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Date : 20100423

Dossier : IMM‑2921‑09

Référence : 2010 CF 445

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

MABEL HIGBOGUN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision datée du 20 mai 2009 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de considérer la demanderesse comme un réfugié au sens de la convention ou une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est à la fois citoyenne de l’Italie et du Nigeria. En 1997, elle a quitté le Nigeria pour s’installer en Italie. En 1999, elle s’est engagée dans une relation amoureuse avec M. Pace, le propriétaire de son logement à Vérone, en Italie. La demanderesse a épousé M. Pace en 2001. Les enfants de ce dernier s’opposaient au mariage à cause de l’importante différence d’âge entre leur père (69 ans) et la demanderesse (26 ans).

 

[3]               La relation entre les époux s’est détériorée avec le temps. En effet, M. Pace consommait beaucoup d’alcool et usait de violence verbale et physique à l’endroit de la demanderesse. Lors d’un incident survenu en 2005, la demanderesse a été giflée et battue par son mari et les enfants de ce dernier. Elle est allée se réfugier chez une amie, mais est retournée à la maison peu après parce que son mari avait menacé de ne plus la parrainer en vue de l’obtention de la citoyenneté italienne.

 

[4]               La demanderesse est devenue citoyenne italienne en août 2005. Vers cette période, elle a commencé à entretenir une liaison avec un certain M. Uyi, qu’elle avait rencontré pendant qu’elle habitait chez son amie. La demanderesse a constaté qu’elle était enceinte de M. Uyi. Lorsqu’il a appris qu’elle était enceinte, le mari de la demanderesse a menacé de la tuer si l’enfant n’était pas de lui. Elle a pris ces menaces au sérieux parce que M. Pace avait des liens avec la mafia.

 

[5]               En raison de sa grossesse, la demanderesse a aussi été menacée par son propre père et M. Uyi. Elle avait l’impression qu’elle ne pouvait pas retourner au Nigeria. Elle est entrée au Canada le 13 décembre 2007 et y a fait une demande d’asile peu après.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[6]               La SPR a articulé ses motifs et la décision autour des expériences de la demanderesse en Italie. La décision de la SPR s’appuyait principalement sur une conclusion négative quant à la crédibilité de la demanderesse.

 

[7]               La SPR a conclu qu’il y avait « un certain nombre de divergences graves » entre le témoignage de vive voix de la demanderesse, son formulaire de renseignements personnels (FRP) et d’autres éléments de preuve. Parmi les incohérences relevées figure l’omission de la demanderesse de mentionner dans son FRP les prétendues « blessures [...] graves » que lui auraient infligées son mari et les enfants de ce dernier. Selon la SPR, « si elle avait été grièvement blessée au cours de l’incident, je me serais attendu à ce qu’elle en fasse mention dans le FRP ». De plus, la SPR a estimé que la demanderesse était demeurée vague dans son témoignage et a constaté qu’elle exigeait que les questions soient répétées avant d’y répondre.

 

[8]               De plus, à son arrivée au Canada en décembre 2007, la demanderesse a omis de mentionner à l’agent d’immigration les liens de M. Pace avec la mafia; de plus, elle n’a pas fait état de ces liens dans la version originale de son FRP déposée en 2008 ou dans les modifications au FRP déposées par son ancien conseil. En fait, les liens allégués avec la mafia n’ont été mentionnés qu’en juillet 2008. La SPR n’a pas été convaincue par l’explication de la demanderesse selon laquelle elle avait donné l’information à son conseil et « pensait que celle‑ci avait été mentionnée », étant donné que le renseignement est devenu un des éléments les plus importants de sa demande d’asile une fois qu’il a été connu. En ce qui concerne l’omission de ce renseignement dans son FRP, la SPR a estimé que « [l]e fait de ne pas souligner ou de souligner, puis de ne pas insister sur une correction immédiate, le fait d’omettre complètement le fondement même de la capacité de l’agent de persécution présumé de lui faire du mal n’a absolument aucun sens ».

 

[9]               La SPR entretenait aussi des doutes au sujet de l’existence de Juliet, l’amie de la demanderesse, parce que Juliet n’est pas un prénom italien, même si la « célèbre histoire de “Roméo et Juliette” » se déroule à Vérone. Après une certaine hésitation, la demanderesse a mentionné un nom de famille africain pour désigner son amie Juliet, mais elle a été incapable d’expliquer pour quelle raison elle n’a pu donner ce nom dès que la question lui a été posée.

 

[10]           Interrogée sur la question de savoir pour quelle raison elle n’avait pas appelé la police, la demanderesse a répondu que M. Pace « connaissait des personnes » dans la police. La SPR a souligné que ce renseignement n’avait été mentionné dans aucune des « versions de son histoire ». La demanderesse a toutefois déclaré que ce qu’elle voulait dire était que M. Pace « était dans la mafia et qu’il avait des relations partout ». La SPR n’a pas été satisfaite de cette explication.

