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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100318

Dossier : T-964-09

Référence : 2010 CF 317

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

DOUGLAS BERNARD MILLER

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui a confirmé une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) révoquant sa semi-liberté.

 

[2]               M. Miller affirme que la Commission a commis, dans son processus décisionnel, plusieurs erreurs susceptibles de contrôle et que, en confirmant la décision de la Commission, la Section d’appel a rendu une décision déraisonnable.

 

[3]               Plus précisément, M. Miller allègue que la Commission :

a)      a rendu une décision déraisonnable, parce qu’elle n’a pas tenu compte de tous les facteurs favorables qui, selon lui, font qu’il présente un risque de récidive maîtrisable;

b)      a commis de multiples erreurs de droit, parce qu’elle n’a pas obtenu et examiné toute l’information pertinente qui, affirme-t-il, était à la disposition de la Commission;

c)      a commis de multiples erreurs de droit, parce qu’elle ne lui a pas, avant l’audience, communiqué certains renseignements.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la Cour arrive à la conclusion que la décision de la Section d’appel et celle de la Commission étaient raisonnables et que ni la Section d’appel ni la Commission n’ont commis d’erreur de droit dans leurs processus décisionnels.

I.          Le contexte

[5]               M. Miller a été condamné le 29 mai 1979 à deux peines cumulatives d’emprisonnement à perpétuité pour viol commis avec violence et tentative de meurtre sur une femme, et à des peines moindres pour vol, tentative de vol, voies de fait causant des lésions corporelles et évasion d’une garde légale.

 

[6]               Il a bénéficié d’une semi-liberté le 19 septembre 2007. Alors qu’il était en semi-liberté, il vivait au Centre correctionnel communautaire de Portsmouth (le CCCP).

 

[7]               Le 15 septembre 2008, un mandat d’arrestation et de suspension a été exécuté, et M. Miller a été réincarcéré.

 

[8]               La semi-liberté de M. Miller a été suspendue sur la foi de renseignements reçus de quatre sources anonymes qui ont déclaré qu’elles l’avaient entendu proférer des menaces de violences contre des employés de sexe féminin du CCCP, et appeler [traduction] « sale chienne irlandaise » la monitrice de programmes et affirmer, à propos d’une coordonnatrice de l’emploi, qu’il [traduction] « violerait et tuerait cette chienne ». Les mêmes sources auraient semble-t-il révélé que M. Miller avait tenu les mêmes propos troublants à propos d’une préposée aux services de soutien à la personne qui avait été engagée pour fournir des services à un autre pensionnaire du CCCP. Ces mêmes sources affirmaient aussi que M. Miller regardait parfois, à la télévision, au CCCP, des scènes de [traduction] « pornographie douce » consistant en viols fictifs, alors qu’il avait les mains dans son pantalon et que d’autres pensionnaires du CCCP se trouvaient là. Lesdites sources ont ajouté que M. Miller disait que les actrices étaient les trois dames qui travaillaient au CCCP, en déclarant que [traduction] « si c’était moi, je violerais ça et je tuerais ça ». La fréquence croissante des propos de ce genre aurait conduit les sources anonymes à penser que les employés de sexe féminin du CCCP pouvaient être en danger.

 

[9]               Le 18 septembre 2008, trois jours après la suspension de la semi-liberté de M. Miller, M. R. Corcoran, un des commissionnaires du CCCP, a présenté un bref rapport comportant un seul paragraphe (le rapport Corcoran) où l’on pouvait lire notamment ce qui suit :

[traduction]

 

Durant les mois de juillet et août, lorsque j’étais de service dans l’annexe, je m’assoyais de temps à autre dans la zone commune de l’annexe pour regarder la télévision avec [plusieurs pensionnaires du CCCP]. Le pensionnaire Miller m’a déclaré, sans raison apparente, que je devrais saisir mon épouse par les cheveux lorsque je rentrerais chez moi, la traîner vers la chambre à coucher, l’attacher au lit avec des menottes et lui donner ce qu’elle mérite. C’est ainsi, disait-il, que les femmes devraient être traitées.

 

[10]           Le rapport Corcoran ajoutait que les remarques de ce genre de la part de M. Miller devenaient de plus en plus fréquentes lorsqu’il regardait la télévision au CCCP.

 

[11]           Tous les renseignements susmentionnés ont été communiqués à M. Miller dans une Évaluation en vue d’une décision (l’EVD) datée du 24 septembre 2008, qui lui a été remise le 8 octobre 2008 et qui recommandait la révocation de sa semi-liberté. Cependant, le contenu intégral du rapport Corcoran ne lui a pas été remis. Ce rapport mentionnait aussi, entre autres choses, que son auteur avait porté les remarques de M. Miller à l’attention de M. Perry Grey, agent de libération conditionnelle, et à Mme Sharon Hogan, monitrice de programmes. Malheureusement, contrairement à ce qu’affirme M. Miller, on ne sait pas à quel moment M. Corcoran a communiqué sur ce point avec M. Grey et Mme Hogan. Le rapport Corcoran désignait aussi trois autres pensionnaires du CCCP qui prétendument étaient présents durant les incidents rapportés par M. Corcoran (l’extrait contenu dans l’EVD employait le mot [traduction] « plusieurs » à la place des trois noms qui apparaissaient dans le texte original du rapport Corcoran.)

