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Date : 20100426

Dossier : IMM‑5000‑09

Référence : 2010 CF 454

Vancouver (Colombie‑Britannique), 26 avril 2010

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

ENTRE :

JOSE ISAIAS AREVALO PINEDA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DELA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Arevalo Pineda sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SPR) qui a conclu que sa demande d’asile était irrecevable en raison de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, R.T. Can. 1969 no 6 (la Convention) parce qu’il existait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis un crime grave de droit commun en dehors du Canada avant de demander l’asile au Canada.

 

[2]               Les faits de la présente affaire sont tout à fait particuliers dans la mesure où les accusations sur lesquelles le ministre se fonde pour exclure le demandeur ont été rejetées par un tribunal compétent. Le demandeur soutient que, dans un tel cas, il serait contraire au droit d’appliquer l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention. Il soutient également que, de toute façon, même si cela n'était pas contraire au droit, la décision était déraisonnable.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je ne peux souscrire à l’interprétation de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention que propose le demandeur. J’admets toutefois qu’il y a lieu de faire droit à la demande parce que la décision contient une erreur sujette à révision.

 

I. Contexte

[4]               M. Arevalo Pineda est un citoyen guatémaltèque. Il est arrivé au Canada en juin 2008 et a demandé l’asile. Il a admis au cours de l’entrevue avec les autorités de l’immigration, qu’il avait été inculpé aux États‑Unis en 1994, mais que les accusations avaient été rejetées; après quoi le ministre est intervenu pour demander son exclusion aux termes de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[5]               Le 31 juillet 2009, deux mois avant la date fixée pour l’audience du demandeur, le ministre lui a remis une copie des documents qu’il entendait utiliser. Parmi ces documents, figurait une liste des 28 accusations portées contre lui et ses cousins qui étaient inculpés d’avoir commis un enlèvement à des fins sexuelles, un viol avec violence avec un objet étranger (doigt), d’avoir eu des relations sexuelles orales (sur la victime) et d’avoir utilisé une arme de poing dans la perpétration d’une ou de plusieurs de ces infractions[1].

 

[6]               La documentation du ministre comprenait également des notes provenant de l’enquête policière, en particulier une déclaration faite à la police par la prétendue victime.

 

[7]               Il semble que la prétendue victime, dont il a été confirmé par la suite qu’elle était l’amie de l’un des accusés, est revenue sur ses allégations et a refusé de témoigner. L’affaire a été rejetée le 23 mai 1994 et le demandeur a été déporté au Guatemala en août 1994. Il avait à l’époque 22 ans. Depuis, il s’est marié et a eu deux enfants. Il a travaillé comme conducteur d’autobus au Guatemala jusqu’à ce qu’il s’enfuie de ce pays, apparemment parce qu’il craignait une bande de criminels qui avait essayé d’extorquer de l’argent à lui et à son chef, le propriétaire de l’autobus.

 

[8]               Le matin de l’audience, le demandeur a voulu présenter en preuve une lettre reçue par photocopie, apparemment écrite par la prétendue victime. La lettre était en espagnol et était notariée. Aucune traduction officielle n’était fournie, mais l’interprète qui était présent à l’audience l’a traduite pour la SPR et l’avocate du ministre a admis qu’elle parlait couramment espagnol.

 

[9]               L’avocat du demandeur a soutenu que la SPR devait utiliser son pouvoir discrétionnaire et accepter cette preuve parce qu’elle était pertinente et essentielle à la thèse du demandeur. La conseil du ministre a contesté cette demande parce qu’elle n’avait pas eu le temps de vérifier l’origine de la lettre. La SPR a finalement déclaré la lettre admissible en disant qu’elle déciderait de la force probante à lui accorder après avoir entendu le témoignage du demandeur.

 

[10]           Personne n’a demandé un ajournement ou le droit de présenter des commentaires ou des preuves supplémentaires à ce sujet après l’audience.

 

[11]           M. Arevalo Pineda a été brièvement interrogé et après avoir entendu les arguments concernant l’exclusion, la SPR a rejeté oralement la demande d’asile du demandeur en disant qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la demande per se au fond. Le 20 octobre 2009, c’est‑à‑dire environ trois semaines après l’audience, une décision écrite a été rendue.

