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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100503

Dossier : T-1913-08

Référence : 2010 CF 479

TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

SHELLEY APPLEBY-OSTROFF

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               La demanderesse a été licenciée du poste qu’elle occupait à l’Office des transports du Canada (OTC) et elle a déposé un grief à l’encontre de cette mesure ainsi que de la politique interne appliquée dans le cadre du processus de licenciement. Il est question en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 6 février 2009 par laquelle le président de l’OTC, M. Geoffrey Hare, a rejeté ce grief.

 

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision du président de l’OTC et renvoyant l’affaire à ce dernier pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux motifs de la présente Cour.

 

[3]               La demanderesse travaillait de longue date et occupait un rang relativement élevé à l’OTC. La direction a décidé que son poste n’était plus nécessaire et a mis fin à son emploi. La demanderesse ne prétend pas avoir été congédiée injustement; elle demande plutôt à la Cour d’annuler son licenciement parce que l’employeur a censément appliqué pour ce faire la mauvaise politique interne. Pour les motifs qui suivent, il m’est impossible de souscrire à cette thèse.

 

Le contexte

 

[4]               La demanderesse a été au service de l’OTC pendant 18 ans environ; au moment de son licenciement, elle exerçait les fonctions d’avocate générale adjointe et de directrice de la Direction des services juridiques. Son poste était classé au niveau LA-3A; il n’était pas assujetti à une convention collective et ne faisait pas non plus partie d’une unité de négociation. La demanderesse était donc considérée comme une employée exemptée.

 

[5]               Le 15 octobre 2008, la demanderesse a été avisée par son superviseur immédiat que son poste était aboli et qu’elle était licenciée. Dans une lettre reçue le même jour, la demanderesse a été informée que, conformément à la Politique de transition dans la carrière pour les cadres de direction (la PTCCD), elle bénéficiait de trois options et il lui a été demandé de faire part de sa décision au superviseur avant le 5 novembre 2008. La première de ces options consistait à prendre un congé rémunéré payé pendant la durée de la période de préavis de six mois, en bénéficiant en même temps, et durant un an par la suite, d’un traitement prioritaire en vue d’être réembauchée dans la fonction publique. Les deuxième et troisième options consistaient toutes deux à recevoir un règlement en espèces en guise et lieu de préavis, en échange d’une démission immédiate sans droit de priorité aucun. La seule différence entre les deux options était que la deuxième comportait un certain nombre d’avantages non financiers, tandis que la troisième incluait un règlement en espèces majoré, mais sans aucun avantage non financier.

 

[6]               Le principal sujet du contrôle judiciaire est de savoir si l’on a appliqué à la demanderesse la politique appropriée. Le site Web du gouvernement du Canada indiquait que la PTCCD avait été abrogée, mais le défendeur soutient qu’elle s’appliquait encore aux employés exemptés de niveau LA-3A à titre de mesure transitoire pendant que l’on négociait la première convention collective du groupe LA.

 

[7]               Entre le 15 octobre et le 5 novembre 2008, un certain nombre de faits ont eu lieu. La demanderesse a voulu se faire une meilleure idée de ce que seraient les montants du règlement en espèces prévu par les deuxième et troisième options. On lui a remis un tableau indiquant qu’elle toucherait probablement le montant admissible maximal, soit 52 semaines de salaire plus des montants pour les avantages perdus. Elle a estimé que les informations n’étaient pas claires et elle n’était pas certaine non plus des dates précises auxquelles elle serait admissible aux droits de priorité dans le cadre de la première option. Le personnel de l’OTC a prévu des réunions pour la demanderesse afin de l’aider à prendre sa décision. À la même époque environ, elle a demandé à rencontrer le président et premier dirigeant de l’OTC afin de discuter de la possibilité de prolonger son emploi ou d’obtenir un paiement de départ majoré. Une réunion a eu lieu, mais son emploi n’a pas été prolongé. Pour ce qui était du montant de départ prévu, on lui a dit plus tard qu’elle recevait déjà le maximum.

 

[8]               Le 4 novembre 2008, la demanderesse a demandé une prolongation de délai pour étudier ses options. Cela lui a été refusé. On lui a aussi fait savoir aux environs de cette date que si elle faisait un choix avant la fin de la journée ouvrable le 5 novembre, elle serait réputée avoir choisi la première option. Peu avant l’échéance, elle a indiqué au superviseur par courriel qu’elle renonçait à la première option mais qu’elle se réservait le droit de contester tous les aspects de son licenciement.

