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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100401

Dossier : IMM-3955-09

Référence : 2010 CF 356

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

Entre :

MOHINDER SINGH JASSI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande qu’a présentée Mohinder Singh Jassi (le demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 ( la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision, datée du 23 juin 2009, dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur est citoyen de l’Inde, où il travaillait comme chauffeur de taxi.

 

[3]               Le 24 décembre 2001, le demandeur a censément été arrêté par la police en compagnie de M. Shashi Kant, un client qu’il n’avait jamais vu auparavant avant que celui-ci prenne place à bord de son taxi. M. Kant a été accusé de transporter de l’alcool illicite, découvert dans le taxi du demandeur. Il n’est pas clair si le demandeur a été accusé lui aussi.

 

[4]               Le demandeur soutient avoir été menacé par des individus liés à M. Kant, qui voulaient l’intimider, disant que l’alcool découvert au moment de l’arrestation était le sien et l’incitant ainsi à plaider coupable à la place de M. Kant. Plusieurs incidents ont eu lieu à partir de 2002, et ils ont atteint un point culminant le 20 décembre 2006, quand le demandeur a été enlevé et menacé de mort par deux passagers qui ont réitéré les mêmes demandes.

 

[5]               Le demandeur a reçu d’autres menaces de mort le 28 mars 2007. Trois individus l’auraient prévenu qu’il mourrait s’il ne déclarait pas au tribunal que c’était lui qui était coupable d’avoir transporté de l’alcool illicite.

 

[6]               Le 4 avril 2007, le demandeur a quitté l’Inde pour le Canada, où il a présenté une demande d’asile le 23 avril 2007.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]               La Commission a conclu que les allégations du demandeur ne tombaient pas sous le coup de l’article 96 de la Loi. Elle n’a examiné que la demande du demandeur en vertu de l’article 97 de la Loi et l’a rejetée.

 

[8]               La Commission a fait état d’un certain nombre d’incohérences dans la preuve du demandeur. Par exemple, ce dernier a produit un document indiquant qu’il avait été accusé, avec M. Kant, d’avoir transporté de l’alcool illicite; il a toutefois déclaré qu’il n’était qu’un témoin dans les procédures engagées contre M. Kant et qu’aucune accusation n’avait été portée contre lui. Toujours selon la Commission, le demandeur a déclaré que les acolytes de M. Kant avaient rendu visite à des membres de sa famille pour s’enquérir du lieu où il se trouvait, mais il n’a jamais modifié son formulaire de renseignements personnels (FRP) pour y inclure cette information et il n’en a pas parlé au début de l’audience quand on lui a demandé s’il y avait des faits nouveaux dans son dossier. Le demandeur a expliqué qu’il était stressé et avait simplement oublié de mentionner ce fait, d’ailleurs il y avait un rapport d’expert attestant que le demandeur souffrait d’un choc post-traumatique, mais la Commission a tout de même conclu que le demandeur aurait pu divulguer cette information.

 

[9]               De plus, la Commission n’a pas ajouté foi à la prétention du demandeur selon laquelle, depuis son départ de l’Inde, il ne s’était pas informé de ce qu’il était advenu de M. Kant. Il a déclaré qu’il craignait d’être tué s’il posait des questions, mais la Commission a jugé qu’il était peu plausible que le demandeur n’ait rien fait pour s’enquérir des circonstances qui l’avaient obligé à s’exiler.

[10]           La Commission a également trouvé peu plausible que M. Kant ou ses acolytes persécuteraient le demandeur s’il retournait en Inde car on n’aurait pas infligé à M. Kant une peine de plus de deux ans, et celui-ci l’avait donc peut-être déjà purgée.

 

[11]           Enfin, la Commission a fait remarquer que le demandeur n’avait pas eu peur de la police avant son départ de l’Inde. Ce dernier craint maintenant que la police soit mécontente du fait qu’il n’a pas comparu comme témoin contre M. Kant. La Commission a conclu qu’il ne s’agissait pas là d’un motif pour demander l’asile.

 

[12]           Le demandeur n’a donc pas montré, selon la prépondérance des probabilités, que s’il retournait en Inde, il s’exposerait personnellement à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, ou que sa vie serait en danger.

 

Les questions en litige

[13]           L’unique question en litige consiste à savoir si la Commission a commis une erreur en rejetant la demande d’asile du demandeur.

 

La norme de contrôle applicable

[14]           L’appréciation de la preuve, ainsi que le poids que lui accorde la Commission, sont une question de fait qu’il convient de contrôler selon la norme de la raisonnabilité, en faisant preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions de la Commission (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339).

[15]           Les questions de crédibilité de même que l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui est appelé à évaluer l’allégation de crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264, au paragraphe 14). La Cour n’interviendra que si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou si elle a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)). Depuis l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité.

 

Analyse

[16]           D’après le demandeur, la Commission n’a pas compris que M. Kant et les individus qui lui étaient liés pouvaient chercher à se venger sur lui d’une peine d’incarcération qui avait peut-être été déjà purgée et lui reprocher la peine infligée et purgée. Selon la jurisprudence, pour qu’une déclaration ou une action soit invraisemblable, il faut qu’elle soit improbable ou suspecte en soi (Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1989), 101 N.R. 372, 17 A.C.W.S. (3d) 322 (C.A.F.)). Dans le cas présent, le demandeur fait valoir qu’il n’y avait rien d’improbable ou de suspect en soi en rapport avec les questions au sujet desquelles les conclusions d’invraisemblance ont été tirées.

