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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20100224

Dossier : T-1752-06

Référence : 2010 CF 217

Ottawa (Ontario), le 24 février 2010

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

GARY SAUVÉ

demandeur

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

MARC FRANCHE (GRC), LARRY TREMBLAY (GRC),

LOUIS DORAIS (GRC)

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Gary Sauvé est membre de la Gendarmerie royale du Canada et il est actuellement suspendu sans solde. M. Sauvé a engagé une action en dommages-intérêts contre Sa Majesté la reine du chef du Canada, la GRC et plusieurs officiers de la GRC. Les défendeurs sollicitent maintenant une ordonnance visant la radiation de la déclaration de M. Sauvé dans sa totalité, sans autorisation de modification.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j'ai conclu que la déclaration devait en effet être radiée. J'ai de plus conclu que l'autorisation de la modifier ne devait pas être accordée, sauf pour l'une des prétentions.

 

 

Le contexte

 

[3]               M. Sauvé a été partie à un long litige dans la province de Québec à l'égard de la paternité de deux enfants. Dans le cadre de ce litige, M. Sauvé a transmis des documents à l'avocat de la mère des enfants et à la Cour suprême du Canada. À la suite de cette correspondance, la mère des enfants a déposé une plainte à titre de membre du public contre M. Sauvé auprès de la GRC en vertu des dispositions de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10. De plus, l'avocat de la mère a déposé une plainte au criminel auprès de la police à Thetford Mines, au Québec.

 

[4]               Le service de police d'Ottawa-Carleton a finalement accusé M. Sauvé de deux chefs d'avoir proféré des menaces de mort et de deux chefs de harcèlement criminel en vertu des paragraphes 264.1(2) et 264(3) du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑46, respectivement. En raison de préoccupations selon lesquelles il pouvait être un danger pour lui-même ou pour autrui, M. Sauvé a été détenu sans cautionnement au centre de détention régional d'Ottawa-Carleton pendant quelque cinq mois en attente de son procès au criminel.

 

[5]               À la suite d'un procès devant la Cour de justice de l'Ontario, M. Sauvé a été acquitté des accusations d'avoir proféré des menaces de mort, mais il a été déclaré coupable des deux chefs de harcèlement criminel. Je crois comprendre que M. Sauvé a interjeté appel de ces déclarations de culpabilité, mais rien dans la preuve dont je suis saisie ni dans les plaidoiries des parties ne donne à penser que l'une ou l'autre des déclarations de culpabilité a été annulée.

 

[6]               M. Sauvé a engagé une action dans la province de l'Ontario contre Sa Majesté la reine du chef de l'Ontario à l'égard de la conduite de diverses autorités provinciales relativement à son arrestation, à sa détention préalable au procès et à la poursuite dont il a fait l'objet. Ce litige est en cours.

 

[7]               M. Sauvé a également engagé la présente instance devant la Cour fédérale demandant 13 millions de dollars en dommages-intérêts généraux, punitifs et majorés. La déclaration modifiée de M. Sauvé fait valoir de nombreuses causes d'actions différentes et contient des allégations selon lesquelles plusieurs de ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U), ont été violés. Si je comprends bien sa demande, M. Sauvé prétend qu'il a été injustement traité par la GRC et ses officiers, qui ont omis d'enquêter de façon satisfaisante sur les allégations faites contre lui. M. Sauvé allègue en outre que la GRC est responsable du fait d'autrui pour le traitement qu'il a subi de la part des autorités provinciales à l'occasion de son enquête au criminel, de son arrestation, de sa détention préalable au procès, de sa poursuite et de son procès.

 

Les principes régissant les requêtes en radiation

 

[8]               La requête des défendeurs sollicitant la radiation de la déclaration modifiée de M. Sauvé est présentée en vertu des alinéas 221(1)a), b), c) et f) des Règles des Cours fédérales (les Règles), qui sont rédigés comme suit :

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

 

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

 

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

[...]

 

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

(b) is immaterial or redundant,

 

 

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

 

[...]

 

(f)   is otherwise an abuse of the process of the Court,

 

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

 

[9]               Une requête en radiation ne sera accueillie que lorsqu'il est évident et manifeste que l'action ne saurait aboutir, les faits allégués dans la déclaration étant tenus pour avérés (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, 74 D.L.R. (4th) 321).

