avis écrit a été transmis à Henry Sztern par lettre datée du 29 août 2005. Le rapport faisait état de 35 prétendues infractions à des dispositions de la Loi, aux Règles sur la faillite et l’insolvabilité, C.R.C., ch. 368 (les Règles) et aux Directives du surintendant, qui auraient été commises par Henry Sztern et Henry Sztern & Associés Inc. Les infractions alléguées par l’analyste principale sont les suivantes :

[traduction]

A.        Système comptable faux et trompeur

1.         Les syndics utilisaient un deuxième système comptable qui n’indiquait pas les retraits non autorisés faits par eux. Ce faisant, ils utilisaient un système comptable dont ils savaient, ou auraient dû savoir, qu’il était faux et trompeur, contrevenant ainsi à l’article 13.5 de la Loi et aux articles 36 et 45 des Règles (annexe 10)

 

B.         Retraits non autorisés

2.         Entre les mois de février 1998 et avril 2003, les syndics ont fait des retraits prématurés totalisant 305 217,73 $ (y compris les taxes) sur les comptes en fiducie de 399 actifs sous administration sommaire et ont retiré des sommes excédant le tarif et totalisant 156 205,48 $ sur les comptes en fiducie de 187 de ces actifs sous administration sommaire, contrevenant ainsi à l’article 156 de la Loi et à l’article 128 des Règles, ainsi qu’à l’article 13.5 de la Loi et à l’article 48 des Règles (annexe 11)

           

3.         Entre les mois de juin 1997 et avril 2003, les syndics ont fait des retraits dépassant le tarif et totalisant 574 687,91 $ sur les comptes en fiducie de 201 dossiers relatifs à des propositions de consommateurs, contrevenant ainsi à l’article 66.26 de la Loi et à l’article 129 des Règles, ainsi qu’à l’article 13.5 de la Loi et à l’article 48 des Règles (annexe 12)

C.        Actes prohibés commis alors que la licence de syndic de Henry Sztern était suspendue entre le 1er décembre 2001 et le 1er juillet 2002 :

4.         Le syndic Henry Sztern a exercé ses pouvoirs de syndic alors que sa licence était suspendue :

 

a) en faisant six retraits totalisant 3 300 $ sur le dossier relatif à la proposition de consommateur d’Alain Germain, entre janvier 2002 et juin 2002; (annexes 14 et 15)

 

b) en faisant sept retraits totalisant 2 450 $ sur le dossier relatif à la proposition de consommateur de Benoît Kollar & Chantal Séguin, entre janvier 2002 et juillet 2002; (annexes 14 et 16)

 

c) en faisant six retraits totalisant 950 $ sur les dossiers de faillite sommaire d’Alain Bazinet, Chet Rom, Duc Trong Nguyen, Jacques Rondeau & Dany Huppé, Sébastien Lamontagne & Sylvain Gagné, le 12 mars 2002 ou vers cette date; (annexes 14 et 17)

 

d) en faisant un retrait de 6 700 $ sur les dossiers de faillite sommaire de Duc Trong Nguyen, le 15 janvier 2002 ou vers cette date; (annexes 13, 14, 17 et 18)

 

e) en faisant un retrait de 450 $ le 1er février 2002 ou vers cette date sur le dossier de faillite sommaire de Jacques Rondeau & Dany Huppé; (annexe 17)

 

f) en faisant un retrait de 100 $ sur le dossier de faillite sommaire de Sylvain Gagné, le 22 mars 2002 ou vers cette date; (annexe 17)

 

g) en faisant six retraits totalisant 2 520 $ sur le dossier relatif à la proposition de consommateur de Jean-Jacques Vigier & Pierrette Laprade, entre janvier 2002 et juin 2002; (annexe 10)

 

h) en faisant un retrait de 2 500 $ le 22 janvier 2002 ou vers cette date et un retrait de 850 $ le 25 janvier 2002 ou vers cette date sur le compte en fiducie du dossier de faillite de Service de Mini‑Remorque H.C.H. Inc.; (annexe 19)

 

i) en faisant un retrait de 6 000 $ le 4 avril 2002 ou vers cette date et un retrait de 5 000 $ le 5 avril 2002 ou vers cette date sur le compte en fiducie du dossier de faillite de 176984 Canada Inc., (annexe 20);

 

contrevenant ainsi à l’ordonnance de suspension du syndic rendue le 29 août 2001 par l’honorable Benjamin J. Greenberg, délégué du surintendant des faillites, ainsi qu’à l’article 13.5 de la Loi et aux articles 34 et 36 des Règles (annexe 2).

 

5.         Le syndic Henry Sztern, alors que sa licence était suspendue, a antidaté des chèques le 30 novembre 2001 :

 

a) pour faire un retrait de 550 $ sur le compte en fiducie du dossier relatif à la proposition de consommateur d’Alain Germain, le 12 mars 2002 ou vers cette date; (annexes 14 et 15)

 

b) pour faire un retrait de 350 $ sur le compte en fiducie du dossier relatif à la proposition de consommateur de Benoît Kollar & Chantal Séguin, le 12 mars 2002 ou vers cette date; (annexes 14 et 16)

 

c) pour faire cinq retraits totalisant 2 095 $ sur le dossier relatif à la proposition de consommateur de Jean-Jacques Vigier & Pierrette Laprade, entre janvier 2002 et juin 2002; (annexe 10)

 

d) pour faire un retrait de 2 500 $ le 22 janvier 2002 ou vers cette date et un retrait de 850 $ le 25 janvier 2002 ou vers cette date sur le compte en fiducie du dossier de faillite de Service de Mini‑Remorque H.C.H. Inc.; (annexes 13 et 19)

 

e) pour faire un retrait de 6 000 $ le 4 avril 2002 ou vers cette date et un retrait de 5 000 $ le 5 avril 2002 ou vers cette date sur le compte en fiducie du dossier de faillite de 176984 Canada Inc.; (annexe 20)

 

contrevenant ainsi à l’article 13.5 de la Loi et aux articles 45 et 48 des Règles.

 

E.         Sommes non déposées dans des comptes en fiducie d’actifs et d’insolvabilité

7.         Entre 1999 et avril 2003, les syndics n’ont pas déposé dans une banque toutes les sommes reçues pour le compte de chaque actif du compte en fiducie, sommes qui totalisaient 89 782,43 $ reçues dans 183 dossiers d’administration sommaire, et 43 648,62 $ reçues dans 42 dossiers relatifs à des propositions de consommateur, contrevenant ainsi aux paragraphes 5(5) et 25(1) de la Loi et aux alinéa 3b), 4(1)a) et 4(1)b) de l’Instruction n° 5 du surintendant des faillites sur les fonds d’actifs et les procédures bancaires, émise le 17 novembre 1994 (annexe 22).

 

F.         Sommes reçues à titre d’indemnisation et non déposées dans un compte approprié

            8.         Le syndic n’a pas déposé les sommes reçues à titre d’indemnisation :

- une somme de 2 000 $ reçue dans l’affaire de la faillite de Pisos Inc., le 24 octobre 2001 ou vers cette date; (annexes 23, 25, 26 et 27)

 

- une somme de 1 500 $ reçue le 22 octobre 2001 ou vers cette date, et une somme de 2 000 $ reçue le 24 octobre 2001 ou vers cette date, dans l’affaire de la faillite de Création Liboria Ltée; (annexes 24, 25, 26 et 27)

 

dans le compte en fiducie bancaire de l’actif, dans un compte bancaire distinct clairement désigné à cette fin ou dans un compte en fiducie bancaire distinct contenant l’ensemble de tous ces fonds détenus, contrevenant ainsi aux paragraphes 5(5) et 25(1) de la Loi et aux articles 16 et 17 de l’Instruction n° 5R du surintendant des faillites concernant les dépôts et garanties de tierces personnes.

 

G.        Faillite de Linh Khan Nguyen

9.         En avril 1998, les syndics ont fait un retrait non autorisé de 84 000 $ sur le compte en fiducie de l’actif de Linh Khan Nguyen, contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexes 28 et 29).