 

[12]           Au paragraphe 10 de la décision, la SPR explique :

En résumé et dans l’ensemble, il y a deux raisons sérieuses. L’une d’elles est la documentation provenant des États‑Unis […]

 

[13]           Après avoir souligné que les États‑Unis sont un pays qui respecte la primauté de la loi et que M. Arevalo Pineda n’avait pas présenté de preuves démontrant qu’il y avait lieu de rejeter les documents provenant de l’État de la Californie parce qu’ils étaient défectueux ou émanaient d’un gouvernement dont le processus n’est pas équitable ni indépendant, la SPR conclut qu’« il s’agit d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi » (par. 13). Elle poursuit :

Le témoignage du demandeur d’asile, selon lequel il a effectivement fait l’objet d’accusations, se veut l’autre source des raisons sérieuses de penser qu’il a commis un crime grave de droit commun. Ainsi, il a été établi que les allégations à l’endroit du demandeur d’asile constituent, pour ces deux raisons, des éléments de preuve crédibles et dignes de foi.

 

[14]           Ensuite le décideur examine les preuves du demandeur qui comprennent son témoignage selon lequel les allégations faites n’étaient pas vraies et que la plaignante l’avait admis parce qu’elle s’était rétractée. De plus, il y avait également le fait que les accusations avaient été rejetées. La SPR souligne à juste titre, à mon avis, que son rôle ne consiste pas à déterminer si M. Arevalo Pineda est innocent des accusations portées contre lui, mais uniquement à décider s’il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun.

 

[15]           Le tribunal examine ensuite le « témoignage de dernière minute » produit par le demandeur. Étant donné qu’il avait été produit tardivement, après l’expiration du délai de 20 jours[2] et que le représentant du ministre n’avait pas été en mesure d’interroger la plaignante au téléphone ou d’examiner les circonstances dans lesquelles le document avait été rédigé, le tribunal a déclaré qu’il lui avait accordé « extrêmement peu d’importance ». Il ajoute en fait : « Je lui accorde le poids que j’accorde à la preuve de rétractation qui provient du procureur de district, c’est‑à‑dire que nous disposons d’éléments de preuve selon lesquels la plaignante est revenue sur son témoignage ».

 

[16]           D’après la SPR, le fait qu’il y a eu rétractation ne signifie pas qu’il n’y a soudainement plus de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun. Elle déclare ensuite que la déclaration initialement faite à la police était détaillée et conclut :

Ils [ces détails] donnent un certain poids aux accusations portées, car ils portent sur l’agression, les menaces et les blessures. Il s’agit de détails importants. Par conséquent, j’estime avoir des raisons sérieuses en l’espèce.

 

[17]           Le reste de la décision traite de la question de savoir si un crime grave a été commis. Cette question n’a jamais vraiment été en litige, mais elle fait néanmoins partie de l’analyse à effectuer. Le seul élément qui mérite d’être mentionné ici est que, lorsque la SPR a examiné les circonstances atténuantes, elle a ajouté d’autres commentaires au sujet de la rétractation de la plaignante au paragraphe 30. Là encore, la SPR souligne qu’elle ne peut « présumer que la rétractation doit être prise au pied de la lettre » à cause des menaces qu’elle a reçues au moment du prétendu viol – à savoir qu’elle et sa sœur seraient tuées si elles parlaient à qui que ce soit, y compris à leur famille ou à la police.

 

II. Analyse

[18]           Il n’est pas contesté que l’interprétation de l’article 98 et de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention est une pure question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. Quant à l’application de ces dispositions aux faits de l’espèce, c’est une question mixte de fait et de droit à laquelle la norme de la raisonnabilité s’applique (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au paragraphe 55; Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 F.C.R. 164 aux paragraphes 14 et 56; Sing c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, 253 D.L.R (4th) 606 au paragraphe 68). Le demandeur s’appuie sur les décisions Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, 160 D.L.R. (4th) 193 et Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390, 190 D.L.R. (4th) 128 (C.A.F.), pour affirmer que l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention vise les demandeurs d’asile qui tentent d’échapper à la justice en essayent d’éviter l’extradition. Il soutient que ces décisions ont certes été rendues dans le cadre de l’ancienne loi, mais qu’elle s’applique néanmoins à la loi actuelle. Le demandeur soutient que le demandeur d’asile qui a fait l’objet d’accusations qui ont été rejetées ne peut, en droit, être visé par l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

 

[19]           Le défendeur soutient que la portée de l’alinéa b) de la section F de l’article premier a été revue dans Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761, et dans le contexte de la Loi dans Jayasekara, précité. La Cour estime que ces affaires portaient sur des faits légèrement différents, mais montrent que la position du demandeur ne peut être retenue.