 

[12]           L’EVD mentionnait aussi que M. Miller avait contrevenu aux conditions d’un laissez-passer de fin de semaine, (i) parce qu’il n’était pas à l’endroit où il était censé être lorsque les autorités avaient au départ tenté d’exécuter le mandat d’arrestation et de suspension; (ii) parce qu’il travaillait à un endroit non autorisé alors qu’il recevait une indemnité de chômage. M. Miller a fourni une explication concernant lesdites violations de son laissez-passer de fin de semaine, violations qui ne constituaient pas des points importants dans les observations écrites et orales présentées à la Cour.

 

[13]           Il n’était fait état d’aucun aspect du rapport Corcoran dans le registre des interventions concernant M. Miller, registre qui résume ses activités, ses difficultés, ses progrès et ses interactions avec le personnel du Service correctionnel du Canada (le SCC) durant sa semi-liberté. Le registre des interventions est censé, paraît-il, inclure des renseignements sur tous les contacts avec le délinquant en question, des renseignements sur ses progrès au regard de son plan correctionnel, des renseignements venant de tiers, enfin des notes résultant des conférences de cas qui ont lieu de temps à autre entre les agents de libération conditionnelle et leurs superviseurs.

 

[14]           M. Miller a affirmé aussi que M. Grey lui avait dit, lorsqu’il l’avait visité en prison peu après la suspension de sa mise en liberté sous condition, qu’il ne savait rien des allégations de menaces ou de commentaires de nature sexuelle.

 

[15]           La Commission n’a pas demandé au SCC de lui remettre le registre des interventions concernant M. Miller, et elle n’a donc pas tenu compte de ce registre lorsqu’elle a décidé de révoquer sa semi-liberté.

 

[16]           Au cours d’une entrevue postsuspension et durant l’audience de la Commission, M. Miller a nié avoir fait les diverses déclarations qu’on lui imputait et il n’a pu expliquer pourquoi les sources anonymes (qui étaient d’autres pensionnaires du CCCP) avaient fait de telles allégations. S’agissant de M. Corcoran, M. Miller a nié avoir regardé la télévision en sa présence, présumant qu’il s’était fait repérer par M. Corcoran, parce qu’il portait de beaux vêtements et qu’il était parfois transporté au CCCP dans de belles voitures. Ce déni a été contredit par un agent de libération conditionnelle dans la collectivité, qui a déclaré qu’il avait lui-même regardé la télévision au CCCP avec M. Miller et plusieurs autres pensionnaires du CCCP.

 

II.        Les dispositions applicables

[17]           Les articles 101, 141 et 147 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi), L.C. 1992, ch. 20, prévoient ce qui suit :

Principes

 

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d’une part, et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu’au public, d’autre part;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

 

 

 

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

 

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

 

Délai de communication

 

141. (1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l’examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

 

 

 

 

Idem

 

(2) La Commission fait parvenir le plus rapidement possible au délinquant l’information visée au paragraphe (1) qu’elle obtient dans les quinze jours qui précèdent l’examen, ou un résumé de celle-ci.

 

Renonciation

 

(3) Le délinquant peut renoncer à son droit à l’information ou à un résumé de celle-ci ou renoncer au délai de transmission; toutefois, le délinquant qui a renoncé au délai a le droit de demander le report de l’examen à une date ultérieure, que fixe la Commission, s’il reçoit des renseignements à un moment tellement proche de la date de l’examen qu’il lui serait impossible de s’y préparer; la Commission peut aussi décider de reporter l’examen lorsque des renseignements lui sont communiqués en pareil cas.

 

Exceptions

 

(4) La Commission peut, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, refuser la communication de renseignements au délinquant si elle a des motifs raisonnables de croire que cette communication irait à l’encontre de l’intérêt public, mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Droit d’appel

 

147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d’appel pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :

 

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

 

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

 

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

 

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

 

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l’exercer.

 

Décision du vice-président

 

(2) Le vice-président de la Section d’appel peut refuser d’entendre un appel sans qu’il y ait réexamen complet du dossier dans les cas suivants lorsque, à son avis :

 

 

a) l’appel est mal fondé et vexatoire;

 

b) le recours envisagé ou la décision demandée ne relève pas de la compétence de la Commission;

 

c) l’appel est fondé sur des renseignements ou sur un nouveau projet de libération conditionnelle ou d’office qui n’existaient pas au moment où la décision visée par l’appel a été rendue;

 

d) lors de la réception de l’avis d’appel par la Section d’appel, le délinquant a quatre-vingt-dix jours ou moins à purger.

 

 

 

Délais et modalités

 

(3) Les délais et les modalités d’appel sont fixés par règlement.

