Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20100223

Dossier : IMM-2477-09

Référence : 2010 CF 197

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

GUILLERMO MARQUEZ ALVAREZ

LAURA DIAZ GARCIA

MARIA SILVANA MARQUEZ GARCIA

(alias MARIA SILVANA MARQUEZ GARCIA)

CALEI KASANDRA MARQUEZ GARCIA

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à une décision datée du 8 avril 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger.

 

Le contexte factuel

[2]               Guillermo Marquez Alvarez (le demandeur principal), son épouse, Laura Garcia Diaz, et leurs deux filles, Calei Kasandra Marquez Garcia et Maria Silvana Marquez Garcia, sont tous des citoyens du Mexique qui demandent l’asile.

 

[3]               Les demandeurs craignent le clan des Zetas, des trafiquants de drogue appartenant au cartel del Golfo, qui opère sur tout le territoire mexicain.

 

[4]               Le 1er mai 2007, des membres du clan des Zetas ont contacté le demandeur principal pour qu’il utilise le lien qu’il avait avec son ami Juan Luis Calderon, le frère du président du Mexique, Felipe Calderon, afin d’agir comme messager entre le clan des Zetas et le président. Ils lui ont dit qu’il serait bien rémunéré s’il collaborait mais que, dans le cas contraire, sa famille et lui connaîtraient un mauvais sort. L’un des individus a mentionné l’épouse du demandeur principal, le nom du centre médical où cette dernière travaillait, les noms de leurs deux filles et le nom de l’école qu’elles fréquentaient.

 

[5]               Le demandeur principal connaît le frère du président, qui est le directeur du Réseau d’eau potable de la ville de Morelia, depuis treize ans. Juan Calderon était un client du demandeur, qui vendait des produits liés à l’eau potable. Le demandeur était également chauffeur de taxi.

 

[6]               Le demandeur principal est entré en contact avec Juan Calderon, qui lui a dit qu’il ne se mêlait pas des affaires liées au poste de président qu’occupait son frère. Le demandeur principal a décidé qu’il serait trop dangereux de communiquer avec la police parce que, à son avis, des membres du gouvernement ont des liens avec le clan des Zetas et que, lorsque des personnes ayant des rapports avec ce groupe communiquent avec la police, elles risquent d’être tuées.

 

[7]               Le demandeur principal a rencontré de nouveau Juan Calderon le 15 juin 2007 et, à cette occasion, une autre personne l’a abordé, exigeant de connaître la réponse à la requête. Le demandeur principal a consenti à obtenir une réponse au cours des deux semaines suivantes. Dans l’intervalle, le 18 juin 2007, en s’approchant de son automobile, il a découvert son pare‑brise fracassé et un message de menaces du clan des Zetas. De plus, le 5 juillet 2007, on lui a remis, pendant qu’il accompagnait ses filles à l’école, une enveloppe contenant une cassette vidéo du clan des Zetas.

 

[8]               C’est ainsi que les demandeurs ont quitté le Mexique et qu’ils ont demandé l’asile le 10 juillet 2007 à leur arrivée au Canada.

 

La décision contestée

[9]               La Commission a fait remarquer que la crainte du demandeur principal n’est pas liée à la race, à la nationalité, à la religion, à des opinions politiques réelles ou présumées ou à l’appartenance à un groupe social. Le demandeur, a-t-elle conclu, était victime d’actes criminels et que, même si la conduite des auteurs de ces derniers était déplorable, cela ne procurait pas au demandeur un lien avec un motif visé par la Convention. La Commission a donc conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention.

 

[10]           La Commission a admis le fait que le demandeur principal était un ami et un collègue d’affaires du frère du président du Mexique. Son témoignage a été franc, sans contradiction aucune avec les renseignements contenus dans son formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[11]           En examinant si les demandeurs s’étaient prévalus de la protection de l’État, la Commission a fait remarquer que le demandeur principal n’avait pas communiqué avec la police parce qu’il croyait qu’il avait affaire à un puissant cartel de la drogue, et qu’une telle démarche pourrait l’amener à perdre la vie, chose qui était arrivée à d’autres dans le passé.