 

[20]           Dans Zrig, la Cour d’appel devait décider si un demandeur pouvait être exclu aux termes de l’alinéa b) de la section F de l’article premier à cause de son association[3] avec un groupe qui avait commis de graves crimes de droit commun. Le demandeur n’avait été ni inculpé, ni condamné pour ces crimes[4]. Les juges Marc Nadon et Robert Décary (motifs concurrents) ont examiné l’effet des trois décisions invoquées par le demandeur et mentionnées ci‑dessus (voir en particulier les paragraphes 67 à 72 et 120 à 127). Ils mentionnent que les observations du juge La Forest dans Ward sont des remarques incidentes, formulées sans l’avantage d’avoir entendu des arguments complets à ce sujet, alors que celles du juge Michel Bastarache dans Pushpanathan ne peuvent être interprétées comme introduisant une restriction parce qu’elles portaient en fait directement sur la question qui était essentielle dans l’affaire soumise à la Cour suprême – savoir l’extradition.

 

[21]           La Cour a déclaré que Chan reposait sur des motifs peu convaincants parce que cette décision s’appuyait principalement sur les arrêts Ward et Pushpanathan et une distinction a été établie sur le plan des faits parce que cette décision concernait la structure de l’ancienne loi (paragraphe 62 et 63). La Cour d’appel a clairement mentionné que l’interprétation restrictive des objectifs de l’alinéa b) de la section F de l’article premier ne correspondait pas à sa formulation ni à l’interprétation adoptée par les juridictions des autres pays signataires de la Convention comme la Cour d’appel britannique et la Cour fédérale d’Australie. Elle a rejeté l’idée que les parties  à la Convention avaient l’intention de restreindre l’exclusion dont parle l’alinéa b) de la section F de l’article premier aux seules personnes inculpées de crimes graves de droit commun qui veulent éviter les poursuites.

 

[22]           En fait, au paragraphe 118, le juge Décary décrit les objectifs de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la façon suivante :

Ma lecture de la jurisprudence, de la doctrine et, bien sûr, quoi qu’il ait souvent été négligé, du texte même de la Section F de l’article premier de la Convention, m’amène à conclure que cette Section vise à réconcilier différents objectifs que je me permets de résumer comme suit : s’assurer que les auteurs de crimes internationaux ou d’agissements contraires à certaines normes internationales ne puissent se réclamer du droit d’asile; s’assurer que les auteurs de crimes ordinaires commis pour des motifs foncièrement politiques puissent trouver refuge dans un pays étranger; s’assurer que le droit d’asile ne soit pas utilisé par les auteurs de crimes ordinaires graves afin d’échapper au cours normal de la justice locale; et s’assurer que le pays d’accueil puisse protéger sa propre population en fermant ses frontières à des criminels qu’il juge indésirables en raison de la gravité des crimes ordinaires qu’il les soupçonne d’avoir commis. C’est ce quatrième objectif qui est véritablement en cause dans ce litige.

 

[23]           Ses commentaires ont récemment été adoptés par la Cour d’appel fédérale dans Jayasekara, au paragraphe 29, dans laquelle la Cour a fait remarquer que ces objectifs étaient complémentaires. Dans cette décision récente, la Cour d’appel a encore une fois rejeté l’approche restrictive adoptée dans Chan, arrêt avec lequel une distinction a été établie et qui a même peut‑être été infirmé.

 

[24]           Enfin, il est bon de citer le passage suivant des motifs du juge Décary dans Zrig au paragraphe 129[5] :

[…] Il s'ensuit que l'article 1Fb) permet d'exclure tout autant les auteurs de crimes graves de droit commun qui cherchent à utiliser la Convention pour échapper à la justice locale, que les auteurs de crimes graves de droit commun qu'un État juge indésirable d'accueillir sur son territoire, qu'ils cherchent ou non à fuir une justice locale, qu'ils aient ou non été poursuivis pour leurs crimes, qu'ils aient ou non été reconnus coupables de ces crimes ou qu'ils aient ou non purgé la sentence qui leur aurait été imposée relativement à ces crimes.
[Non souligné dans l’original.]