 

 

 

Décision

 

(4) Au terme de la révision, la Section d’appel peut rendre l’une des décisions suivantes :

 

a) confirmer la décision visée par l’appel;

 

b) confirmer la décision visée par l’appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen;

 

c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen;

 

d) infirmer ou modifier la décision visée par l’appel.

 

Mise en liberté immédiate

 

 

(5) Si sa décision entraîne la libération immédiate du délinquant, la Section d’appel doit être convaincue, à la fois, que :

 

 

a) la décision visée par l’appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d’une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l’examen du cas;

 

b) le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable.

Disclosure to offender

 

141. (1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

 

Idem

 

(2) Where information referred to in subsection (1) comes into the possession of the Board after the time prescribed in that subsection, that information or a summary of it shall be provided to the offender as soon as is practicable thereafter.

 

Waiver

 

(3) An offender may waive the right to be provided with the information or summary referred to in subsection (1) or to have it provided within the period referred to, but where an offender has waived that period and any information is received by the offender, or by the Board, so late that the offender or the Board is unable to sufficiently prepare for the review, the offender is entitled to, or the Board may order, a postponement of the review for such reasonable period as the Board determines.

 

 

Exceptions

 

(4) Where the Board has reasonable grounds to believe

 

(a) that any information should not be disclosed on the grounds of public interest, or

 

(b) that its disclosure would jeopardize

 

(i) the safety of any person,

 

(ii) the security of a correctional institution, or

 

(iii) the conduct of any lawful investigation,

 

the Board may withhold from the offender as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a) or (b).

 

Right of appeal

 

147. (1) An offender may appeal a decision of the Board to the Appeal Division on the ground that the Board, in making its decision,

 

(a) failed to observe a principle of fundamental justice;

 

 

(b) made an error of law;

 

 

(c) breached or failed to apply a policy adopted pursuant to subsection 151(2);

 

 

(d) based its decision on erroneous or incomplete information; or

 

(e) acted without jurisdiction or beyond its jurisdiction, or failed to exercise its jurisdiction.

 

Decision of Vice-Chairperson

 

(2) The Vice-Chairperson, Appeal Division, may refuse to hear an appeal, without causing a full review of the case to be undertaken, where, in the opinion of the Vice-Chairperson,

 

(a) the appeal is frivolous or vexatious;

 

(b) the relief sought is beyond the jurisdiction of the Board;

 

 

 

(c) the appeal is based on information or on a new parole or statutory release plan that was not before the Board when it rendered the decision appealed from; or

 

 

(d) at the time the notice of appeal is received by the Appeal Division, the offender has ninety days or less to serve before being released from imprisonment.

 

Time and manner of appeal

 

(3) The time within which and the manner in which a decision of the Board may be appealed shall be as prescribed by the regulations.

 

Decision on appeal

 

(4) The Appeal Division, on the completion of a review of a decision appealed from, may

 

(a) affirm the decision;

 

 

(b) affirm the decision but order a further review of the case by the Board on a date earlier than the date otherwise provided for the next review;

 

(c) order a new review of the case by the Board and order the continuation of the decision pending the review; or

 

(d) reverse, cancel or vary the decision.

 

Conditions of immediate release

 

(5) The Appeal Division shall not render a decision under subsection (4) that results in the immediate release of an offender from imprisonment unless it is satisfied that

 

(a) the decision appealed from cannot reasonably be supported in law, under the applicable policies of the Board, or on the basis of the information available to the Board in its review of the case; and

 

(b) a delay in releasing the offender from imprisonment would be unfair.

 

[18]           L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) prévoit ce qui suit :

Vie, liberté et sécurité

 

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Life, liberty and security of person

 

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

III.       Les décisions contestées

[19]           M. Miller demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel datée du 8 mai 2009. Cependant, tous les points, sauf un, soulevés dans les observations de M. Miller concernent la décision de la Commission datée du 3 décembre 2008. En revanche, les observations déposées en réponse par le procureur général portaient sur la décision de la Section d’appel.

 

[20]           Dans l’arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2002] A.C.F. no 1386, aux paragraphes 8 et 9, on peut lire que la compétence de la Section d’appel est notablement circonscrite par les dispositions explicites de l’article 147 de la Loi. En bref, la Section d’appel ne peut intervenir que si la Commission a commis l’une des erreurs énumérées dans les alinéas 147(1)a) à e), et uniquement si cette erreur était déraisonnable.

 

[21]           Dans ces conditions, après dépôt d’une nouvelle demande devant la Cour, « [l]e juge est théoriquement saisi d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d’appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s’assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière ». (arrêt Cartier, précité, paragraphe 10. Voir aussi Aney c. Canada (Procureur général), 2005 CF 182, [2005] A.C.F. n° 228, paragraphe 29; Ngo c. Canada (Procureur général), 2005 CF 49, [2005] A.C.F. n° 71, paragraphe 8.)

