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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100223

Dossier : IMM-3681-09

Référence : 2010 CF 198

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

EDD ADBI ISMEAL

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 29 juin 2009, qui l’a déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

 

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur, un Éthiopien âgé de 37 ans, se décrit comme un agitateur et un partisan du FLO, qui recrutait des gens afin qu’ils travaillent pour le FLO et qui recueillait des fonds pour l’organisation, ou donnait de l’argent à l’organisation.

 

[3]               À la fin de 1997, le demandeur a été arrêté et détenu par les autorités éthiopiennes, qui le suspectaient d’être un partisan du FLO. Peu après sa libération, le demandeur a fui l’Éthiopie pour venir au Canada.

 

[4]               Il est arrivé au Canada le 17 mars 1998. Il a demandé la résidence permanente en tant que réfugié au sens de la Convention en septembre 1998. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur écrivait qu’il était [traduction] « ciblé en raison de [ses] activités de soutien au FLO » et que, en raison de son rôle au sein du Front de libération oromo (le FLO), il risquait l’emprisonnement ou la mort en cas de retour en Éthiopie. Le demandeur a indiqué qu’il avait été un partisan du FLO de 1991 à 1998. Outre des vérifications judiciaires et un dépistage médical, une enquête fut conduite aux fins d’une éventuelle interdiction de territoire pour raison de sécurité. Le demandeur fut interrogé le 31 août 1999 par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS).

 

[5]               Le 1er octobre 2003, le demandeur s’est présenté à une entrevue qui devait permettre de déterminer s’il était interdit de territoire pour raisons de sécurité. Il a confirmé qu’il était devenu un partisan du FLO à l’âge de 20 ans, en 1991, car le nouveau régime n’était pas favorable au peuple oromo. Il a expliqué que ses activités consistaient à recueillir des fonds pour soutenir le FLO et il a reconnu que cet argent était vraisemblablement destiné à aider les combattants dans les collines, encore qu’il n’ait jamais su véritablement ce à quoi il était employé. Il donnait aussi lui-même de l’argent. Il a expliqué que le mot « agitateur » ne lui était pas familier et que son FRP avait été traduit en anglais pour lui. Il a déclaré qu’il n’avait jamais organisé de marches, de manifestations ou de grèves et qu’il n’avait jamais été impliqué dans des actes de violence ni n’avait porté d’arme.

 

[6]               L’agente a conclu qu’elle avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était un  « membre » du FLO, une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle s’était livrée au terrorisme. Le demandeur a donc été déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Cependant, l’agente a recommandé qu’il bénéficie d’une dispense ministérielle en application du paragraphe 34(2) de la Loi, étant donné que [traduction] « son rôle au sein de l’organisation était négligeable et [que], selon [elle], il n’y a[vait] pas lieu de croire qu’il a[vait] été lui-même impliqué dans des actes de violence ».

 

[7]               Le 18 octobre 2007, la dispense ministérielle lui a été refusée. Le 26 novembre 2008, la Cour a annulé la décision lui refusant une dispense ministérielle, au motif qu’il y avait eu des failles dans la mise en balance de tous les facteurs et éléments de preuve intéressant le cas du demandeur. La Cour ne s’est pas exprimée sur la conclusion de l’agente concernant l’interdiction de territoire (Ismael c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1366, 77 Imm. L.R. (3d) 310).

 

[8]               La question de l’interdiction de territoire a ultérieurement été renvoyée à la Commission pour décision, et une audience a eu lieu le 13 mars 2009.

La décision contestée

[9]               Dans une décision datée du 29 juin 2009, la Commission a déclaré le demandeur interdit de territoire, parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre d’une organisation qui s’était livrée au terrorisme, selon ce que prévoit l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

[10]           La Commission a conclu que le FLO se livrait, et s’était livré, au terrorisme, selon le sens donné à cette notion par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, et par le Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-4. Cette conclusion était fondée sur ce qui suit : bombardements d’infrastructures de transport imputables à l’organisation nationale; assassinats de civils, en marge d’un conflit religieux et ethnique, par des factions locales du FLO, assassinats qui, compte tenu des facilités nationales, étaient imputables à l’entité tout entière; enfin, le fait que la faction du FLO à laquelle appartenait le demandeur, à Dire Dawa, était responsable d’au moins un acte terroriste.

