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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100223

Dossier : IMM-2249-09

Référence : 2010 CF 204

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

PACKIAM NAGARATNAM

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision défavorable de l'examen des risques avant renvoi (l'ERAR), datée du 25 mars 2009 (la décision), laquelle a refusé la demande de la demanderesse de se voir reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka, âgée de 70 ans. Elle est arrivée au Canada en septembre 2005 et a présenté une demande d'asile le mois suivant.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de la demanderesse pour des raisons de crédibilité. Les motifs de la SPR montrent que le témoignage de la demanderesse a eu une incidence défavorable sur sa crédibilité. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée en avril 2007.

 

[4]               La demanderesse a ensuite déposé une demande d’ERAR, qui a été rejetée en mars 2009.

 

LA Décision faisant l'objet du contrôle

 

[5]               L’agente d’ERAR (l’agente) a examiné la conclusion que la SPR avait tirée quant à la crédibilité, soulignant les nombreuses contradictions dans la preuve présentée par la demanderesse et dans son témoignage, notamment :

a)                  la question de savoir si elle avait été menacée ou non avec un pistolet;

b)                 son explication non convaincante pour avoir omis de mentionner avoir été menacée avec un pistolet;

c)                  la question de savoir si elle vivait seule ou non au Sri Lanka;

d)                  la question de savoir si la demanderesse avait réellement été victime d'extorsion.

 

[6]               L’agente a ensuite examiné la situation au Sri Lanka et a conclu que les documents ne réfutaient pas [traduction] « les doutes sérieux de la SPR quant à la crédibilité et ne prouvent pas un risque personnel pour la demanderesse ».

 

[7]               De plus, l’agente a conclu que les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse ne démontraient pas l'existence d’éléments nouveaux et importants pour sa demande. Elle a estimé plutôt que la demande d’ERAR ne présentait aucune évolution des risques et énumérait simplement les mêmes risques que la SPR avait déjà examinés.

 

[8]               L’agente a néanmoins entrepris l'examen de la situation actuelle au Sri Lanka pour vérifier s'il y avait eu un changement important qui pourrait exposer la demanderesse à un risque, selon la définition des articles 96 ou 97 de la Loi. Bien que l'agente ait reconnu qu'il y avait eu un changement dans la situation au Sri Lanka, elle a également mentionné que [traduction] « les événements récents indiquent que le gouvernement a presque repris l'entier contrôle du pays ». Elle a conclu que, en conséquence, les changements dans la situation au pays depuis la décision de la SPR n'exposeraient pas la demanderesse aux risques énoncés aux articles 96 et 97.

 

[9]               L’agente a conclu que la demanderesse ne s'était pas acquittée de son fardeau de fournir des éléments de preuve pour étayer le risque allégué dans sa demande. En effet, l’agente a conclu que [traduction] « [d]ans l'affaire dont je suis saisie, je conclus que la demanderesse n'a pas fourni une preuve objective suffisante qu'elle est exposée à un risque de la part du gouvernement, de l'armée, des TLET ou d'autres groupes agissant au Sri Lanka ».

 

Les Questions en litige

 

[10]           Dans la présente demande, les questions en litige peuvent être résumées comme suit :

1.                     la question de savoir si l'agente a commis une erreur en tirant une conclusion quant à la crédibilité sans convoquer une audience en bonne et due forme;

2.                     la question de savoir si l'agente a commis une erreur en évaluant le « risque personnel » de la demanderesse au regard de l'article 96;

3.                     la question de savoir si l'agente a commis une erreur en tirant des conclusions de fait déraisonnables;

4.                     la question de savoir si l'agente a commis une erreur en appliquant le mauvais critère juridique;

5.                     la question de savoir si l'agente a commis une erreur en fusionnant les critères juridiques propres aux articles 96 et 97.

 

LES Dispositions légALes

 

[11]           Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent dans la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

 

LA Norme de contrôle

 

[12]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[13]           La question de savoir si l'agente a commis une erreur en tirant une conclusion quant à la crédibilité sans convoquer une audience en bonne et due forme est une question d'équité procédurale. Elle sera donc examinée selon la décision correcte. Voir Dunsmuir, aux paragraphes 126 et 129, et Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, [2008] A.C.F. no 637, au paragraphe 8.

 

[14]           La question de savoir si l'agente a commis une erreur en évaluant le « risque personnel » de la demanderesse selon l'article 96 de la Loi vise la question de savoir si l'agente a appliqué de manière appropriée le critère juridique aux faits dont elle était saisie. Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de raisonnabilité. Voir Dunsmuir, au paragraphe 164.