 

A.        La décision de la Commission

[22]           La décision de la Commission débutait par deux paragraphes détaillés où étaient examinés un assez grand nombre de facteurs favorables qui donnaient à penser que, jusque peu avant la suspension de sa semi-liberté, les surveillants de M. Miller trouvaient qu’il s’en était très bien sorti durant la période au cours de laquelle il avait été en semi-liberté, c’est-à-dire de septembre 2007 à septembre 2008.

 

[23]           Après avoir résumé les faits évoqués aux paragraphes 6 à 10 et 12 ci-dessus, la Commission écrivait que les raisons données par M. Miller pour justifier son absence irrégulière de l’endroit où il était censé se trouver ne tenaient pas.

 

[24]           La Commission écrivait ensuite que, dans l’appréciation de la crédibilité de M. Miller, elle [traduction] « ne doit pas ignorer les risques que comporte l’acceptation de renseignements venant d’informateurs anonymes ». Elle écrivait aussi que [traduction] « il n’est guère plus utile de savoir que les renseignements venaient de sources distinctes, apparemment indépendantes ». Cependant, elle a estimé que les renseignements fournis par lesdits informateurs s’accordaient avec les propos caractéristiques et troublants rapportés par M. Corcoran et employés par M. Miller concernant la victime de l’infraction à l’origine de sa peine, ainsi que durant l’audience, pour décrire les avances que lui aurait faites au CCCP une délinquante transgenre. M. Miller avait affirmé que M. Corcoran était incité à lui nuire, mais la Commission n’a pas été persuadée par cette allégation et l’a rejetée.

 

[25]           En outre, devant les renseignements contradictoires fournis par M. Miller et les incohérences de son témoignage, la Commission a conclu que sa crédibilité était [traduction] « peu impressionnante » et que l’explication qu’il avait donnée au soutien de l’emploi du pronom [traduction] « ça » pour parler de certaines personnes de sexe féminin [traduction] « n’avait aucune valeur ». Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la Commission a exprimé l’avis que des renseignements fiables et convaincants permettaient de conclure que M. Miller avait effectivement tenu les propos qui avaient conduit à la suspension de sa semi-liberté.

 

[26]           La Commission a également conclu que les circonstances de la suspension de la semi-liberté de M. Miller étaient [traduction] « extrêmement graves en raison de son implication antérieure dans un viol crapuleux au cours duquel il avait menacé sa victime et tenté de la tuer ». La Commission faisait aussi observer que, d’après le plus récent rapport psychologique concernant M. Miller, celui‑ci continuait de clamer son innocence concernant les infractions à l’origine de sa peine, que les probabilités qu’il récidive se situaient dans la partie supérieure de la fourchette moyenne et que les probabilités d’une récidive violente de sa part étaient qualifiées de moyennes. La Commission a trouvé révélateur également que le plus récent rapport psychiatrique concernant M. Miller versé dans le dossier (i) fasse état de sa psychopathie et de son refus constant de se soumettre aux directives des représentants du système correctionnel, et (ii) mentionne que [traduction] « la moindre entorse à un programme convenu nécessitera une évaluation complémentaire ».

 

[27]           La Commission relevait aussi que la demande de M. Miller et son plan de réinsertion dans la collectivité ne tenaient pas compte de manière satisfaisante du comportement qui avait conduit à la suspension de sa semi-liberté.

 

[28]           Se fondant sur tous les éléments susmentionnés, la Commission a conclu que les probabilités d’une récidive de la part de M. Miller étaient considérables, surtout compte tenu de son passé violent et de son attitude de déni, et que la révocation de sa semi-liberté était la solution la moins restrictive, étant donné la nécessité de protéger la société.

 

B.         La décision de la Section d’appel

[29]           M. Miller a fait appel de la décision de la Commission devant la Section d’appel, en invoquant deux moyens : (i) la Commission n’avait pas obtenu et pris en compte toute l’information disponible pertinente et digne de foi, à savoir le registre des interventions le concernant, et cela en violation de l’alinéa 101b) de la Loi, et contrairement à son obligation d’équité envers lui; (ii) la décision de la Commission était déraisonnable.

 

(1)        La Commission a-t-elle négligé d’obtenir le registre des interventions concernant M. Miller?

[30]           Après avoir soigneusement examiné le dossier et entendu l’enregistrement de l’audience postsuspension tenue par la Commission, la Section d’appel a conclu que la Commission avait eu devant elle suffisamment de renseignements pertinents concernant le comportement de M. Miller dans la collectivité pour être en mesure d’apprécier les risques de récidive qu’il présentait.

 

[31]           S’agissant du registre des interventions, la Section d’appel a relevé que ce document ne fait pas en général partie du dossier d’un délinquant devant la Commission. Se fondant sur un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Zarzour c. Canada (2000), 196 F.T.R. 320, [2000] A.C.F. n° 2070, elle écrivait que (i) la Commission a le pouvoir de déterminer la manière d’apprécier la crédibilité et la valeur persuasive des renseignements qu’elle reçoit; (ii) une bonne manière de s’assurer de la crédibilité et de la valeur persuasive des renseignements reçus par la Commission consiste à donner au délinquant l’occasion d’y réagir et de réfuter les allégations dont il est l’objet.