 

[9]               Le 7 novembre 2008, la demanderesse s’est vu interdire l’accès à son bureau. Une lettre qui lui a été remise ce jour-là confirmait sa démission de la fonction publique le 5 novembre et lui demandait de faire part à l’OTC du choix qu’elle ferait entre la deuxième ou la troisième option.

 

[10]           La demanderesse a déposé un grief, alléguant que les mesures prises à l’égard de son licenciement étaient contraires à ses conditions d’emploi. Principalement, elle a soutenu que la PTCCD ne s’appliquait pas à elle. Elle a demandé d’être réintégrée dans ses fonctions et d’obtenir un dédommagement complet pour toutes les pertes subies. Après quelques irrégularités procédurales, l’affaire a été renvoyée au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le président de l’OTC a entendu l’affaire de novo et a rejeté le grief dans une lettre envoyée le 6 février 2009.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

 

[11]           La lettre de décision indiquait qu’avant la rédaction de la lettre datée du 15 octobre 2008, l’OTC avait contacté des fonctionnaires au Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) et de l’Agence de la fonction publique du Canada (AFPC) afin de s’assurer que l’on fournissait à la demanderesse les droits appropriés et les bonnes informations. À ces deux endroits, des analystes principaux des politiques ont convenu que la demanderesse était assujettie aux dispositions de la PTCCD. Il s’agissait d’une mesure transitoire visant à garantir que les employés du niveau LA-3A qui étaient exemptés continuaient d’être visés par les conditions d’emploi en vigueur en attendant que l’on négocie la première convention collective du groupe LA.

 

[12]           La lettre résumait aussi un grand nombre des faits et des communications qui avaient eu lieu entre le 15 octobre et le 5 novembre 2008. Il y était indiqué que si la demanderesse s’était informée de la possibilité d’obtenir un avantage majoré supérieur au maximum autorisé, mais que les fonctionnaires du SCT n’approuvaient une telle majoration que dans des circonstances exceptionnelles, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La demanderesse recevrait les avantages maximaux d’un montant forfaitaire équivalant à 52 semaines de rémunération.

 

 

[13]           La lettre se terminait comme suit :

[Traduction] Comme Mme Appleby-Ostroff a toujours été traitée d’une manière conforme à la politique appropriée et qu’elle peut jouir de tous les avantages de la PTCCD que je suis habilité à approuver, le grief est rejeté.

 

Les questions en litige

 

[14]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Était-il raisonnable pour le président de l’OTC de confirmer que la PTCCD s’appliquait à la demanderesse?

            3.         Dans l’affirmative, était-il raisonnable de confirmer que la politique avait été appliquée à juste titre à la demanderesse?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

La norme de contrôle applicable

 

[15]           Au dire de la demanderesse, il convient de contrôler la décision en fonction de la norme de la décision correcte car il s’agissait d’une décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs sans arbitrage indépendant et d’une décision dans le cadre de laquelle la question en litige comportait l’application et l’interprétation d’une directive de nature non réglementaire intégrée à toutes fins pratiques dans le contrat d’emploi.

 

[16]           D’autres facteurs dénotent qu’il convient d’appliquer la norme de la décision correcte. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la LRTFP) contient une clause privative relativement faible. En outre, le processus de règlement des griefs est le seul recours juridique possible en cas de manquement aux conditions d’emploi d’un employé. Par ailleurs, la présente demande porte principalement sur une question de droit (celle de savoir si la PTCCD s’applique). Il ne s’agit pas d’une question pour laquelle des personnes, telles que le président de l’OTC, détiennent une expertise pertinente. De plus, le président de l’OTC n’était pas un décideur indépendant car, en fait, il jugeait sa propre décision.

 

La PTCCD ne s’applique pas

 

[17]           La demanderesse soutient que l’État et elle-même entretenaient une relation de nature contractuelle et d’une durée indéfinie. Les politiques et les directives que publie le Conseil du Trésor sont intégrées à toutes fins pratiques dans le contrat d’emploi d’un employé, mais en octobre 2008 la PTCCD n’était pas en vigueur. Le Conseil du Trésor l’avait annulée le 16 juillet 2007.