 

[11]           S’agissant de l’appartenance du demandeur au FLO, la Commission a relevé que la Cour d’appel fédérale avait rejeté un critère de « l’importance du niveau d’intégration » et adopté, pour le mot « membre », une définition large fondée sur la nature et la durée des activités de l’intéressé au sein de l’organisation (Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 C.F. 487).

 

[12]           La Commission a estimé que le FLO était une organisation politique et paramilitaire distincte de la population oromo en général. Selon elle, le demandeur avait clairement dit qu’il était membre du FLO, à la fois dans son FRP et durant son témoignage. Elle a constaté que le demandeur avait recueilli des fonds et s’était livré de son plein gré à des activités de recrutement au cours d’une période de sept ans et qu’il n’avait quitté l’organisation que lorsqu’il avait été contraint de quitter le pays. Elle a dit que le demandeur avait contribué au soutien matériel du groupe. Il n’avait pas un titre officiel et il ne traitait pas directement avec les dirigeants du FLO, mais la Commission a conclu que la nature et la durée de cet engagement répondaient, aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, à la définition large de la qualité de membre.

 

La question en litige

[13]           La seule question soulevée par le demandeur est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était «membre» du FLO, aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

Les dispositions applicables

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi intéressent la présente instance :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

La norme de contrôle

[15]           La Cour d’appel fédérale a déjà jugé que la conclusion de la Commission concernant le point de savoir si une personne est «membre» d’une organisation visée par l’alinéa 34(1)f) de la Loi est une question mixte de droit et de fait qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (Poshteh, précité; Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457, 304 F.T.R. 222). Suivant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme applicable est la décision raisonnable.

 

Analyse

[16]           La Cour fait remarquer que la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que le FLO se livre, s’est livré ou se livrera au terrorisme n’est pas en cause. La Commission a jugé qu’il y avait des motifs raisonnables de le croire, et cette conclusion n’est pas contestée par le demandeur. La seule question que doit trancher la Cour est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du FLO.

[17]           Le demandeur reconnaît qu’il a écrit, à la fois dans son FRP et dans sa demande de résidence permanente, qu’il était membre du FLO entre 1991, année où le FLO faisait partie du gouvernement provisoire de l’Éthiopie, et 1997, année où il s’est enfui de l’Éthiopie. Cependant, le demandeur affirme que le simple fait de déclarer que l’on est membre d’une organisation donnée n’a pas pour effet, en droit, aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, de faire de l’intéressé effectivement un membre de cette organisation.

 

[18]           Ce qui préoccupe surtout le demandeur, c’est que la conclusion de la Commission reviendrait à étirer, jusqu’à une limite excessive dans son cas, la définition large que donne la jurisprudence canadienne de l’appartenance à une organisation. Au cours de l’audience, l’avocate du demandeur a fait valoir que celui-ci était simplement un sympathisant. Son niveau de participation au sein de l’organisation était si faible qu’il ne pouvait pas être membre de l’organisation. Autrement dit, le demandeur n’était pas engagé et il n’était donc pas membre.

 

[19]           Le paragraphe 34(1) de la Loi est une disposition générale sur la sécurité. Le texte de l’alinéa 34(1)f) de la Loi est clair, et le fait d’être « membre » d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes mentionnés dans les alinéas 34(1)a), b) ou c) suffit pour qu’un résident permanent ou un étranger soit visé par l’alinéa 34(1)f) de la Loi. La Cour d’appel fédérale a adopté, pour le mot « membre », une définition large fondée sur la nature et la durée des activités d’une personne au sein de l’organisation (Poshteh, précité).

