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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100226

Dossier : IMM-2381-09

Référence : 2010 CF 232

Ottawa (Ontario), le 26 février 2010

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

SUMAYA MUSLEAMEEN

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et prétentions

[1]               Sumaya Musleameen (la demanderesse) est une citoyenne du Bangladesh, aujourd’hui âgée de 23 ans. Elle est arrivée au Canada le 28 juin 2004 munie d’un visa d’étudiant obtenu en imitant le consentement de son père. Elle a présenté une demande d’asile le 6 juin 2006, qui a été refusée le 8 avril 2009. Le présent contrôle judiciaire conteste cette décision. Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal ou la SPR) a donné trois raisons pour rejeter la demande : 1) il n’a pas cru le récit de la demanderesse, à savoir qu’elle avait fui son pays d’origine parce qu’elle craignait la brutalité de son père; 2) au Bangladesh, elle n’avait pas sollicité auprès des autorités étatiques une protection qui lui aurait été raisonnablement assurée si elle en avait fait la demande; 3) un changement de situation faisait en sorte que sa crainte d’être persécutée si elle retournait au Bangladesh n’était pas fondée.

 

[2]               Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse a affirmé que son père était un fondamentaliste violent et brutal, qui croyait que les femmes n’avaient aucun droit et devaient toujours être contrôlées. Elle a dit que son père torturait régulièrement sa mère sur le plan psychologique et physique, au point où, après dix ans d’un tel traitement, sa mère a fui aux États-Unis le 10 octobre 1998, alors que la demanderesse était âgée de 12 ans. Sa mère s’est remariée, a poursuivi ses études et est aujourd’hui résidente permanente des États‑Unis.

 

[3]               Elle soutient qu’elle a terminé sa 10e année d’études et que sa mère payait sa scolarité, mais qu’en 2002, son père l’a empêchée de poursuivre ses études. La situation s’est détériorée à partir de ce moment, quand un certain nombre d’incidents sont survenus qui ont suscité la colère de son père et ont amené ce dernier à faire preuve de violence verbale et psychologique à son endroit parce que : 1) elle ne voulait pas porter le hijab; 2) elle insistait pour poursuivre ses études; 3) elle ne restait pas confinée à la maison.

 

[4]               Lors d’un incident brutal particulier survenu le 14 mai 2002, alors qu’elle était âgée de 16 ans, son père, allègue-t-elle, lui a tiré une balle dans l’épaule gauche; elle a été hospitalisée deux semaines; le médecin a déclaré qu’il fallait porter plainte à la police, mais cela n’a pas été fait par peur des représailles du père, et ce, à l’insistance de la tante maternelle de la demanderesse, qui avait amenée cette dernière à l’hôpital. Cet incident a eu lieu après que son père l’ait vue descendre de l’autobus scolaire sans porter le hijab.

 

[5]               Après avoir quitté l’hôpital, elle est allée vivre chez sa tante. Elle soutient toutefois qu’après plusieurs mois, elle a été forcée de réintégrer le domicile familial, mais pas avant que sa tante et sa mère aient convenu qu’il fallait trouver pour elle un moyen de fuir son père et le Bangladesh.

 

[6]               Malheureusement, le cycle de la violence physique verbale de son père a repris et il s’est intensifié au point où elle perdait parfois connaissance après avoir été battue. Pendant ce temps, sa mère et sa tante ont organisé en cachette son départ pour le Canada en tant qu’étudiante étrangère munie d’un visa d’étudiant qu’elle a fini par obtenir le 27 juin 2003 en imitant la signature de son père sur un formulaire de consentement.

 

[7]               À la fin de 2003 ou au début de 2004, elle a rencontré un ami et tuteur de son frère, Albaad, qui se présentait régulièrement à la maison familiale. Son père l’a « surprise » en train de parler avec Albaad. Il est devenu enragé, dit-elle, et a tenté de la défigurer avec une bouteille cassée; elle a réussi à parer le coup mais la bouteille l’a blessée au bras. Elle a de nouveau été admise au même hôpital que la première fois, pour des raisons semblables, et a été soignée par le même médecin. Aucune plainte n’a été déposée auprès de la police. Après avoir obtenu son congé, elle a vécu chez sa tante jusqu’à ce qu’elle s’enfuie au Canada.

 

[8]               Elle a déclaré que sa tante a informé son père de l’endroit où elle se trouvait. Celui‑ci lui a dit qu’il tuerait sa fille à son retour parce qu’elle l’avait déshonoré.