 

[17]           Le demandeur déclare que la Commission a fait abstraction du fait que des accusations avaient été portées contre lui et que, par conséquent, la police serait à sa recherche en Inde. La Commission ne peut être muette à propos des éléments de preuve documentaires pertinents qui corroborent la prétention du demandeur (Cepeda-Gutierrez; Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999), 163 F.T.R. 127, 87 A.C.W.S. (3d) 132), et le demandeur allègue que la Commission n’a pas tenu compte de la totalité des éléments de preuve documentaire qui le concernent (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226, 129 A.C.W.S. (3d) 390; Castiillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 56, 128 A.C.W.S. (3d) 782; Guerrero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 104, 129 A.C.W.S. (3d) 170). Même si elle a jugé que le demandeur n’était pas digne de foi, la Commission, dans son analyse, aurait dû tenir compte de la totalité des éléments de preuve documentaires (Kamalanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 553, 105 A.C.W.S. (3d) 1125).

 

[18]           La Cour signale que la Commission est la mieux placée pour évaluer les explications du demandeur sur les incohérences perçues. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait de la Commission quant à la crédibilité du demandeur (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325, au paragraphe 36; Mavi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2001), 104 A.C.W.S. (3d) 925, [2001] A.C.F. no 1 (QL)).

 

[19]           Le demandeur a le lourd fardeau de réfuter la conclusion de la Commission selon laquelle il n’est pas digne de foi (Aguebor), et la Commission a le droit de tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur une invraisemblance ou en s’en remettant au bon sens et à la raison.

 

[20]           En l’espèce, le demandeur n’a pas fourni de preuve convaincante au sujet de sa crainte subjective, car il ne s’est pas informé du sort de M. Kant et de l’état de son procès après son départ de l’Inde. Il a omis de mentionner que M. Kant et ses acolytes avaient rendu visite à sa famille, et il lui a été impossible aussi d’expliquer clairement s’il avait été accusé ou non ou, alors, s’il n’était qu’un simple témoin au procès de M. Kant. Il ne s’est donc pas acquitté du fardeau d’établir l’existence d’une crainte subjective de persécution. Le demandeur a fait état d’une possibilité de vengeance, mais cela ne suffit pas pour établir l’existence d’une crainte fondée de persécution, compte tenu surtout de l’importante omission de déclarer dans son FRP que M. Kant et la mafia avaient rendu visite à sa famille. Il a justifié cette omission en expliquant qu’il avait des trous de mémoire et qu’il était tendu.

 

[21]           À l’appui de cet argument, le demandeur a également produit un rapport psychologique établi par David Woodbury (pièce P-16) pour montrer qu’il souffre du syndrome de stress post‑traumatique. Le défendeur soutient toutefois qu’il ne faudrait pas considérer le document de M. Woodbury comme un rapport psychologique car cet homme est conseiller en orientation (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1376, 110 A.C.W.S. (3d) 1113, au paragraphe 6; Rai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1338, [2008] A.C.F. no 1674 (QL), aux paragraphes 37 et 38). La Cour convient avec le défendeur que le fait d’avoir des trous de mémoire ou d’être tendu ou celui d’alléguer l’existence d’un syndrome de stress post-traumatique diagnostiqué par un conseiller en orientation ne sauraient justifier que le demandeur ait fait une omission aussi importante, qui se situe au cœur même de sa demande.

 

[22]           Par ailleurs, le demandeur a produit un [traduction] « acte d’accusation » (pièce P-6), établi contre lui et M. Kant. Cependant, comme il a déclaré à maintes reprises qu’aucune accusation n’a été portée contre lui, la Cour est d’avis que la Commission s’est assurée que le demandeur avait bien compris les questions (notes sténographiques, aux pages 218 et 219). Par conséquent, au vu de cette preuve contradictoire, la Cour ne souscrit pas aux prétentions du demandeur, à savoir qu’il n’a pas bien compris la question sur l’acte d’accusation et qu’il a bel et bien été accusé.

 

[23]           Enfin, l’avocat du demandeur soutient que le demandeur craint la police depuis son départ de l’Inde parce qu’il ne s’est pas acquitté de ses fonctions de témoin au procès de           M. Kant. Le fait que le demandeur ait un sentiment de crainte parce qu’il n’a pas respecté ses obligations juridiques dans son pays d’origine ne peut étayer sa demande d’asile (Valentin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 390, 167 N.R. 1, au paragraphe 8; Zandi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 411, 129 A.C.W.S. (3d) 1187, au paragraphe 10). En fait, dans Zandi, au paragraphe 10, la Cour a mentionné ceci :

Le demandeur prétend que la Commission n'a pas envisagé la question de savoir s'il était un réfugié au sens de la Convention en raison de son appartenance à un groupe social particulier, soit celui des transfuges visés par l'article 96 de la LIPR, ou s'il avait qualité de personne à protéger au sens de l'alinéa 97(1)b) de la LIPR. La Cour ne peut souscrire à cette prétention. La Commission a effectivement établi que selon la preuve documentaire, le gouvernement iranien ne persécuterait pas le demandeur pour avoir simplement omis de rentrer en Iran, c'est-à-dire pour avoir fait défection. Toutefois, cela ne veut pas dire que le demandeur n'encourrait aucune sanction en vertu de la loi iranienne pour avoir violé les conditions de son visa de sortie. Ce genre de sanction n'équivaut pas au risque de punition ou de sanction visé aux articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[Non souligné dans l’original.]

[24]           Après avoir examiné la preuve et entendu les avocats des parties, je ne suis pas convaincu que l’intervention de la Cour soit justifiée. Le demandeur n’a pas démontré que la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Khosa).

 

[25]           Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et, selon moi, l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3955-09

 

INTITULÉ :                                       MOHINDER SINGH JASSI c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               24 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      1er avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Platt

 

POUR LE DEMANDEUR

Geneviève Bourbonnais

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale – Law Office

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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