 

[32]           La Section d’appel a donc estimé que la Commission n’était pas tenue d’obtenir le registre des interventions concernant M. Miller pour s’acquitter de son obligation de s’assurer que les renseignements contenus dans le rapport Corcoran étaient crédibles et dignes de foi. Elle a estimé aussi que ni le rapport Corcoran ni l’EVD ne contenaient de renseignements susceptibles de conduire la Commission à demander des éclaircissements ou d’autres documents, par exemple le registre des interventions concernant de M. Miller.

 

[33]           Contrairement à ce que prétend M. Miller, la Section d’appel a considéré qu’il n’était pas évident, à la lecture du rapport Corcoran, que M. Corcoran avait rapporté les propos de M. Miller à M. Grey et à Mme Hogan en juillet et août 2008.

 

(2)        La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[34]           Après examen de tous les renseignements pertinents accessibles à la Commission dans le dossier de M. Miller, et présentés à l’audience postsuspension tenue par la Commission, la Section d’appel a conclu que la décision de la Commission de révoquer la semi-liberté de M. Miller était raisonnable, qu’elle était fondée et qu’elle était appuyée par une quantité suffisante de renseignements pertinents, crédibles et convaincants.

 

[35]           Plus précisément, la Section d’appel a relevé que les membres de la Commission avaient donné à M. Miller toute possibilité de dissiper les inquiétudes de la Commission et de réfuter les allégations faites contre lui par M. Corcoran et les quatre sources anonymes, allégations qui avaient été jugées crédibles et dignes de foi par le SCC. En outre, la Commission avait donné à M. Miller l’occasion d’expliquer pourquoi il n’avait pas quitté la maison de transition dans le respect des règles et pourquoi il n’avait pas signalé son emploi et l’endroit où il travaillait à son agent de libération conditionnelle.

 

[36]           La Section d’appel a estimé aussi que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité de M. Miller étaient raisonnables, étant donné (i) ses réponses contradictoires à l’audience (réponses qui ne s’accordaient pas avec l’information versée dans le dossier ou qui avaient été contredites d’une manière convaincante par son agent de libération conditionnelle) et (ii) son refus d’admettre un quelconque écart de sa part, malgré la diversité des sources qui avaient rapporté les mêmes faits et soulevé de sérieuses inquiétudes, à plusieurs reprises, concernant le comportement de M. Miller. La Section d’appel a relevé également que la Commission ne pouvait pas fermer les yeux sur le fait que les commentaires troublants attribués à M. Miller, dans lesquels il menaçait de blesser, violer ou tuer des femmes, n’étaient pas sans rappeler les délits à l’origine de sa peine, c’est-à-dire le viol brutal et la tentative de meurtre sur une femme.

 

[37]           La Section d’appel a également conclu que la Commission avait considéré et apprécié la totalité des renseignements, tant favorables que défavorables, avant de conclure que les risques de récidive que présentait M. Miller étaient devenus excessifs et qu’ils ne pouvaient plus être maîtrisés par un régime de semi-liberté. La Section d’appel a en outre conclu que les motifs écrits de la Commission exposaient clairement le fondement de sa décision et qu’ils étaient suffisamment étayés.

IV.       La norme de contrôle

[38]           Les questions de fait, les questions mixtes de droit et de fait et les questions d’interprétation législative que M. Miller a soulevées devant la Cour sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. n° 9, paragraphes 53 et 54; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12, paragraphe 53; voir aussi Sychuk c. Canada (Procureur général), 2009 CF 105, [2009] A.C.F. n° 136, paragraphe 45; Bouchard c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2008 CF 248, [2008] A.C.F. n° 307, paragraphe 37; Tozzi c. Canada (Procureur général), 2007 CF 825, paragraphe 32; Strachan c. Canada (Procureur général), 2006 CF 155, [2006] A.C.F. n° 216, paragraphe 15.)

 

[39]           Cependant, les manquements allégués par M. Miller en ce qui a trait à l’équité procédurale, à l’article 7 de la Charte et aux principes de justice naturelle mettent en jeu la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, paragraphes 55, 79 et 87; Khosa, précité, paragraphe 43.)

 

[40]           Les divers points soulevés par M. Miller se rapportent tous à la décision de la Commission. Le seul point qu’il a soulevé à propos de la décision de la Section d’appel est qu’il n’était pas raisonnable pour la Section d’appel de confirmer la décision de la Commission, étant donné les erreurs qu’aurait commises, selon lui, la Commission.

 

[41]           Il s’ensuit que, si la Cour est d’avis que la décision de la Commission n’était pas contraire à l’équité procédurale, ni contraire à l’article 7 de la Charte, et qu’elle pouvait par ailleurs être suffisamment étayée, en fait et en droit, alors la décision de la Section d’appel de confirmer la décision de la Commission devrait elle aussi être jugée raisonnable, à moins que la Section d’appel n’ait commis une erreur distincte, rendant ainsi sa décision déraisonnable, par exemple le fait de ne pas l’avoir suffisamment motivée.