 

[15]           De même, la question de savoir si l'agente a commis une erreur en tirant des conclusions de fait déraisonnables est une question de fait qui commande l'application de la norme de raisonnabilité pour son examen. Voir Dunsmuir, au paragraphe 51.

 

[16]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[17]           Les deux dernières questions en litige portent sur la question de savoir si l'agente a commis une erreur en appliquant un mauvais critère juridique et sur celle de savoir si elle a commis une erreur en fusionnant les critères juridiques propres aux articles 96 et 97. Les questions concernant le critère juridique appliqué par l'agente doivent être tranchées selon la décision correcte. Voir Golesorkhi, au paragraphe 8.

LES ARGUMENTS

            La demanderesse

Le mauvais critère juridique

 

[18]           La demanderesse prétend que l’agente n'a pas appliqué le bon critère juridique en concluant que la demanderesse devait fournir une preuve [traduction] « suffisante » à l'appui de sa demande. Le sens juridique du mot [traduction] « suffisante » utilisé par l'agente en l'espèce n'est pas clair. La demanderesse soutient que la modification de la terminologie par l’agente en ce qui a trait au critère juridique a eu une incidence sur la capacité de la demanderesse de comprendre pleinement le critère auquel elle devait répondre pour étayer sa cause.

 

[19]           Bien que la demanderesse connaisse la décision de la Cour dans Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 903, [2008] A.C.F. no 1120, elle fait valoir que les faits de l'espèce permettent de l'écarter. Dans Ferguson, le critère juridique n'avait pas été modifié ou rendu plus strict, par opposition à la présente instance, dans laquelle le libellé de la décision de l'agente a rendu plus strict le critère juridique auquel devait satisfaire la demanderesse.

 

L'entrevue

 

[20]           L’agente a de plus commis une erreur en n’interviewant pas la demanderesse au sujet des doutes qu'elle entretenait à l'égard de la crédibilité de la demanderesse. L’agente s’est plutôt appuyée sur les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité de la demanderesse. La demanderesse fait valoir que l'agente aurait dû l’interviewer pour être en mesure de tirer sa propre conclusion quant à la crédibilité de la demanderesse.

 

Les conclusions de fait erronées

 

[21]           La demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en concluant que la situation dans le pays n'avait pas changé d’une manière significative qui exposerait la demanderesse à un risque, car la très grande partie de la preuve documentaire mentionnée par l'agente, sinon la totalité de celle-ci, indique tout le contraire. La preuve documentaire récente concernant le Sri Lanka montre que ce sont des représentants du gouvernement du Sri Lanka qui ont porté atteinte aux droits de la personne de ceux qui se trouvent dans la même situation que la demanderesse. La demanderesse renvoie précisément à la page 5 de la décision, qui contient une longue citation du rapport de 2008 du Département d'État des États-Unis intitulé Country Report on Human Rights Practices for Sri Lanka, qui explique la situation des droits de la personne au Sri Lanka. Ce rapport n'appuie clairement pas la conclusion de l'agente selon laquelle le gouvernement n'assujettit pas les membres de la collectivité tamoule à des violations des droits de la personne.

 

[22]           L’agente consacre alors simplement un paragraphe à l'analyse et à des conclusions importantes. Cette analyse est faite sans appui clair sur la preuve. La demanderesse soutient que quiconque lirait cette décision aurait de la difficulté à comprendre comment l'agente a tiré sa conclusion définitive et sur quelle base. Voir à titre d'exemple Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 982, 31 Imm. L.R. (3d) 4.

[23]           Cette même preuve traite de la nature arbitraire du ciblage des Tamouls. La demanderesse prétend que cela signifie qu'elle pourrait être ciblée à la fois par des représentants de l'État et par les TLET en raison de son identité, de son profil, de son origine ethnique et du groupe social auquel elle appartient. À ce titre, le risque en l'espèce constitue pour la demanderesse un risque personnel.

 

La protection de l'État

 

[24]           De plus, la preuve documentaire objective récente montre une détérioration de la situation dans le pays depuis juin 2006, lorsque la demanderesse a présenté sa demande d'asile, jusqu'au moment de l’ERAR.

 

[25]           La demanderesse fait valoir que le rapport de mars 2007 du Département d'État des États-Unis intitulé Country Report on Human Rights Practices (le Rapport du Département d’État des États-Unis) démontre que la situation actuelle au Sri Lanka [traduction] « s'est détériorée de façon significative ». Le cessez-le-feu négocié en 2002 est pratiquement terminé et des civils sont tués.