 

[11]           Dans son témoignage, la demanderesse a déclaré que Juliet avait fait toutes les démarches qui lui avaient permis de quitter l’Italie et qu’elle l’avait conduite à l’aéroport. Cependant, à son arrivée au Canada, la demanderesse a déclaré à l’agent d’immigration que c’est M. Pace qui l’avait conduite à l’aéroport. En réponse à une question sur cette contradiction, la demanderesse a affirmé que, vu que l’agent d’immigration se posait des questions au sujet du fait qu’elle se déplaçait sans son conjoint pendant la période des Fêtes alors qu’elle était enceinte, elle a prétendu que M. Pace l’avait conduite à l’aéroport. Informée du fait que, selon la SPR, les soupçons de l’agent d’immigration n’avaient été éveillés que plus tard au cours de l’entrevue, la demanderesse a expliqué qu’elle était effrayée à l’époque. La SPR n’a pas compris pour quelle raison la demanderesse a cru nécessaire de mentir au sujet de la personne qui l’avait conduite à l’aéroport étant donné que l’agent d’immigration n’entretenait pas encore de soupçons à son égard.

 

[12]           De plus, la demanderesse a déclaré que quelqu’un lui avait suggéré de s’enfuir au Canada pour y faire une demande d’asile, mais elle n’a pas fait cette demande dès son arrivée. Elle a plutôt dit qu’elle venait en visite. La SPR a souligné que c’est seulement après avoir été détenue pendant un certain temps qu’elle a déposé une demande d’asile. La SPR n’a pas cru l’explication de la demanderesse selon laquelle Juliet lui aurait suggéré de ne pas présenter de demande à l’aéroport et elle craignait d’être expulsée.

 

[13]           Le conseil de la demanderesse a reconnu que toutes les déclarations de la demanderesse à l’agent d’immigration lors de son arrivée au Canada étaient fausses. La SPR a estimé que la demanderesse « a tenté de faire sienne au moins une partie de cette fausse information dans le témoignage qu’elle a fait devant moi », notamment à une occasion où elle « [a] menti à maintes reprises à l’agent d’immigration, puis [...] a tenté d’expliquer ses mensonges avec une explication qui n’a pas de sens » concernant une personne qu’elle aurait connue.

 

[14]           La demanderesse a aussi déposé une lettre qui aurait été rédigée par son père. La SPR ne juge pas cette lettre crédible parce qu’elle commence sur un ton amical avant de « se transform[er] en menaces de mort ». La SPR a aussi jugé louches d’autres aspects de la lettre, notamment l’orthographe du nom de M. Pace et une coquille dans le passage suivant : « c’est la voix de mon père, Paul ». La SPR avait l’impression que la demanderesse avait rédigé la lettre elle‑même et qu’elle avait oublié d’effacer le mot « mon » en relation avec son père. La SPR a jugé que la lettre était un faux.

 

[15]           Même si le conseil de la demanderesse a expliqué que les problèmes relatifs au témoignage de la demanderesse doivent être évalués en fonction des risques qu’elle courait au Nigeria, la SPR a statué qu’« aucune preuve médicale concrète n’a été présentée » pour corroborer la déclaration de la demanderesse selon laquelle ses parties génitales étaient mutilées et son père avait jeté de l’eau bouillante sur elle pendant l’excision. Seule une photographie de la demanderesse dont on voyait les cuisses tachées par une substance quelconque a été présentée à la SPR. De plus, la SPR a fait remarquer qu’« aucun rapport d’un psychologue indépendant n’a été déposé pour démontrer que la [demanderesse] aurait de la difficulté à témoigner à l’audience ou encore à faire son récit ».

 

[16]           En résumé, la SPR a conclu ce qui suit :

Étant donné les divergences, les contradictions et les omissions graves, de même que les autres problèmes liés aux nombreuses autres questions importantes, je conclus que la demandeure d’asile manquait en général de crédibilité. Je ne crois simplement pas, selon la prépondérance des probabilités, que les événements importants que la demandeure d’asile affirme avoir vécus se sont vraiment produits.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[17]           Les questions soulevées dans la demande peuvent être résumées comme suit :

1.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son examen du témoignage de la demanderesse et en tirant une conclusion négative sur la crédibilité de cette dernière?

2.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

[19]           Les dispositions suivantes des directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, directives no 4, « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe » (les directives), s’appliquent aussi en l’espèce :

A. DÉTERMINATION DE LA NATURE ET DES MOTIFS DE LA PERSÉCUTION

...

 

I. PROPOSITION GÉNÉRALE

 

Même si le sexe n’est pas mentionné de façon explicite comme l’un des motifs permettant d’établir le statut de réfugié au sens de la Convention, la définition de réfugié au sens de la Convention peut être interprétée à bon droit de façon à protéger les femmes qui démontrent une crainte justifiée de persécution fondée sur le sexe pour l’un des motifs énumérés ou une combinaison de ceux‑ci.

 

Avant de déterminer le ou les motifs qu’il convient d’appliquer dans un cas donné, les décideurs doivent d’abord préciser la nature de la persécution que la revendicatrice redoute.

Généralement, les revendicatrices du statut de réfugié peuvent être classées en quatre grandes catégories, bien que ces catégories ne soient pas mutuellement exclusives ou exhaustives:

 

1.                  Les femmes qui craignent d’être persécutées pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que les hommes. Dans ce cas‑ci, le facteur de risque ne réside pas dans leur sexe en tant que tel, mais plutôt dans leur identité particulière (sur les plans racial, national ou social) ou dans leurs croyances, imputées ou véritables (c’est‑à‑dire leurs croyances religieuses ou leurs opinions politiques). Dans ces cas, l’analyse essentielle ne varie pas en fonction du sexe de la personne, mais la nature du préjudice redouté et les questions de procédure à l’audience peuvent varier.