 

[42]           Dans l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59, le juge Ian Binnie expliquait ainsi la norme de la décision raisonnable :

[…] Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

V.        Les questions en litige

[43]           Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, M. Miller soulevait les questions suivantes :

a)      La Commission a-t-elle rendu une décision raisonnable alors qu’elle a laissé de côté tous les facteurs favorables qui prétendument montrent que les risques d’une récidive de la part de M. Miller sont gérables?

b)      Le fait pour la Commission de s’être dispensée d’obtenir et de considérer le registre des interventions concernant M. Miller constitue-t-il un manquement à l’alinéa 101b) de la Loi, à l’article 7 de la Charte et au devoir général d’équité auquel la Commission est astreinte envers M. Miller? Et cette négligence a-t-elle conduit la Commission à fonder sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets?

c)      Le fait pour la Commission de ne pas avoir communiqué à M. Miller la totalité du rapport Corcoran constitue-t-il un manquement à l’article 141 de la Loi ou aux principes de justice naturelle?

d)      La Section d’appel a-t-elle rendu une décision déraisonnable en confirmant la décision de la Commission?

 

VI.       Analyse

A.                  La Commission a-t-elle rendu une décision raisonnable alors qu’elle a laissé de côté tous les facteurs favorables qui prétendument montrent que les risques d’une récidive de la part de M. Miller sont gérables?

[44]           Contrairement à ce que prétend M. Miller, la Commission n’a pas fermé les yeux sur les divers facteurs favorables de son dossier qui, selon ce qu’il croit, montrent que les risques de récidive qu’il présente sont gérables.

 

[45]           Comme il est indiqué dans la partie III. A. ci-dessus, la décision de la Commission débutait par deux paragraphes détaillés où la Commission examinait un grand nombre de facteurs favorables qui montraient que, jusque peu avant la suspension de sa semi-liberté, les surveillants de M. Miller trouvaient qu’il « s’en était très bien sorti » durant la période au cours de laquelle il avait été en semi-liberté, c’est-à-dire de septembre 2007 à septembre 2008. Étant donné que M. Miller n’en a pas dit davantage sur ce point dans ses observations écrites et orales présentées à la Cour, on ne sait trop quels renseignements complémentaires auraient dû, selon lui, être pris en compte, en dehors de son registre des interventions, dont il sera question ci-après.

 

[46]           Puisque les facteurs favorables dont il est rendu compte dans les divers documents soumis à la Cour semblent tous avoir été dûment considérés par la Commission, il m’est impossible de dire que la Commission est arrivée à une décision déraisonnable comme le voudrait M. Miller.

 

B.         Le fait pour la Commission de s’être dispensée d’obtenir et de considérer le registre des interventions concernant M. Miller constitue-t-il un manquement à l’alinéa 101b) de la Loi, à l’article 7 de la Charte et au devoir général d’équité auquel la Commission est astreinte envers M. Miller? Et cette négligence a-t-elle conduit la Commission à fonder sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets?

[47]           Selon M. Miller, l’alinéa 101b) de la Loi, l’article 7 de la Charte et le devoir général d’équité qui incombe à la Commission obligeaient la Commission à travailler activement en vue d’obtenir le registre des interventions le concernant. En bref, puisque M. Corcoran écrivait dans son rapport qu’il avait, quelque part en juillet ou en août 2008, communiqué à M. Grey et à Mme Hogan les remarques troublantes dont faisait état ce rapport, alors, selon M. Miller, la Commission aurait dû savoir que le registre des interventions était une source d’« information pertinente disponible », au sens de l’alinéa 101b). Selon lui, l’absence, dans le registre des interventions, de toute référence aux remarques que M. Corcoran affirme l’avoir entendu faire met sérieusement en doute la crédibilité de l’allégation de M. Corcoran, et cela, parce que les politiques internes du SCC obligent les agents de libération conditionnelle à conserver des registres d’interventions qui soient clairs, détaillés et à jour, ce qui vaut également pour les renseignements reçus de tiers et pour les comptes rendus de toutes les conférences de cas.

 

[48]           S’agissant des manquements allégués à l’article 7 de la Charte et au devoir d’équité auquel la Commission est astreinte envers lui, M. Miller a soutenu que la Commission avait contrevenu aux principes de justice fondamentale, parce qu’elle n’avait pas obtenu l’information pertinente, comme le registre des interventions le concernant, d’autant que des faits essentiels tels que ceux dont fait état le rapport Corcoran exigent d’être consignés quelque part.