 

[26]           Le Rapport du Département d'État des États-Unis montre également que l'extorsion existe au Sri Lanka. Femme âgée ayant des enfants vivant à l'étranger, la demanderesse continuera d'être une cible pour l'extorsion ou l’enlèvement contre rançon. Le Rapport du Département d'État des États-Unis note ce qui suit :

[traduction] [] des assassinats ciblés sont particulièrement fréquents à Jaffna et dans des régions de l'Est, faisant souvent des victimes parmi les civils qui n'ont aucun lien avec les TLET. Les assassinats politiques, les enlèvements et les disparitions se sont aussi étendus à Colombo, où les enlèvements contre rançon ont ciblé à la fois des Tamouls et des musulmans.

 

[27]           De plus, la Position du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (unhcr) relative aux besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka déclare ce qui suit :

En plus de la situation de grande insécurité et de l’impact du conflit armé dans le Nord et l’Est, les Tamouls originaires de ces régions ou déplacés à l’intérieur de celles-ci risquent de subir des violations de leurs droits humains de la part de chacune des parties au conflit. Harcèlements, intimidations, arrestations, détentions, tortures, enlèvements et assassinats de la part des forces gouvernementales, du LTTE, des paramilitaires ou des groupes armés sont fréquemment rapportés comme étant infligés à la population tamoule du Nord et de l’Est.

 

[28]           Cette même preuve documentaire souligne que « [l]es Tamouls de Colombo sont particulièrement vulnérables aux enlèvements, aux disparitions et aux meurtres ». Compte tenu de son identité, de son profil et de son origine ethnique, il ressort clairement que la demanderesse serait exposée à un risque si elle retournait au Sri Lanka.

 

Le risque personnalisé

 

[29]           L’agente a aussi commis une erreur en omettant d'examiner la situation de personnes qui se trouvent dans une situation semblable à celle de la demanderesse. S'appuyant sur le raisonnement suivi dans Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250, [1990] A.C.F. no 454, la demanderesse fait valoir ce qui suit :

[traduction] [I]l n'y a aucune obligation que le demandeur démontre au regard de l'article 96 que sa crainte de la persécution est « personnalisée », s'il peut démonter par ailleurs qu'elle est [traduction] « entretenue par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d'un risque de persécution fondé sur l'un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. »

 

Ainsi, l'oppression et le harcèlement généralisés des membres de la collectivité tamoule de la demanderesse peuvent mener à la conclusion d'un risque personnalisé pour la demanderesse elle-même.

 

                        La fusion des critères

 

[30]           L'analyse de l’agente ne contient pas un ERAR distinct fait au regard de l’article 97. En comparaison du critère relatif à l'article 96, le critère relatif à l'article 97 contient un examen plus approfondi du risque objectif et la demanderesse donne à entendre qu'il [traduction] « n'inclut pas l'examen ordinaire de la crainte subjective et de la crédibilité comme telles ». Voir Balakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 20, [2008] A.C.F. no 30.

 

[31]           Une conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée au regard de l'article 96 de la Loi n'est pas nécessairement un facteur déterminant pour ce qui est de l'application de l'article 97. Voir Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. no 1540, et Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 141, [2005] A.C.F. no 162. De plus, selon la Cour dans Bouaouni, au paragraphe 41, « [b]ien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d'elles soit considérée distincte ». Comme l'a souligné le juge de Montigny dans Anthonimuthu, au paragraphe 52, « [l]a Section de la protection des réfugiés peut être dispensée d'effectuer une analyse distincte en vertu de l'article 97 uniquement s'il n'y a absolument aucune preuve susceptible d'établir que la personne a besoin d'être protégée ».

 

[32]           La conclusion de l'agente selon laquelle la demanderesse ne serait pas s'exposée à un risque grave pour sa vie au Sri Lanka ne lui suffit pas pour s'acquitter du fardeau de fournir une analyse claire et distincte prenant en compte l'article 97.

 

Le défendeur

L'examen de nouveaux éléments de preuve

 

[33]           L’agente était fondée à utiliser la décision de la SPR comme point de départ de l’ERAR. La décision de la SPR est considérée comme définitive en ce qui a trait à la protection des réfugiés, sous réserve uniquement de l'examen de nouveaux éléments de preuve ou de nouveaux développements quant au risque qui surviennent après la décision de la SPR.

