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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100412

Dossier : IMM-3466-09

Référence : 2010 CF 383

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2010

En présence de Monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

GABOR MIROSLAV

GABOROVA MAGDALENA

GABOROVA MAGDALENA JR

GABOROVA BIANKA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 19 juin 2009 (la décision), qui leur a refusé la qualité de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs sont Miroslav Gabor, son épouse Mme Magdalena Gaborova, et leurs deux filles, Magdalena Gaborova Jr, et Bianka Gaborova. M. Gabor est Tchèque, tandis que son épouse et ses deux filles sont Slovaques. Les demandeurs prétendent être persécutés dans leurs pays d’origine en raison de leur appartenance ethnique.

 

[3]               M. Gabor affirme avoir subi des différences de traitement et des violences verbales et physiques à l’école. Il a connu aussi la discrimination dans sa recherche d’un emploi, ce qui l’a obligé à travailler à son propre compte. Cependant, en tant que peintre travaillant à son propre compte, il ne pouvait décrocher que des contrats occasionnels ou saisonniers.

 

[4]               En 1991, M. Gabor a été victime d’une agression de caractère raciste alors qu’il attendait l’autobus dans une gare routière en Tchécoslovaquie. Il avait été la cible d’agressions verbales de la part d’un groupe de crânes rasés, qui l’avaient frappé au dos avec une chaîne. Il n’a pas signalé cette agression à la police.

 

[5]               M. Gabor a été agressé à nouveau en 2007 par un groupe de crânes rasés. Alors qu’il attendait un train, il a subi des attaques verbales et il a été plaqué au sol puis frappé à plusieurs reprises. L’agression n’a cessé que lorsqu’un témoin eut crié qu’il avait appelé la police. M. Gabor s’est présenté au service des urgences d’un hôpital, pour faire panser les blessures subies au cours de cette agression. Le médecin qui l’a examiné lui a donné des analgésiques, mais il ne voulait pas confirmer l’agression subie par le demandeur parce que en affirmant ce qui suit : [traduction] « vous les Gitans, vous inventez toujours des histoires ».

 

[6]               M. Gabor a tenté de dénoncer cette agression à la police, mais la police n’était pas prête à l’entendre. Les policiers ne voulaient pas le voir au poste de police et lui ont dit qu’ils avaient des choses plus sérieuses à traiter.

 

[7]               Mme Gaborova a elle aussi connu la persécution en raison de son appartenance ethnique. Elle affirme qu’elle n’a pas été en mesure d’obtenir des soins suffisants dans son pays d’origine pour ses crises d’épilepsie, en raison de son appartenance ethnique. Des ambulanciers ont refusé de venir à son aide parce que les demandeurs vivaient dans une zone habitée par des Gitans. Mme Gaborova affirme aussi qu’elle a été stérilisée contre sa volonté lorsqu’elle s’est présentée à l’hôpital pour se faire enlever un kyste. Priée de dire pourquoi il l’avait stérilisée, le médecin aurait répondu ce qui suit : [traduction] « vous avez déjà deux enfants, vous n’avez pas besoin d’en faire d’autres, et nous avons assez de Gitans comme ça dans le pays ».

 

[8]               Les demandeurs sont arrivés au Canada en juin 2008 et ont immédiatement demandé l’asile.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[9]               La SPR a tenu compte à la fois la République tchèque et à la fois de la République slovaque dans la demande d’asile, et, selon elle, les demandeurs n’avaient pas une crainte fondée de persécution s’ils devaient retourner dans l’un ou l’autre de ces pays.

 

[10]           La SPR a fait porter son analyse sur la distinction entre discrimination et persécution. Elle s’est exprimée ainsi :

Pour que des mauvais traitements subis ou anticipés soient considérés comme de la persécution, il faut qu’ils soient graves. Et pour déterminer si des mauvais traitements peuvent être qualifiés de « graves », il faut examiner quel droit du demandeur d’asile pourrait être violé et dans quelle mesure l’existence, la jouissance, l’expression ou l’exercice de ce droit pourraient être compromis. Par exemple, on a donné le sens suivant au mot « persécution » qui n’est pas défini dans la Convention : [traduction] « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État » [notes infrapaginales omises].