 

La décision du tribunal

[9]               Le tribunal a fondé sa décision sur trois motifs distincts : 1) la crédibilité, 2) la disponibilité d’une protection de l’État, et 3) l’absence de crainte fondée de persécution si elle retournait aujourd’hui au Bangladesh.

 

1) La crédibilité – les invraisemblances

[10]           Le tribunal a conclu que la preuve de la demanderesse « y compris son témoignage de vive voix, n’est pas crédible […] ». Il a déclaré qu’il s’agissait là de la question déterminante. Il a fait remarquer qu’elle avait été soignée à deux reprises au même hôpital, l’Hôpital médical Omar-Sultan, dans un secteur de Dhaka appelé Dhanmondi (l’hôpital) après le 14 mai 2002 et après l’incident survenu au début de 2004. Elle a été soignée les deux fois par le même médecin. Le tribunal a demandé à la demanderesse « de fournir une preuve documentaire sur le traitement qu’elle a reçu à cet hôpital afin de corroborer son allégation. Elle a soutenu ne pas être en mesure de le faire parce que l’hôpital a fermé en 2007 ». On lui a demandé si elle avait une preuve documentaire au sujet de la fermeture de l’hôpital. Elle a répondu qu’elle n’en avait pas, malgré les recherches qu’elle avait faites sur Internet à cette fin, et il s’agit là d’un fait que son avocat a confirmé dans des observations postérieures à l’audience. On lui a demandé si ses dossiers médicaux avaient été transférés à un autre hôpital, et elle a répondu qu’elle l’ignorait; quand on lui a demandé si sa tante avait fait une recherche sur la question, elle a répondu « par la négative, car elle croyait que sa tante ne souhaitait vraiment pas l’aider ».

 

[11]           Elle a également déclaré que, quelques mois avant sa première audience, elle avait demandé à sa tante d’entrer en contact avec son médecin soignant à l’hôpital et qu’elle avait envoyé son frère à sa recherche, mais que tout cela n’avait donné aucun résultat. Elle a ajouté qu’elle avait demandé à des membres de sa famille au Bangladesh de l’aider, mais ceux-ci avaient refusé chaque fois.

 

[12]           Le tribunal a soulevé deux invraisemblances dans ce témoignage. Premièrement, en ce qui concerne la fermeture de l’hôpital, il a conclu : « […] si l’hôpital avait fermé comme le prétend la demandeure d’asile, cette dernière ou son conseil auraient été en mesure de présenter au moins un ou deux articles de journaux ou de publications médicales bangladais à ce sujet. Le tribunal fait remarquer l’utilisation assez commune de l’anglais dans les affaires professionnelles et commerciales au Bangladesh; par conséquent, toute information obtenue à cet égard aurait pu facilement être présentée à la Commission ».

 

[13]           Le tribunal a également conclu : « [e]n outre, le tribunal est d’avis que Google, employé en vain par la demandeure d’asile selon ses dires, et d’autres moteurs de recherche sur Internet, auraient permis à la demandeure d’asile de trouver au moins une référence ou une mention de la fermeture alléguée de l’hôpital si elle avait eu lieu. Le tribunal fait observer que la fermeture d’un hôpital serait un événement passablement important, puisque les hôpitaux jouent un rôle crucial au sein des collectivités partout dans le monde ».

 

[14]           La conclusion du tribunal sur ce point est la suivante :

 

[…] Le tribunal juge invraisemblable qu’un hôpital ferme à Dhaka en 2007 et qu’aucune mention de cet événement ne puisse être trouvée, malgré la recherche détaillée et concertée effectuée par la demandeure d’asile, puis par le conseil, alors qu’ils avaient à leur disposition, selon eux, des outils de recherche modernes sur Internet. Le tribunal estime que cette situation est invraisemblable, parce que, compte tenu des circonstances particulières en l’espèce et des conditions existantes dans le pays, il ne serait pas raisonnable d’arriver à cette conclusion. Le tribunal ne peut que déduire, et conclure en raison du manque de preuve documentaire justificative, que la raison pour laquelle aucune information n’est disponible à propos de cette fermeture alléguée est simplement qu’elle n’a jamais eu lieu. En raison de cette allégation, qu’il juge invraisemblable et donc fausse, le tribunal tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