 

H.        Faillite de L.C.T. Metal Inc.

10.       Entre les mois de janvier 2000 et mai 2000, les syndics ont fait des retraits non autorisés totalisant 32 522,88 $ (y compris les taxes) sur le compte en fiducie de l’actif de L.C.T. Metal Inc., contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexes 30 et 31).

 

I.          Faillite de 176984 Canada Inc.

11.       Entre les mois d’août 1993 et mai 2002, les syndics ont fait des retraits non autorisés totalisant 82 018,89 $ (y compris les taxes) sur le compte en fiducie de l’actif de 176984 Canada Inc., contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexe 32).

 

J.          Faillite de Meco Limited

12.       Entre les mois de février 1992 et février 2001, les syndics ont fait huit paiements totalisant 173 105,59 $ à l’avocat de l’actif, depuis le compte en fiducie de l’actif de Meco Limited, sans au préalable présenter leur mémoire de frais à la cour pour taxation, contrevenant ainsi au paragraphe 197(4) de la Loi et au paragraphe 18(1) des Règles (annexes 33, 34 et 35).

 

13.       Le 7 juillet 1998 ou vers cette date, les syndics ont télégraphié un paiement de 446 499,04 $ à « LORNE GOLDMAN EN FIDUCIE » depuis le compte en fiducie de l’actif de Meco Limited, alors même que le mémoire de frais de cet avocat n’a été taxé par ordonnance qu’en date du 20 décembre 2000, contrevenant ainsi aux paragraphes 25(1.3), 25(2) et 197(4) de la Loi (annexes 35 et 36).

 

14.       Le 13 février 2001 ou vers cette date, les syndics ont déposé dans leur compte n° 0301637, « HENRY SZTERN & ASSOCIES ENR. », 42 remboursements de TPS (crédits de taxe sur les intrants) émis au nom du débiteur, Meco Limited, et totalisant 52 145,03 $, au lieu de déposer ces remboursements dans le compte en fiducie de l’actif, contrevenant ainsi aux paragraphes 25(1) et 25(3) de la Loi (annexe 37, page 5, et annexes 44 et 49).

 

15.       Entre les mois de janvier 1999 et mars 2001, les syndics ont fait des retraits non autorisés totalisant 492 957,82 $ (y compris les taxes), dont la somme de 440 812,79 $ sur le compte en fiducie de l’actif de Meco Limited, et la somme de 52 145,03 $ sur des sommes déposées dans un compte n° 0301637 ouvert au nom de « H. SZTERN & ASSOCIES ENR. », contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexe 37, pages 4-5 et 14, et annexes 44 et 49).

 

16.       Les syndics ont signé de faux procès-verbaux d’une réunion d’inspecteurs, datés de janvier 1999, et se sont associés à deux autres faux procès-verbaux de réunions d’inspecteurs, datés du 16 février 1999 et du 1er avril 1999, et se sont servis de tels procès-verbaux pour retirer des honoraires totalisant 212 658,51 $ (y compris les taxes) sur le compte en fiducie de l’actif de Meco Limited, contrevenant ainsi à l’article 13.5 de la Loi et aux articles 36 et 45 des Règles (annexe 37, page 5 et annexe 44).

 

K.        Faillite d’Eric Lacroix

17.       Entre les mois de juin 2000 et octobre 2001, les syndics ont fait des retraits non autorisés totalisant 18 133,73 $ (y compris les taxes) sur le compte en fiducie de l’actif de Eric Lacroix, contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexe 37, pages 6 et 7, et annexes 45 et 49).

 

L.         Faillite de 9084-8144 Québec Inc.

18.       Le 12 décembre 2002 ou vers cette date, les syndics ont fait un transfert non autorisé de 20 000 $, du compte en fiducie de l’actif de 9084-8144 Québec Inc. à leur compte n  0301637, « H. SZTERN & ASSOCIES ENR. », contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexe 37, page 8 et annexes 46 et 49).

 

 

M.        Faillite de Service de Mini-Remorque H.C.H. Inc.

19.       Entre les mois de février 2001 et février 2002, les syndics ont fait des retraits non autorisés totalisant 46 107,40 $ (y compris les taxes) sur le compte en fiducie de l’actif de Service de Mini-Remorque H.C.H. Inc., contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexe 37, pages 9 et 10, et annexes 47 et 49).

 

N.        Faillite de Kenneth Roy Sinclair

20.       Entre les mois de juillet 2000 et mars 2001, les syndics ont fait des retraits non autorisés totalisant 77 423,67 $ (y compris les taxes) sur le compte en fiducie de l’actif de Kenneth Roy Sinclair, contrevenant ainsi au paragraphe 25(1.3) de la Loi (annexe 37, pages 10 et 11, et annexes 48 et 49).

 

O.        Présentation de relevés bancaires falsifiés au séquestre officiel

22.       Le syndic Henry Sztern, dans les dossiers suivants relatifs à des propositions de consommateurs :

                       

Richard Archambault & Andrée Jean (41-235334/35),

                        Michel Jobin & Diane Bouchard Jobin (41-240676/77),

                        Denis Dufour & Linda Bouchard (41-241615/16),

                        Marcel Lavoie (41-270213),

 

a falsifié des relevés bancaires pour la période allant du 29 novembre 2001 au 31 décembre 2002, dont des copies ont été présentées le 19 février 2003 à des représentants du Bureau du surintendant des faillites, contrevenant ainsi à l’article 13.5 de la Loi et aux articles 36, 39 et 45 des Règles (annexe 38).

 

23.       Le syndic a télécopié, le 5 mars 2003 ou vers cette date, des relevés bancaires falsifiés à des représentants du Bureau du surintendant des faillites dans les dossiers suivants relatifs à des propositions de consommateurs :

 

                        Rachel Chartrand (41-240055), (annexes 39 et 40)

Michel Jobin & Diane Bouchard Jobin (41-240676/77), (annexes 38 et 39)

Marcel Lavoie (41-270213), (annexes 38 et 39)

                        Bernard Séguin (41-230928), (annexes 39 et 40)

Richard Archambault & Andrée Jean (41-235334/35), (annexes 38 et 39)

Rémi Dumais & France Beauregard (41-239883/84), (annexes 39 et 42)

 

contrevenant ainsi à l’article 13.5 de la Loi et aux articles 36, 39 et 45 des Règles.

 

24.  Le syndic a télécopié, le 21 mars 2003 ou vers cette date, à des représentants du Bureau du surintendant des faillites, des relevés bancaires falsifiés dans le dossier relatif à la proposition de consommateur de Denis Dufour et Linda Bouchard, contrevenant ainsi à l’article 13.5 de la Loi et aux articles 36, 39 et 45 des Règles. (annexe 43)

 

[12]           En résumé, l’avis écrit de l’analyste principale précisait que les demandeurs, alors qu’ils détenaient une licence de syndic : avaient utilisé un système de comptabilité faux et trompeur; avaient fait des retraits non autorisés; avaient fait des retraits d’espèces, contrevenant ainsi au paragraphe 25(2) de la Loi; n’avaient pas déposé des sommes dans des comptes en fiducie; avaient fait plusieurs retraits non autorisés sur les comptes en fiducie de plusieurs actifs et avaient falsifié des relevés bancaires; enfin, Henry Sztern avait exercé ses pouvoirs de syndic alors que sa licence était suspendue.

 

[13]           L’analyste principale a recommandé que les licences des demandeurs soient annulées et que les demandeurs restituent les sommes soustraites dans 14 dossiers, pour un total de 1 899 173,86 $. Ces recommandations ont été modifiées en novembre 2005 par la suppression de cinq recommandations de restitution, un recours civil ayant été déposé par le syndic de tutelle contre les demandeurs devant la Cour supérieure de Montréal, recours qui était fondé sur la même cause d’action (« action en récupération de deniers »).

 

[14]           Le 1er novembre 2005, le BSF a décidé qu’une audience disciplinaire aurait lieu, et les pouvoirs et fonctions ont été délégués à l’honorable Lawrence A. Poitras. L’honorable Poitras a demandé d’être relevé de sa charge et a rétrocédé cette délégation de pouvoirs en février 2006. Le BSF a alors délégué les pouvoirs et fonctions à l’honorable André Deslongchamps (le délégué).