 

[10]           Lors de l'examen d'une requête en radiation, la déclaration devrait être interprétée de manière aussi libérale que possible, de façon à remédier à tout vice de forme, imputable à une carence rédactionnelle, qui a pu se glisser dans les allégations (voir Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, au paragraphe 14.

 

 

La déclaration de M. Sauvé révèle-t-elle une cause d’action valable?

 

[11]           Le paragraphe 221(2) des Règles prévoit de plus qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête invoquant le motif visé à l’alinéa 221(1)a). Cela signifie que l'acte de procédure doit tenir ou tomber par lui-même. En conséquence, bien que j'aie présenté des renseignements généraux dans la première partie de la présente décision afin de fournir un contexte pour les présents motifs, j'ai limité mon examen aux questions soulevées dans la déclaration même pour trancher la question de savoir si la déclaration de M. Sauvé révèle une cause d'action valable.

 

[12]           Selon l’article 174 des Règles, « [t]out acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde ». Une déclaration qui contient de simples affirmations, mais aucun fait sur lequel appuyer ces affirmations, ne révèle aucune cause d'action (voir Vojic c. Canada (M.R.N.) (C.A.F.), [1987] 2 C.T.C. 203, 6 A.C.W.S. (3d) 203, (C.A.F.).

 

[13]           Même si l'article 175 des Règles autorise une partie à soulever un point de droit dans un acte de procédure, une conclusion de droit qui n'a pas le fondement factuel requis est viciée et peut être radiée au motif qu'elle constitue un abus de procédure (Merck & Co. c. Nu-Pharm Inc., (1999), 179 F.T.R. 87, 4 C.P.R. (4th) 522, au paragraphe 29, conf. par (2000), 193 F.T.R. 256, 9 C.P.R. (4th) 379).

 

[14]           Plusieurs paragraphes de la déclaration concernent la prétendue responsabilité du fait d'autrui des défendeurs pour les dommages que M. Sauvé dit avoir subis de la part des responsables provinciaux de l'application des lois, du service correctionnel et des poursuites : par exemple, voir le paragraphe 12 (après les mots [traduction] « le demandeur prétend qu'il a été détenu par les agents de la GRC pendant plus de deux (2) heures ») et les paragraphes 13, 19, 25, 26, 27, 28, 39, 40 et 45.

 

[15]           M. Sauvé affirme simplement que les défendeurs avaient envers lui une obligation de diligence et qu'ils sont responsables du fait d'autrui pour les gestes des autorités provinciales, mais il ne fournit aucun fondement factuel pour étayer cette affirmation. Au paragraphe 50, M. Sauvé affirme que les défendeurs avaient envers lui une obligation de diligence [traduction] « comme toute autre personne raisonnable serait tenue à une obligation de diligence envers toute autre personne ». Cela est nettement insuffisant.

 

[16]           De même, au paragraphe 23 de la déclaration, M. Sauvé affirme que la GRC l'avait sous sa garde et qu'à ce titre, elle est devenue responsable du fait d'autrui pour sa sécurité pendant qu'il était détenu. Aucun fait n'a cependant été plaidé pour montrer comment M. Sauvé était sous la garde de la GRC pendant qu'il était détenu par les autorités provinciales, pas plus qu'il n'y a d'allégation selon laquelle les défendeurs exerçaient un contrôle sur les conditions de la détention de M. Sauvé avant son procès ou sur la manière dont sa cause a été poursuivie en justice par la couronne provinciale.

 

[17]           Vu l'insuffisance de faits substantiels plaidés par M. Sauvé pour lier la GRC aux dommages qu'il dit avoir subis de la part des responsables provinciaux de l'application de la loi, du service correctionnel et des poursuites, les paragraphes 12, 13, 19, 23, 25, 26, 27, 28, 39, 40 et 50 ne révèlent aucune cause d’action et doivent être radiés.