Cela a de nombreuses répercussions. En bref, la demandeure d’asile n’a pas pu corroborer ses visites à l’hôpital parce que, selon elle, l’hôpital a été fermé. Le tribunal conclut d’après la preuve susmentionnée que, selon la prépondérance des probabilités, la fermeture de l’hôpital n’a pas eu lieu. Par conséquent, le tribunal note un défaut de confirmer les allégations de la demandeure d’asile en ce qui a trait à son hospitalisation, et ce, sans justification adéquate. Le tribunal en tire donc une conclusion défavorable quant à la crédibilité. En outre, puisque la demandeure d’asile n’a pas corroboré ses visites à l’hôpital, tel qu’il est mentionné ci-dessus, le tribunal estime qu’elle n’a pas été hospitalisée comme elle le prétend. De cette conclusion découle la conclusion que la demandeure d’asile n’a pas été blessée comme elle l’a allégué.

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]           La conclusion du tribunal selon laquelle la demanderesse n’a pas été blessée comme elle l’a allégué l’a amené à faire référence à la pièce C‑2, un rapport médical du Dr Blakeney, où il est indiqué que la demanderesse a une cicatrice sur l’avant-bras gauche ainsi que sur l’épaule gauche. Le tribunal a également fait référence à cette pièce. Il a fait remarquer : « [l]e rapport médical […] fait mention de ces cicatrices, ainsi que des allégations répétées de la demandeure d’asile selon lesquelles son père aurait tiré sur elle et lui aurait fait une entaille ». Le tribunal a souscrit à l’opinion de l’agent du tribunal :

 

[…] ce rapport n’indique pas que la blessure à l’épaule concorde avec l’allégation selon laquelle la demandeure d’asile aurait été touchée par balle, mais uniquement avec celle selon laquelle elle aurait subi une opération. Ce rapport ne corrobore donc pas entièrement la blessure par balle ou l’entaille.

 

[16]           Le tribunal a souligné d’autres éléments de preuve qui « incitent […] à conclure que la demandeure d’asile n’a pas reçu une balle comme elle le prétend ». Ces éléments sont liés à la preuve précédemment analysée selon laquelle le médecin soignant n’a pas déclaré l’incident à la police ainsi qu’aux raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait. Le tribunal a tiré la conclusion d’invraisemblance suivante :

 

Le tribunal juge invraisemblable qu’un médecin d’un hôpital n’avise pas la police, allant ainsi à l’encontre de la politique de l’établissement, de la loi ou des deux. Les politiques sont en place afin que les décideurs suivent les normes de comportement désirées et déterminées par une organisation, évitant ainsi qu’ils soient influencés par les arguments ou les supplications de personnes souhaitant qu’ils fassent fi des politiques. Le fait que le crime en question ait causé une blessure par balle, assez grave pour nécessiter une opération et une hospitalisation de deux semaines, de même que le fait qu’il s’agissait d’un cas où un père a tiré sur sa fille, incitent le tribunal à conclure qu’il est invraisemblable qu’un médecin choisisse de ne pas respecter la politique en vigueur en ne rapportant pas ce qui pourrait être considéré comme un crime très grave pouvant troubler la conscience morale de la plupart des personnes. Le tribunal ne croit tout simplement pas que, compte tenu des circonstances, une personne raisonnable accepterait qu’un médecin dans un hôpital choisisse de pratiquer une opération pour retirer une balle et approuverait l’hospitalisation de deux semaines de la demandeure d’asile sans rapporter l’incident à la police comme il le devrait, et ce, uniquement parce qu’il éprouve de la compassion pour la demandeure d’asile et sa tante et qu’il compatit à leur situation. Si le tribunal avait pu consulter un rapport d’hôpital permettant d’éclaircir la prétendue décision du médecin de ne pas aviser la police comme il le devait, le tribunal serait peut-être parvenu à une conclusion différente. Cependant, puisque la demandeure d’asile n’a pas fourni un rapport médical portant sur cet élément clé de sa demande d’asile, et ce, sans explication valide, comme il a été susmentionné, le tribunal a conclu à l’invraisemblance de la situation. Il tire donc de cette décision une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

2) La protection de l’État

 

[17]           Le tribunal a conclu que même s’il avait trouvé la demanderesse digne de foi, celle‑ci n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État, faisant remarquer qu’« [u]n demandeur d’asile doit d’abord chercher la protection de son pays avant de demander celle du Canada, sous réserve que cette protection soit adéquate et raisonnablement offerte. Autrement, il doit fournir une explication raisonnable ».