 

[49]           Au soutien de cet argument, M. Miller a invoqué l’arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, [1996] A.C.S. n° 10, et l’arrêt Zarzour, précité. Dans l’arrêt Mooring, au paragraphe 34, la Cour suprême faisait observer que « les tribunaux d’origine législative comme la Commission [des libérations conditionnelles] sont tenus d’agir équitablement lorsqu’ils statuent sur les droits ou privilèges d’une personne ». Elle écrivait plus loin, au paragraphe 36, que « la Commission doit s’assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants ». La Cour suprême tenait ces propos alors qu’elle examinait les alinéas 4g), 101f) et 147(1)a) de la Loi. Les propos restants de la Cour suprême sur ce point concernaient les circonstances dans lesquelles la Commission pourrait être tenue, en application du paragraphe 24(2) de la Charte, d’écarter des renseignements susceptibles d’intéresser sa décision.

 

[50]           Dans l’arrêt Zarzour, précité, au paragraphe 27, la Cour d’appel fédérale a suivi l’arrêt Mooring, en rappelant que l’alinéa 101f) de la Loi oblige la Commission à « agir conformément aux principes d’équité ». Elle ajoutait que, « dans la mesure où [la Commission] désire utiliser un renseignement pertinent au dossier, elle doit s’assurer de son exactitude et de sa valeur persuasive, sinon elle manque à son obligation d’agir équitablement ». Au paragraphe 29, la Cour d’appel fédérale reconnaissait aussi que cette obligation est également imposée « en vertu de l’équité procédurale » de common law. Cependant, s’exprimant au nom de la Cour, le juge Gilles Létourneau écrivait ensuite, au paragraphe 38 :

Je ne crois pas, comme semble le réclamer l’intimé, qu’il soit toujours nécessaire de procéder par enquête pour vérifier une information que la Commission reçoit. Celle-ci, compte tenu de ses besoins, de ses ressources et de son expertise, doit pouvoir disposer du libre choix, évidemment à l’intérieur des paramètres légaux, quant aux méthodes propres à assurer la fiabilité d’un renseignement qui lui est fourni. Il peut être approprié de le faire par enquête ou par simple complément d’enquête. Mais confronter le principal intéressé avec les allégations faites à son endroit et lui permettre de les commenter et de les réfuter constitue aussi un mode significatif de vérification, ce qui est généralement fait à moins que ne se pose un problème de sécurité: voir l’article 141 de la Loi et le Manuel des politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles. En outre, au plan de l’équité, la confrontation permet d’en respecter les principes et, au plan de l’objectif de libération, de mesurer la réaction du détenu et sa sincérité face aux allégations.

 

[51]           Dans la présente affaire, et en accord avec l’approche décrite dans l’extrait ci-dessus, la Commission a confronté M. Miller avec les allégations qui avaient été faites contre lui par les quatre sources anonymes ainsi que dans le rapport Corcoran. Elle a ensuite donné à M. Miller la possibilité de s’exprimer sur lesdites allégations et de les réfuter. La Commission n’était pas tenue d’aller plus loin ni de chercher activement à obtenir le registre des interventions concernant M. Miller.

 

[52]           Contrairement à l’argument de M. Miller, il n’était pas évident, à la lecture du rapport Corcoran, que M. Corcoran avait porté les remarques prétendues de M. Miller à l’attention de M. Grey et de Mme Hogan en juillet ou en août 2008. Par ailleurs, l’avocat de M. Miller a reconnu à l’audience tenue devant la Cour que les registres des interventions ne renferment pas toujours un compte rendu de tous les échanges entre les autorités du SCC et un délinquant. Il a aussi reconnu qu’il s’écoule souvent un certain temps avant que le compte rendu de tels échanges soit reflété dans un registre des interventions. Il n’aurait donc pas été immédiatement évident pour la Commission, comme le voudrait M. Miller, que le registre des interventions le concernant ait pu contenir des renseignements qui intéressaient son cas, ainsi que l’envisage l’alinéa 101b) de la Loi.

 

[53]           Quoi qu’il en soit, la Commission disposait d’un autre moyen de vérifier si les allégations de M. Corcoran étaient crédibles et convaincantes, moyen auquel elle a choisi de recourir. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission d’exercer de cette manière son pouvoir discrétionnaire.

 

[54]           Je ne partage pas le point de vue de M. Miller pour qui l’alinéa 101b) imposait à la Commission l’obligation de tenter activement d’obtenir des documents qui ne lui avaient pas été soumis et qui pouvaient, ou non, contenir une information pertinente. Selon moi, les mots « toute l’information pertinente disponible » et « les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles » ne signifient pas que la Commission est astreinte à une obligation illimitée de rechercher activement auprès du SCC toute information qui pourrait être utile. Pour ce qui concerne le SCC, ces mots obligent plutôt tout simplement la Commission à prendre en compte toute information pertinente reçue du SCC. L’alinéa 101f) de la Loi et le devoir d’équité issu de la common law obligent alors la Commission à s’assurer que toute information du genre dont elle pourrait se servir est crédible et convaincante. Comme on peut le lire dans l’arrêt Zarzour, précité, la Commission jouit alors d’une certaine latitude dans la manière dont elle répond à cette dernière obligation (voir aussi la décision Strachan, précitée, paragraphe 28.)

