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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date :  20100401

Dossier :  T-721-09

Référence : 2010 CF 355

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2010

En présence de madame le juge Tremblay-Lamer 

 

ENTRE :

MARC-ANTOINE GAGNÉ

Demandeur

et

 

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

(CANADA (SCC))

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par Marc-Antoine Gagné (le demandeur) en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, d’une décision, rendue le 8 janvier 2009, de la directrice par intérim de l’Établissement La Macaza (la directrice) refusant au demandeur une permission de sortir avec escorte (PSAE) afin d’assister à un souper avec sa famille.

 

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur purge une peine de deux ans suite à une condamnation pour une série de délits à caractère sexuel impliquant des mineures, commis par l’entremise d’internet. Le 19 novembre 2008, il a présenté une demande de PSAE afin d’assister à un souper de famille pendant la période des fêtes.

 

[3]               La directrice a rejeté cette demande le 8 janvier 2009. Il est à noter que, depuis, le demandeur a été placé en maison de transition. Il est donc assujetti à un régime législatif et règlementaire différent de celui applicable au pénitencier. Comme il a reconnu à l’audience, une décision de cette Cour lui donnant raison n’aura pas d’impact pratique. Il insiste, néanmoins, pour que la cause soit tranchée au mérite.

 

[4]               Dans ses motifs, la directrice a tout d’abord estimé que le projet de PSAE proposé par le demandeur n’était pas réaliste et qu’il ne pouvait être accepté à cette étape d’évolution carcérale de celui-ci. Elle a souligné que le demandeur n’avait pas travaillé sur ses facteurs criminogènes, et présentait toujours des risques plutôt élevés et un faible potentiel de réinsertion sociale. Aucun élargissement n’était recommandé dans son cas avant qu’il n’ait subi des interventions en vue de favoriser sa réhabilitation. L’octroi d’une PSAE serait prématuré, puisque celle-était une étape dans « un processus de réinsertion sociale graduel » à laquelle le demandeur n’était pas encore rendu.

 

[5]               Elle a ensuite justifié sa décision comme suit :

En somme,

 

Malgré que votre conduite en établissement ne justifie pas un refus,

 

Considérant que le risque de récidive que vous représentez durant la sortie est inacceptable pour la société,

 

La permission de sortie avec escorte est non agréée conformément à l’article 17 de la [Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (la Loi)].

 

 

[6]               Par ailleurs, selon la directrice, même si le risque de récidive du demandeur pouvait être géré par des mesures appropriées, dont la présence d’une escorte armée, « les objectifs mêmes de la PSAE, seraient contrecarrés par ce type d’escorte. En effet, il serait difficile d’effectuer un rapprochement significatif avec les membres de [la] famille dans des conditions où [le demandeur serait] menotté aux mains et aux pieds sous la surveillance d’une escorte armée ».

 

ANALYSE

[7]               Le paragraphe 17(1) de la Loi prévoit que le directeur d’un pénitencier « peut » octroyer une PSAE à un détenu,

lorsque, à son avis :

 

a) une récidive du délinquant pendant la sortie ne présentera pas un risque inacceptable pour la société;

 

b) il l’estime souhaitable pour des raisons médicales, administratives, de compassion ou en vue d’un service à la collectivité, ou du perfectionnement personnel lié à la réadaptation du délinquant, ou pour lui permettre d’établir ou d’entretenir des rapports familiaux notamment en ce qui touche ses responsabilités parentales;

 

c) la conduite du détenu pendant la détention ne justifie pas un refus;

 

d) un projet structuré de sortie a été établi.

 

[8]               L’emploi du verbe « peut » dans la clause introductive de cette disposition indique que le législateur a voulu que le pouvoir d’octroyer une PSAE soit discrétionnaire (voir l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21), bien qu’il ait adopté des critères qui doivent guider l’exercice de ce pouvoir.

 

[9]               L’article 9 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement) fournit quelques précisions supplémentaires quant aux buts que peut poursuivre une PSAE. L’alinéa d) de cette disposition prévoit qu’une PSAE peut être octroyée « à des fins de rapports familiaux, afin de lui permettre d’établir ou d’entretenir des liens avec sa famille pour qu’elle l’encourage durant sa détention et, le cas échéant, le soutienne à sa mise en liberté ». Cet objectif est également reconnu par des directives du Commissaire du défendeur (les directives).

 

[10]           Le demandeur soutient que la directrice a erré en rejetant sa demande, et qu’il satisfait à tous les critères d’admissibilité à une PSAE. Il insiste sur le fait que la Loi, le Règlement et les directives reconnaissent tous l’établissement et le maintien de relations familiales comme objectif valide d’une PSAE. De plus, la directrice n’aurait pas tenu compte du fait que les infractions pour lesquelles il a été condamné ont toutes été commises avec l’aide d’internet. Selon le demandeur, la commission d’une telle infraction requiert du temps, si bien que l’agent qui l’escorterait remarquerait la moindre tentative de récidiver et l’arrêterait. Ainsi, la directrice aurait erré en concluant qu’il présenterait un risque de récidive en cas de sortie.

 

 

[11]           Je suis d’accord avec les arguments du demandeur concernant l’évaluation par la directrice du risque qu’il représenterait pendant sa sortie. Peu importe les risques que peut représenter le demandeur à moyen ou à long terme dans la collectivité, il est vrai que la commission d’une infraction telle que celles pour lesquelles il a été condamné nécessite temps et préparation. Or, les mesures de contrainte qui auraient pu être prises dans le cadre d’une brève sortie avec escorte auraient empêché le demandeur de préparer et de perpétrer une telle infraction, ce que la directrice a, d’ailleurs, reconnu. La conclusion que « le risque de récidive que [le demandeur] représente[rait] durant la sortie est inacceptable pour la société » ne peut donc s’inférer du dossier du demandeur. Le raisonnement de la directrice est « foncièrement défectueux ». Il n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », Dunsmuir c. Nouveau-Brusnwick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au par. 47.

 

[12]           Malgré toute la déférence qui est due à une décision discrétionnaire d’un directeur de pénitencier, étant donné que cette conclusion est le fondement même de la décision de la directrice et non seulement un point incident auquel la Cour ne devrait pas s’attarder, cette décision est déraisonnable et doit être annulée. Cependant, étant donné le changement dans les circonstances du demandeur, il serait inutile de retourner le dossier pour une nouvelle décision.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée. La décision de la directrice est cassée. La Cour accorde les dépens au demandeur.

 

 

 

“Danièle Tremblay-Lamer”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-721-09

 

INTITULÉ :                                       MARC-ANTOINE GAGNÉ et SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marc Antoine Gagné

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marc Antoine Gagné

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Par Me Éric Lafrenière

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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