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Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20100311

Dossier : IMM-3676-09

Référence : 2010 CF 286

[traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 11 mars 2010

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

ANUSHA BRIDGET MANUVELPILLAI

demanderesse

 

 

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande soulève une question de droit qui ne semble pas avoir été traitée antérieurement. À ce titre, je statuerai sur la demande comme je le jugerai convenable et certifierai une question dans l’éventualité où l’une ou l’autre des parties souhaiterait demander à une cour d’instance supérieure de s’y pencher.

 

[2]               En clair, la question est de savoir si une personne qui a légalement contracté un mariage à l’étranger, est venue au Canada et a un obtenu un divorce du tribunal compétent de sa province de résidence doit également obtenir un divorce du pays où le mariage a été contracté avant de pouvoir parrainer la demande de résidence permanente au Canada d’un nouvel époux étranger.

 

[3]               Les faits en l’espèce se résument ainsi : la demanderesse, une adulte, est citoyenne du Sri Lanka. Elle devait épouser un résident permanent du Canada. Celui-ci s’est rendu au Sri Lanka et a pris part, avec la demanderesse, à une cérémonie qui s’est déroulée dans une église et comportait un échange d’anneaux. La preuve quant à savoir si cette cérémonie avait été « enregistrée » au Sri Lanka en tant que mariage est équivoque. La Commission semble avoir conclu qu’elle l’avait été. Quoi qu’il en soit, la demanderesse et son époux sont ensuite venus au Canada, plus précisément en Ontario. En l’espace de quatre-vingt-dix jours, ils y ont célébré leur mariage, qui a été « enregistré » en Ontario. Au bout d’un certain temps, une mésentente a entraîné la dissolution du couple, qui a divorcé. Une ordonnance de divorce a été prononcée par le tribunal compétent de l’Ontario.

 

[4]               La demanderesse a épousé un autre citoyen du Sri Lanka. Elle cherche à parrainer la demande de résidence permanente de son époux en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. Cette demande a été rejetée puis renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le premier mariage de la demanderesse, ayant été contracté au Sri Lanka, aurait dû être « dissous » au Sri Lanka pour qu’elle puisse parrainer son deuxième mari.

 

[5]               La Commission ne précise pas le fondement sur lequel repose sa décision quant au fait que le mariage devait être dissous au Sri Lanka. Elle ne précise pas pourquoi elle considère que le divorce accordé en Ontario ne suffit pas à dissoudre le mariage. L’avocat du défendeur, dont je tiens à souligner la franchise et l’obligeance, de même que celles de l’avocat du demandeur, a émis l’hypothèse (bien qu’il n’en soit fait aucune mention dans les motifs ou ailleurs) que la Commission a pu se fonder sur la définition du « mariage » établie à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2001-227, en sa version modifiée :

« mariage » S’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a

été contracté et des lois canadiennes. (« marriage »)

 

[6]               Cette définition n’est d’aucun secours pour trancher le présent litige. Il convient, pour les besoins de l’espèce, de considérer que la demanderesse a d’abord été mariée au Sri Lanka et que ce mariage était valide là-bas comme ici. La question à trancher est de savoir si le divorce prononcé en Ontario suffit à dissoudre ce mariage contracté au Sri Lanka.

 

[7]               Mon collègue le juge Barnes a récemment examiné une affaire concernant un mariage contracté et dissous au Pakistan, dans la décision Amin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 168. Dans cette instance, le juge Barnes a conclu que l’existence d’un divorce pakistanais légalement valide n’avait pas été établie et que son divorce n’étant pas valide, le demandeur ne pouvait parrainer la venue de sa deuxième épouse au Canada. Cette affaire diffère de celle dont la Cour est saisie à présent puisqu’en l’espèce, il est question d’un jugement de divorce prononcé par une cour de l’Ontario dont la validité n’est pas mise en cause. La question est plutôt de savoir s’il fallait également obtenir un divorce au Sri Lanka.

 

[8]               Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 3, établit qu’au Canada, a compétence pour instruire les instances en divorce et en décider le tribunal compétent de la province où l’un des époux a résidé habituellement pendant au moins un an avant l’introduction de l’instance :

 

Compétence dans le cas d’un divorce

 

3. (1) Dans le cas d’une action en divorce, a compétence pour instruire l’affaire et en décider le tribunal de la province où l’un des époux a résidé habituellement pendant au moins l’année précédant l’introduction de l’instance.

 

Jurisdiction in divorce proceedings

 

3. (1) A court in a province has jurisdiction to hear and determine a divorce proceeding if either spouse has been ordinarily resident in the province for at least one year immediately preceding the commencement of the proceeding.

 

 

 

 

 

[9]               Le paragraphe 12(8) de cette même loi établit qu’un certificat de divorce fait foi de son contenu (le divorce) :

Preuve concluante

12(8) Le certificat visé au paragraphe (7) ou une copie certifiée conforme fait foi de son contenu sans qu’il soit nécessaire de prouver l’authenticité de la signature qui y est apposée ou la qualité officielle du signataire.

 

Conclusive proof

12(8) A certificate referred to in subsection (7), or a certified copy thereof, is conclusive proof of the facts so certified without proof of the signature or authority of the person appearing to have signed the certificate.

 

 

 

 

 

[10]           L’article 13 de cette même loi établit la validité du divorce dans tout le Canada :

Validité du divorce dans tout le Canada

 

13 À sa prise d’effet, le divorce accordé en application de la présente loi est valide dans tout le Canada.

 

 

Legal effect throughout Canada

 

13 On taking effect, a divorce granted under this Act has legal effect throughout Canada

 

[11]           La Loi sur le divorce n’a pas pour effet de restreindre aux mariages contractés au Canada le pouvoir qu’ont les cours canadiennes compétentes d’accorder le divorce. Les divorces accordés en vertu de cette loi sont valides dans tout le Canada, y compris, à mon avis, en ce qui concerne l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, en sa version modifiée.

 

[12]           La Commission a ainsi commis une erreur en ne concluant pas que le divorce avait dissous le premier mariage de la demanderesse.

 

[13]           Des questions accessoires se posent aussi en l’espèce. La première est de savoir si la Commission, lors de l’audience, s’est prononcée sur la validité du divorce, empêchant ainsi que soient soulevés des arguments additionnels sur ce point. Ayant examiné la transcription, je conclus que la Commission n’a pas affirmé avoir rendu une décision à cet égard. La seconde est de savoir si la preuve présentée par la demanderesse établissait l’« enregistrement » du premier mariage au Sri Lanka. La Commission en a conclu ainsi. J’estime que cette conclusion ne tire pas à conséquence.

 

[14]           J’accueillerai donc la demande et renverrai l’affaire afin qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision en gardant à l’esprit la validité du divorce du premier mariage, prononcé en Ontario. Je certifierai une question à cet égard.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

JUGEMENT

            Pour ces motifs :

 

            LA COUR STATUE que :

1.      La demande est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée afin qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision.

3.      La question suivante est certifiée :

Une personne qui a légalement contracté un mariage à l’étranger, est venue au Canada et a obtenu un divorce du tribunal compétent de sa province de résidence doit-elle également obtenir un divorce du pays où le mariage a été contracté avant de pouvoir parrainer la demande de résidence permanente au Canada d’un nouvel époux étranger?

 

4.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

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