2.                   

3.                  Les femmes qui craignent d’être persécutées uniquement pour des motifs liés à la parenté, c’est‑à‑dire en raison du statut, des activités ou des opinions de leurs conjoints, père et mère, et frères et soeurs, ou autres membres de leur famille. Dans ces cas de « persécution de la parenté », les femmes craignent habituellement que l’on commette des actes de violence à leur endroit ou d’autres formes de harcèlement sans qu’elles soient elles‑mêmes accusées d’avoir des opinions ou convictions politiques opposées, pour les inciter à révéler des renseignements concernant les allées et venues ou les activités politiques des membres de leur famille. Elles peuvent également se faire attribuer des opinions politiques en raison des activités des membres de leur famille.

4.                   

5.                  Les femmes qui craignent d’être persécutées à la suite de certains actes de grave discrimination sexuelle ou d’actes de violence de la part des autorités publiques ou même de citoyens privés, lorsque l’État ne veut pas ou ne peut pas les protéger de façon appropriée. Dans le contexte du droit des réfugiés, cette discrimination peut équivaloir à de la persécution, si elle cause un grave préjudice pour la revendicatrice et qu’elle est imposée en raison de l’un des motifs de persécution énumérés dans la loi ou d’une combinaison de ceux‑ci. Les actes de violence qu’une femme peut redouter comprennent les situations de violence familiale et de guerre civile.

 

 

 

6.                  Les femmes qui craignent d’être persécutées pour avoir violé certaines coutumes, lois et pratiques religieuses discriminatoires à l’endroit des femmes dans leur pays d’origine. En isolant les femmes et en les plaçant dans une position plus vulnérable que les hommes, ces lois et pratiques peuvent créer des conditions préalables à l’existence d’un groupe social défini par le sexe. Les préceptes religieux, traditions sociales ou normes culturelles que les femmes peuvent être accusées de violer sont variés, qu’il s’agisse du choix de leur propre conjoint plutôt que de l’obligation d’accepter un mariage imposé, du maquillage, de la visibilité ou de la longueur des cheveux ou du type de vêtements qu’elles choisissent de porter.

7.                   

...

 

D. PROBLÈMES SPÉCIAUX LORS DES AUDIENCES RELATIVES À LA DÉTERMINATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

 

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

 

1.                  Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginité ou la dignité de l’épouse constitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de « honte » pour elles‑mêmes et de ne pas déshonorer leur famille ou leur collectivité.

2.                   

3.                  Les femmes provenant de certaines cultures où les hommes ne parlent pas de leurs activités politiques, militaires ou même sociales à leurs épouses, filles ou mères peuvent se trouver dans une situation difficile lorsqu’elles sont interrogées au sujet des expériences de leurs parents de sexe masculin.

 

 

Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol 30 et peuvent avoir besoin qu’on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. De façon analogue, les femmes qui ont fait l’objet de violence familiale peuvent de leur côté présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome de la femme battue et peuvent hésiter à témoigner. Dans certains cas, il conviendra de se demander si la revendicatrice devrait être autorisée à témoigner à l’extérieur de la salle d’audience par affidavit ou sur vidéo, ou bien devant des commissaires et des agents chargés de la revendication ayant reçu une formation spéciale dans le domaine de la violence faite aux femmes. Les commissaires doivent bien connaître les Lignes directrices pour la protection des femmes réfugiées publiées par le comité exécutif du HCR.

 

A. DETERMINING THE NATURE AND THE GROUNDS OF THE PERSECUTION

...

 

I. GENERAL PROPOSITION

 

Although gender is not specifically enumerated as one of the grounds for establishing Convention refugee status, the definition of Convention refugee may properly be interpreted as providing protection for women who demonstrate a well‑founded fear of gender‑related persecution by reason of any one, or a combination of, the enumerated grounds.

 

 

Before determining the appropriate ground(s) applicable to the claim, decision‑makers must first identify the nature of the persecution feared by the claimant.

Generally speaking, women refugee claimants may be put into four broad categories, although these categories are not mutually exclusive or exhaustive:

 

 

1.                  Women who fear persecution on the same Convention grounds, and in similar circumstances, as men. That is, the risk factor is not their sexual status, per se, but rather their particular identity (i.e. racial, national or social) or what they believe in, or are perceived to believe in (i.e. religion or political opinion). In such claims, the substantive analysis does not vary as a function of the person’s gender, although the nature of the harm feared and procedural issues at the hearing may vary as a function of the claimant’s gender.

 

 

 

2.                  Women who fear persecution solely for reasons pertaining to kinship, i.e. because of the status, activities or views of their spouses, parents, and siblings, or other family members . Such cases of "persecution of kin" typically involve violence or other forms of harassment against women, who are not themselves accused of any antagonistic views or political convictions, in order to pressure them into revealing information about the whereabouts or the political activities of their family members. Women may also have political opinions imputed to them based on the activities of members of their family.