 

[12]           La Commission a conclu que les individus tentaient d’avoir un lien avec le président du Mexique et qu’ils l’avaient trouvé chez le demandeur, qui entretenait des rapports avec le frère du président. Elle a conclu que cela était vraisemblable car ces individus avaient trouvé le demandeur principal, à une reprise, à l’extérieur du bureau du frère du président.

 

[13]           La Commission a conclu que le demandeur se trouvait dans l’obligation de solliciter un recours, une aide ou une protection auprès d’une autorité étatique mais qu’il ne l’avait pas fait parce que cela l’aurait mis en danger, vu que des personnes avaient été tuées dans le passé pour cette raison. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas fourni une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à fournir une protection étatique.

La question en litige

[14]           La seule question en litige consiste à savoir si la Commission a commis une erreur dans ses conclusions relatives à la protection de l’État.

 

Analyse

[15]           La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions que tire la Commission sur la protection de l’État est la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 55, 57, 62 et 64; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1, au paragraphe 38; Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, 167 A.C.W.S. (3d) 968, au paragraphe 14).

 

[16]           Il existe une présomption selon laquelle un État est à la fois disposé à protéger ses citoyens et capable de le faire et que, à moins d’un effondrement complet de l’appareil étatique, on présume que les demandeurs d’asile bénéficient dans leur pays d’origine d’une protection adéquate de l’État. La protection des réfugiés est une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine ( (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 153 N.R. 321; Hinzman).

 

[17]           Pour réfuter la présomption de la protection de l’État, les demandeurs sont tenus de présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à assurer une protection. Cette preuve doit être pertinente et fiable et pouvoir convaincre le juge des faits que la protection de l’État est inadéquate (Ward; Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636).

 

[18]           Les demandeurs sont d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle elle ne peut pas faire de reproches aux forces de sécurité mexicaines si elles n’ont pas été saisies d’une plainte officielle est une erreur de droit. Ils allèguent que dans l’arrêt Ward, au paragraphe 49, il a été conclu que ce n’est que dans les cas où l’État aurait pu raisonnablement fournir une protection que l’omission du demandeur de s’adresser à ce dernier pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication. Si le demandeur démontre qu’il est objectivement déraisonnable de solliciter la protection des autorités de son pays d’origine, il n’a pas vraiment à s’adresser à l’État (Vidhani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 60, 96 F.T.R. 313, au paragraphe 15; Zhuravlev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, 187 F.T.R. 110, au paragraphe 19; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, 136 A.C.W.S. (3d) 929, au paragraphe 14).

 

[19]           Il n’est nul besoin que la protection de l’État soit parfaite car aucun gouvernement ne peut garantir cette protection en tout temps à l’ensemble de ses citoyens. Il suffit qu’elle soit adéquate. La présomption n’est pas réfutée juste parce qu’un demandeur est capable de démontrer que l’État n’est pas en mesure d’assurer une protection parfaite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, (1992), 150 N.R. 232, 37 A.C.W.S. (3d) 1259 (C.A.F.); Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1365, 153 A.C.W.S. (3d) 191; Blanco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1487, 143 A.C.W.S. (3d) 904).

[20]           Le fardeau de preuve qui pèse sur les épaules du demandeur est directement proportionnel au degré de démocratie atteint dans l’État en question. Plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le revendicateur doit avoir cherché à épuiser les recours qui s’offraient à lui (N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1996), 206 N.R. 272, 68 A.C.W.S. (3d) 334 (Kadenko), (C.A.F.); Hinzman). Dans des décisions antérieures, la Cour a conclu que le Mexique est une démocratie qui a la volonté et la capacité de protéger ses citoyens, et ce, même si cette protection n’est pas toujours parfaite (Sosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 275, [2009] A.C.F. no 343 (QL) au paragraphe 22; Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 971, 169 A.C.W.S. (3d) 175, aux paragraphes 21 et 22; Velazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 532, 148 A.C.W.S. (3d) 291, au paragraphe 6).