 

[11]           La SPR a estimé que la discrimination subie par les demandeurs n’atteignait pas le niveau de la persécution parce que leurs droits fondamentaux n’avaient pas été menacés. Voir l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, 187 N.R. 321.

 

[12]           M. Gabor n’a pas apporté la preuve d’« incidents particuliers » de discrimination qu’il avait vécus à l’école. Il n’a pas non plus produit une preuve corroborante démontrant qu’il avait été victime de discrimination dans sa recherche d’un emploi. Par ailleurs, M. Gabor avait pu trouver du travail puisqu’il travaillait à son propre compte comme peintre. La SPR a estimé que M. Gabor n’avait apporté « aucun élément de preuve convaincant [indiquant] qu’il ne pouvait pas subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille ».

 

[13]           La SPR a relevé que les deux agressions à caractère raciste que M. Gabor avait subies étaient espacées de 16 années, et ce n’est qu’après la deuxième que M. Gabor a tenté d’obtenir de la protection de l’État. La SPR a conclu qu’il n’avait pas été porté atteinte d’une manière radicale aux droits fondamentaux de M. Gabor et que la discrimination qu’il avait connue n’équivalait pas à persécution.

 

[14]           La SPR n’a pas accordé beaucoup de valeur à l’allégation de Mme Gaborova selon laquelle elle avait été stérilisée contre sa volonté. Selon elle, aucune preuve corroborante n’avait été produite au soutien de cette affirmation, et Mme Gaborova n’avait jamais tenté d’obtenir réparation. Par ailleurs, la preuve documentaire démontrait que les stérilisations sans consentement éclairé étaient illégales à l’époque en République slovaque, comme en République tchèque, et que les victimes avaient droit à réparation.

 

[15]           La SPR a accordé davantage de valeur à la preuve documentaire qu’au témoignage de Mme Gaborova et a conclu qu’il n’y avait pas eu de stérilisation forcée sans consentement éclairé. En concluant que Mme Gaborova n’avait pas été stérilisée avant de donner son consentement éclairé, la SPR a fait observer ce qui suit :

Les chirurgiens qui exercent dans le domaine de la gynécologie et de l’obstétrique seraient certes au courant des lois applicables. Il est invraisemblable qu’un chirurgien affirme avoir stérilisé une femme sans son consentement éclairé et déclare ensuite que le pays compte suffisamment de Gitans, s’exposant ainsi à des accusations criminelles.

 

[16]           S’agissant des traitements qui auraient été refusés à Mme Gaborova, la SPR a jugé qu’« aucune précision n’[avait] été donnée à cet égard et rien n’[indiquait] que l’absence de services ambulanciers [lui] [avait] causé un tort quelconque ». La SPR a donc conclu que la discrimination subie par Mme Gaborova n’équivalait pas à persécution et qu’il n’avait pas été porté atteinte d’une manière radicale à ses droits fondamentaux.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[17]           Les points soulevés dans la demande peuvent être résumés ainsi :

1.                  La SPR a-t-elle commis une erreur dans sa manière d’appliquer le critère de l’article 96?

 

2.                  La SPR a-t-elle commis une erreur parce qu’elle aurait passé sous silence, mal interprété et/ou mal appliqué la preuve qu’elle avait devant elle?

 

3.                  La SPR a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées?

 

4.                  La conclusion de la SPR était-elle raisonnable?

 

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière soumise à la Cour est bien établie par la jurisprudence, la cour qui effectue le contrôle peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête se révèle infructueuse que la cour qui effectue le contrôle devra examiner les quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[20]           Selon les demandeurs, la SPR a commis une erreur dans sa manière d’appliquer le critère de l’article 96 à la présente affaire. L’application d’un critère juridique aux circonstances d’une affaire est une question mixte de droit et de fait, qui est revue selon la norme de la décision raisonnable. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 164.