 

[15]           Les parties ont tenu une première conférence préparatoire le 19 avril 2006. Le demandeur a sollicité l’autorisation de procéder à un interrogatoire préalable, mais sa requête a été refusée par le délégué.

 

[16]           Le 15 mai 2006, le demandeur a déposé une requête pour obtenir des détails. Dans les 30 jours suivants, des documents additionnels lui ont été remis par l’analyste principale.

 

[17]           En juillet 2006, le demandeur a déposé une requête en radiation d’allégations, qui a été rejetée par le délégué le 26 février 2008.

 

[18]           En avril 2007, le demandeur a déposé une requête en vue d’obtenir les services d’un interprète, mais cette requête a été rejetée par le délégué le 2 octobre 2007.

 

[19]           En avril 2007, le demandeur a déposé une requête dans laquelle il soutenait qu’il avait des raisons de croire que le délégué était en situation de conflit d’intérêts et qu’il y avait des motifs raisonnables de craindre sa partialité. La requête a été rejetée par le délégué le 5 juin 2007. Le demandeur a sollicité l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire de cette décision, mais l’autorisation lui a été refusée par la Cour le 7 février 2008.

 

[20]           L’audience disciplinaire comme telle a débuté le 12 février 2008. Il y a eu 18 jours d’audience et 16 témoins ont été entendus. Henry Sztern se représentait lui-même, et Henry Sztern & Associés Inc. n’était pas représentée. Henry Sztern a témoigné, mais il n’a pas cité de témoins. L’audience a pris fin le 3 juin 2008, et les parties ont été invitées à présenter leurs conclusions par écrit.

 

[21]           Le 15 décembre 2008, le délégué a rendu sa décision, qui a été traduite par le BSF le 3 février 2009. Le 10 janvier 2009, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire en vue de faire annuler la décision du délégué.

 

La décision contestée

[22]           Le délégué écrivait que la procédure était de nature disciplinaire et que les infractions alléguées avaient été par le passé assimilées par les tribunaux à des infractions quasi pénales. La reconnaissance de la nature quasi pénale de la preuve et de l’audience tenue devant le délégué ne rendait pas inopérant le paragraphe 14.02(2) de la Loi. L’application de cette disposition est  subordonnée aux règles de la justice naturelle (Perrier c. Canada (Surintendant des faillites), (1995), 93 F.T.R. 127, 55 A.C.W.S. (3d) 902). Le délégué écrivait que c’est aux demandeurs qu’il appartenait de réfuter les allégations ou les infractions allégués dans le rapport de l’analyste principale.

 

[23]           Par ailleurs, saisi d’une requête des demandeurs en rejet des allégations, le délégué a conclu le 26 février 2008 que la nature disciplinaire et/ou quasi pénale des allégations assujettissait l’analyste principale à une obligation de communication ou d’information et que cette obligation avait été remplie.

 

[24]           Henry Sztern s’est objecté en vertu du paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C.-5 (la LPC), et en vertu de l’article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte), en alléguant un possible témoignage incriminant dans le fait de répondre à une question précise se rapportant à une infraction précise (K.17).

 

[25]           Dans l’arrêt R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, au paragraphe 22, la Cour suprême du Canada, examinant l’application de la Charte, écrivait que l’article 13, qui avait été adopté pour élargir le champ de la protection conférée par l’article 5 de la LPC, a pour objet « de protéger les individus contre l’obligation indirecte de s’incriminer ». En revanche, la Cour suprême avait auparavant conclu qu’il existait une distinction entre le fait d’attaquer la crédibilité d’un témoin et le fait de l’obliger à s’incriminer, distinction qui était devenue inutilement et indûment complexe et formaliste (R. c. Mannion, [1986] 2 R.C.S. 272, 69 N.R. 189). L’objection de Henry Sztern a été rejetée, le délégué ayant noté l’existence de deux témoignages spontanés, l’un produit devant lui durant un contre-interrogatoire, et l’autre produit devant la Cour supérieure. Il a conclu que l’unique objet du contre-interrogatoire dans la présente instance était d’attaquer la crédibilité de Henry Sztern.

 

[26]           Le délégué a analysé le modus operandi des demandeurs et a relevé que seul Henry Sztern signait les chèques. Certaines opérations bancaires se faisaient par « notes de débit » envoyées à la Banque Toronto-Dominion (la Banque TD). Ces chèques et ces « notes de débit » servaient à effectuer des transferts d’honoraires à partir de « comptes en fiducie » ouverts pour chacun des débiteurs. Les sommes étaient transférées soit au compte bancaire de Henry Sztern & Associés Inc. (n° 301637), soit au compte personnel de Henry Sztern (n° 860407).

 

[27]           Le délégué a fait ensuite une analyse approfondie de chacune des 35 infractions alléguées. Il a été persuadé, au vu de l’ensemble de la preuve produite, que Henry Sztern & Associés Inc. et Henry Sztern en personne avaient passé outre aux dispositions de la Loi et des Règles. En donnant à leurs employés des directives comptables suspectes ou illégales, les demandeurs avaient sciemment converti à leur propre usage d’importantes sommes d’argent, sans se soucier de ceux à qui ils devaient rendre des comptes. Le délégué a conclu que, par leurs actes, ils avaient fait peu de cas des normes élevées de déontologie qui s’imposaient à eux et qui sont d’une importance primordiale pour le maintien de la confiance du public dans l’application de la Loi (article 34 des Règles). Ils ont utilisé des subterfuges et des documents falsifiés, en sachant qu’ils étaient faux, afin de dissimuler le véritable état des dossiers dont ils avaient la responsabilité en application de la Loi et des Règles.

 

[28]           Le délégué a estimé que, compte tenu de la preuve accablante qui lui avait été soumise, il ne faisait aucun doute que les demandeurs avaient connaissance des irrégularités entachant les transferts de fonds. De l’avis du délégué, les demandeurs avaient systématiquement anticipé leurs honoraires à venir, sans les autorisations nécessaires qu’ils devaient, en vertu de la Loi et des Règles, obtenir des inspecteurs ou de la Cour.

 

[29]           Le délégué a aussi fait observer qu’il n’y avait eu aucune demande de renouvellement des licences de syndic de Henry Sztern et de Henry Sztern & Associés Inc.

 

[30]           Le délégué n’a pas accordé beaucoup de valeur au témoignage de Henry Sztern, car selon lui son témoignage et ses explications étaient remplis d’inexactitudes. Ses hésitations à admettre des preuves documentaires et ses fréquents trous de mémoire à propos de telle ou telle opération portaient atteinte à sa crédibilité. Le délégué a trouvé aussi que le demandeur tentait de rejeter la responsabilité sur ses employés.

 

[31]           Le délégué a conclu qu’il devrait y avoir restitution aux actifs des dossiers examinés à la date à laquelle le syndic de tutelle avait pris possession des dossiers le 14 avril 2003, et en accord avec la procédure introduite devant la Cour supérieure de Montréal, et avec l’issue de cette procédure. Le délégué a annulé la licence de syndic de Henry Sztern & Associés Inc., il a annulé la licence de syndic de Henry Sztern et il a suspendu sa décision sur les autres pénalités demandées par l’analyste principale.

 

Points litigieux

[32]           Les demandeurs soulèvent de nombreux points, qui peuvent être résumés ainsi :

1.      Quelle norme de contrôle est applicable à la décision du délégué?

2.      Le délégué a-t-il commis une erreur en ne communiquant pas la preuve pertinente et en se montrant partial et/ou en manquant aux principes de justice naturelle?

3.      La décision du délégué d’annuler les licences des demandeurs était-elle raisonnable?

 

Dispositions légales applicables

[33]           Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 :

Décision relative à la licence

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une investigation ou une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l’une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif, soit lorsqu’il n’a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l’actif, soit lorsqu’il est dans l’intérêt public de le faire :

 

a) annuler ou suspendre la licence du syndic;

 

 

 

 

b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées, et notamment l’obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;

 

c) ordonner au syndic de rembourser à l’actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite;

 

 

d) ordonner au syndic de prendre toute mesure qu’il estime indiquée et que celui-ci a agréée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Application aux anciens syndics

(1.1) Dans la mesure où ils sont applicables, le présent article et l’article 14.02 s’appliquent aux anciens syndics avec les adaptations nécessaires.