 

[21]           En l’espèce, les demandeurs ont négligé de prendre une mesure quelconque pour obtenir la protection de l’État. Selon la Cour, ils étaient tenus de faire des efforts raisonnables pour solliciter une protection au Mexique avant de demander l’asile. Même si les services de protection de l’État d’origine sont lacunaires, le demandeur d’asile qui dit éprouver une crainte subjective fondée sur la criminalité doit, en l’absence d’une justification convaincante, prendre des mesures raisonnables pour avoir accès à ces services (Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 793, 159 A.C.W.S. (3d) 267).

 

[22]           Les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis une erreur en concluant qu’ils auraient pu se tourner vers divers autres organismes, mais sans analyser la capacité réelle de ces derniers à les protéger. La Cour conclut qu’il ne suffit pas qu’un demandeur, qui a négligé de prendre des mesures quelconques pour solliciter une protection de l’État à cause d’une crainte subjective, se fie uniquement à des preuves documentaires faisant état de lacunes au sein du système judiciaire de son État d’origine (Zamorano; Cortes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1487, 154 A.C.W.S. (3d) 450). Au vu des faits de l’espèce, les demandeurs se trouvaient dans l’obligation de demander la protection de l’État et d’épuiser toutes les voies de recours. Le demandeur principal, de son propre aveu, n’a pas informé Juan Calderon des menaces qu’il avait reçues, ni porté plainte auprès de la police ou d’une autre instance locale ou étatique. En négligeant de solliciter une protection de l’État avant de demander l’asile, il a donc omis de fournir une preuve claire et convaincante du caractère inadéquat de la protection de l’État et n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État (Cordova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF309, [2009] A.C.F. no 620 (QL)).

 

[23]           La Commission a énuméré diverses options dont disposent les citoyens du Mexique qui sont inquiets pour leur sécurité, dont le Secrétariat de l’administration publique (SFP), l’Agence fédérale des enquêtes (AFI) et le Bureau des enquêtes spéciales sur le crime organisé du procureur général adjoint (SIEDO). Ce dernier organisme travaille en collaboration étroite avec les États-Unis en vue de lutter contre le crime organisé. Il est vrai que la preuve au dossier démontre jusqu’à un certain point que l’inefficacité, les pots-de-vin et la corruption sont encore des problèmes au sein des forces de sécurité mexicaines et du secteur public, mais la Commission n’a pas été en mesure de reprocher quoi que ce soit aux forces de sécurité mexicaines car les demandeurs n’avaient pas déposé une plainte officielle.

 

[24]           La décision de la Commission était fondée sur la déposition du demandeur ainsi que sur la preuve documentaire versée au dossier. Elle a reconnu qu’il existait une preuve de lacunes de la part du gouvernement mexicain dans sa lutte contre les cartels de la drogue, ainsi qu’une preuve de corruption et de retards au sein du système judiciaire et policier mexicains. La Commission a soupesé ces éléments par rapport à d’autres preuves documentaires indiquant que le Mexique est une démocratie dotée d’un appareil judiciaire relativement indépendant et impartial, ainsi que d’une force de sécurité dont le fonctionnement n’est pas remis en question, et elle est arrivée à la conclusion que rien dans la documentation ne pouvait laisser penser que le Mexique se trouvait dans un état d’effondrement complet.

 

[25]           La Commission a pris en considération la situation personnelle du demandeur et la Cour est d’avis que la décision de la Commission est raisonnable parce qu’elle concorde avec la jurisprudence.

 

[26]           La Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle. La décision est justifiée et l’issue défendable au regard des faits et du droit.

 

[27]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et aucune ne se pose en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2477-09

 

INTITULÉ :                                       GUILLERMO MARQUEZ ALVAREZ ET AL c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS 

ET DU JUGEMENT:                        Le 23 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.