 

[18]           Aux paragraphes 24, 30 et 42 de sa déclaration modifiée, M. Sauvé allègue qu'il a été diffamé. Le paragraphe 24 renvoie à la radiodiffusion de son arrestation et incarcération sur les ondes du Service de police d’Ottawa. Non seulement les mots précis reprochés n'ont pas été plaidés comme il est nécessaire de le faire dans une action fondée sur l’atteinte à la réputation, mais, plus fondamentalement, rien dans l'acte de procédure ne donne à entendre que les déclarations reprochées étaient fausses. En fait, M. Sauvé reconnaît dans sa déclaration modifiée qu'il a été arrêté et incarcéré (voir les paragraphes 12 et 25).

 

[19]           De plus, l'acte de procédure ne contient rien qui puisse lier la radiodiffusion reprochée à un acte quelconque posé par l'un des défendeurs dans la présente instance.

 

[20]           Le paragraphe 30 concerne le fait que les défendeurs ont communiqué aux médias des renseignements comme le nom de M. Sauvé, le nombre de ses années de service, sa fonction au sein de la GRC et les accusations qui pesaient contre lui. Encore là, rien ne donne à entendre dans l'acte de procédure que ces renseignements étaient erronés ou faux. Par conséquent, la publication de ces renseignements par les défendeurs ne peut étayer une action fondée sur la diffamation et ces paragraphes seront radiés, tout comme les paragraphes 31, 32 et 42, qui concernent les préjudices qu'auraient subis M. Sauvé, ainsi que son enfant et son ancienne épouse, qui ne sont pas parties à la présente instance, par suite de la diffamation alléguée.

 

[21]           Dans les paragraphes 16 et 29, M. Sauvé allègue que les défendeurs, plus particulièrement MM. Franche et Tremblay, l'ont accusé injustement en cour d'avoir proféré des menaces. Le témoignage présenté en cour est protégé par un privilège absolu et ne peut donc pas constituer la base d'une action fondée sur la diffamation (Prefontaine c. Veale, 2003 ABCA 367, 339 A.R. 340, au paragraphe 10; Dooley c. C.N. Weber Ltd., (1994), 118 D.L.R. (4th) 750, 50 A.C.W.S. (3d) 1011, au paragraphe 12). En conséquence, ces paragraphes seront aussi radiés.

 

[22]           M. Sauvé a fait plusieurs allégations de complot. Il a cependant omis de plaider les éléments nécessairement constitutifs du délit. Plus particulièrement, il n'a pas identifié les parties au complot, l'accord entre les défendeurs, la fin précise ou les objets du complot et les actes manifestes qui auraient été commis en vue du complot (voir Balanyk c. University of Toronto, 1999), 1 C.P.R. (4th) 300, 88 A.C.W.S. (3d) 1157, au paragraphe 71; Peaker c. Canada Post Corp. (1989), 68 O.R. (2d) 8 (H.C. de l’Ont.), aux pages 27 et 28; Normart Management Ltd. c. Westhill Redevelopment Co., (1998), 37 O.R. (3d) 97, à la page 104).

 

[23]           À titre d'exemple, au paragraphe 29, M. Sauvé prétend que les défendeurs ont comploté pour lui causer un préjudice au cours de son enquête sur cautionnement et de son procès au criminel. Toutefois, M. Sauvé ne fournit aucun fait pertinent quant à l'identité de ceux avec qui les défendeurs ont comploté, ni à propos du contenu de l'accord entre ces défendeurs et toute autre partie au complot. Même si je ferai un autre commentaire à l'égard du paragraphe 38 de la déclaration plus loin dans les présents motifs, je fais aussi observer que l'allégation du complot dans ce paragraphe est tout aussi insuffisante.

 

 

L'action en cause constitue-t-elle un abus de procédure compte tenu de l’action engagée devant une cour de l'Ontario?

 

[24]           Les défendeurs soutiennent que la totalité de la déclaration modifiée de M. Sauvé constitue un abus de procédure, car ce dernier tente de soulever à nouveau des questions qui sont actuellement devant les tribunaux de l'Ontario. En conséquence, les défendeurs affirment que la déclaration devrait être radiée en vertu de l'alinéa 221(1)f) des Règles. Subsidiairement, les défendeurs sollicitent la suspension de la présente instance en attendant l'issue de l'instance engagée devant les tribunaux de l'Ontario.