 

 

 

 

 

 

3.                  Women who fear persecution resulting from certain circumstances of severe discrimination on grounds of gender or acts of violence either by public authorities or at the hands of private citizens from whose actions the state is unwilling or unable to adequately protect the concerned persons. In the refugee law context, such discrimination may amount to persecution if it leads to consequences of a substantially prejudicial nature for the claimant and if it is imposed on account of any one, or a combination, of the statutory grounds for persecution. The acts of violence which a woman may fear include violence inflicted in situations of domestic violence2 and situations of civil war. 3

4.                   

5.                  Women who fear persecution as the consequence of failing to conform to, or for transgressing, certain gender‑discriminating religious or customary laws and practices in their country of origin. Such laws and practices, by singling out women and placing them in a more vulnerable position than men, may create conditions for the existence of a gender‑defined social group. The religious precepts, social traditions or cultural norms which women may be accused of violating can range from choosing their own spouses instead of accepting an arranged marriage, to such matters as the wearing of make‑up, the visibility or length of hair, or the type of clothing a woman chooses to wear.

...

 

D. SPECIAL PROBLEMS AT DETERMINATION HEARINGS

 

 

 

Women refugee claimants face special problems in demonstrating that their claims are credible and trustworthy. Some of the difficulties may arise because of cross‑cultural misunderstandings. For example:

 

 

 

1.                  Women from societies where the preservation of one’s virginity or marital dignity is the cultural norm may be reluctant to disclose their experiences of sexual violence in order to keep their "shame" to themselves and not dishonour their family or community.

 

 

 

2.                  Women from certain cultures where men do not share the details of their political, military or even social activities with their spouses, daughters or mothers may find themselves in a difficult situation when questioned about the experiences of their male relatives.

 

 

Women refugee claimants who have suffered sexual violence may exhibit a pattern of symptoms referred to as Rape Trauma Syndrome, and may require extremely sensitive handling. Similarly, women who have been subjected to domestic violence may exhibit a pattern of symptoms referred to as Battered Woman Syndrome and may also be reluctant to testify. In some cases it will be appropriate to consider whether claimants should be allowed to have the option of providing their testimony outside the hearing room by affidavit or by videotape, or in front of members and refugee claims officers specifically trained in dealing with violence against women. Members should be familiar with the UNHCR Executive Committee Guidelines on the Protection of Refugee Women.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[20]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans chaque cas. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont la cour de révision est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour peut adopter cette norme de contrôle. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la cour de révision examine les quatre facteurs sur lesquels s’appuie l’analyse de la norme de contrôle.

 

[21]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité. Voir Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] A.C.F. no 732. L’appréciation de la preuve par la SPR est aussi assujettie à un degré élevé de déférence. C’est une question de fait qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Voir Dunsmuir, au paragraphe 51.

 

[22]           La demanderesse allègue que la SPR n’a pas examiné sa demande dans le contexte des directives, datées du 9 mars 1993, données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi et ayant pour titre Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les directives). Dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité, les directives « ... deviennent subsumées sous la norme de contrôle de la décision raisonnable, telle que celle‑ci s’applique aux conclusions sur la crédibilité ». Voir Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 106, [2009] A.C.F. no 109, au paragraphe 11. Donc, cette question sera assujettie à la norme du caractère raisonnable.

 

[23]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse concerne « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; Dunsmuir, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable, c’est‑à‑dire dans la mesure où elle ne fait pas partie des « ... issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

            La demanderesse

                        Examen déraisonnable de la preuve

 

[24]           En ce qui concerne les liens de M. Pace avec la mafia, la demanderesse a expliqué que ce renseignement avait été transmis à son ancien conseil. Cet élément de preuve n’a pas été contredit.

 

[25]           La SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte d’un élément de preuve non contredit fourni par la demanderesse qui étayait le fait qu’elle craignait avec raison d’être persécutée. Voir, par exemple, Chandra c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 58 N.R. 214, [1985] A.C.F. no 123. La SPR a aussi commis une erreur en rejetant cet élément de preuve simplement parce que la demanderesse n’avait pas immédiatement fourni le nom de famille de la dénommée Juliet.

 

[26]           L’audience a eu lieu à une époque troublée de la vie de la demanderesse. De plus, elle avait peur. Étant donné qu’elle avait peur à cause des liens de son mari avec la mafia, la demanderesse n’a pu communiquer avec la police italienne. La demanderesse craignait aussi les autorités de ce pays parce qu’elle estimait qu’il y a [traduction] « beaucoup de racisme en Italie ».

 

[27]           La SPR n’a pas examiné de façon équitable la preuve fournie par la demanderesse. Elle a plutôt procédé à un examen à la loupe et sélectif, et a mal interprété les éléments de preuve dont elle était saisie.

 

[28]           La SPR a tenu compte de la lettre rédigée par le père de la demanderesse pour évaluer la crédibilité de cette dernière. La SPR a souligné une [traduction] « modification bizarre du ton de la lettre » et l’inversion du prénom et du nom du conjoint de la demanderesse. La demanderesse a expliqué à la SPR que son père lui en voulait parce qu’elle avait déshonoré la famille. Le conseil de la demanderesse a aussi expliqué que le père de cette dernière n’était pas un homme instruit. Malgré cela, la SPR n’a pas accepté l’explication donnée par la demanderesse ou son conseil et a établi que le document était un faux qui avait été rédigé par la demanderesse elle‑même. Cependant, en tirant cette conclusion, la SPR a omis de tenir compte du fait que la demanderesse avait fourni l’enveloppe dans laquelle la lettre avait été expédiée; or, cette enveloppe provenait clairement du Nigeria.