 

 

Délégation

(2) Le surintendant peut, par écrit et aux conditions qu’il précise dans cet écrit, déléguer tout ou partie des attributions que lui confèrent respectivement le paragraphe (1), les paragraphes 13.2(5), (6) et (7) et les articles 14.02 et 14.03.

 

Notification

(3) En cas de délégation aux termes du paragraphe (2), le surintendant ou le délégué doit :

 

 

 

a) dans la mesure où la délégation vise les syndics en général, en aviser tous les syndics par écrit;

 

b) en tout état de cause, aviser par écrit, avant l’exercice du pouvoir qui fait l’objet de la délégation ou lors de son exercice, tout syndic qui pourrait être touché par l’exercice de ce pouvoir.

Decision affecting licence

14.01 (1) If, after making or causing to be made an inquiry or investigation into the conduct of a trustee, it appears to the Superintendent that

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) a trustee has not properly performed the duties of a trustee or has been guilty of any improper management of an estate,

 

(b) a trustee has not fully complied with this Act, the General Rules, directives of the Superintendent or any law with regard to the proper administration of any estate, or

 

 

(c) it is in the public interest to do so,

 

the Superintendent may do one or more of the following:

 

(d) cancel or suspend the licence of the trustee;

 

(e) place such conditions or limitations on the licence as the Superintendent considers appropriate including a requirement that the trustee successfully take an exam or enrol in a proficiency course;

 

(f) require the trustee to make restitution to the estate of such amount of money as the estate has been deprived of as a result of the trustee’s conduct; and

 

(g) require the trustee to do anything that the Superintendent considers appropriate and that the trustee has agreed to.

 

 

 

Application to former trustees

(1.1) This section and section 14.02 apply, in so far as they are applicable, in respect of former trustees, with such modifications as the circumstances require.

 

Delegation

(2) The Superintendent may delegate by written instrument, on such terms and conditions as are therein specified, any or all of the Superintendent’s powers, duties and functions under subsection (1), subsection 13.2(5), (6) or (7) or section 14.02 or 14.03.

 

Notification to trustees

(3) Where the Superintendent delegates in accordance with subsection (2), the Superintendent or the delegate shall

 

(a) where there is a delegation in relation to trustees generally, give written notice of the delegation to all trustees; and

 

(b) whether or not paragraph (a) applies, give written notice of the delegation of a power to any trustee who may be affected by the exercise of that power, either before the power is exercised or at the time the power is exercised.

 

 

Avis au syndic

14.02 (1) Avant de décider de prendre l’une ou plusieurs des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la ou des mesures qu’il peut prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

 

 

 

Convocation de témoins

(1.1) Il peut, aux fins d’audition, convoquer des témoins par assignation leur enjoignant :

 

 

a) de comparaître aux date, heure et lieu indiqués;

 

b) de témoigner sur tous faits connus d’eux se rapportant à l’investigation ou à l’enquête sur la conduite du syndic;

 

 

c) de produire tous livres, registres, données, documents ou papiers, sur support électronique ou autre, qui se rapportent à l’investigation ou à l’enquête et dont ils ont la possession ou la responsabilité.

 

 

 

Effet

(1.2) Les assignations visées au paragraphe (1.1) ont effet sur tout le territoire canadien.

 

 

Frais et indemnité

(1.3) Toute personne assignée reçoit les frais et indemnités accordés aux témoins assignés devant la Cour fédérale.

 

 

 

Procédure de l’audition

(2) Lors de l’audition, le surintendant :

 

a) peut faire prêter serment;

 

 

b) n’est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve;

 

c) règle les questions exposées dans l’avis d’audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l’équité;

 

 

 

d) fait établir un résumé écrit de toute preuve orale.

 

 

Dossier et audition

(3) L’audition et le dossier de l’audition sont publics à moins que le surintendant ne juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle que, en l’espèce, l’intérêt d’un tiers ou l’intérêt public l’emporte sur le droit du public à l’information. Le dossier de l’audition comprend l’avis prévu au paragraphe (1), le résumé de la preuve orale visé à l’alinéa (2)d) et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

 

 

 

 

 

 

Décision

(4) La décision du surintendant est rendue par écrit, motivée et remise au syndic dans les trois mois suivant la clôture de l’audition, et elle est publique.

 

 

 

 

 

Examen de la Cour fédérale

(5) La décision du surintendant, rendue et remise conformément au paragraphe (4), est assimilée à celle d’un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d’examen et d’annulation prévu à la Loi sur les Cours fédérales.

Notice to trustee

14.02 (1) Before deciding whether to exercise any of the powers referred to in subsection 14.01(1), the Superintendent shall send the trustee written notice of the powers that the Superintendent may exercise and the reasons why they may be exercised and afford the trustee a reasonable opportunity for a hearing.

Summons

(1.1) The Superintendent may, for the purpose of the hearing, issue a summons requiring and commanding any person named in it

 

(a) to appear at the time and place mentioned in it;

 

(b) to testify to all matters within their knowledge relative to the subject matter of the inquiry or investigation into the conduct of the trustee; and

 

(c) to bring and produce any books, records, data, documents or papers — including those in electronic form — in their possession or under their control relative to the subject matter of the inquiry or investigation.

 

 

Effect throughout Canada

(1.2) A person may be summoned from any part of Canada by virtue of a summons issued under subsection (1.1).

 

Fees and allowances

(1.3) Any person summoned under subsection (1.1) is entitled to receive the like fees and allowances for so doing as if summoned to attend before the Federal Court.

 

Procedure at hearing

(2) At a hearing referred to in subsection (1), the Superintendent

(a) has the power to administer oaths;

 

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting the hearing;

 

(c) shall deal with the matters set out in the notice of the hearing as informally and expeditiously as the circumstances and a consideration of fairness permit; and

 

(d) shall cause a summary of any oral evidence to be made in writing.

 

Record

(3) The notice referred to in subsection (1) and, where applicable, the summary of oral evidence referred to in paragraph (2)(d), together with such documentary evidence as the Superintendent receives in evidence, form the record of the hearing and the record and the hearing are public, unless the Superintendent is satisfied that personal or other matters that may be disclosed are of such a nature that the desirability of avoiding public disclosure of those matters, in the interest of a third party or in the public interest, outweighs the desirability of the access by the public to information about those matters.

 

Decision

(4) The decision of the Superintendent after a hearing referred to in subsection (1), together with the reasons therefor, shall be given in writing to the trustee not later than three months after the conclusion of the hearing, and is public.

 

Review by Federal Court

(5) A decision of the Superintendent given pursuant to subsection (4) is deemed to be a decision of a federal board, commission or other tribunal that may be reviewed and set aside pursuant to the Federal Courts Act.

 

Mesures conservatoires

14.03 (1) Pour assurer la sauvegarde d’un actif ou des droits des créanciers ou du débiteur, le surintendant peut, sous réserve du paragraphe (2) :

 

a) donner instruction à quiconque de s’occuper des biens de l’actif visé dans les instructions conformément aux modalités qui y sont indiquées, notamment d’en continuer l’administration;

 

 

b) donner instruction à quiconque de prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la sauvegarde des livres, registres, données sur support électronique ou autre, et documents de l’actif;

 

c) donner instruction à une banque ou autre dépositaire de ne faire aucun paiement sur les fonds détenus au crédit de cet actif, si ce n’est conformément à l’instruction;

 

d) donner instruction au séquestre officiel de ne plus nommer le syndic en cause pour administrer de nouveaux actifs tant qu’une décision n’est pas rendue au titre des paragraphes 13.2(5) ou 14.01(1).

 

Circonstances

(2) Le surintendant peut exercer les pouvoirs visés au paragraphe (1) dans les circonstances suivantes :

 

a) le décès, la destitution ou l’empêchement du syndic responsable de l’actif;

 

b) la tenue des investigations ou des enquêtes prévues à l’alinéa 5(3)e);

 

 

c) l’exercice par lui des pouvoirs visés à l’article 14.01;

 

 

d) le défaut de paiement de droits prévus au paragraphe 13.2(2) à l’égard de la licence du syndic;

 

e) l’insolvabilité du syndic;

 

f) le syndic a été reconnu coupable d’un acte criminel dont la nature, selon lui, le rend inapte à agir comme fiduciaire ou il n’a pas observé l’une des conditions ou restrictions de sa licence;

 

 

 

 

 

g) le fait qu’il envisage d’annuler la licence du syndic au titre des alinéas 13.2(5)c) ou d).