 

[18]           Le tribunal a noté le témoignage de la demanderesse selon lequel celle‑ci avait peur d’appeler la police et avait convaincu sa tante et le médecin de ne pas le faire parce qu’elle craignait que son père se venge sur elle et sur la famille de sa tante. Elle a également déclaré que la police ne l’aiderait pas parce qu’elle prendrait parti pour son père à propos d’une affaire de nature familiale.

 

[19]           Le tribunal a écrit ce qui suit au sujet de la protection de l’État en rapport avec la violence familiale au Bangladesh :

 

Le tribunal reconnaît qu’il existe des problèmes de violence familiale au Bangladesh et que l’État n’offre pas un degré de protection attendu. La question consiste toutefois à déterminer si, dans les circonstances particulières de la demandeure d’asile, la protection serait adéquate. Le tribunal note que, à titre d’exemple, il est indiqué à la page 11 de la pièce C-3 que seulement 7 p. 100 environ des hommes sont reconnus coupables dans un cas comme une agression à l’acide sur une femme. Le tribunal fait observer que, même si elle n’est pas exemplaire, il y a quand même une possibilité réelle d’enquête, d’une accusation et d’une déclaration de culpabilité pour les agresseurs de femmes, si les incidents sont rapportés, bien entendu.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[20]           Le tribunal a fait ensuite référence à une preuve documentaire, un exposé de la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés sur la protection de l’État au Bangladesh dans lequel on peut lire ceci : « […] les lois existantes contre la répression infligée aux femmes ne punissent pas les hommes qui maltraitent leur épouse, à moins qu’une [traduction] “blessure grave” ne soit infligée ». Tout en faisant remarquer que la citation avait trait à la violence conjugale, le tribunal a exprimé l’opinion suivante :

 

Même si cette citation porte sur la violence conjugale, le principe peut raisonnablement être appliqué au cas en l’espèce, puisque la demandeure d’asile a prétendu que son père la traitait, à titre de fille aînée de la maison, comme un homme traiterait son épouse s’il la maltraitait. Le tribunal fait remarquer que, en l’espèce, la blessure en question était une blessure par balle à l’épaule, ce qu’il considère comme une blessure grave.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           Le tribunal a souligné que la demanderesse n’avait rien fait du tout pour demander l’aide de la police et qu’elle avait convaincu le médecin de ne faire aucune déclaration par peur des représailles. [Ajoutant] :

 

Elle avait peut‑être peur (en tenant pour acquis que son père lui a réellement tiré dessus), mais la question consiste à déterminer si cela la soustrayait à l’obligation de chercher une protection pour elle-même chez elle, au Bangladesh, ce qui signifie en l’espèce de laisser la loi suivre son cours et de permettre au médecin de téléphoner à la police comme il le souhaitait et comme il le devait.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Le tribunal a conclu ce qui suit :

 

[…] cette crainte alléguée de son père ne dispensait pas la demandeure d’asile de l’obligation de chercher une protection à ce moment. Il s’agissait d’un crime grave et il n’y a pas de raison suffisante permettant de croire que la police n’aurait pas poursuivi en justice le père de la demandeure d’asile. En fait, lorsque le tribunal a fait observer à la demandeure d’asile qu’une agression armée est un crime grave qui aurait dû être rapporté à la police, elle a répliqué que cette dernière aurait probablement cru davantage son père qu’elle-même. Puisqu’aucune allégation n’a été portée selon laquelle son père aurait fait valoir la légitime défense, et que la demandeure d’asile aurait été blessée par balle, le tribunal estime qu’il aurait été en fait plus probable que la police la croie et porte des accusations.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           Le tribunal s’est penché sur la question des représailles qu’aurait exercées le père de la demanderesse si elle avait appelé la police. Il a noté qu’il avait laissé entendre à la demanderesse que son père aurait été jeté en prison et qu’il aurait donc été incapable de lui faire du mal, ce à quoi elle a répondu que son père aurait pu soudoyer la police. Le tribunal a conclu ce qui suit :

 

[…] Le tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, il n’aurait pas réussi à soudoyer la police pour un crime grave comme le fait de tirer sur sa fille non armée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[24]           Enfin, le tribunal a suggéré une autre raison pour laquelle une protection de l’État aurait été disponible : la déclaration de la demanderesse selon laquelle le médecin allait appeler la police conformément à la politique de l’hôpital, ce qui signifiait que « le recours à la protection de l’État était intégré dans le système hospitalier ». Il a conclu :

 