 

[29]           Un tribunal est réputé avoir examiné l’ensemble de la preuve dont il est saisi, mais il doit quand même évoquer les éléments de preuve qui contredisent directement sa conclusion. Voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, et Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 807, [2005] A.C.F. no 1008. La SPR a commis une erreur en omettant de reconnaître que la lettre avait été envoyée du Nigeria.

 

[30]           De plus, en concluant que la lettre était un faux, la SPR n’a pas tenu compte du fait que [traduction] « le niveau d’éducation, les coutumes, les traditions et les normes sociales de ces personnes sont bien différents de ceux que l’on trouve en Amérique du Nord ». La SPR a omis de tenir compte de la façon dont ces différences auraient pu expliquer en partie ses doutes concernant l’authenticité de la lettre.

 

                        Défaut de tenir compte des directives

 

[31]           La SPR n’a pas examiné la preuve fournie par la demanderesse dans le contexte des directives. Il était difficile pour la demanderesse de revivre le traumatisme qu’elle avait subi en Italie. Elle ne pouvait donc pas décrire concrètement dans son FRP les lésions qu’elle avait subies.

 

[32]           L’examen par la SPR de la preuve fournie par la demanderesse révèle qu’elle n’a pas examiné la preuve en tenant compte du fait qu’il s’agissait d’une femme vulnérable. En évaluant la preuve, la SPR aurait dû tenir compte de facteurs comme son état psychologique, son jeune âge et sa vulnérabilité comme femme victime d’agressions. De la même façon, dans Ogbebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 490, [2001] A.C.F. no 770, la Cour a statué qu’un tribunal commettait une erreur en ne tenant pas compte du commentaire d’un psychologue sur la honte ressentie par un demandeur et en critiquant ce dernier pour avoir omis de mentionner un viol qu’il avait subi alors qu’il était détenu.

 

[33]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte correctement de toute la preuve dont elle était saisie. Voir, par exemple, Djama c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 531.

 

Le défendeur

Manque de crédibilité

 

[34]           La SPR a tiré une conclusion raisonnable selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité à cause des omissions et contradictions dans les éléments de preuve qu’elle a fournis de même que de son comportement à l’audience. De plus, la SPR a souligné l’absence d’éléments de preuve à l’appui de ses allégations et la faible valeur probante des éléments de preuve fournis.

 

[35]           La demanderesse a omis d’incorporer à son FRP des renseignements essentiels qui auraient permis d’étayer sa demande, et ce, malgré le fait qu’elle a apporté deux modifications à son FRP avant l’audience.

 

[36]           La demanderesse a ensuite fait, au cours de son témoignage, des déclarations sur des faits qui n’avaient pas été divulgués dans son FRP. Or, l’audience n’a pas pour objet de divulguer de nouvelles questions ou de nouveaux faits, mais simplement d’expliquer l’information figurant dans le FRP. Voir Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867; Jeyaraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 C.F. 88, [2009] A.C.F. no 99. La demanderesse a omis de divulguer des faits importants avant l’audience, même si elle avait eu amplement l’occasion de le faire.

 

[37]           De plus, la SPR a jugé que les explications données par la demanderesse au sujet de ses nombreuses omissions n’étaient pas crédibles. En effet, les omissions de la demanderesse, notamment la gravité des lésions subies ainsi que les liens de M. Pace avec la mafia et avec la police, revêtaient une grande importance pour l’appréciation de sa demande. Le défendeur soutient que, compte tenu de l’importance de ces faits, il était raisonnable que la SPR prenne en compte ces omissions pour statuer que la demanderesse n’était pas crédible. Voir, par exemple, Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 444; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 536.

 

[38]           La SPR a aussi fondé ses conclusions relatives à la crédibilité sur le comportement de la demanderesse au cours de l’audience. En effet, la SPR a constaté que le témoignage de la demanderesse était flou, insatisfaisant, contradictoire et illogique. La SPR donne comme exemple les déclarations contradictoires de la demanderesse sur la personne qui l’avait conduite à l’aéroport en Italie.

 

[39]           Selon la jurisprudence, les déclarations confuses, le défaut de répondre aux questions, le caractère évasif des réponses, les incohérences et les contradictions favorisent une perception d’absence de crédibilité. Voir, par exemple, Mostajelin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 28; Tong c. Canada (Secrétariat d’État), [1994] A.C.F. no 479; De Rouiche c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 946, [2002] A.C.F. no 1228. Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR relativement au comportement d’un demandeur sont [traduction] « inattaquables dans le cadre d’un contrôle judiciaire en l’absence d’abus ». Voir, par exemple, la décision De Rouiche, précitée.

 

[40]           De plus, les incohérences dans une demande peuvent être invoquées contre un demandeur. Voir, par exemple, Sun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1255, [2008] A.C.F. no 1570. En l’espèce, la demanderesse a fourni plusieurs éléments de preuve qui contredisaient des déclarations antérieures faites au point d’entrée, inscrites dans son FRP et formulées au cours de son témoignage précédent devant la SPR.