 

[18]           Même si le président de l’OTC a indiqué que des analystes principaux des politiques l’avaient informé que la PTCCD s’appliquait bel et bien à la demanderesse, aucun affidavit n’a été produit à l’appui de cette prétention. Aucun document n’indique que le Conseil du Trésor ait jamais pris une telle décision. Et même si cela avait été le cas, elle n’aurait pas pu faire partie des conditions d’emploi avant d’avoir été publiée et disponible. Le site Web du gouvernement indique toujours que la PTCCD n’est plus en vigueur.

 

[19]           La demanderesse admet que la PTCCD a continué d’être en vigueur par application de l’article 107 de la LRTFP à certains employés de la catégorie LA qui étaient autrefois exemptés et qui se trouvaient maintenant dans l’unité de négociation du groupe LA. La demanderesse n’a jamais fait partie de l’unité de négociation.

 

[20]           La Directive sur le réaménagement des effectifs (DRE) que le Conseil du Trésor a publiée faisait partie des conditions de l’emploi de la demanderesse quand la PTCCD a été annulée. La DRE était destinée à procurer aux employés la sécurité d’emploi.

 

La PTCCD a été appliquée à tort

 

[21]           La demanderesse soutient que même si la PTCCD s’appliquait, l’OTC en a enfreint les dispositions. L’OTC a tenté de forcer la demanderesse à quitter l’OTC le plus rapidement possible et a fait pression sur elle pour qu’elle accepte une option de règlement. Cela est contraire à l’objet déclaré de la PTCCD, qui consiste à garantir un emploi d’une durée indéterminée aux cadres touchés au sein de la fonction publique. La PTCCD n’autorise pas non plus les trois options et le délai ou le choix réputé qui ont été présentés à la demanderesse. La politique permettait à un employé de travailler au cours de la période de préavis.

 

[22]           La position que l’OTC a exprimée dans sa lettre du 7 novembre 2009, à savoir que la demanderesse avait démissionné, est indéfendable sur le plan factuel et sur le plan juridique. Une démission doit être volontaire.

 

[23]           En outre, la façon dont l’OTC s’est comporté avec la demanderesse était incompatible avec l’obligation dans laquelle se trouve l’employeur de faire preuve de bonne foi et de traitement équitable dans le cas d’un licenciement.

 

Les observations écrites du défendeur

 

La norme de contrôle applicable

 

[24]           Le défendeur soutient que la norme appropriée est déjà fixée par la jurisprudence, et il s’agit de la décision raisonnable. L’application de politiques et de procédures au contrat d’emploi relève de l’expertise du décideur. Cela dénote qu’un certain degré de retenue s’impose. De plus, la règle générale de la retenue, dans les affaires liées aux relations de travail, devrait avoir préséance. Même s’il a été conclu qu’un degré moindre de retenue s’applique dans les affaires où il est question de l’application à un contrat d’emploi d’une politique relative aux conflits d’intérêts, ces affaires ne s’appliquent pas avec autant de force aux politiques régissant les procédures de licenciement.

 

[25]           Même d’après une analyse contextuelle de la norme de contrôle applicable, la norme qui convient est la décision raisonnable. Il existe une clause privative à l’article 214 de la LRTFP, une loi polycentrique qui met en cause des objectifs de principe contradictoires et les intérêts de groupes différents. De plus, la nature de la question en jeu est principalement factuelle et concerne l’application de la politique d’un employeur. Enfin, le président de l’OTC a bénéficié des conseils du centre de décision qui était chargé de la politique en question, et il détenait donc aussi un degré d’expertise additionnel.

 

La PTCCD était applicable et elle a été appliquée correctement

 

[26]           Le défendeur soutient qu’en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, à l’alinéa 11.1j) (la LGFP), l’employeur a le pouvoir de régir les conditions de travail. En établissant la PTCCD (les conditions régissant les employés dont les postes sont abolis), l’employeur exerçait le vaste pouvoir législatif que lui conférait la LGFP. Dans l’exercice de son pouvoir de gestion, l’employeur peut faire ce qui n’est pas expressément interdit par la loi. La PTCCD a été étendue aux employés du niveau LA-3A et d’un niveau supérieur par une décision précise du Conseil du Trésor, en vertu du pouvoir que lui confère la LGFP. M. Thibodeau, directeur des négociations collectives auprès du Conseil du Trésor, a déposé un affidavit confirmant, notamment, que lorsque la PTCCD a été annulée en 2006, elle a été étendue par le Conseil du Trésor aux employés de niveau LA-3A au cours de la période pendant laquelle le groupe LA négociait sa première convention collective. La DRE ne s’applique pas aux employés qui tombent sous le coup de la PTCCD.