[…] Le fait que la demandeure d’asile ait choisi de prendre des mesures énergiques pour dissuader le médecin de l’aider en demandant une enquête policière incite le tribunal à conclure que la demandeure d’asile a délibérément choisi de ne pas chercher la protection de l’État, et ce, sans justification suffisante. Par conséquent, la demandeure d’asile n’a pas droit à la protection du Canada, puisqu’elle n’a pas d’abord cherché à obtenir la protection de son propre pays, le Bangladesh, qui aurait été adéquate dans les circonstances selon le tribunal.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

3) La crainte non fondée de persécution

 

[25]           La conclusion du tribunal sur ce point est fondée sur l’évolution de la situation au Bangladesh depuis que la demanderesse a quitté ce pays. Son père a une nouvelle femme dans sa vie, mais la demanderesse ignore si le couple est marié ou vit en union de fait. Son frère a quitté le domicile familial sans répercussions. La demanderesse n’est pas parvenue à démontrer que son père s’intéressait de quelque manière à elle maintenant. Elle ignore si son père sait qu’elle est en contact avec sa mère ou son frère. Les contacts qu’elle a au Bangladesh - sa tante et son frère - ne lui ont donné aucune information sur l’attitude et les actes de son père à son égard et elle n’a fourni aucune preuve indiquant que son père l’a menacée ou a même posé des questions à son sujet depuis qu’elle a quitté le pays cinq ans plus tôt. Le tribunal a déclaré qu’on lui avait demandé directement ce que son père pourrait lui faire si elle retournait là-bas. Elle a répondu : « […] il pourrait la forcer à se marier avec le fils de l’un de ses amis. Priée d’indiquer si elle se plierait à cette décision le cas échéant, elle a admis qu’elle n’obéirait pas, avant d’ajouter qu’elle ne craignait pas du tout cette situation ».

 

[26]           Le tribunal a conclu :

 

En bref, le tribunal conclut après examen de la preuve susmentionnée que, selon la prépondérance des probabilités, le père de la demandeure d’asile ne ferait pas de mal à cette dernière et ne la persécuterait pas si elle devait retourner au Bangladesh. Par conséquent, quelle que soit la crainte qu’elle éprouve à son sujet, cette crainte n’est pas fondée. La demandeure d’asile n’est donc pas sérieusement exposée au risque d’être persécutée, d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités à son retour au Bangladesh.

 

[27]           Le tribunal a ajouté un autre point. Il a déclaré qu’il ressortait du témoignage de la demanderesse que son but véritable était de rejoindre sa mère et sa sœur aux États-Unis, mais qu’elle se rendait maintenant compte qu’il y avait peu de chances que cela arrive [ajoutant] : « […] [l]a prise de conscience de ce fait a joué un rôle majeur dans sa décision de demander l’asile au Canada au moment où elle l’a fait, soit environ deux ans après son arrivée au pays. En fait, sa crainte principale à propos de son retour au Bangladesh, selon elle, est d’être une femme célibataire sans liens familiaux, ce qui rendrait difficile sa vie là‑bas […] qu’elle aurait de la difficulté à vivre seule dans ces circonstances ».

 

[28]           Après avoir analysé la preuve, le tribunal a conclu que, sur ce point, le pire qui ressortait de la preuve était de la discrimination et du harcèlement, mais pas de la persécution.

 

Les observations de la demanderesse

[29]           L’avocat de la demanderesse signale que l’incrédulité du tribunal à l’égard du récit de sa cliente repose principalement sur le fait que ce dernier a conclu que ce récit était dénué de preuves corroborantes, notamment en ce qui concerne son incapacité à produire des dossiers médicaux au sujet des deux traitements subis à l’hôpital, et son incapacité à produire un document quelconque qui faisait état de la fermeture de l’hôpital. Le tribunal, soutient-il, a fait abstraction des efforts faits par la demanderesse pour obtenir ces documents et pour retrouver, sans succès toutefois, le médecin traitant. Il a aussi appliqué les normes nord-américaines en matière de fermetures de grands hôpitaux en disant qu’un tel fait aurait été annoncé, surtout compte tenu du fait que, comme la demanderesse l’a indiqué, l’hôpital était un bâtiment à deux étages situé en banlieue de Dhaka et qu’il n’était pas de grande taille : [traduction] « [c]e n’était pas comme un hôpital coûteux ou privé » (dossier certifié du tribunal, page 396); quoi qu’il en soit, l’avocat soutient qu’il était tout à fait déraisonnable de ne pas ajouter foi à la totalité des éléments de son récit concernant ce manque de collaboration. À cet égard, l’avocat soutient que le tribunal a mal interprété la preuve car les blessures de la demanderesse ont été corroborées par le rapport du Dr Blakeney. Enfin, la conclusion du tribunal au sujet de la crédibilité reposait aussi sur le fait qu’il était invraisemblable que le médecin soignant enfreigne la loi ou la politique de l’hôpital en ne signalant pas les blessures à la police. L’avocat ajoute que le tribunal a commis là une erreur, car cette conclusion n’était pas fondée sur la preuve.