 

[41]           La SPR a tenu compte des déclarations incohérentes de la demanderesse pour se prononcer sur la crédibilité de cette dernière et a clairement mentionné les éléments de son témoignage qui étaient contradictoires. Selon les nombreuses incohérences relevées, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’est pas crédible était raisonnable. Voir, par exemple, Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 720, [2003] A.C.F. no 932.

 

[42]           La SPR a aussi tiré des inférences négatives de l’absence d’éléments de preuve corroborant les lésions à son œil et son allégation de mutilation des parties génitales. En ce qui concerne son œil, la demanderesse aurait pu fournir des photographies ou un rapport médical. Même s’il est possible que la demanderesse ait été traumatisée par une mutilation génitale, elle n’a pas fourni de preuve psychologique démontrant qu’elle « aurait [eu] de la difficulté à témoigner à l’audience ou encore à faire son récit lors des occasions précédentes ».

 

[43]           La SPR est en droit de chercher à obtenir une preuve corroborante lorsque le témoignage d’un demandeur est mis en doute et qu’il n’est appuyé par aucun élément de preuve. Voir, par exemple, Sinnathurai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 2003, [2007] A.C.F. no 1437. Même si aucune disposition législative n’exige le dépôt d’une preuve corroborante, dans certaines circonstances relatives aux faits en cause, il n’est pas déraisonnable que la SPR prenne en considération l’absence de preuve corroborante pour établir si la crainte du demandeur est fondée. Voir, par exemple, Muthiyansa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 17, [2001] A.C.F. no 162.

 

[44]           En l’espèce, les éléments de preuve fournis par la demanderesse n’ont pas convaincu la SPF qu’elle avait été victime d’une mutilation génitale. La demanderesse a remis à la SPR une photographie d’elle‑même où on pouvait voir « des substances orange et noires étalées sur ses cuisses ». Cependant, la SPR a statué que cette photographie n’expliquait rien.

 

[45]           La demanderesse a en outre remis à la SPR une lettre qui aurait été écrite par son père, mais la SPR a établi que cette lettre était un faux. La SPR a tiré cette conclusion à partir de nombreux facteurs, notamment le changement de ton dans la lettre, l’inversion d’un nom et d’un prénom et la présence d’une phrase suspecte dans la lettre. La SPR n’a pas été convaincue par les explications de la demanderesse selon laquelle [traduction] « toutes les erreurs » figurant dans la lettre étaient attribuables au faible niveau d’éducation du père. La SPR a plutôt estimé que la lettre jette un doute sur le témoignage et la crédibilité de la demanderesse.

 

[46]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte du fait que l’enveloppe provenait du Nigeria, mais le défendeur affirme que même si la lettre est arrivée dans une enveloppe postée au Nigeria [traduction] « ce fait ne change en rien la conclusion de la SPR, c’est‑à‑dire que la lettre était un faux ». La SPR a constaté que la lettre avait été rédigée d’une façon illogique, qui donnait à penser qu’il s’agissait d’un faux. La demanderesse soutient aussi que la SPR n’a pas tenu compte des différences culturelles dans son évaluation de la lettre. Il est vrai que la SPR doit tenir compte de tous les éléments de preuve en soupesant toutes les nuances sociales et culturelles, mais elle doit aussi établir si la demanderesse craint avec raison d’être persécutée (ce qui comprend une norme objective). De plus, la conclusion de la SPR concernant la lettre n’était qu’un élément d’une série de conclusions négatives sur la crédibilité de la demanderesse en l’espèce.

 

[47]           La SPR a apprécié la preuve de façon raisonnable et la Cour n’est pas fondée à intervenir. Pour l’essentiel, la demanderesse veut tout simplement que la Cour procède à une nouvelle appréciation de la preuve déjà soumise à la SPR.

 

Application correcte des directives

 

[48]           La SPR doit tenir compte des directives dans le contexte d’une demande où le sexe de la personne est pertinent. Cependant, les directives ne lient pas la SPR. En effet, selon les directives, la demanderesse devra démontrer que le préjudice qu’elle craint de subir est « suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution ».

 

[49]           En l’espèce, il n’existait aucune preuve psychologique de l’existence du syndrome de la femme battue, du syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol ou du trouble de stress post‑traumatique. Pour cette raison, les directives ne s’appliquaient pas. Même en présence de la preuve de l’existence du syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol, la Cour a statué que la simple existence du syndrome « ... n’excuse pas les contradictions ni les omissions relatives à des incidents graves dans les déclarations antérieures d’une revendicatrice ». Voir Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1168, [2005] A.C.F. no 1408, au paragraphe 4.

 

[50]           La SPR n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte des directives étant donné que la demanderesse n’a pas fourni d’éléments de preuve pour démontrer que les directives auraient dû être prises en compte en l’espèce. De plus, « il n’est pas possible de traiter les lignes directrices comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe, de sorte que le seul fait de témoigner suffise à prouver la véracité des propos tenus ». Voir Newton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 182 F.T.R. 294, [2000] A.C.F. no 738, au paragraphe 18. Selon le défendeur, en l’espèce, comme dans toute affaire où une conclusion très négative sur la crédibilité est tirée, il n’est pas nécessaire de tenir compte des directives.