 

[21]           Les trois derniers points soulevés dans la présente affaire concernent les preuves produites et les faits allégués. Selon l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 51, la norme de contrôle qui s’applique à eux est celle de la décision raisonnable. Ils seront donc revus, dans une procédure de contrôle judiciaire, selon la norme de la décision raisonnable.

 

[22]           Lorsqu’une décision est revue selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour n’interviendra que si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Les demandeurs

 

[23]           Il existe une présomption de vérité lorsqu’un demandeur d’asile jure que ce qu’il dit est vrai. Une allégation est donc présumée véridique à moins qu’il n’existe une raison de croire qu’elle ne l’est pas. Voir la décision Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, 31 N.R. 34. Les demandeurs disent aussi qu’un témoignage produit sous serment qui n’est pas « foncièrement inconcevable » ne saurait simplement être « passé sous silence ni rejeté d’emblée ».

 

[24]           Les demandeurs affirment, dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP) ainsi que de vive voix durant l’audience devant la SPR, qu’ils ont apporté la preuve de la persécution qu’ils avaient subie en raison de leur appartenance ethnique. Ils prétendent que la SPR a commis une erreur en disant qu’ils sont tenus de prouver qu’ils ont été persécutés par le passé avant de pouvoir établir une crainte fondée de persécution dans l’avenir. Ce qui importe plutôt, c’est de savoir si les demandeurs seront objectivement exposés à un risque en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Voir l’arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250, [1990] A.C.F. n° 454. L’affirmation des demandeurs peut être confirmée non seulement par le témoignage des demandeurs eux-mêmes, mais également par le témoignage de personnes qui se sont trouvées dans la même situation qu’eux. Il peut s’agir de proches parents, d’amis, ou de membres du même groupe ethnique : voir l’arrêt Salibian, précité.

 

[25]           Les demandeurs ont subi des violations directes de leurs droits fondamentaux, tout comme ceux qui se sont trouvés dans la même situation qu’eux, y compris leurs proches parents. Cependant, la SPR a passé sous silence le témoignage produit par les proches parents des demandeurs à qui avait déjà été reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[26]           La SPR a conclu à tort que les droits des demandeurs n’avaient pas été touchés d’une manière radicale. Dans son témoignage, M. Gabor avait évoqué sa tentative d’obtenir la protection de l’État, mais la police la lui avait refusée. Selon les demandeurs, le peu d’empressement de la police à apporter son aide à M. Gabor est [traduction] « une violation du droit fondamental du citoyen d’obtenir la protection de l’État ».

 

[27]           Selon les demandeurs, la conclusion de la SPR sur la stérilisation forcée était une conclusion de fait erronée. D’après la SPR, la stérilisation était devenue une infraction criminelle en 2005, alors que les demandeurs disent qu’elle était devenue telle avant 2005, mais que cette pratique s’était néanmoins poursuivie. En outre, la conclusion de la SPR était fondée sur des documents et des faits intéressant la République tchèque, alors que la stérilisation subie par Mme Gaborova avait eu lieu en République slovaque. Comme les lois de ces deux pays diffèrent, les conclusions de la SPR relatives à la stérilisation forcée ne sauraient être qualifiées de raisonnables. La SPR s’est également fourvoyée en accordant davantage de poids à la preuve documentaire qu’au témoignage des demandeurs.

 

[28]           La SPR a également erré dans sa manière de considérer l’état épileptique de Mme Gaborova. Elle n’a pas voulu en l’espèce admettre qu’un refus de soins – y compris un refus de fournir un service d’ambulance – équivaut à persécution. Elle a plutôt tiré une conclusion fondée sur ses propres suppositions et présomptions.

 

[29]           La SPR doit considérer toute la preuve qu’elle ne trouve pas douteuse. Elle a sous-estimé à tort les témoignages du frère et de la sœur de Mme Gaborova.

 

[30]           Une conclusion qui est tirée sans égard à l’ensemble de la preuve peut être qualifiée de conclusion de fait erronée. Voir l’arrêt Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 98 N.R. 312, 8 Imm. L.R. (2d) 106. Dans la présente affaire, la SPR a tiré des conclusions qui n’étaient pas fondées sur la preuve. Sa décision était plutôt fondée sur ses propres suppositions.