 

[30]           L’avocat de la demanderesse a reconnu que sa cliente n’avait pas sollicité la protection de l’État, mais il a souligné que, compte tenu des circonstances pertinentes, cela n’était pas objectivement déraisonnable. Les facteurs dont il a fait état sont les suivants : le jeune âge de la demanderesse, qui n’avait que 16 ans; la personne visée par la plainte aurait été son père qui, craignait-elle, se vengerait sur elle pour avoir porté plainte; la preuve documentaire montrant que les lois contre la violence familiale ne sont pas appliquées; le fait que la police n’intercède pas dans les affaires de violence familiale, qu’elle considère comme des affaires de nature privée; la corruption généralisée de la police dans ce pays, où les gens ne sont pas poursuivis ou parviennent à sortir de prison après avoir payé un pot-de-vin et, enfin, en raison du jeune âge de la demanderesse et des attitudes prédominantes, on croirait son père avant elle. De plus, sa mère ne s’était jamais plainte des nombreux actes de violence de son époux.

 

[31]           L’avocat soutient que le tribunal a fondé sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne craignait pas avec raison d’être persécutée si elle était renvoyée au Bangladesh sur son opinion selon laquelle « [d’]après la preuve présentée, il est peu probable que le père de la demandeure d’asile prenne pour cible cette dernière si elle retournait au Bangladesh ». Il a ajouté que le tribunal s’est mépris sur le témoignage de sa cliente quand il a conclu que la principale raison pour laquelle elle craignait de retourner au Bangladesh était qu’en tant que célibataire, la vie serait pour elle difficile dans ce pays. L’objet principal de sa crainte est son père. L’avocat a fait remarquer qu’il est purement conjectural de dire que le père ne s’intéresserait pas à sa cliente parce qu’il avait une nouvelle femme dans sa vie.

 

Les observations du défendeur

a) La crédibilité

[32]           Après avoir noté que la décision du tribunal n’est peut-être pas parfaite et comporte peut‑être des lacunes, l’avocat a indiqué que le critère consiste à savoir si le résultat, considéré dans son intégralité, est raisonnable. Pour ce qui est de la crédibilité, l’avocat soutient que ce n’était pas la corroboration qui était le point en litige; le point essentiel était l’insuffisance de la preuve et le caractère raisonnable des explications que la demanderesse a données pour ne pas avoir fourni de preuves pertinentes à l’appui de ses dires.

 

[33]           Tout en admettant que le tribunal n’a pas traité du rapport du Dr Blakeney, l’avocat a indiqué que le tribunal ne l’avait pas rejeté complètement et que le fait de ne pas avoir traité de cette preuve n’était pas important.

 

[34]           Quant au fait que le médecin n’avait pas déclaré les blessures à la police, l’avocat a soutenu que la conclusion d’invraisemblance concernant cette non-déclaration n’est pas abusive ou arbitraire.

 

b) La protection de l’État

[35]           En tout état de cause, l’avocat a soutenu que la question de la protection de l’État serait déterminante quant à la demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. Il a ajouté que le tribunal avait examiné les explications de la demanderesse à propos du fait qu’elle n’avait pas sollicité la protection de l’État, et qu’il avait conclu que la justification était insuffisante. En agissant de la sorte, le tribunal n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle. L’avocat a soutenu que la demanderesse était tenue d’essayer d’obtenir une protection de l’État à partir de son pays d’origine avant de solliciter une protection à l’échelle internationale; en l’espèce, la demanderesse n’avait rien fait, surtout à la suite des blessures graves que son père lui avait censément infligées en faisant feu sur elle.

 

c) La crainte fondée de persécution

[36]           L’avocat a soutenu que cette conclusion était également raisonnable, au vu des faits particuliers sur lesquels le tribunal s’était fondé : 1) aucune preuve n’avait été produite pour montrer que le père avait menacé la demanderesse ou posé des questions à son sujet depuis son départ; 2) sa tante et son frère n’avaient fourni aucune information sur le comportement de son père à son égard; 3) ce dernier avait une nouvelle conjointe dans sa vie; 4) le tribunal avait fait abstraction de la crainte qu’avait la demanderesse de retourner dans son pays natal parce qu’elle était célibataire; 5) son but véritable était de rejoindre sa mère et sa sœur aux États-Unis.