 

[34]           L'ERAR n'est pas destiné à être une deuxième demande d'asile ou un appel d’une demande d'asile qui a été rejetée. Selon la juge Snider dans Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, [2006] A.C.F. no 1733, au paragraphe 5 :

La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision.

 

[35]           L’agente a eu raison de commencer son analyse par un examen de la décision de la SPR et de ses conclusions relativement à la crédibilité de la demanderesse. L’agente a alors affirmé que la demanderesse n'avait pas fourni de nouveaux éléments de l’évolution des risques et que, à ce titre, elle [traduction] « n'a pas fourni une preuve objective suffisante qui me convaincrait de tirer une conclusion différente de la décision de la SPR ».

 

[36]           Le défendeur soutient que la conclusion de l'agente était tout à fait raisonnable, vu la décision défavorable de la SPR et la nature des nouveaux éléments de preuve présentés.

 

Entrevue

 

[37]           Le rôle de l’agente n’était pas d'effectuer une appréciation de novo de la crédibilité au moyen d'une audience. Les conclusions de la SPR sont uniquement assujetties à de nouveaux éléments de preuve et d’évolution des risques présentés lors de l’ERAR. La situation du pays présentée par la demanderesse ne jetait pas de doute sur le bien-fondé de la conclusion défavorable de la SPR en ce qui concerne la crédibilité. Aucun élément de cette nouvelle preuve n'obligeait l’agente à avoir une entrevue avec la demanderesse. Dans un tel cas, un agent peut à bon droit conclure à l'insuffisance de la preuve. Voir par exemple Ferguson et Parchment c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1140, [2008] A.C.F. no 1423.

 

La preuve documentaire

 

[38]           Après avoir décidé qu'il n'existait aucun fondement pour modifier la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité, l’agente a analysé les documents à jour sur la situation du pays. Bien que l’agente ait mentionné la situation changeante au Sri Lanka, elle a également affirmé que le gouvernement contrôlait presque entièrement le pays. Ainsi, la demanderesse n'était pas exposée à un risque de la part du gouvernement, de son armée, des TLET ou d'autres groupes au Sri Lanka.

 

[39]           La conclusion de l'agente était raisonnable et fondée sur une preuve objective. L’agente a agi de manière raisonnable en soupesant la preuve dont elle était saisie et il n'appartient pas à la Cour de réévaluer cette preuve. Voir par exemple Augusto c. Canada (Procureur général), 2005 CF 673, [2005] A.C.F. no 850, au paragraphe 9.

 

Le risque personnalisé

 

[40]           L’agente était également fondée à évaluer le [traduction] « risque personnalisé » auquel était exposée la demanderesse. La demanderesse n'était pas tenue de montrer qu'elle était exposée à un plus grand risque que d’autres, mais simplement que sa situation pouvait être liée aux risques décrits dans la preuve documentaire. Voir par exemple Tharmaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1153, [2007] A.C.F. no 1496, aux paragraphes 12 à 15.

 

[41]           L'évaluation et la pondération de la preuve relèvent de l'expertise de l'agent. En l'espèce, l’agente a conclu à l'insuffisance de la preuve devant montrer que la demanderesse serait exposée à un risque si elle retournait au Sri Lanka. Cette conclusion était raisonnable eu égard aux faits.

 

Aucune erreur en ce qui a trait au critère juridique

 

[42]           Il ressort clairement de la décision même que l’agente a examiné la demande de la demanderesse selon à la fois l'article 96 et l'article 97. L’agente a pris connaissance des documents récents sur la situation du pays pour déterminer si la demanderesse serait soumise à la persécution (selon l'article 96) ou soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités (selon l'article 97). L’agente renvoie aux deux articles tout au long de sa décision.

 

[43]           L'issue de la demande de la demanderesse ne reposait pas sur une différence entre les articles 96 et 97. Les conclusions de l'agente s'appliquent clairement aux deux articles de la Loi. La Cour fédérale a conclu que dans de tels cas, des analyses distinctes en fonction de l'article 96 et de l'article 97 n'étaient pas nécessaires. Voir par exemple Plancher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1283, [2007] A.C.F. no 1654; Soleimanian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660, [2004] A.C.F. no 2013; Kugaperumal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 881, [2004] A.C.F. no 1085.