 

[27]           La lettre du 15 octobre 2008 indiquait clairement qu’en acceptant la deuxième ou la troisième option (la rémunération en guise et lieu de préavis), la demanderesse devait démissionner de la fonction publique. Comme la demanderesse a opté pour la rémunération en guise et lieu de préavis, son emploi a pris fin.

 

[28]           La demanderesse n’a pas été mal traitée; elle a été traitée comme n’importe quel autre employé se trouvant dans la même situation, au sein du même groupe et au même niveau. En fait, il ressort du dossier que l’OTC n’a pas souscrit à la recommandation du SCT et a offert à la demanderesse la prestation maximale que prévoyait la PTCCD. De plus, l’OTC a rencontré a plusieurs reprises la demanderesse afin de lui expliquer ses options et il s’est organisé, à ses propres frais, pour que la demanderesse puisse rencontrer un conseiller financier. L’OTC a donné trois semaines à la demanderesse pour se décider. Ce délai était parfaitement conforme à la PTCCD et à son esprit, et il relevait certainement du pouvoir de gestion que la LGFP confère à l’employeur.

 

[29]           L’offre des 52 semaines de rémunération en guise et lieu de préavis n’était pas un règlement négocié; il s’agissait de la substance des deuxième et troisième options qui ont été offertes à la demanderesse quand celle-ci a décidé de renoncer à la première. Aucune négociation n’était requise puisque le montant maximal possible avait été offert.

 

 

 

Analyse et décision

 

[30]           La question en litige no 1

      Quelle la norme de contrôle applicable?

            Pour déterminer la norme de contrôle applicable, la première étape consiste à vérifier si la jurisprudence a déjà réglé de manière satisfaisante le degré de retenue qu’il convient d’accorder à une catégorie particulière de question. Dans la négative, la Cour doit passer à la seconde étape : déterminer la norme de contrôle appropriée en tenant compte, notamment, de la nature de la question en litige, de l’expertise du tribunal administratif, de la présence ou de l’absence d’une clause privative, de même que de la raison d’être du tribunal en question (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] A.C.S. no 9 (QL), aux paragraphes 57 à 64).

 

[31]           Dans la décision Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686, la Cour a conclu que la jurisprudence relative aux décisions rendues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en vertu de la LRTFP et de la loi du même nom qui l’a précédée, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (l’ancienne LRTFP), était réglée et que la norme appropriée était la décision raisonnable (au paragraphe 17). Il s’agit là d’une opinion à laquelle je ne puis souscrire. Il est possible que la plupart de ces décisions doivent susciter une certaine retenue, mais dans plusieurs affaires récentes, que j’analyserai plus en détail ci-après, c’est le contraire qui a été conclu. Plus fondamentalement, je ne crois pas qu’il convient d’accorder le même degré de retenue à toutes les décisions de cette nature qui sont rendues au dernier palier de règlement des griefs. À ce stade, les tribunaux administratifs sont convoqués à titre ponctuel en vertu de la LRTFP et se prononcent sur un éventail nettement trop vaste de griefs pour être qualifiés de manière semblable. À mon sens, le tribunal de contrôle devrait, à tout le moins, comparer la nature de la question que soulève le grief avant de conclure que la jurisprudence a fixé la norme applicable.

 

[32]           La demanderesse a déposé un grief et elle conteste maintenant la décision rendue au dernier palier, en soulevant les deux mêmes questions litigieuses. Tout en reconnaissant que l’une ou l’autre de deux directives du Conseil du Trésor modifiait ses conditions d’emploi, la demanderesse demande si i) la PTCCD était la bonne directive à appliquer et ii) si la PTCCD a été appliquée convenablement.

