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Date : 20100226

Dossier : IMM-4500-09

Référence : 2010 CF 229

Ottawa (Ontario), le 26 février 2010

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

BASHARAT-UL-ZAM MALIK

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Malik demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR), qui a refusé sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de statut de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), parce qu’il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Pakistan.

 

[2]               M. Malik, un citoyen du Pakistan, est entré au Canada le 2 octobre 2007 au moyen d’un faux passeport et d’un faux visa canadien. Il a présenté le lendemain une demande d'asile, laquelle se fonde sur une prétendue crainte d’être persécuté du fait de sa religion (chiisme). Le demandeur a déclaré avoir été agressé physiquement et reçu des menaces d’un ecclésiastique local (Moulvi Fazal Din), qui a par la suite déposé une fausse accusation de blasphème contre le demandeur, un crime passible d’une peine d’au plus trois années de prison, d’une amende, ou des deux,[1] et émis une fatwa contre lui. De plus, compte tenu de la fausse accusation susmentionnée, un mandat d’arrêt a été lancé par la cour locale et transmis à la police locale, où certaines personnes appuyaient l’ecclésiastique. Le demandeur a affirmé craindre la police locale et le Sipah-e-Sahaba Pakistan (SSP), une organisation maintenant déclarée illégale, mais qui demeure clandestine et puissante. Elle compte aussi de nombreux membres, dont Moulvi Fazal Din (un dirigeant local). Il convient également de noter que M. Malik fait partie d’une famille nombreuse au Pakistan, y compris sa femme et ses enfants. Tous les membres de sa familles sont chiites et demeurent dans la région où le demandeur vivait. Ils n’ont pas été persécutés parce que, contrairement au demandeur, ils ne jouaient pas un rôle actif dans l’organisation de rassemblements religieux.

 

[3]               La SPR est arrivée à la conclusion que le demandeur était crédible et a accepté les principaux éléments de son témoignage. Toutefois, elle a conclu que, même si la preuve montre que M. Malik ne pouvait pas obtenir la protection de l’État dans son village ou dans sa région, et qu’il ne serait probablement pas en mesure d’en bénéficier s’il y retournait, le demandeur n’a pas prouvé qu’il lui était impossible de déménager dans une grande ville du Pakistan, comme Karachi, où il ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté.

 

[4]               M. Malik ne prétend pas que la SPR a commis une erreur dans l’application du critère juridique pour déterminer si une PRI existait pour lui. Il soutient plutôt que le décideur a erré dans ses conclusions de fait et qu’il a fondé sa conclusion sur des inférences déraisonnables qui vicient l’ensemble de la décision.

 

[5]               Il est bien établi, et les parties sont d’accord, que la Cour devrait appliquer la norme de la décision raisonnable à de telles questions : Rueda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 828, [2009] A.C.F. no 937 (QL), au paragraphe 58.

 

[6]               Cette norme exige que la Cour se penche sur les attributs de la décision et s’intéresse à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour doit également déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 N.B.R. (2d) 1, au paragraphe 47.

 

[7]               J’examinerai d’abord la prétendue erreur qui concerne la crainte exprimée par le demandeur envers le SSP dans tout le Pakistan. La conclusion de la SPR quant à l’absence de protection de l’État au village du demandeur s’appuyait sur la preuve et la déposition du demandeur, et non sur la preuve documentaire. Le demandeur n’a pas souligné d’élément d’information crucial de la preuve documentaire qui pourrait remettre en question la conclusion de la SPR que : « […] même si des membres du SSP sont présents dans l’ensemble du pays, je ne suis pas convaincu que ceux qui sont à Karachi seraient à la recherche d’un petit propriétaire foncier du Pendjab contre qui un extrémiste sunnite relativement peu important, présumé membre du SSP, avait lancé une fatwa ».

 

[8]               De plus, il est présumé que la SPR a tenu compte de l’ensemble de la preuve, et elle n’a pas à citer et analyser chacun des documents. Dans la mesure où la preuve documentaire montre que le SPP était toujours actif dans tout le Pakistan, la SPR reconnaissait assurément cette situation dans l’extrait cité ci-dessus.