 

ANALYSE

 

[51]           Devant une conclusion extrêmement négative sur la crédibilité, la demanderesse a tenté de soulever plusieurs questions pour démontrer que la décision était déraisonnable. Elle dit que la SPR a évalué [traduction] « à la loupe » les éléments de preuve et qu’elle a mal interprété ou omis de prendre en compte des éléments de preuve forts. Les arguments de la demanderesse sur ces questions sont cependant tout à fait dépourvus d’exemples, sauf en ce qui concerne la lettre du Nigeria. Par conséquent, la Cour a de la difficulté à comprendre ce que la demanderesse veut dire.

 

[52]           En ce qui concerne la lettre du Nigeria assimilée par la SPR à un faux, la demanderesse déclare que la SPR n’a pas tenu compte de l’enveloppe, qui montrait que la lettre provenait du Nigeria. Cependant, l’enveloppe montre simplement que celle‑ci provenait du Nigeria; ce sont les singularités dans la lettre elle‑même qui ont amené la SPR à statuer qu’il s’agissait d’un faux. La demanderesse n’a pas expliqué adéquatement la bizarrerie de la lettre. Même si elle a invoqué des questions de culture et d’éducation pour montrer qu’il n’y avait pas de problèmes, la SPR, agissant de façon non déraisonnable, a conclu qu’elle ne pouvait accepter les explications de la demanderesse. Peu importe que la lettre vienne du Nigeria ou d’ailleurs, je ne peux pas dire que les conclusions de la Commission sur l’authenticité de la lettre étaient déraisonnables ou que le défaut de la Commission de mentionner expressément l’enveloppe et ce qui semblait être son lieu d’expédition donne lieu à une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[53]           Quoi qu’il en soit, la lettre n’est qu’un aspect d’une décision qui énumère de nombreuses incohérences de la preuve et fait ressortir le caractère flou du témoignage de la demanderesse.

 

[54]           Finalement, la demande est fondée sur l’allégation que la SPR n’a pas tenu pleinement compte de la situation de vulnérabilité de la demanderesse comme femme et qu’elle a omis d’appliquer les directives. En d’autres mots, la demanderesse laisse entendre que les incohérences, omissions et invraisemblances de même que l’absence de documents corroborant son témoignage peuvent toutes s’expliquer par le fait qu’elle était vulnérable et effrayée. Le type de traumatisme qu’elle a subi expliquerait pourquoi son témoignage ne peut être qualifié d’invention.

 

Qu’est‑ce qui déclenche l’obligation de prendre en compte les directives?

 

[55]           Selon la jurisprudence existante de la Cour fédérale de même que les directives elles‑mêmes, il ne semble pas y avoir de mécanisme objectif précis qui déclenche l’application des directives.

 

[56]           Il semble plutôt que les directives doivent être abordées dans le contexte de l’allégation contenue dans la demande. Par conséquent, il faut examiner la nature et les motifs de la persécution que craint de subir une revendicatrice pour établir s’il convient de tenir compte des directives dans le contexte d’une demande donnée : voir les directives, 2(1), Détermination de la nature et des motifs de la persécution.

 

[57]           Selon la jurisprudence de la Cour fédérale, les directives doivent être prises en compte par les membres du tribunal dans les « cas appropriés ». Voir Fouchong c. Canada (Secrétariat d’État), [1994] A.C.F. no 1727. Ces cas comprennent les situations où une demande est fondée sur une crainte de persécution liée au sexe de la personne.

 

[58]           Dans Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1142, le juge Campbell a estimé que les directives laissaient entendre que « ... pour évaluer les actions d’une femme qui est la victime de violence conjugale, il est essentiel d’utiliser des connaissances particulières pour aboutir à une appréciation juste et équitable ». Par conséquent, le juge Campbell a soutenu qu’il

appartient au membre du tribunal de posséder les connaissances nécessaires et de les appliquer d’une manière compréhensive et sensible lorsqu’il tranche des questions de violence conjugale, de manière à parvenir à un résultat équitable et pour éviter le risque de commettre une erreur susceptible de contrôle judiciaire en tirant ses conclusions de fait, dont la plus importante est la conclusion quant à la crédibilité du revendicateur.

 

En résumé, il semble que la question de savoir si les directives doivent être prises en compte dans un cas donné soit tributaire de la nature de la demande et de la crainte alléguée qu’a une femme d’être persécutée.

 

La SPR était‑elle tenue de prendre en compte les directives en l’espèce?

 

[59]           La demanderesse soutient avoir été victime d’actes de violence physique de la part de son mari et des membres de la famille de ce dernier. La nature de l’allégation de la demanderesse en l’espèce ferait d’elle un membre d’un groupe social particulier de femmes victimes de violence. Voir Khon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 143. Dans cette décision, la juge Tremblay‑Lamer a écrit :

lorsque le tribunal fait face à un cas où la demanderesse a présenté une revendication de persécution basée sur son appartenance à un groupe social particulier, c’est‑à‑dire celui des femmes victimes de violence, en toute justice, la revendication ne peut être examinée sans faire mention des directives.

 

 

 

[60]           Les directives n’ont pas force de loi et n’ont pas de caractère contraignant. Cependant, le président de la CISR a déclaré que les membres du tribunal « sont censés se conformer à ces directives à moins que des raisons impérieuses ou exceptionnelles justifient une analyse différente ».