 

[55]           Finalement, puisque la Commission a donné à M. Miller la possibilité de s’exprimer sur les allégations faites par M. Corcoran et les quatre sources anonymes, ainsi que la possibilité de les réfuter, elle n’a pas contrevenu à l’article 7 de la Charte ni aux principes de justice naturelle du seul fait qu’elle n’a pas obtenu le registre des interventions concernant M. Miller.

 

C.        Le fait pour la Commission de ne pas avoir communiqué à M. Miller la totalité du rapport Corcoran constitue-t-il un manquement à l’article 141 de la Loi ou aux principes de justice naturelle?

[56]           La totalité du rapport Corcoran se limitait à un paragraphe. L’information qui figurait dans ce rapport et qui a été insérée dans l’EVD, laquelle a été communiquée à M. Miller près de deux mois avant l’audience de la Commission, renfermait l’essentiel du rapport. En bref, pour arriver à sa décision, la Commission s’est fondée sur l’information qui figurait dans le rapport. Aucune information importante contenue dans le rapport Corcoran n’était omise de l’EVD.

 

[57]           Je suis d’avis que cette information constituait un « résumé » suffisant du rapport Corcoran pour que soient respectées les dispositions du paragraphe 141(1) de la Loi, qui obligent la Commission à faire parvenir au délinquant « les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle-ci ».

 

[58]           Dans ses observations écrites adressées à la Cour, M. Miller écrivait que, parce que la Commission ne lui avait pas communiqué la totalité du rapport Corcoran, il y avait eu déni de justice naturelle. Il ne s’est pas expliqué davantage sur cette simple affirmation, il n’a fourni aucune analyse à l’appui ni cité de précédents et son avocat n’a pas soulevé ce point dans sa plaidoirie.

 

[59]           Puisqu’un bon résumé du rapport Corcoran a été communiqué à M. Miller et puisque la partie non divulguée du rapport Corcoran ne contenait aucun des renseignements sur lesquels s’est fondée semble-t-il la Commission, ni aucun renseignement nécessaire pour que M. Miller soit en mesure de répondre aux allégations formulées contre lui, je ne partage pas l’avis de M. Miller lorsqu’il prétend avoir subi un déni de justice naturelle parce que la Commission ne lui a pas communiqué la teneur intégrale du rapport Corcoran. Ainsi que l’écrivait le juge James K. Hugessen dans la décision Demaria c. Comité régional de sélection, [1987] 1 C.F. 74, [1986] A.C.F. n° 493, au paragraphe 10 : « […] En dernière analyse, il s’agit de déterminer non pas s’il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseignements, mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle. […] » Selon moi, l’information du rapport Corcoran qui a été communiquée à M. Miller répond à ce critère.

 

D.        La Section d’appel a-t-elle rendu une décision déraisonnable en confirmant la décision de la Commission?

[60]           Le dernier argument de M. Miller est que la décision de la Section d’appel confirmant la décision de la Commission était déraisonnable, parce que la décision de la Commission était déraisonnable et parce que la Commission a commis les diverses erreurs prétendues évoquées plus haut.

 

[61]           Comme je l’écrivais au paragraphe 20 ci-dessus, la Section d’appel ne peut intervenir que si la Commission a commis l’une des erreurs énumérées dans les alinéas 147(1)a) à e), et uniquement si cette erreur était déraisonnable.

 

[62]           Puisque je suis arrivé à la conclusion que la décision de la Commission n’était pas déraisonnable et que la Commission n’a pas commis les diverses erreurs alléguées par M. Miller, il s’ensuit que la décision de la Section d’appel n’était pas déraisonnable, à moins que la Section d’appel n’ait commis une erreur distincte ayant eu pour effet de rendre sa décision déraisonnable, par exemple le fait de n’avoir pas motivé suffisamment sa décision.

 

[63]           Comme il est indiqué dans la partie III. B. ci-dessus, la Section d’appel a soigneusement examiné le dossier de M. Miller et écouté l’enregistrement de l’audience postsuspension tenue par la Commission. Elle a ensuite donné à M. Miller toute possibilité de présenter ses arguments, et elle a répondu à chacun de ces arguments dans des motifs détaillés où elle expliquait le fondement de chacune de ses conclusions ainsi que le fondement de sa conclusion générale selon laquelle la décision de la Commission de révoquer la semi-liberté de M. Miller était raisonnable, qu’elle était fondée et qu’elle était appuyée par une information suffisante qui était pertinente, crédible et convaincante.

 

[64]           En bref, la décision de la Section d’appel était suffisamment justifiée, et le processus décisionnel qu’elle a suivi était transparent et intelligible.

 

[65]           J’arrive donc à la conclusion que la décision de la Section d’appel était raisonnable.

 

VII.      Dispositif

[66]           La demande de contrôle judiciaire déposée par M. Miller est rejetée, avec dépens.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-964-09

 

INTITULÉ :                                       DOUGLAS BERNARD MILLER

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 KINGSTON (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philip K. Casey

 

POUR LE DEMANDEUR

Deric Mackenzie-Feder

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Philip Kenneth Casey

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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