 

[9]               Les parties s’accordent pour dire qu’environ 5 000 fatwa sont publiées en ligne quotidiennement au Pakistan, sans compter celles qui ne sont rendues publiques qu’à l’échelle locale. Le demandeur a affirmé que la fatwa en l’espèce avait seulement été publiée localement au moyen d’annonces dans le système d’interphone de la madrasa de l’ecclésiastique (son école), d’affiches placardées dans le quartier et d’une croix sur la porte de sa maison.

 

[10]           Le demandeur soutient également que la SPR n’a pas accordé le poids qui convient au danger qui découle de la publication d’une fatwa et met en relief la preuve documentaire portant sur leur conséquence mortelle. Toutefois, la preuve documentaire montre aussi clairement que la force d’une fatwa dépend de l’importance de la personne qui la publie. C’est exactement la raison pour laquelle la SPR a décidé d’accorder peu d’importance au danger couru à Karachi à cause de la fatwa publiée par l’ecclésiastique local[2]. Je ne suis pas convaincue que cette conclusion était déraisonnable.

 

[11]           M. Malik soutient également que la SPR a omis de prendre en considération le fait qu’il aurait fréquemment à utiliser sa carte d’identité nationale (CIN) s’il vivait à Karachi, ce qui permettrait à la police locale de découvrir facilement l’existence du mandat non exécuté et d’informer ses persécuteurs, y compris la police locale de sa région, de sa présence à Karachi. Il affirme aussi que la SPR a appuyé sa décision sur une hypothèse non fondée que les documents de la police locale (procès-verbaux et mandats), rédigés à la main, ne sont pas par la suite entrés dans le système informatisé qui permettrait à la police locale de fournir aisément des renseignements à son sujet.

 

[12]           Il est évident que la SPR a décidé que la preuve était insuffisante pour conclure de façon objective que la crainte subjective du demandeur de faire l’objet d’une enquête par la police de Karachi était fondée. M. Malik a dit craindre d’être visé par une telle enquête parce que la police de Karachi le suspecterait vraisemblablement d’être membre du SSP et/ou d’être un terroriste étant donné que l’adresse permanente inscrite sur sa CIN le situe au Pendjab. À cet égard, la SPR a fait remarquer qu’ « [a]ucun des éléments de preuve présentés ne permet de croire que la police de Karachi aurait de tels soupçons en apprenant que le demandeur d’asile est originaire du Pendjab. Compte tenu du fait que la grande majorité des Pendjabis ne sont pas des terroristes actifs ni d’importants criminels, je juge invraisemblable que le simple fait d’être originaire du Pendjab soit particulièrement important pour la police de Karachi. »

 

[13]           Tel que l’a souligné la SPR, Karachi est une grande métropole où vivent plusieurs millions de personnes. Même si le conseil du demandeur a dit ne pas connaître la taille de la ville, il est facile d’établir, en fait, que la ville s’inscrit parmi les plus populeuses au monde, si ce n’est la plus populeuse. C’est dans ce contexte que la SPR a fait remarquer que :

Compte tenu du fait que le système de plaintes et de mandats au Pakistan est manuel et que ce pays compte plus de 170 millions de citoyens, j’estime qu’il est invraisemblable que la police de Karachi consacre beaucoup d’efforts pour que la police locale du village du Pendjab examine tous les dossiers à la main pour voir s’ils contiennent des renseignements à propos du demandeur d’asile, à moins qu’elle ne le soupçonne d’être un criminel important ou un présumé terroriste.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[14]           L’utilisation des mots « à la main » dans la dernière phrase citée ci-dessus a été longuement débattue au cours de l’audience. La Cour ne croit pas que ce mot porte le poids considérable que lui attribue le demandeur. J’estime qu’il était peu plausible que la police de Karachi déploie de grands efforts pour obtenir des informations de la police locale d’un village au Pendjab à propos du demandeur pour les motifs exposés ci-dessus, que la recherche de la police locale soit exécutée à la main ou à l’aide d’un système informatisé local (une autre hypothèse importante, compte tenu des informations disponibles sur le fonctionnement du système et du fait qu’au moment où le système des cartes nationales a été informatisé, ce fait a été consigné dans le cartable national sur le Pakistan utilisé par la SPR). Dans sa déposition, M. Malik a seulement affirmé que la police de Karachi pouvait communiquer avec la police locale par téléphone ou par télécopieur. Il n’était pas au courant des systèmes informatiques employés par les forces policières.