 

[25]           Je ne suis pas d'accord que l'affaire soit un abus de procédure compte tenu de l'instance civile de M. Sauvé pendante devant les tribunaux de l'Ontario. Bien qu'il soit vrai que cette instance civile concerne plusieurs faits mentionnés dans l'action de M. Sauvé devant la Cour fédérale, les défendeurs aux deux actions sont différents. Dans l'action engagée devant les tribunaux de l'Ontario, la question fondamentale est la responsabilité de diverses entités provinciales relativement aux actes reprochés, alors que la question en litige en l'espèce est la responsabilité de l'employeur de M. Sauvé et de ses collègues de travail à la GRC à l'égard des mêmes actes.

 

 

La déclaration de M. Sauvé constitue-t-elle par ailleurs un abus de procédure?

 

[26]           Bien que je rejette la prétention selon laquelle la demande de M. Sauvé constitue un abus de procédure compte tenu de l'instance civile devant les tribunaux de l'Ontario, un examen attentif de la déclaration modifiée de M. Sauvé révèle néanmoins qu'il s'agit d'un abus de procédure, car elle constitue en grande partie une tentative de soulever à nouveau la question de sa culpabilité relativement aux accusations portées contre lui au criminel, une question qui a été résolue à l'occasion de son procès au criminel.

 

[27]           Cela ressort d’une façon particulièrement évidente des paragraphes 14 et 21 de la déclaration modifiée, qui allèguent ce qui suit :

                                    [traduction]

 [14] Le demandeur soumet avec respect que, si les défendeurs avaient adéquatement enquêté sur l'affaire, ils auraient découvert que le demandeur et sa famille avaient été harcelés, menacés, diffamés [par la mère des enfants] pendant une période de 23 ans (de 1983 à aujourd'hui) et que, par conséquent, ils n'auraient pas détenu et arrêté le demandeur le 8 octobre 2004.

 

[...]

 

[21] Le demandeur soutient que si les défendeurs avaient mené une enquête adéquate de manière diligente, ils auraient vu que les deux documents n'étaient pas de nature menaçante et qu'il n'existait pas de motifs raisonnables de détenir, d'arrêter et d'incarcérer le demandeur.

 

 

[28]           En effet, une interprétation équitable de l'ensemble de la déclaration modifiée révèle que l'action de M. Sauvé repose sur la prémisse qu’il a été injustement détenu par la GRC et ensuite injustement arrêté, accusé, détenu avant son procès et jugé. Au paragraphe 35 de sa déclaration modifiée, M. Sauvé allègue l'absence de motifs raisonnables d'engager des poursuites contre lui au criminel et que ces poursuites ont finalement été réglées en sa faveur.

 

[29]           Cependant, comme le reconnaît M. Sauvé au paragraphe 36 de sa déclaration modifiée, il a été en effet déclaré coupable de deux chefs de harcèlement criminel pour avoir transmis les documents en question. Le fait qu'il a été ultimement acquitté des accusations d'avoir proféré des menaces ne diminue en rien le fait que les tribunaux ont conclu que l'envoi de ces documents constituait un acte de nature criminelle.

 

[30]           Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77 (l’arrêt Toronto (Ville)), constitue à la fois un acte inapproprié et un abus de procédure le fait de tenter d’attaquer une déclaration de culpabilité au criminel par la voie non autorisée de sa remise en question devant une autre instance (voir le paragraphe 46).

 

[31]           Le fait que la motivation de M. Sauvé à tenter de remettre en question sa déclaration de culpabilité puisse être d'obtenir des dommages-intérêts plutôt que de contester directement sa déclaration de culpabilité au criminel ne rend pas la procédure moins abusive (voir l’arrêt Toronto (Ville), au paragraphe 46.

 

[32]           La Cour ne pourrait trouver aucun des défendeurs responsables envers M. Sauvé pour, par exemple, [traduction] « poursuite, détention, arrestation et emprisonnement injustifiés » ou « abus de procédure » sans tout d’abord déclarer M. Sauvé non coupable des accusations portées contre lui. La Cour ne peut pas le faire.

 

[33]           En conséquence, et sous réserve des observations faites dans les paragraphes qui suivent concernant les paragraphes 33 et 38 de la déclaration modifiée, le reste des prétentions seront radiées parce que constituant un abus de procédure, sans autorisation de les modifier.