 

Le défendeur

 

[31]           Selon le défendeur, la SPR peut tenir compte des discriminations passées lorsqu’elle examine une demande d’asile. Il se trouve que la demande d’asile dont il s’agit en l’espèce était fondée sur des discriminations auxquelles les demandeurs avaient déjà été exposés. La SPR n’a pas commis d’erreur en considérant la gravité relative des incidents passés pour savoir si elle pouvait à partir de là conclure à la probabilité d’une persécution future. Voir par exemple la décision Natynczyk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 914, [2004] A.C.F. n° 1118, paragraphe 71; Asaipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 1777, paragraphe 7.

 

[32]           La SPR écrivait que le point déterminant était de savoir si les demandeurs allaient subir une persécution en cas de renvoi. Il ressort clairement des mots employés par la SPR qu’elle admettait que le critère de la persécution est un critère prospectif.

 

[33]           Le défendeur soutient que la différence entre persécution et discrimination est le fait que la persécution suppose un [traduction] « niveau plus élevé de gravité du préjudice ou des mauvais traitements ». Il appartient à la SPR de dire si des mauvais traitements constituent une discrimination ou s’ils atteignent plutôt le niveau de la persécution. Voir par exemple l’arrêt Kwiatkowsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 2 R.C.S. 856; et l’arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 182 N.R. 398, [1993] A.C.F. n° 796, paragraphe 3.

 

[34]           L’arrêt Salibian, précité, invoqué par les demandeurs, ne leur est d’aucun secours parce que la SPR a estimé que la discrimination qu’ils avaient connue par le passé – tout comme la discrimination qu’ils pourraient connaître dans l’avenir – n’équivalait pas à persécution.

 

[35]           La SPR a pour tâche d’apprécier la preuve qui lui est soumise. En l’espèce, elle a examiné la preuve avec soin et a jugé que M. Gabor n’avait pas connu la persécution par le passé et qu’il ne connaîtrait pas la persécution dans l’avenir. Les conclusion de la SPR étaient fondées sur ce qui suit :

1.                  M. Gabor n’avait pas donné d’exemples précis de la discrimination qu’il avait connue à l’école;

2.                  M. Gabor n’avait pas produit de preuves corroborantes démontrant qu’il avait été victime de discrimination dans sa recherche d’un emploi;

3.                  M. Gabor n’avait pas prouvé qu’il ne serait pas en mesure de reprendre son travail comme peintre à son propre compte;

4.                  M. Gabor n’avait pas véritablement cherché à obtenir la protection de l’État;

5.                  le niveau de discrimination dont était victime M. Gabor n’équivalait pas à persécution.

 

[36]           La conclusion de la SPR concernant la stérilisation prétendument forcée de Mme Gaborova a elle aussi été tirée d’une manière qui s’accordait avec la preuve produite. Pour y parvenir, la SPR a tenu compte de ce qui suit :

1.                  Mme Gaborova n’avait pas produit une preuve convaincante montrant qu’elle s’était adressée à la police après l’opération illégale;

2.                  Mme Gaborova n’avait pas consulté un avocat ni cherché à obtenir réparation;

3.                  les propos tenus par le médecin à Mme Gaborova étaient difficiles à croire; et

4.                  Mme Gaborova n’avait produit aucune preuve corroborante.

[37]           En tirant sa conclusion sur la stérilisation de Mme Gaborova, la SPR a pris en compte la preuve concernant à la fois la République tchèque et la République slovaque, notamment les rapports du Département d’État des États-Unis de 2009 sur ces deux pays. Par ailleurs, les demandeurs avaient fait état de la similitude des conditions ayant cours dans ces deux pays en ce qui concerne les Roms. La manière dont la SPR a considéré la preuve documentaire concernant les stérilisations forcées pratiquées dans les deux pays n’est donc pas déraisonnable.