 

Analyse

a) La norme de contrôle

[37]           À l’évidence, les conclusions du tribunal au sujet de la crédibilité ont droit à un degré élevé de déférence, et c’est ce qu’a conclu récemment la Cour suprême du Canada dans un certain nombre d’arrêts (voir Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38, où il est fait référence à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales).

 

[38]           Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, tout en concluant que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales n’établit pas une norme de contrôle légale, le juge Binnie a expliqué que : « […] bien que [cette disposition] fournisse […] une indication législative du “degré de déférence” applicable aux conclusions de fait de la SAI »; « [c]ette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales », c’est-à-dire un degré élevé de déférence (voir les paragraphes 3 et 46).

 

[39]           Quant à la protection de l’État, la question de savoir s’il est déraisonnable pour un demandeur de ne pas avoir sollicité une telle protection est une question mixte de faits et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

b) Analyse et conclusions

[40]           À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour les motifs suivants.

 

1) La conclusion relative à la crédibilité

[41]           La première raison est liée à l’importante conclusion d’invraisemblance concernant la fermeture de l’hôpital, qui a amené le tribunal à conclure que la demanderesse n’avait pas été blessée par son père. Cette conclusion est également liée à une autre conclusion d’invraisemblance, à savoir qu’un médecin ne négligerait pas de signaler à la police l’incident du coup de feu.

 

[42]           Le droit qui régit les conclusions d’invraisemblance est bien clair. Je fais référence ici à deux décisions : Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732, [1993] A.C.F. no 732, 160 N.R. 315, où le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a écrit ce qui suit au paragraphe 4 :

 

4          Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n’a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d’une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d’un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l’être. L’appelant, en l’espèce, ne s’est pas déchargé de ce fardeau.

 

[Non souligné dans l’original..]

 

[43]           Je cite également la décision du juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, 2001 CFPI 776, aux paragraphes 7, 8 et 9 :

 

7          Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[Non souligné dans l’original.]

 

8          Dans le jugement Leung c. M.E.I., (1994), 81 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.), voici ce que le juge en chef adjoint Jerome déclare à la page 307 :

 

[14] [...] Néanmoins, la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.

 

[15] Cette obligation devient particulièrement importante dans des cas tels que l'espèce où la Commission a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur des « invraisemblances » présumées dans les histoires des demanderesses plutôt que sur des inconsistances [sic] et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage. Les conclusions d'invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l’idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l’à-propos d’une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions [...] La Commission aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d'invraisemblance.

[Non souligné dans l’original.]

 

9          Dans le jugement Bains c. M.E.I., (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.) à la page 314, le juge Cullen a annulé la décision du tribunal après avoir conclu que celui-ci avait commis une erreur parce que les conclusions qu’il avait tirées au sujet de la vraisemblance ne reposaient pas sur la preuve documentaire et parce qu’elles étaient fondées sur des critères canadiens :

 

[4] [...] Or, en se prononçant sur la vraisemblance ou l’invraisemblance de la situation décrite, la Section du statut n’a fait aucune mention des preuves documentaires déposées à l'appui du requérant, et notamment des rapports d’Amnistie internationale. D'après ces rapports, les événements racontés par le requérant n’étaient pas particulièrement rares et le harcèlement constant des membres ou des anciens membres de l’Akali Dal était la règle et non pas l'exception. J’estime donc que le fait de ne pas avoir évoqué ces éléments du dossier, soit pour les admettre, soit pour les réfuter, ébranle singulièrement la décision et les conclusions de la Section du statut. J'ajoute que les dires du requérant sont parfaitement conformes aux preuves documentaires figurant au dossier, qui sont sans doute les seules informations susceptibles d’appuyer l’argument du requérant et qui constituent le seul élément permettant de juger de la vraisemblance de ses déclarations. Cette preuve documentaire est le seul indice de la manière dont les autorités indiennes se comportaient vis-à-vis des Sikhs et, selon ces mêmes rapports, ce genre d’incident était « chose commune ».