 

 

La déclaration de M. Sauvé est-elle scandaleuse, frivole ou vexatoire?

 

[34]           Dans les paragraphes 33 et 38 de sa déclaration, M. Sauvé se plaint de la conduite des défendeurs relativement à des assignations à comparaître qui lui ont été signifiées. Ces prétentions ne découlent pas des accusations portées contre lui au criminel et n'entraînent donc pas l'abus de procédure dont il est question dans la section précédente des présents motifs.

 

[35]           La question est donc de savoir si les prétentions formulées dans ces deux paragraphes sont scandaleuses, frivoles ou vexatoires au sens de l'alinéa 221(1)c) des Règles des Cours fédérales.

 

[36]           Le paragraphe 38 allègue qu'une personne non identifiée agissant pour le compte des défendeurs a signifié une assignation à comparaître à M. Sauvé à sa résidence pour l'obliger à se présenter comme témoin dans un procès au criminel auquel il devait participer en tant que policier. Si je comprends bien ce paragraphe, la préoccupation de M. Sauvé ne concernait pas la signification de l'assignation à comparaître, mais le fait que l'adresse de son domicile et numéro de téléphone au travail apparaissaient sur l'assignation à comparaître. Pour cette raison, M. Sauvé prétend que les défendeurs sont responsables de dommages-intérêts envers lui pour [traduction] « atteinte à la vie privée, atteinte à l’isolement du demandeur, harcèlement, complot en vue de causer un préjudice et violation de ses droits garantis par la Charte ». Les préjudices qu'il prétend avoir subis en conséquence sont [traduction] « le stress, des inquiétudes, la peur et l'anxiété ».

 

[37]           M. Sauvé et son employeur étaient tous deux certainement déjà en possession des renseignements concernant l'adresse du domicile de M. Sauvé ou son numéro de téléphone au travail, et l'acte de procédure ne contient aucune prétention selon laquelle ces renseignements ont été communiqués à un tiers. Je ne peux pas voir comment la communication des renseignements personnels de M. Sauvé à M. Sauvé lui-même pourrait donner lieu à une action.

 

[38]           De plus, les tribunaux canadiens ont en règle générale résisté aux actions fondées sur des troubles émotifs et s'appuyant uniquement sur un choc nerveux ou la peur, en l’absence d’une maladie visible et prouvable (voir Steiner c. Canada, (1996), 122 F.T.R. 187, 66 A.C.W.S. (3d) 873, au paragraphe 13, citant Radovskis c. Tomn (1957), 21 W.W.R. 658, Guay c. Sun Publishing Company Ltd., [1953] 2 R.C.S. 216, à la page 238, et Rahemtulla c. Fanfed Credit Union (1984), 51 B.C.L.R. 200, à la page 216.

 

[39]           Une réclamation est frivole « lorsqu'elle a peu de valeur ou d'importance ou [qu'aucun] moyen rationnel n'est invoqué à son appui sur le fondement des éléments de preuve ou des règles de droit invoqués au soutien de la demande ». Une procédure est vexatoire « lorsqu'elle est introduite par malice ou sans motif suffisant ou qu'elle ne saurait déboucher sur un résultat pratique » (voir Steiner, au paragraphe 17 de l'édition QL : [1996] A.C.F. no 1356). La prétention formulée au paragraphe 38 de la déclaration modifiée est à la fois frivole et vexatoire.

 

[40]           La prétention formulée au paragraphe 33 de la déclaration modifiée de M. Sauvé soulève toutefois plus de difficultés :

                                    [traduction]

 [33] Le ou vers le 30 novembre 2004, le demandeur soutient que les défendeurs ont causé des préjudices à sa personne en lui signifiant une assignation à comparaître alors qu'il était incarcéré et en le retirant de l'isolement pour se rendre au palais de justice d'Ottawa pour témoigner à titre d'agent de police pour la GRC et le service de police d'Ottawa et en leur nom, à l'égard d'une affaire criminelle concernant le crime organisé. Le demandeur craignait pour sa sécurité et celle de sa famille en raison de l'augmentation du risque que soit révélée son identité d'agent de police. Le demandeur a souffert de la peur, du stress, de l'anxiété, d’un traumatisme émotionnel, de la perte de sa réputation, de la perte de son intégrité, de sa dignité, de respect, d'humiliation, de gêne et de dégradation. Le demandeur soutient que parce qu'ils étaient bien formés et avaient de l'expérience, les défendeurs savaient ou auraient dû savoir que leurs actions et (ou) inactions causeraient des préjudices au demandeur.