 

ANALYSE

 

[44]           La demanderesse a soulevé plusieurs points dans sa demande, qui ont été ramenés à trois, et que j’ai tous examinés. En ce qui a trait à la crédibilité et à la nécessité d'une entrevue, je ne vois rien dans la décision qui donne à penser que l'agente a importé les conclusions de la SPR quant à la crédibilité dans son analyse de la situation objective du pays. Au regard de ces faits, l'article 167 des Règles ne trouve pas application et il n'était pas nécessaire de convoquer une entrevue en vue d’une décision qui visait essentiellement des documents sur la situation au pays.

 

[45]           À mon avis, la seule question valable qu’a soulevée la demanderesse est de savoir si l'analyse de la situation objective du pays et les conclusions de l’agente étaient adéquates.

 

[46]           L’agente reconnaît le profil de la demanderesse ainsi que les risques qu’elle craint :

[traduction] Femme âgée ayant des enfants vivant à l'étranger, la demanderesse craint qu'elle continue d'être ciblée pour extorsion ou enlèvement contre rançon. Elle craint d'être soumise à la torture, de même que d'être exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités parce qu'elle est une femme âgée de Jaffna et qu'elle a des parents qui vivent à l'étranger.

 

 

[47]           La plus grande partie de la décision de l'agente résume la décision de la SPR pour ensuite citer des passages provenant des documents. Son analyse et les conclusions se retrouvent dans un seul paragraphe :

[traduction] Je reconnais que la situation est changeante au Sri Lanka. Toutefois, les événements récents donnent à penser que le gouvernement a presque repris l'entier contrôle du pays. Je ne suis saisie d'aucune preuve objective selon laquelle le gouvernement du Sri Lanka prive de façon continue et générale les citoyens tamouls de leurs droits fondamentaux. Le fardeau de la preuve incombe à la demanderesse, c'est-à-dire qu'il incombe à la demanderesse de fournir des éléments de preuve pour étayer tous les motifs de sa demande. Dans l'affaire dont je suis saisie, je conclus que la demanderesse n'a pas fourni une preuve objective suffisante qu'elle est exposée à un risque de la part du gouvernement, de l'armée, des TLET ou d'autres groupes agissant au Sri Lanka.

 

 

[48]           Après avoir cité des extraits de divers documents mettant l'accent sur les mauvais traitements auxquels sont exposés les Tamouls au Sri Lanka, la conclusion de l’agente selon laquelle [traduction] « [j]e ne suis saisie d'aucune preuve objective selon laquelle le gouvernement du Sri Lanka prive de façon continue et générale les citoyens tamouls de leurs droits fondamentaux » semble non fondée et inexplicable.

 

[49]           Il est difficile de savoir ce que veut dire l’agente par cette conclusion et comment cette conclusion se rapporte à l'analyse des documents que l'agente a faite en ayant le profil particulier de la demanderesse à l'esprit. L’agente ne dit pas que la demanderesse n'a pas réussi à fournir une preuve objective des risques d’extorsion et de torture auxquels une personne avec son profil est exposée et il est difficile de voir comment les conclusions générales de l'agente correspondent à la preuve ou se rapportent à l’affaire dont elle est saisie. Les documents renferment des éléments de preuve concernant les enlèvements et les disparitions et il est impossible de déduire de la décision les conclusions qu’aurait tirées l’agente si elle avait apprécié ces éléments de preuve en fonction des risques précis mentionnés par la demanderesse et du profil de celle-ci.

 

[50]           Ceci est particulièrement problématique en l'espèce, car la CISR a rejeté la demande d'asile pour des raisons subjectives de crédibilité et n'a pas fourni d'analyse objective des documents sur la situation du pays.

 

[51]           Somme toute, et ayant à l'esprit l’âge et la vulnérabilité de la demanderesse, je suis d'avis que la présente affaire doit être renvoyée pour nouvel examen. La décision est déraisonnable en ce qu'il n'est pas possible de dire qu'il existe un fondement probatoire qui appuie les conclusions de l'agente et qu'il n'est pas possible de dire que l'agente s'est penchée sur les risques précis auxquels une personne possédant le profil de la demanderesse serait exposée. Voir Cepeda-Guitterez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, aux paragraphes 15-17.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. L'affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

 

                                                                                              « James Russell »

                                                                                                                                       Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRAL

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-2249-09

 

INTITULÉ :                                       PACKIAM NAGARATNAM

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 4 FÉVRIER 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Blanshay

                                                                                                            DEMANDERESSE

 

Ned Djordjevic

                                                                                                            DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)

                                                                                                            DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                                                                                                                        DÉFENDEUR

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