 

 

 

Teneur et effet des instructions

(3) Les instructions énoncent la disposition législative conformément à laquelle elles sont données, lient leur destinataire et font pleinement foi de leur contenu en faveur de leur destinataire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Suppression de la responsabilité

(4) Quiconque obtempère aux instructions données en application du paragraphe (1) échappe à toute responsabilité pour les actes posés dans le seul but de s’y conformer.

Conservatory measures

14.03 (1) Subject to subsection (2), the Superintendent may, for the protection of an estate, the rights of the creditors or the debtor,

 

(a) direct a person to deal with property of the estate described in the direction in such manner as may be indicated in the direction, including the continuation of the administration of the estate;

 

 

(b) direct any person to take such steps as the Superintendent considers necessary to preserve the books, records, data, including data in electronic form, and documents of the estate;

 

(c) direct a bank or other depository not to pay out funds held to the credit of the estate except in accordance with the direction; and

 

 

(d) direct the official receiver not to appoint the trustee in respect of any new estates until a decision is made under subsection 13.2(5) or 14.01(1).

 

 

 

Circumstances

(2) The circumstances in which the Superintendent is authorized to exercise the powers set out in subsection (1) are where

 

(a) an estate is left without a trustee by the death, removal or incapacity of the trustee;

 

(b) the Superintendent makes or causes to be made any inquiry or investigation under paragraph 5(3)(e);

 

(c) the Superintendent exercises any of the powers set out in section 14.01;

 

(d) the fees referred to in subsection 13.2(2) have not been paid in respect of the trustee’s licence;

 

(e) a trustee becomes insolvent;

 

(f) a trustee has been found guilty of an indictable offence that, in the Superintend­ent’s opinion, is of a character that would impair the trustee’s capacity to perform the trustee’s fiduciary duties, or has failed to comply with any of the conditions or limitations to which the trustee’s licence is subject; or

 

(g) a circumstance referred to in paragraph 13.2(5)(c) or (d) exists and the Superintendent is considering cancelling the licence under subsection 13.2(5).

 

Contents and effect of direction

(3) A direction given pursuant to subsection (1)

 

(a) shall state the statutory authority pursuant to which the direction is given;

 

(b) is binding on the person to whom it is given; and

 

(c) is, in favour of the person to whom it is given, conclusive proof of the facts set out therein.

 

Liability ceases on compliance

(4) A person who complies with a direction given pursuant to subsection (1) is not liable for any act done by the person only to comply with the direction.

 

[34]           Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C.-5 :

Questions incriminantes

5. (1) Nul témoin n’est exempté de répondre à une question pour le motif que la réponse à cette question pourrait tendre à l’incriminer, ou pourrait tendre à établir sa responsabilité dans une procédure civile à l’instance de la Couronne ou de qui que ce soit.

 

Réponse non admissible contre le témoin

(2) Lorsque, relativement à une question, un témoin s’oppose à répondre pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l’incriminer ou tendre à établir sa responsabilité dans une procédure civile à l’instance de la Couronne ou de qui que ce soit, et si, sans la présente loi ou toute loi provinciale, ce témoin eût été dispensé de répondre à cette question, alors, bien que ce témoin soit en vertu de la présente loi ou d’une loi provinciale forcé de répondre, sa réponse ne peut être invoquée et n’est pas admissible en preuve contre lui dans une instruction ou procédure pénale exercée contre lui par la suite, sauf dans le cas de poursuite pour parjure en rendant ce

 

 

témoignage ou pour témoignage contradictoire.

Incriminating questions

5. (1) No witness shall be excused from answering any question on the ground that the answer to the question may tend to criminate him, or may tend to establish his liability to a civil proceeding at the instance of the Crown or of any person.

 

 

Answer not admissible against witness

(2) Where with respect to any question a witness objects to answer on the ground that his answer may tend to criminate him, or may tend to establish his liability to a civil proceeding at the instance of the Crown or of any person, and if but for this Act, or the Act of any provincial legislature, the witness would therefore have been excused from answering the question, then although the witness is by reason of this Act or the provincial Act compelled to answer, the answer so given shall not be used or admissible in evidence against him in any criminal trial or other criminal proceeding against him thereafter taking place, other than a prosecution for perjury in

 

 

the giving of that evidence or

for the giving of contradictory evidence.

 

 

[35]           Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) :

Affaires criminelles et pénales

 

11. Tout inculpé a le droit :

 

 

[...]

c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;

 

d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;

[...]

Proceedings in criminal and penal matters

11. Any person charged with an offence has the right

 

...

(c) not to be compelled to be a witness in proceedings against that person in respect of the offence;

 

 

(d) to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal;

 

...

 

Témoignage incriminant

13. Chacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.

Self-crimination

13. A witness who testifies in any proceedings has the right not to have any incriminating evidence so given used to incriminate that witness in any other proceedings, except in a prosecution for perjury or for the giving of contradictory evidence.

 

 

Questions préliminaires

[36]           Avant d’entendre les conclusions des deux parties, la Cour a examiné plusieurs questions préliminaires soulevées par le défendeur dans son mémoire :

 

1. Le défendeur a porté à l’attention de la Cour le fait que les demandeurs avaient désigné, comme défenderesse, Sylvie Laperrière en sa qualité d’analyste principale du Bureau du surintendant des faillites. Le défendeur disait que le défendeur désigné devrait être le procureur général du Canada et que l’intitulé de la cause devrait être modifié en conséquence. La Cour a reconnu que le procureur général du Canada devrait être désigné comme défendeur, plutôt que Sylvie Laperrière en sa qualité d’analyste principale du Bureau du surintendant des faillites, et cela en vertu du paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et ses modifications.

2.   Le défendeur a aussi relevé que l’exposé des faits et du droit déposé par les demandeurs dépasse les 30 pages autorisées par l’article 70 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Cependant, la Cour a fait observer qu’une ordonnance du 5 mai 2009 rendue par le protonotaire Morneau avait autorisé à titre exceptionnel le dépôt de l’exposé des faits et du droit des demandeurs.

3.   Le défendeur alléguait finalement que les pièces E-1 à E-8 produites par les demandeurs étaient irrecevables et devraient être radiées du dossier parce qu’elles ne faisaient pas partie du dossier du tribunal et qu’elles auraient dû être présentées dans une requête en production d’éléments supplémentaires. La Cour a indiqué qu’elle n’était pas disposée, à ce stade préliminaire, à radier du dossier les pièces susmentionnées. La question est donc examinée dans la décision de la Cour, aux paragraphes 45 à 49.

1.         Quelle norme de contrôle est applicable à la décision du délégué?

[37]           La Cour reconnaît avec le défendeur que, avant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable à un rapport disciplinaire et à une décision concernant la sanction imposée par le surintendant des faillites (ou son délégué) était celle de la décision raisonnable simpliciter (Roy c. Poitras, 2006 CF 1386, 306 F.T.R. 83, paragraphes 19 à 21; voir aussi Sheriff c. Canada (Surintendant des faillites), 2005 CF 305, 137 A.C.W.S. (3d) 1102) (Sheriff (CF)).

 

[38]           Puisque le principal point soulevé par les demandeurs est la prétendue absence d’appréciation des faits allégués comme preuve et le fait que le délégué n’aurait pas tenu compte de la preuve et des témoignages pour arriver à sa décision, la Cour dit que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[39]           Cependant, la Cour d'appel fédérale écrivait, au paragraphe 24 de l’arrêt Sheriff c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 139, [2007] 1 R.C.F. 3 (Sheriff (CAF)), qu’il existe une obligation d’équité en common law dans les procédures relevant des articles 14.01 et 14.02 de la Loi. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à la question de la communication de la preuve est celle de la décision correcte (voir l’arrêt Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221, paragraphe 65).