 

[20]           Cette notion d’appartenance a reçu dans la jurisprudence canadienne une interprétation large et sans restriction, en particulier lorsqu’il s’agit de la sécurité nationale du Canada. Pour être membre d’une organisation, il n’est pas nécessaire que l’intéressé détienne une carte d’adhérent ou soit membre en règle, et il n’est pas nécessaire non plus qu’il soit tenu de participer à des actes terroristes. Dans l’arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, 265 N.R. 121, aux paragraphes 25 et 55 à 62, la Cour d’appel fédérale écrivait qu’être membre signifie simplement « appartenir » à une organisation (voir aussi Poshteh, précité, aux paragraphes 27 à 32; Suresh (Re), (1997), 140 F.T.R. 88, 75 A.C.W.S. (3d) 887, aux paragraphes 21 à 23; Ahani (Re), (1998), 146 F.T.R. 223, 79 A.C.W.S. (3d) 601, au paragraphe 21; Qureshi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 7, 78 Imm. L.R. (3d) 8, aux paragraphes 19 à 25; Kanendra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 923, 47 Imm. L.R. (3d) 265, aux paragraphes 21 à 26; Denton-James c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1548, 262 F.T.R. 198, aux paragraphes 12 à 16; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Owens, (2000), 191 F.T.R. 119, 100 A.C.W.S. (3d) 639, aux paragraphes 16 à 18).

 

[21]           Après examen du dossier, la Cour est d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur était membre du FLO n’est pas déraisonnable. L’avocate du demandeur a fait observer que le demandeur n’avait jamais sciemment rencontré un membre du FLO ni participé à un rassemblement au soutien du FLO, ni n’avait jamais été investi de responsabilités au sein du FLO, mais la Cour est d’avis que la Commission a soigneusement analysé les activités du demandeur au sein du FLO et ses contributions à cette organisation, en se fondant en particulier sur ses propres explications données dans son FRP et dans sa demande de résidence permanente, où le demandeur écrivait qu’il était un agitateur et un partisan de l’organisation. Entre autres choses, durant une période de sept ans (1991-1998), le demandeur avait recueilli des fonds pour l’organisation, s’était volontairement proposé pour recruter d’autres membres ou partisans, et n’avait quitté l’organisation que lorsqu’il avait été contraint de quitter le pays. La preuve appuie donc l’allégation selon laquelle le demandeur contribuait au soutien matériel de l’organisation.

 

[22]           Dans un cas donné, il sera toujours possible de dire que, même si plusieurs facteurs autorisent une conclusion d’appartenance, il en est d’autres qui militent contre une telle conclusion. C’est sans aucun doute le cas en l’espèce. Cependant, eu égard à la preuve versée dans le dossier, la Cour partage l’avis du défendeur pour qui le niveau d’engagement du demandeur suffit à conclure qu’il appartenait au FLO. L’appréciation de ces faits relève de la spécialisation de la Commission, et, au vu des faits en question, il m’est impossible de dire que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[23]           Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, la Cour est d’avis que l’alinéa 34(1)f) de la Loi ne requiert pas une participation active. Dans la présente affaire, l’engagement du demandeur, bien que faible, suffisait à faire entrer le demandeur dans l’interprétation large de l’appartenance telle qu’elle est envisagée dans l’article 34 de la Loi. L’activité du demandeur n’était pas négligeable ni marginale, et elle suffisait à constituer l’appartenance aux fins de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

[24]           En dépit de l’habileté de ses arguments, l’avocate du demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour. La Cour est d’avis que la Commission a fondé ses conclusions sur un examen approfondi de la preuve. La décision de la Commission est justifiée, transparente et intelligible, et elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[26]           Le demandeur pourra demander une dispense ministérielle aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi. Selon cette disposition, l’appartenance à une organisation terroriste n’emporte pas interdiction de territoire si l’intéressé convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national. Ainsi, en vertu du paragraphe 34(2), le ministre a le pouvoir de soustraire le demandeur à l’application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

[27]           Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

 

 


 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3681-09

 

INTITULÉ :                                       EDD ADBI ISMEAL c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 FÉVRIER 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alyssa Manning

 

POUR LE DEMANDEUR

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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