 

[38]           Mme Gaborova n’avait pas été en mesure d’indiquer à la SPR les circonstances dans lesquelles les services d’une ambulance lui avaient été refusés. Elle n’a pas pu non plus expliquer en quoi ce refus lui avait causé un préjudice. Par ailleurs, alors que, selon les demandeurs, la manière dont la SPR a examiné cet aspect est fondée sur des suppositions et des présomptions, ils n’ont pas précisé ce qu’étaient exactement lesdites suppositions et présomptions.

 

[39]           En outre, une demande d’asile tierce ne saurait constituer une preuve concluante de persécution. Chaque demande d’asile requiert d’être étudiée spécialement : « la SPR n’est pas liée par la décision qu’elle a rendue dans une autre demande, même lorsque la demande a trait à un parent. Le statut de réfugié est déterminé au cas par cas ». Voir par exemple la décision Noha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 683, [2009] A.C.F. n° 850, paragraphes 102 et 103.

 

[40]           Par ailleurs, la SPR est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise, à moins que le contraire ne soit prouvé. Le fait que la SPR ne fasse pas état de chaque élément de preuve ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte, si ses motifs donnent à penser qu’elle a considéré l’ensemble de la preuve. Voir l’arrêt Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 598.

 

[41]           M. Gabor a invoqué devant la SPR le fait que son frère avait obtenu gain de cause dans sa demande d’asile, mais le défendeur relève qu’il y a une différence entre la décision relative au frère de M. Gabor et le témoignage de M. Gabor, différence qui concerne le type d’école fréquentée : « école ordinaire » ou école pour enfants roms. En outre, les proches parents des demandeurs n’avaient pas donné d’exemples précis de la persécution dont ils étaient l’objet. Il n’était pas déraisonnable pour la SPR d’arriver à une conclusion différente de celle qu’elle avait tirée pour les demandes d’asile présentées par d’autres proches de la famille des demandeurs.

 

L’ANALYSE

 

[42]           Les demandeurs ont soulevé plusieurs points dans la présente procédure de contrôle, que j’ai tous examinés, mais selon moi la décision est entachée d’une seule erreur importante.

 

[43]           Aux paragraphes 24 et 25 de sa décision, la SPR conclut à l’absence de crédibilité de la demanderesse en disant qu’elle « n’a pas été victime de stérilisation forcée sans son consentement ».

 

[44]           Une part importante des raisons qu’avait la SPR de ne pas croire la demanderesse sur ce point était fondée sur une preuve qui donnait à penser que les victimes d’une stérilisation involontaire pouvaient obtenir réparation et que la demanderesse « a[vait] déclaré ne pas avoir tenté d’obtenir une indemnité pécuniaire ni un redressement quelconque par suite de sa présumée stérilisation forcée. Elle n’a pas non plus parlé à un avocat de la question, même si elle était au courant des indemnités versées à d’autres femmes ».

 

[45]           Comme le révèle le dossier du tribunal, et comme le défendeur l’a admis à l’audience, la demanderesse a témoigné qu’elle avait bel et bien consulté un avocat pour explorer la question de la réparation et que l’avocat lui avait indiqué qu’elle n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause ni une quelconque indemnité en engageant une telle poursuite.

 

[46]           La SPR a évidemment commis une grave erreur sur des éléments de preuve capitales. Ce point est important parce que la question de la stérilisation était l’un des principaux aspects de l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils avaient été exposés à la persécution par le passé et qu’ils y seraient à nouveau exposés dans l’avenir. Si la SPR n’avait pas négligé cet élément crucial et si elle avait admis qu’une stérilisation forcée avait eu lieu, alors sa décision concernant la persécution – par opposition à la discrimination – aurait fort bien pu être différente.

 

[47]           Cette erreur rend la décision déraisonnable. Par conséquent, l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la SPR, pour nouvel examen.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3466-09

 

INTITULÉ :                                       GABOR MIROSLAV, GABOROVA

                                                            MAGDALENA, GABOROVA

                                                            MAGDALENA JR, GABOROVA BIANKA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 AVRIL 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart Kaminker                                                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Monmi Goswami                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart  A. Kaminker

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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