 

 

[41]           La partie de l'acte de procédure ayant trait à cette prétention est nettement viciée en sa forme actuelle en ce qu'elle ne précise pas une cause d'action. Cela dit, bien que la prétention contienne sans aucun doute des carences rédactionnelles, je ne me suis pas convaincu qu'il est évident et manifeste que l'action sur ce point ne pourrait pas aboutir.

 

[42]           En effet, en réponse aux questions de la Cour, l'avocat des défendeurs a admis à juste titre que, bien qu'il s'agisse d'une prétention inédite, il n'était pas évident et manifeste que la [traduction] « sortie » d'un agent de police incarcéré, vu l'augmentation potentielle du risque à l'égard de sa sécurité personnelle qui en découlerait, ne pourrait pas entraîner la responsabilité, par exemple, au titre de la négligence. De plus, il n'est pas du tout clair que les préjudices qu'aurait subis M. Sauvé se limitent à la détresse émotive.

 

[43]           En conséquence, alors que le paragraphe 33 de la demande sera radié, M. Sauvé sera autorisé à modifier sa déclaration pour faire valoir uniquement cette prétention. M. Sauvé disposera de 30 jours pour déposer une nouvelle déclaration modifiée à l'égard de cette prétention.

 

 

La désignation de la Gendarmerie royale du Canada à titre de défenderesse

 

[44]           La GRC est une entité qui ne peut être poursuivie (voir Downey c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), [2002] S.J. n52, au paragraphe18, et Dix c. Canada, [2001] A.J. no 410). Les actions en dommages-intérêts contre la GRC doivent plutôt être engagées contre la Couronne (voir Sauvé c. Canada, 2009 CF 1011, au paragraphe 39). En conséquence, l’intitulé doit être modifié pour que soit éliminée la GRC à titre de défenderesse, et le paragraphe 4 de la déclaration sera radié, sans autorisation de modification.

 

La gestion de l’instance

 

[45]           Je suis d'accord avec les défendeurs que si la présente affaire devait aller de l'avant, la gestion de l'instance serait avantageuse. En fait, je ne comprends pas que M. Sauvé s'y oppose. En conséquence, l’affaire se poursuivra en tant qu’instance à gestion spéciale.

 

 

Les dépens

 

[46]           Je reconnais que M. Sauvé est une partie qui n'est pas représentée par un avocat. Néanmoins, toutes les parties qui comparaissent devant la Cour sont tenues de respecter les règles régissant les actes de procédure. Compte tenu que la requête des défendeurs a été accueillie en très grande partie, je suis d'avis que l'adjudication des dépens en leur faveur est appropriée. Vu les circonstances, y compris l'impécuniosité apparente de M. Sauvé, je fixe ces dépens à 250 $.


ORDONNANCE

 

           

LA COUR ORDONNE :

 

 

1.         La requête des défendeurs est accueillie en partie. Toutes les prétentions exposées par M. Sauvé dans sa déclaration modifiée, à l’exception de la prétention précisée dans le paragraphe 33, sont radiées sans autorisation de modification. La prétention contenue dans le paragraphe 33 de la déclaration modifiée est radiée, avec autorisation de modification. M. Sauvé dispose de 30 jours pour déposer une nouvelle déclaration modifiée uniquement à l’égard de cette prétention. 

 

2.         L’intitulé de la cause est modifié pour que soit retirée la GRC à titre de défenderesse. Le paragraphe 4 de la déclaration modifiée est également radié sans autorisation de modification. 

 

3.         La présente affaire se poursuivra en tant qu’instance à gestion spéciale.

 

4.         Les dépens des défendeurs sont fixés à 250 $.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1752-06

 

 

INTITULÉ :                                       GARY SAUVÉ c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 FÉVRIER 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 FÉVRIER 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gary Sauvé

 

LE DEMANDEUR POUR LUI-MÊME

Patrick Bendin

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aucun

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

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