 

[33]           Je qualifierais la catégorie précise de question que soulève le présent contrôle judiciaire de décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs visée par la LRTFP pour laquelle un arbitrage indépendant n’était pas disponible et dans le cadre de laquelle la question en litige avait trait à l’application ou à l’interprétation d’une politique ou d’une directive faisant partie des conditions d’emploi d’un employé et ne reposait pas sur des conclusions de fait importantes.

 

[34]           Des questions semblables, mais non identiques, ont été soumises à la Cour ainsi qu’à la Cour d’appel fédérale dans les trois affaires qui suivent.

 

[35]           Dans la décision Dubé c. Canada (Procureur général), 2006 CF 796, [2006] A.C.F. no 1014, les demandeurs, deux employés d’un ministère fédéral, prétendaient que les lignes directrices en question, qui indiquaient une priorité d’emploi, faisait partie de leurs conditions d’emploi. Ils avaient déposé un grief en vertu de l’ancienne LRTFP qui, comme la LRTFP en vigueur, autorisait l’employeur à établir une procédure interne de règlement des griefs. La décision rendue au dernier palier concluait que les lignes directrices ne faisaient pas partie des conditions d’emploi et que, dans ce contexte, elles ne pouvaient pas faire à juste titre l’objet d’un grief; il a toutefois été conclu aussi qu’en tout état de cause, on avait appliqué à juste titre les lignes directrices aux demandeurs. La demande de contrôle judiciaire contestait donc en partie l’interprétation de ces lignes directrices.

 

[36]           S’agissant de la question de savoir si les lignes directrices faisaient partie des conditions d’emploi, de sorte qu’elles pouvaient faire l’objet d’un grief approprié, le juge Blanchard a conclu, au paragraphe 33 de la décision, que la norme applicable était la décision correcte. Même s’il existait une clause privative, il s’agissait selon lui d’une question d’interprétation législative qui constituait un point de droit. Quant au fait de savoir si l’employeur/ministre avait respecté les lignes directrices, le juge a conclu que la norme de contrôle était la décision raisonnable.

 

[37]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Assh, 2006 CAF 358, [2007] 4 R.C.F. 46, 274 D.L.R. (4th) 633, le demandeur - un avocat spécialisé en pensions au service du ministère des Anciens combattants - avait contesté une ordonnance l’obligeant à restituer un cadeau parce que, de l’avis de l’employeur, le fait d’accepter ce cadeau était contraire au Code régissant les conflits d’intérêts (le Code). À l’époque pertinente, le Code en vigueur était une directive du Conseil du Trésor que le premier ministre avait déposée à la Chambre des communes. Le demandeur ne contestait pas son assujettissement au Code, mais uniquement l’interprétation de ce dernier. Le grief du demandeur a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Devant la présente Cour, au stade du contrôle judiciaire, le juge Hughes a conclu que l’interprétation du Code au dernier palier était assujettie à la norme de la décision raisonnable.

 

[38]            La Cour d’appel fédérale a exprimé son désaccord, concluant que c’était la décision correcte qui était la norme de contrôle appropriée. La Cour a accordé un poids particulier à deux facteurs : premièrement, le fait que le Code était intégré à toutes fins pratiques dans le contrat d’emploi du demandeur, tout en étant appelé à être interprété dans le cadre de la procédure de règlement des griefs par une personne non indépendante de l’employeur. Ce fait, de l’avis de la Cour, dénotait l’existence d’un degré moindre de retenue :

[51] [...] Il n’était pas dans l’intention du législateur d’accorder à l’employeur de décider unilatéralement si, en acceptant un legs, un employeur viole son contrat, sous réserve uniquement du contrôle judiciaire d’une décision déraisonnable.

 

 

[39]           Deuxièmement, il y avait le fait que la détermination d’un conflit d’intérêt était semblable à une pure question de common law, de sorte que les tribunaux bénéficieraient d’un degré d’expertise supérieur (paragraphes 42 à 46 et 53).