 

[40]           La norme de contrôle applicable aux questions de droit telles que le champ de l’équité procédurale, y compris les garanties procédurales, l’objectivité du processus d’enquête et la prétendue partialité du décideur est celle de la décision correcte (Sam Lévy & Associés Inc. c. Mayrand, 2005 CF 702, [2006] 2 R.C.F. 543 (Lévy (CF)), conf. par Sam Lévy & Associés Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), 2006 CAF 205, 359 N.R. 145) (Lévy (CAF)).

 

2.         Le délégué a-t-il commis une erreur en ne communiquant pas la preuve pertinente et matérielle et en se montrant partial et/ou en manquant aux principes de justice naturelle?

 

[41]           Après avoir déposé leur avis de demande dans la présente instance, les demandeurs ont découvert de nouveaux éléments de preuve (déposés comme pièces E-1 à E-8 de leur exposé des faits et du droit), qui ont été trouvés en février 2009 lors de l’examen des volumes de preuve découverts par la GRC durant l’instance criminelle. Selon les demandeurs, ces nouveaux éléments de preuve confirment que l’analyste principale et son témoin clé, Lynda Lalande, représentante du syndic de tutelle, ont sciemment dissimulé des éléments essentiels qui contredisent de nombreuses allégations non fondées de l’analyste principale.

 

[42]           Selon les demandeurs, le délégué a commis une erreur en passant sous silence l’arrêt Sheriff (CAF), où la Cour d'appel fédérale a jugé que la juridiction de première instance avait erré en disant que les principes de l’arrêt Stinchcombe (R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, 130 N.R. 277) ne s’appliquaient pas dans la mesure où ils concernaient l’obligation de communication intégrale dans les affaires régies par la Loi.

 

[43]           Les demandeurs affirment aussi que la non-communication prétendument intentionnelle de ces preuves confirme également que Lynda Lalande et Sylvie Laperrière, en tant que fonctionnaires judiciaires, ont toutes deux produit de faux témoignages, entravé la justice et contrevenu à toutes les règles de déontologie qu’elles devaient observer.

 

[44]           Les demandeurs affirment en outre que le délégué s’est également trompé lorsqu’il a rejeté sommairement la requête en radiation d’allégations qu’ils avaient déposée pour absence de détails et absence de communication intégrale de la preuve par l’analyste principale. Ce faisant, le délégué avait privé Henry Sztern de son droit à une défense pleine et entière. Le demandeur affirme que de nombreux documents et de nombreux éléments fautivement admis comme preuve n’ont été déposés que durant la procédure qui s’est déroulée devant le délégué. Le demandeur dit qu’on ne lui a pas donné l’occasion d’examiner tous les documents.

 

[45]           Durant l’audience tenue devant la Cour, les demandeurs ont souligné que la non-communication de documents pertinents atteste une partialité évidente et manifeste de la part de l’analyste principale et du syndic de tutelle, qui ont tous deux, en tant que fonctionnaires judiciaires, l’obligation de communiquer avec sincérité et impartialité toute l’information pertinente et de produire leurs témoignages avec impartialité et franchise.

 

[46]           Comme il est indiqué ci-dessus au paragraphe 36(3), le défendeur a répondu que les nouveaux éléments de preuve (pièces E-1 à E-8) produits par les demandeurs sont irrecevables et devraient être radiés du dossier, car ces pièces ne font pas partie du dossier du tribunal. Le défendeur a fait valoir que les nouveaux éléments de preuve auraient dû faire l’objet d’une requête en production d’éléments supplémentaires.

[47]           La Cour reconnaît que les demandeurs doivent avoir accès à toutes les pièces pertinentes susceptibles de les servir. L’analyste principale avait l’obligation de communiquer tous les documents dans la mesure où ils n’étaient pas manifestement hors de propos. S’il est établi que des pièces pertinentes n’ont pas été communiquées, il faut alors se demander si la non-communication a porté atteinte au droit des demandeurs d’explorer les aspects pouvant donner matière à enquête et d’être à même de présenter une défense pleine et entière (arrêt Sheriff (CAF). Les procédures disciplinaires instituées en vertu de la Loi comportent manifestement l’obligation de communiquer pleinement la preuve aux syndics, en accord avec les principes de l’arrêt Stinchcombe.

 

[48]           Après examen du dossier, la Cour relève que les deux pages de l’« État définitif des encaissements et décaissements du syndic », daté du 15 mai 1998, c’est-à-dire les pièces E-7 et E-8 du dossier des demandeurs, figurent également à l’onglet 100, dans l’annexe 32 de l’affidavit de Sylvie Laperrière, signé le 23 mars 2009 au nom du défendeur. Par ailleurs, au paragraphe 162 de sa décision, le délégué mentionne cette même « annexe 32 » produite par l’analyste principale Sylvie Laperrière. Les deux pièces E-7 et E-8 ne sont donc pas de nouveaux éléments de preuve, comme le prétendent les demandeurs.

 

[49]           Restent les pièces E-1 à E-6. Après examen de ces pièces, la Cour ne croit pas que l’analyste principale a dissimulé des informations pertinentes durant l’enquête, comme le prétendent les demandeurs. Appliquant l’arrêt Sheriff (CAF), et présumant, sans trancher la question, que (i) les pièces E‑1 à E-6 étaient pertinentes mais n’ont pas été communiquées, et (ii) une requête en production d’éléments de preuve supplémentaires n’était pas requise, la Cour est néanmoins d’avis que les autorisations signées de chacun des inspecteurs, versées comme pièces E-1 à E-6, ne constituent pas de nouveaux éléments pouvant donner matière à enquête ni ne modifient l’issue de la procédure. Le délégué n’a pas commis d’erreur ni n’a fait preuve de partialité, et la Cour juge que le défendeur, dans la présente affaire, ne s’est pas soustrait à son obligation de communiquer la preuve pertinente.

 

3.         La décision du délégué d’annuler les licences des demandeurs est-elle raisonnable?

[50]           Les demandeurs font valoir que la preuve n’était pas suffisante pour que le délégué puisse raisonnablement extrapoler et rendre jugement sur chacune des infractions reprochées par l’analyste principale aux demandeurs, et cela parce que les aspects essentiels du dossier n’ont pas été considérés et appréciés à leur juste valeur. Les demandeurs font aussi valoir que le délégué a commis une erreur parce qu’il a admis des éléments de preuve, au mépris de la LPC et des principes de justice naturelle.

 

[51]           Les demandeurs citent divers exemples où, selon eux, le délégué a commis une erreur dans son appréciation de la preuve et des témoignages. Ainsi, ils font valoir qu’il a commis une erreur de droit quand il a déclaré recevables tous les éléments de preuve, y compris les copies de prétendus imprimés de documents bancaires et les copies de relevés bancaires déposés par l’analyste principale. C’étaient là des éléments de preuve illégaux qui allaient à l’encontre de l’article 29 de la LPC et des règles de justice naturelle. Les demandeurs affirment que le délégué a extrapolé, d’une manière abusive et inexacte, en transposant l’information concernant un nombre restreint de comptes bancaires d’actifs à tous les actifs mentionnés par l’analyste principale dans ses allégations et, en conséquence, la décision du délégué est fondée sur une extrapolation fautive et elle est déraisonnable.

 

[52]           La Cour ne partage pas l’avis des demandeurs. La décision du délégué, rendue le 15 décembre 2008, porte sur tous les arguments pertinents et contient une analyse approfondie pour chacune des infractions alléguées. Le délégué a d’ailleurs évalué le niveau de crédibilité des témoins, considéré les éléments de preuve et les arguments des deux parties et appliqué les principes juridiques pertinents, avant de conclure que les infractions devraient toutes être confirmées.

 

[53]           Le délégué a en outre analysé la preuve en suivant la règle selon laquelle c’est aux demandeurs qu’il appartenait de réfuter les allégations ou les infractions alléguées, et selon laquelle il doit être persuadé que le rapport de l’analyste principale est crédible, digne de foi et exact (décision Perrier). Le délégué a reconnu les règles de justice naturelle applicables à l’audience disciplinaire, mais il a aussi reconnu qu’il devait tenir compte du paragraphe 14.02(2) de la Loi.