 

[25]           Cela paraît logique étant donné que les inculpations peuvent être rejetées pour diverses raisons, notamment des questions de procédure, le rejet de preuves essentielles pour des raisons procédurales ou simplement parce que l’accusé a soulevé un doute raisonnable. La Convention n’a pas adopté la norme stricte applicable aux poursuites pénales et la SPR peut fort bien estimer que les preuves présentées par le ministre, qui ne seraient peut‑être pas admissibles devant une cour de justice, sont suffisantes pour donner de sérieuses raisons de penser que le demandeur a effectivement commis un crime grave.

 

[26]           À la lumière de cette jurisprudence, il n’est pas nécessaire d’en dire davantage pour conclure que la SPR n’a pas commis d’erreur de droit en appliquant l’articlr 98 de la Loi et l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention à la présente affaire. Je vais maintenant examiner la deuxième question soulevée par le demandeur.

 

[27]           Comme cela a été mentionné, les parties à la Convention ont adopté une norme de preuve peu stricte pour décider si un demandeur d’asile a commis un crime grave de droit commun avant de demander l’asile dans le pays où il s’est réfugié. Le législateur accorde également à la SPR toute latitude pour recevoir les éléments qu’elle juge crédibles et dignes de foi [alinéas 170g) et h) de la Loi]. Cela dit, le fait d’exiger des « raisons sérieuses » est une protection pour le demandeur d’asile contre les décisions arbitraires et frivoles, en particulier compte tenu des conséquences très graves susceptibles de découler d’une exclusion aux termes de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention. Pour que cette norme ait un sens, elle doit s’appliquer après une évaluation objective et appropriée du contexte ainsi que de toutes les preuves présentées par le demandeur d’asile. Bien évidemment, la SPR doit être particulièrement prudente lorsque les accusations portées ont été rejetées par un tribunal compétent, conformément à la primauté de la loi.

 

[28]           Dans Legault c. Canada (Secrétaire d’État) (1997), 42 Imm. L.R. (2d) 192, 219 N.R. 376 (CAF) et Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 F.C.R. 304, la Cour d’appel fédérale a indiqué clairement que la SPR peut, lorsque le contexte s’y prête, se fonder sur un acte d’accusation et un mandat d’arrestation pour conclure qu’il existe des motifs raisonnables de conclure que le demandeur d’asile a commis un crime grave à l’extérieur du Canada.

 

[29]           Cette affirmation se fonde sur le principe que, dans un système qui respecte la primauté de la loi, la SPR peut raisonnablement conclure qu’il existait des motifs raisonnables et probables pour que les services de police ou le système d’enquête judiciaire aient décerné un mandat ou porté une accusation.

 

[30]           Naturellement, pour que ce principe s’applique, la SPR doit d’abord être convaincue que l’autorité ayant pris cette mesure respecte la primauté de la loi, c’est‑à‑dire que, par exemple, il ne s’agit pas d’un pays reconnu pour déposer de fausses accusations dans le but de harceler ou d’intimider certaines personnes.

 

[31]           Cependant, parallèlement, cela veut également dire que l’importance des accusations portées dans un pays comme les États‑Unis est fortement diminuée lorsque ces accusations sont rejetées. En fait, j’estime que dans une affaire de ce genre, le rejet des accusations est une preuve prima facie que ces crimes n’ont pas été commis par le demandeur d’asile et que le ministre ne peut simplement s’en remettre au dépôt de l’accusation pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe. Le ministre doit présenter des preuves crédibles et dignes de foi de la perpétration de l’infraction per se ou démontrer que dans les circonstances particulières de l’affaire, le rejet n’est pas déterminant parce qu’il ne concerne pas les faits à la base des accusations. Encore une fois, par exemple, le ministre pourrait y parvenir en démontrant que les preuves essentielles sur lesquelles reposent les accusations ont été exclues pour un motif qui ne lie pas la SPR et qui ne détruit pas totalement leur valeur probante.

 

[32]           Dans la présente affaire, il est évident que la principale preuve (sinon la seule) dont disposaient les personnes qui ont porté les accusations et sur lesquelles elles ont fondé leurs croyances raisonnable était la déclaration de la prétendue victime. Rien n’indique que le dossier d’enquête ait contenu d’autres preuves. Le policier qui a interrogé la plaignante a expressément fait remarquer qu’elle ne portait pas de marques ou de blessures visibles et qu’il n’y avait pas de « trousse du violeur ». Aucun examen ou analyse n’a été effectué. Ainsi, la rétractation de la plaignante a détruit la base même sur laquelle reposaient les croyances à l’origine des accusations.