 

[5] Il est possible que les événements décrits par le requérant aient pu paraître invraisemblables à la Section du statut, et que le témoignage du requérant ait pu donc sembler peu digne de foi mais, ainsi que l’a fait remarquer l’avocat du requérant [traduction] « Les critères canadiens cadrent mal avec la réalité indienne ». Malheureusement, la torture existe, ainsi qu’existent aussi l’exploitation et la vengeance qui, souvent, mènent au meurtre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[44]           Selon moi, il convient d’infirmer les conclusions d’invraisemblance que le tribunal a tirées, car elles ne satisfont pas aux critères énoncés dans la jurisprudence. La prémisse tout entière de ces conclusions est la présomption du tribunal selon laquelle la fermeture de l’hôpital aurait été annoncée dans les médias ou que l’on aurait trouvé mention de cette nouvelle sur Internet. En tirant cette conclusion, le tribunal a fait abstraction de la preuve qu’il avait reçue sur le genre d’hôpital dont il s’agissait : un bâtiment à deux étages, peu connu. Deuxièmement, le tribunal a fait abstraction des efforts légitimes de la demanderesse et de son avocat pour corroborer la fermeture. Troisièmement, le tribunal s’est fondé sur des normes canadiennes concernant l’importance des fermetures d’hôpital. Quatrièmement, l’inférence tirée est contraire au rapport du Dr Blakeney, que le tribunal a mal interprété. Ce médecin a clairement conclu dans son rapport que [traduction] « la demandeure d’asile avait des cicatrices qui concordaient avec les lésions, et le traitement médical qu’elle dit avoir reçu pour ces lésions est médicalement crédible » [non souligné dans l’original]. Sixièmement, l’invraisemblance du fait que le médecin avait accepté de ne pas signaler les incidents est, là encore, fondée sur des présomptions quant à la façon dont un médecin agirait au Canada, sans faits aucuns sur ce que signaleraient des médecins au Bangladesh dans le cas d’un père ayant censément tiré un coup de feu sur sa fille de 16 ans.

 

[45]           En résumé, tous ces facteurs montrent que les inférences que le tribunal a tirées des invraisemblances sont déraisonnables.

 

2) La protection de l’État

[46]           À mon sens, l’analyse que fait le tribunal de la protection de l’État est viciée. J’ai récemment eu l’avantage de résumer la jurisprudence relative à la protection de l’État dans la décision Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119, [2010] A.C.F. no 132, aux paragraphes 28 à 33. Dans le cas d’une personne qui omet de solliciter une protection, comme c’est le cas en l’espèce, la conclusion du tribunal « ne porte un coup fatal à la demande que dans le cas où celui‑ci conclut également que la protection pouvait raisonnablement être offerte », ce qui oblige à examiner toutes les circonstances appropriées. La norme de preuve est la prépondérance des probabilités.

 

[47]           Le tribunal a précisé : « il existe des problèmes de violence familiale au Bangladesh et […] l’État n’offre pas un degré de protection attendu ». Il a fait état de cas de femmes attaquées à l’acide qu’il a associés par analogie à un cas de « lésion corporelle grave » comme le coup de feu. Le tribunal a conclu qu’il y avait une réelle possibilité d’enquête, d’accusation et de condamnation. Cette norme n’est pas celle de la prépondérance des probabilités – selon toute vraisemblance. Le tribunal a commis une erreur. En outre, selon moi, une bonne part de l’analyse factuelle que le tribunal a faite repose sur des invraisemblances dont le fondement factuel n’a pas été établi; par exemple : le père ne serait pas capable de soudoyer la police pour pouvoir quitter la prison et ne pourrait donc pas chercher à se venger.

 

3) L’absence d’une crainte fondée

[48]           L’erreur que commet ici le tribunal est qu’il a mal caractérisé la nature de la crainte qu’éprouverait la demanderesse si elle retournait au Bangladesh – celle d’une célibataire vivant seule; ce n’est pas cela qu’elle a exprimé, mais plutôt le fait qu’elle avait peur de la vengeance de son père. Une bonne part des conclusions repose sur des hypothèses et des conjectures. À mon avis, la crainte fondée de la demanderesse est intimement liée à la totalité de la preuve que le tribunal a mise de côté par erreur.

 

[49]           Pour ces motifs, le présent contrôle judiciaire est accueilli.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision du tribunal annulée et la demande d’asile renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question de portée générale n’a été proposée.

 

                                                                                                 « François Lemieux »

                                                                                               ______________________________

                                                                                                                         Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2381-09

 

INTITULÉ :                                       SUMAYA MUSLEAMEEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Ian Wong

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Godkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Ian Wong

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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