 

[54]           Après examen du dossier, la Cour est d’avis que la décision du délégué n’est pas déraisonnable, et qu’elle n’est pas contredite par la preuve. Le fond de la décision du délégué repose sur la crédibilité des témoins et sur l’appréciation de la preuve. Plus précisément, le délégué a conclu, aux paragraphes 41 et 42 de ses motifs, que le demandeur Henry Sztern n’était pas crédible :

Henry Sztern a bien tenté, de par son témoignage et par le contre-interrogatoire de témoins appelés par l’analyste principale, Sylvie Laperrière, de faire porter la responsabilité de l’ensemble des opérations, telles qu’elles nous ont été décrites, sur ses employés, y compris la possibilité que ses employés aient détourné, à leur propre profit, certaines des sommes d’argent.

Il n’a pas réussi. Ses nombreuses hésitations à admettre l’évidence, même de la preuve documentaire, et son manque de mémoire flagrant et fréquent concernant certaines opérations précises, tel qu’il appert de son contre-interrogatoire (transcription du 3 juin 2008, pages 66 et suivantes), font en sorte que sa crédibilité est grandement entachée.

 

[55]           Au cours de l’audience, les demandeurs ont plaidé à maintes reprises pour que la Cour procède à une réévaluation de la preuve. Qu’il suffise de dire que, dans une procédure de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer la crédibilité des témoins ou d’apprécier à nouveau la preuve documentaire déposée devant le délégué (arrêt Dunsmuir; arrêt Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, 373 N.R. 339, paragraphe 41; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12). Comme on peut le lire dans l’arrêt Dunsmuir, le contrôle judiciaire vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue.

 

[56]           Le surintendant des faillites est nommé par le gouverneur en conseil et il a pour mandat de contrôler l’administration des actifs et des affaires régies par la Loi. La Loi confère au surintendant les pouvoirs se rapportant à la délivrance des licences et à la surveillance des syndics de faillite, et elle l’autorise à enquêter sur les plaintes du public concernant les syndics. Si des manquements sont constatés dans la conduite d’un syndic, le surintendant a le droit de lui imposer des sanctions disciplinaires (articles 14.01 et 14.02 de la Loi).

 

[57]           Dans le cas présent, le surintendant, qui a légalement le pouvoir de déterminer ce qu’est la preuve et la manière dont elle sera appréciée, n’a pas commis d’erreur de droit, et sa décision était tout à fait raisonnable. À mon avis, les erreurs de droit signalées par les demandeurs ne sont pas établies, et leurs arguments sur ce point ne permettent nullement à la Cour d’intervenir et d’annuler la décision. La Cour juge donc que les conclusions du délégué étaient amplement autorisées par les faits et une preuve accablante. Il pouvait parfaitement exercer son pouvoir d’annuler les licences des demandeurs. Sa décision sur ce point n’était pas arbitraire, partiale ou déraisonnable et elle ne contenait aucune erreur susceptible de contrôle.

 

Application des articles 11 et 13 de la Charte

[58]           Au cours de l’audience tenue devant le délégué, le demandeur avait refusé de répondre à une question en alléguant une possible auto-incrimination parce que l’analyste principale s’était référée à son témoignage produit devant la Cour supérieure dans le même dossier. Les demandeurs disent que l’article 13 de la Charte concrétise en droit canadien une forme ancienne de protection légale contre l’auto-incrimination obligatoire et qu’il doit être lu en se référant à l’article 5 de la LPC. Lorsqu’un témoin qui est contraint de témoigner dans une procédure judiciaire est exposé au risque d’auto-incrimination, l’État lui offre une garantie légale et constitutionnelle contre l’emploi ultérieur de son témoignage, pour autant que ce témoignage soit complet et franc. S’il ne l’est pas, le témoin s’expose à des poursuites pour faux témoignage ou pour l’infraction connexe de témoignage contradictoire.

 

[59]           Selon les demandeurs, le délégué a confirmé dans son propre jugement, et il savait parfaitement, que la présente procédure est une procédure quasi judiciaire et que la protection prévue par la Charte s’y applique. Ils font aussi valoir que le délégué a commis une erreur quand il a conclu qu’on n’avait pas porté atteinte au paragraphe 5(2) de la LPC et à l’article 13, ainsi qu’à l’alinéa 11c) de la Charte, et ils ajoutent que le délégué s’est fondé, à tort, sur l’arrêt Henry pour fonder sa décision. Le demandeur Henry Sztern soutient n’avoir jamais dit, durant la procédure antérieure introduite devant la Cour supérieure, qu’il y avait eu prélèvements non autorisés d’honoraires. Selon lui, l’interprétation de ses propos par le délégué est fautive.

 

[60]           Pour savoir si les articles 11 et 13 de la Charte s’appliquent à la présente affaire, la Cour doit d’abord considérer les attributions du surintendant des faillites, et dire si elles sont de nature criminelle ou disciplinaire. Si elles sont de nature criminelle, la Charte s’appliquera. En revanche, si elles sont de nature disciplinaire, il s’agira ensuite de savoir si les mesures prises contre les demandeurs sont de nature criminelle ou disciplinaire. Autrement dit, la Cour doit se demander si la sanction est assimilable à une véritable conséquence pénale. La réponse à cette question permettra de dire si les articles 11 et 13 de la Charte s’appliquent à la présente affaire.

 

[61]           Dans la décision Lévy (CF), mon collègue le juge Martineau expliquait méthodiquement les attributions du surintendant des faillites. Le surintendant exerce un pouvoir général de surveillance sur l’administration des actifs et des affaires régies par la Loi, et il réglemente donc une activité professionnelle et économique. Il lui incombe de délivrer des licences aux syndics et il peut suspendre ou annuler la licence d’un syndic qui n’observe pas les règles juridiques applicables. L’intention du législateur était de garantir la protection des créanciers, et la confiance du public dans le régime des faillites et la cession des biens d’un débiteur insolvable.

 

[62]           Au paragraphe 128, le juge Martineau résumait le rôle du syndic. Il faisait observer que le syndic est un intervenant actif dans l’administration des biens et des actifs et qu’il doit se plier à des obligations légales, telles la compétence, l’honnêteté, l’impartialité, l’intégrité, la prudence et la diligence. Ces obligations « ont un caractère positif, plutôt que prohibitif (comme c’est généralement le cas en matière criminelle) ». Il expliquait aussi l’obligation pour le surintendant de suspendre ou annuler la licence d’un syndic qui ne se conforme pas aux dispositions de la Loi et, selon lui, il serait « présomptueux de vouloir assimiler les procédures disciplinaires en cause à des procédures de nature pénale ou criminelle ».

 

[63]           Finalement, le juge Martineau faisait aussi observer dans la décision Lévy (CF) que l’objet des paragraphes 14.01(1) et (2) diffère de celui d’une disposition de nature pénale ou criminelle. Il écrivait ce qui suit, au paragraphe 154 :

Si l’on examine la nature organique du tribunal, on ne peut pas comparer l’institution du Bureau du surintendant des faillites à un tribunal judiciaire, comme l’est par exemple la Cour de faillite, une division de la Cour supérieure du Québec. De plus, rappelons qu’à l’origine, les syndics étaient nommés par le gouverneur en conseil; le pouvoir de délivrer ou d’annuler une licence de syndic n’a jamais appartenu aux tribunaux de droit commun, et même à la Cour de faillite. L’objet des dispositions en cause [paragraphes 14.01(1) et (2)] est différent de celui des dispositions de nature pénale ou criminelle.

                                                                                    [Non souligné dans l'original.]

 

[64]           Je partage l’avis de mon collègue le juge Martineau que le régime de la loi en général et la nature des dispositions en particulier ne sont pas d’ordre pénal ou criminel. Ayant conclu que l’objet des paragraphes 14.01(1) et (2) de la Loi n’est pas d’ordre pénal ou criminel, la Cour doit dire maintenant si la mesure prise contre les demandeurs – à savoir l’annulation de leurs licences de syndic – est assimilable à une véritable sanction pénale. Pour cela, je dois maintenant considérer les dispositions de la Charte invoquées par les demandeurs dans leurs conclusions.