 

[33]           Cela veut dire que la SPR devait être particulièrement prudente dans la façon de traiter les accusations et examiner de façon approfondie la rétractation de la plaignante. C’est sur ce point précis que j’estime que la décision attaquée est viciée.

 

[34]           Les accusations ne pouvaient constituer des preuves crédibles et dignes de foi sur lesquelles la SPR pouvait fonder sa décision que si celle‑ci était convaincue au départ que la rétractation n’était pas crédible. La référence vague aux menaces reçues avant de s’adresser à la police dans une autre section de la décision traitant de la gravité du crime ne peut « valider » la décision, en particulier si l’on tient compte du fait que ces menaces n’ont pas empêché la plaignante de raconter son histoire à sa sœur aînée et ensuite, à la police.

 

[35]           De plus, après avoir exercé son pouvoir discrétionnaire d’autoriser le dépôt de preuves conformément à l’article 30 des Règles, une fois expiré le délai de l’article 29, il semble quelque peu illogique, compte tenu du critère utilisé pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, d’attribuer ensuite une forte probante très faible à cette preuve pour le motif qu’elle a été déposée tardivement et sans tenir compte de l’explication fournie par le demandeur à ce sujet. En fait, M. Arevalo Pineda a précisé que la plaignante, qui, d’après sa lettre, était toujours la femme de son cousin, craignait que le fait de témoigner dans une instance canadienne ait un effet négatif sur sa situation aux États‑Unis, étant donné qu’elle se trouvait en situation irrégulière dans ce pays. Elle craignait non seulement pour elle‑même, mais également pour ses enfants.

 

[36]           Compte tenu de l’importance de cette preuve qui corrobore la sincérité de la rétractation de la plaignante 15 ans après les faits et à un moment où il n’était pas vraisemblable de croire que la plaignante ait agi sous la contrainte ou en raison de menaces proférées des années auparavant (menaces qui en fait ne l’ont pas empêchée de s’adresser à la police au départ), cette erreur vicie la décision.

 

[37]           Avant de conclure, il est bon de mentionner que la SPR doit examiner le contexte global qui comprend les faits qui ont été acceptés par le décideur à savoir, que la victime alléguée était, en 1994, l’amie du cousin du demandeur – un des prétendus violeurs – alors que dans sa déclaration initiale, elle affirmait que ses agresseurs étaient de simples clients du restaurant où elle travaillait. D’après le témoignage du demandeur, dès que lui et son cousin sont sortis de prison, la relation entre ces personnes a repris. Il semble qu’elle se soit poursuivie jusqu’à aujourd’hui et qu’au moins un enfant soit né de cette union.

 

[38]           De plus, une partie de ce contexte comprend la vie et les activités qu’a exercées le demandeur depuis cette époque. Enfin, étant donné que le demandeur a nié avoir participé à quelque crime que ce soit, la SPR aurait dû examiner sa crédibilité et la force probante à accorder à ce témoignage.

 

[39]           Les deux parties ont confirmé qu’elles ne souhaitaient pas qu’une question soit certifiée et la Cour admet qu’il n’y a lieu de certifier aucune question.


 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

            1.         Il est fait droit à la demande.

            2.         L’affaire est renvoyée pour nouvelle audience et nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5000‑09

 

INTITULÉ :                                       JOSE ISAIAS AREVALO PINEDA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDENCE :                 le 22 avril 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             le 26 avril 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Catalin C. Mitelut

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Peter Bell

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Catalin C. Mitelut

Avocat

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Seules les accusations 1, 2, 8, 12, 18, 23 ont résisté à l’enquête préliminaire (voir les pages 342 et 343 du dossier certifié).

[2]  D’après le paragraphe 29(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (Règles), le délai de cinq jours avant l’audience lorsque les preuves sont déposées en réponse aux preuves d’une autre partie, comme c’était le cas en l’espèce.

[3] « Complicité par association » est une notion qui a été créée dans le contexte de l’alinéa b) de la section F de l’article premier et la question était de savoir si elle pouvait également s’appliquer dans le contexte de l’alinéa b) de la section F de l’article premier.

[4] Le demandeur était un fugitif à l’égard d’autres crimes pour lesquels il avait été condamné par contumace. Mais ce n’était pas pour les crimes pour lesquels le ministre demandait son exclusion.

[5] Il a exprimé des opinions différentes de celles de la majorité dans les paragraphes qui suivent ce passage.

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