 

[15]           À l’instar de la SPR, la Cour ne peut pas simplement présumer, comme l’a suggéré l’avocat du demandeur, l’existence d’un degré de coopération policière et d’informatisation de renseignements policiers tel qu’il existe une possibilité sérieuse que ce demandeur particulier soit appréhendé à Karachi et renvoyé dans son village, ou que la police locale vienne à Karachi pour l’arrêter elle‑même. Il n'y a tout simplement pas de preuve en ce sens. La Cour signale que dans Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 358, 169 A.C.W.S. (3d) 626, [2008] A.C.F. no 463 (QL), le juge Yves de Montigny a écrit au paragraphe 21 qu’au Mexique (pays qui compte plusieurs villes de plus d’un million d’habitants), la coordination entre les forces policières mexicaines est faible et que le demandeur s’était contenté de faire vaguement allusion au risque d’être retrouvé qui découle de l’informatisation des données dans un pays moderne, sans fournir d’élément de preuve concret et réel.

 

[16]           Le demandeur a été avisé bien avant l’audience que l’existence d’une PRI constituait une question en litige en l’espèce, et l’information a été répétée au début de l’audience. Il n’a pas produit de preuve documentaire (et n’a pas non plus demandé l’autorisation d’en produire plus tard) pour appuyer sa crainte subjective de faire l’objet d’une enquête et d’être renvoyé dans son village, peu importe où il se trouve au Pakistan. Le demandeur a même omis de préciser, dans son témoignage, que les forces policières ont la réputation de coopérer en pareilles circonstances ou de détenir des systèmes informatiques efficaces qui leur permettent d’exécuter un mandat pour ce qui semble être une infraction relativement mineure dans l’ensemble du Pakistan. Dans les circonstances, la Cour ne peut trouver aucune erreur susceptible de contrôle dans cette conclusion.

 

[17]           Finalement, le demandeur, dans ses observation écrites (qui n’ont pas été abordées au cours de l’audience), déclare que la SPR a erré en comparant Karachi à Montréal et en arrivant à la conclusion que puisque le demandeur était prêt à s’établir à Montréal, il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’il puisse s’établir dans une autre grande ville du Pakistan. À cet égard, il a été fait remarquer que les membres de sa famille étaient bien nantis et seraient en mesure de lui offrir un soutien financier s’il s’installait à Karachi ou dans un autre grand centre urbain.

 

[18]           Même s’il ne fait aucun doute que des différences importantes existent entre Montréal et Karachi, la Cour n’est pas convaincue que la SPR a tiré la conclusion déraisonnable que, si le demandeur était capable de déménager de son plein gré dans une grande ville à l’autre bout du monde, il devait au moins être aussi capable de s’installer ailleurs au Pakistan.

 

[19]           En conclusion, la décision est brève, mais convaincante. La conclusion tirée appartient aux issues possibles acceptables selon la preuve présentée à la SPR.

 

[20]           La demande est rejetée.

 

[21]           Les parties n'ont présenté aucune question aux fins de certification et la Cour estime que la présente affaire est un cas d'espèce.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

[1]               La demande est rejetée.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


Cour fÉdÉrale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4500-09

 

INTITULÉ :                                       BASHARAT-UL-ZAM MALIK

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 février 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Gauthier

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 26 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eric Freedman

 

POUR LE DEMANDEUR

Patricia Nobl

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brownstein, Brownstein & Associates

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Il n’ y a aucune preuve quant à la sentence coutumière qui a été prononcée pour cette accusation.

[2] Cette conclusion devrait également être mise en contexte. Comme je l’ai mentionné, la famille de M. Malik n’avait pas été persécutée par cet ecclésiastique et il n’y a aucune preuve quant à la volonté de ce dernier, qui de toute évidence cherchait à mettre un frein aux activités religieuses du demandeur, de le pourchasser à l’extérieur de sa région.

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