 

[61]           Dans certaines affaires, le tribunal a toutefois jugé qu’en raison de sa décision quant à la crédibilité du demandeur, il n’était pas tenu de prendre en compte les directives : voir, par exemple, la décision de la SPR citée dans Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1015. Dans cette affaire, le juge Jérôme a rejeté la demande de contrôle judiciaire en affirmant ce qui suit :

La Commission est en droit de tirer en matière de crédibilité une conclusion défavorable de l’invraisemblance de l’histoire du demandeur, envisagée indépendamment ou dans le contexte d’autres preuves, pourvu qu’on puisse raisonnablement dire des facteurs relevés qu’ils existent. Le tribunal peut rendre une décision défavorable sur la crédibilité d’un témoin, à condition qu’il motive sa décision.

 

 

[62]           Cependant, dans Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450, [2004] A.C.F. no 1756, la juge MacTavish a exprimé l’opinion selon laquelle ce raisonnement est quelque peu circulaire. Dans Diallo, la Commission avait établi qu’elle n’avait pas à prendre en compte les directives parce que la demanderesse n’était pas digne de foi. Cependant, la juge MacTavish a statué que « les directives concernant la persécution fondée sur le sexe existent, en partie, pour s’assurer que les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses ne contrecarrent pas l’évaluation appropriée de la crédibilité d’un demandeur ». Dans ce contexte, l’agente dans cette affaire avait commis une erreur en ne tenant pas compte des directives à cause d’une conclusion négative sur la crédibilité.

 

Est‑ce que le défaut de prendre en compte les directives constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire?

 

[63]           Dans sa décision, l’agent ne prend pas en compte explicitement les directives. Cependant, il semble croire que leur prise en compte aurait pu être appropriée si la demanderesse avait soumis des éléments de preuve objectifs montrant qu’elle aurait de la difficulté à témoigner à l’audience. À mon avis, à la lumière de l’ensemble de la décision, l’agent affirme qu’il n’a pas constaté que les difficultés que la demanderesse a éprouvées au cours de son témoignage étaient liées à son sexe ou aux traumatismes subis et qu’aucun élément de preuve objectif n’indiquait que c’était le cas. Selon l’agent, aucune preuve psychologique indépendante n’a été présentée pour démontrer que la demanderesse aurait eu de la difficulté à témoigner à l’audience ou à raconter ce qui lui était arrivé lors des occasions précédentes où elle avait dû le faire.

 

[64]           Si l’agent voulait dire que la demanderesse doit présenter des éléments de preuve objectifs pour que les directives soient prises en compte dans son cas, il ferait à mon avis erreur. Selon la note jointe aux directives, les membres du tribunal « sont censés se conformer à ces directives à moins que des raisons impérieuses ou exceptionnelles justifient une analyse différente ». Il est aussi vrai que l’« on s’attend à ce que les commissaires de la section du statut [...] se conforment aux directives à moins qu’il n’existe des raisons impérieuses ou exceptionnelles pour s’en écarter et adopter une analyse différente ». Voir la décision Khon, précitée. Mais la déclaration de l’agent au sujet de l’absence d’un « rapport d’un psychologue indépendant » ne peut être interprétée isolément. Dans le contexte de l’ensemble de la décision, je pense qu’il est clair que l’agent estime que les écarts et incohérences énormes dans le témoignage de la demanderesse ne peuvent s’expliquer par un traumatisme lié au sexe, et que la demanderesse n’a pas fourni aucun rapport d’un psychologue indépendant tendant à indiquer qu’elle souffre d’un tel traumatisme.

 

[65]           La Cour a déjà statué que le défaut de prendre en compte les directives n’entraîne pas nécessairement l’annulation d’une décision. Voir, par exemple, la décision Diallo, précitée, et Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379, [2005] A.C.F. no 462. Dans Diallo, la juge MacTavish a statué que, même si la Commission n’avait pas pris en compte les directives, « le fait [demeurait] que la Commission avait de nombreuses raisons de conclure que Mme Diallo n’était pas digne de foi ». La juge MacTavish concluait donc n’être « pas convaincue que cette erreur, par elle‑même, soit suffisante pour annuler la décision de la Commission ».

 

[66]           De la même façon, dans la décision Sy, précitée, le juge Snider a estimé que même si la Commission avait commis une erreur en ne tenant pas compte des directives pour tirer une conclusion négative quant à la crédibilité, « la preuve était suffisante pour lui permettre de conclure comme elle l’a fait et l’erreur n’est pas suffisante pour annuler sa décision ».

 

[67]           En l’espèce aussi le témoignage de la demanderesse présentait de nombreux problèmes (par exemple, la lettre que lui aurait envoyée son père à partir du Nigeria ou la question de savoir qui l’avait conduite à l’aéroport) qui ne peuvent être attribuées au traumatisme lié au sexe invoqué par la demanderesse. Par conséquent, même si la question des directives n’avait pas été abordée correctement en l’espèce (et mon interprétation de la décision ne me donne pas à penser que ce fut le cas), je ne suis pas convaincu qu’à elle seule cette erreur aurait constitué un motif suffisant pour annuler la décision, vu les faits de l’espèce.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2921‑09

 

INTITULÉ :                                                   MABEL HIGBOGUN

 

DEMANDERESSE

                                                                        ‑  et  ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

DÉFENDEUR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 3 mars 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

POUR LA DEMANDERESSE

 

Khatidja Moloo

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Etienne Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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