 

[40]           Dans une affaire récente : Hagel c. Canada (Procureur général), 2009 CF 329, [2009] A.C.F. no 417, un groupe d’employés non syndiqués avait été transféré à un employeur différent du gouvernement - le Conseil du Trésor - même si, à première vue, ils entraient au service d’une nouvelle entité, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). On les avait assurés que l’ASFC accepterait leurs conditions d’emploi, leurs taux de rémunération et leur niveau de classification. Un élément qui sous-tendait cette assurance était la décision prise par le Conseil du Trésor de maintenir les conditions d’emploi jusqu’à ce que de nouvelles conventions collectives soient adoptées. Les employés n’avaient pas reçu l’augmentation salariale et les primes annuelles ordinaires qu’ils auraient touchées au service de leur ancien employeur et ils avaient donc déposé un grief en vertu de la LRTFP. La décision finale, rendue par un haut fonctionnaire de l’ASFC, a rejeté le grief et essentiellement indiqué aux employés que c’était le Conseil du Trésor qui avait décidé de quelle façon procéder à leur transfert et que l’ASFC avait à son tour traité tous les employés d’une manière équitable et conforme aux directives du Conseil du Trésor.

 

[41]            Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge Zinn a décidé, après analyse, que la norme appropriée était la décision raisonnable. Les paragraphes qui suivent sont instructifs :

[25]     Les questions qui peuvent faire l’objet d’un grief, mais qui ne peuvent pas être renvoyées à l’arbitrage sont variées. Le décideur ne possédera pas dans tous les cas plus d’expertise que la Cour, plus particulièrement lorsque des questions de droit sont en jeu. En l’espèce, les demandeurs ont formulé leurs griefs en se reportant à des politiques administratives et non à des lois. Je suis convaincu que l’application de politiques et de procédures relève de l’expertise particulière du décideur, qui invite à la retenue.

 

[26]     Lorsque l’on examine le régime législatif dans son ensemble, il constitue nettement un régime exhaustif pour traiter les différends relatifs à l’emploi. En vertu de ce régime, le législateur a mis en place un mécanisme exclusif de résolution des différends dénué d’arbitrage pour les griefs qui ne visent pas une rétrogradation ou un licenciement, ou des mesures disciplinaires entraînant une sanction pécuniaire. Cela a des répercussions sur le degré de retenue dont devrait faire preuve la Cour à l’égard des décideurs agissant dans le cadre de ce régime. À cet égard, dans l’arrêt Vaughan c.Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, le juge Binnie, se prononçant pour la majorité de la Cour suprême, a déclaré ce qui suit :

 

[...] je n’accepte pas [...] que les régimes législatifs complets qui ne prévoient pas l’arbitrage par un tiers ne méritent pas, pour cette raison, que l’on s’en remette à eux. Il s’agit d’un facteur à prendre en compte, mais dans le cas de la LRTFP, d’autres indices plus convaincants de l’intention du législateur l’emportent sur ce facteur.

 

[...]

 

Même si l’absence d’un arbitre indépendant peut, dans certaines circonstances, se répercuter sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel du tribunal (comme dans les cas de dénonciateurs), la règle générale de la retenue dans les instances découlant des relations de travail devrait prévaloir. 

 

Dans l’arrêt Vaughan, la question était de savoir si la LRTFP-1985 excluait le recours aux cours supérieures comme solution de rechange à la procédure des griefs sans renvoi à l’arbitrage qui y était prévue. La majorité des juges a répondu à la question par l’affirmative, ne laissant place qu’à une compétence « résiduelle » des cours supérieures. Comme cela a été mentionné, en vertu de la LRTFP‑2003, la compétence exclusive est maintenant prescrite par l’article 236 de la LRTFP‑2003.

 

[27]           À la lumière de ce qui précède, je conclus que la norme de contrôle applicable au bien-fondé de la décision est la norme de la décision raisonnable. Appliquer la norme de la décision correcte, comme les demandeurs le préconisent, irait à l’encontre du raisonnement adopté dans l’arrêt Vaughan.

 

[42]           Dans le cas de la présente affaire, je n’estime pas que la jurisprudence a réglé la question de la norme de contrôle appropriée. Les facteurs additionnels que comporte la deuxième étape prévue dans l’arrêt Dunsmuir, précité, doivent être contrôlés, mais je souligne que le facteur prépondérant, quand il est question de déterminer la norme de contrôle, est l’intention législative.

 

[43]           Je préfère le raisonnement du juge Evans dans l’arrêt Assh, précité. Je conviens qu’il existe une règle générale de retenue dans les affaires d’emploi et de relations de travail, mais je conclus qu’elle ne s’applique pas à l’espèce.