 

[65]           L’article 13 de la Charte dispose que chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures. Cette disposition est étroitement rattachée aux droits garantis par les alinéas 11c) et d) de la Charte. Ainsi que l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Dubois, [1985] 2 R.C.S. 350, 62 N.R. 50, au paragraphe 9,

L'article 13 correctement interprété indique que la garantie qu'il accorde vise à empêcher l'auto‑incrimination par l'utilisation d'un témoignage antérieur. C'est une forme de protection très précise contre l'auto-incrimination et elle doit par conséquent être interprétée dans le contexte de deux droits intimement liés, le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi‑même et la présomption d'innocence établis aux al. 11c) et d) de la Charte.

 

[66]           S’agissant de la nature des procédures auxquelles ces droits s’appliquent, les portées respectives des articles 11 et 13 de la Charte devraient en général être les mêmes. Dans l’arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, 81 N.R. 161, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada a examiné les caractéristiques qui feraient entrer une infraction dans le champ de l’article 11 de la Charte :

À mon avis, si une affaire en particulier est de nature publique et vise à promouvoir l'ordre et le bien‑être publics dans une sphère d'activité publique, alors cette affaire est du genre de celles qui relèvent de l'art. 11. Elle relève de cet article de par sa nature même. Il faut distinguer cela d'avec les affaires privées, internes ou disciplinaires qui sont de nature réglementaire, protectrice ou corrective et qui sont principalement destinées à maintenir la discipline, l'intégrité professionnelle ainsi que certaines normes professionnelles, ou à réglementer la conduite dans une sphère d'activité privée et limitée [...] Il existe également une distinction fondamentale entre les procédures engagées pour promouvoir l'ordre et le bien‑être public dans une sphère d'activité publique et les procédures engagées pour déterminer l'aptitude à obtenir ou à conserver un permis. Lorsque les disqualifications sont imposées dans le cadre d'un régime de réglementation d'une activité visant à protéger le public, les procédures de disqualification ne sont pas le genre de procédures relative à une « infraction » auxquelles s'applique l'art. 11. Les procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d'une loi ne sont pas non plus le genre de procédures relatives à une "infraction", auxquelles s'applique l'art. 11.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[67]           Par ailleurs, l’article 13 de la Charte n’est invoqué que dans les cas où la peine prévue pour l’infraction alléguée ou pour la conduite alléguée fait intervenir de véritables conséquences pénales (McDonald c. Law Society of Alberta, (1993), 44 A.C.W.S. (3d) 681, [1994] 3 W.W.R. 697 (C.B.R. Alb.), paragraphe 13). Le sens de l’expression « véritable conséquence pénale » a été examiné au paragraphe 24 de l’arrêt Wigglesworth :

 

[...] une véritable conséquence pénale qui entraînerait l’application de l’article 11 est l’emprisonnement ou une amende qui par son importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline à l’intérieur d’une sphère d’activité limitée.

 

[68]           Dans l’arrêt Knutson c. S.R.N.A., (1990), 24 A.C.W.S. (3d) 706, [1991] 2 W.W.R. 327, la Cour d'appel de la Saskatchewan a jugé que la perte d’un emploi par suite d’une procédure disciplinaire ne constituait pas une véritable conséquence pénale. Il s’agissait d’une sanction disciplinaire interne et privée imposée dans le cadre d’un régime conçu pour réglementer une activité afin de protéger le public. Pareillement, après application du critère de l’arrêt Wigglesworth à la présente affaire, la Cour est d’avis que l’audience disciplinaire conduite par le délégué, qui s’est soldée par l’annulation des licences des demandeurs, n’est pas assimilable à une véritable conséquence pénale. Par conséquent, les articles 11 et 13 de la Charte ne s’appliquent pas ici. L’argument des demandeurs sur ce point n’est pas recevable.

 

Interprétation / Traduction

[69]           Les demandeurs font aussi valoir que le délégué a contrevenu à la Loi, à la Charte et à la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985 (4e suppl.), ch. 41, parce qu’il n’a pas immédiatement fourni une traduction anglaise de sa décision datée du 15 décembre 2008. La traduction anglaise de la décision du délégué a été envoyée par courriel au demandeur Henry Sztern le 3 février 2009.         M. Sztern dit que la traduction anglaise laisse à désirer, car de nombreux passages semblent avoir fait l’objet d’une traduction littérale, ce qui donne lieu à des phrases absurdes en anglais. Selon le demandeur, la traduction anglaise a été communiquée trop tard pour que puisse être engagé le processus d’appel, et elle n’a guère de valeur comme document lisible et intelligible. Le demandeur fait aussi valoir qu’il n’y avait pas eu d’interprète sur place durant son témoignage produit en anglais, ni durant les interrogatoires et contre-interrogatoires conduits en anglais.

 

[70]           Il convient de noter que, le 3 avril 2007, Henry Sztern a déposé une requête dans laquelle il demandait les services d’un interprète, et le délégué a rejeté cette requête le 2 octobre 2007. Le délégué a estimé que l’article 14 de la Charte ne s’appliquait pas à la présente affaire et que Henry Sztern n’avait pas établi qu’il ne connaissait pas le français.

[71]           Par ailleurs, ce point lui-même avait déjà été décidé par la Cour supérieure du Québec et la Cour d'appel du Québec le 16 avril 2007 (voir l’affidavit de Sylvie Laperrière signé le 13 mars 2009, pièce SL-11, pages 2494-2498 du dossier du défendeur).

 

[72]           Compte tenu de cette preuve, la Cour juge que Henry Sztern connaissait suffisamment le français pour déposer sa demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Il n’est pas établi dans le dossier que Henry Sztern a explicitement demandé au délégué, avant ou durant l’audience disciplinaire, que la décision soit rendue ou traduite en anglais. Au contraire, la preuve montre que le délégué a rendu sa décision en français le 15 décembre 2008 et qu’une demande de traduction lui a été envoyée le 21 décembre 2008, six jours après la date de sa décision. Le délégué a donné suite à la demande, et les demandeurs ont obtenu une traduction de la décision le 3 février 2009. Dans les circonstances, la Cour croit que c’était là un délai acceptable. Les demandeurs ont introduit la présente demande de contrôle judiciaire le 10 janvier 2009, à l’intérieur du délai imparti, et ils n’ont pas convaincu la Cour qu’ils ont subi un préjudice à ce titre.

 

[73]           La Cour fait aussi observer que, en dépit d’une décision du délégué rejetant la demande de traduction, le défendeur a néanmoins, durant l’audience disciplinaire tenue devant le délégué, pris des dispositions, de sa propre initiative, afin qu’un interprète se trouve là pour traduire, à l’intention de Henry Sztern, les témoignages produits en français (voir l’affidavit de Sylvie Laperrière, au paragraphe 41). L’audience disciplinaire s’est déroulée la plupart du temps en anglais et les témoignages produits en français étaient traduits par un interprète fourni par le défendeur à Henry Sztern. La Cour est d’avis que les prétentions des demandeurs sur ce point ne sont pas fondées.

 

[74]           Au cours de l’audience tenue devant la Cour, les demandeurs ont également prétendu avoir subi un préjudice parce que le délégué a pris en délibéré sa décision sur les autres pénalités demandées par l’analyste principale. D’abord, la Cour fait observer qu’elle n’a pas été saisie de cette deuxième décision du délégué. Les arguments avancés par les demandeurs à l’égard de la deuxième décision du délégué ne sont donc pas visés par la présente demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs n’étaient pas empêchés de solliciter la suspension de la première décision du délégué, ni d’introduire une demande de contrôle judiciaire contre sa deuxième décision. Ils ne l’ont pas fait.

 

[75]           La Cour conclut que la décision du délégué est raisonnable. Le délégué a fait une évaluation complète et approfondie de l’intégralité de la preuve et des témoignages qui lui ont été soumis. Sa décision n’est ni partiale ni déraisonnable, et elle a été rendue dans le respect des règles de l’équité procédurale. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[76]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-49-09

 

INTITULÉ :                                       HENRY SZTERN et al c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 22 FÉVRIER 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Henry Sztern

 

EN SON PROPRE NOM

Vincent Veilleux

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Néant

 

EN SON PROPRE NOM

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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