 

[44]           La Cour suprême du Canada a décrété qu’en général un emploi dans le secteur public est aujourd’hui considéré comme une relation d’emploi contractuelle ordinaire et que le droit général des contrats s’applique, sauf s’il cède expressément le pas à des dispositions explicites d’une loi ou de l’entente (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 95, Wells c. Terre-Neuve [1999] 3 R.C.S. 199, [1999] A.C.S. no 50 (QL), aux paragraphes 29 et 30.) En l’espèce, l’employée demanderesse, comme l’intimé dans l’arrêt Assh, précité, est confrontée à la présomption unilatérale de l’existence de politiques dans les conditions de son contrat d’emploi, des politiques qui, dans le cas présent, ont été publiés par le Conseil du Trésor. Cette capacité d’apporter concrètement des changements unilatéraux au contrat d’emploi est expressément prévue par diverses lois auxquelles je ferai référence plus loin. Quoi qu'il en soit, et pour les besoins de la présente analyse, la demanderesse et le défendeur conviennent tous deux que la politique applicable est devenue un élément des conditions d’emploi, qu’il s’agisse de la PTCCD ou de la DRE. Selon moi, l’une ou l’autre de ces deux politiques peut être considérée comme un sous-ensemble des conditions du contrat d’emploi.

 

[45]           À mon avis, cet aspect crée une distinction entre la présente espèce et l’arrêt Assh précité, et les décisions Dube et Hagel, précitées, où il n’a pas été établi que les politiques en question étaient devenues partie intégrante du contrat d’emploi de l’employé.

 

[46]           En l’espèce, la demanderesse demande tout d’abord si c’est la bonne série de conditions que l’on a appliquée. Cette question revient en fait à demander : « quel contrat d’emploi est le mien? », et il s’agit d’une question pour laquelle l’employé a normalement le droit de recevoir la bonne réponse. Le président de l’OTC a consulté des analystes principaux au Conseil du Trésor pour s’assurer qu’il agissait en vertu de la bonne loi.

 

[47]           Dans le secteur privé, les employés ont le droit de soumettre les conditions de leur contrat d’emploi à une cour de justice et ils ont droit à une interprétation correcte de ce contrat. Subsidiairement, l’employé et l’employeur peuvent convenir de soumettre leur différend à un arbitre indépendant, qui s’efforcera d’interpréter correctement le contrat et, au stade du contrôle judiciaire, les deux parties ont droit à une interprétation raisonnable du contrat. Par contraste, dans le cas présent, le défendeur laisse entendre qu’une interprétation que fait concrètement l’employeur des conditions d’un emploi public au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en vertu de la LRTFP ne peut être contrôlée qu’en fonction de la norme de la décision raisonnable.

 

[48]           Si la nature d’un emploi public est véritablement régie par les principes du droit des contrats d’emploi, le législateur ne peut avoir envisagé une telle dérogation. Autrement dit, ce dernier ne peut avoir envisagé que, sous réserve uniquement du contrôle judiciaire d’une décision déraisonnable, l’employeur peut décider quelles sont les conditions qui régissent un employé particulier. Si l’employeur public a le droit, en vertu de la loi, de changer unilatéralement les conditions d’emploi, l’employé devrait avoir le même droit d’être informé des conditions exactes de son contrat d’emploi en cas de différend.

 

[49]           Même si l’intention législative indique à elle seule qu’il faudrait que la norme de contrôle soit la décision correcte, analysons maintenant les quatre facteurs que comporte la seconde étape du critère de Dunsmuir, précité.

 

[50]           Les deux questions que pose la demanderesse ont trait à l’application des bonnes conditions d’emploi aux faits de l’espèce. Premièrement, la nature des questions mettait en cause le droit, non pas parce que la PTCCD était le droit - elle ne l’était pas - mais parce qu’elle était devenue partie intégrante des conditions d’emploi de l’employée. En fait, des éléments de la PTCCD ont été intégrés dans le contrat d’emploi juridique et exécutoire de la demanderesse. Je dirais donc des questions qu’elles sont de la nature d’une question de droit : « la PTCCD s’appliquait-elle? », suivie d’une question mixte de faits et de droit : « la PTCCD a-t-elle été correctement appliquée? »  

 

[51]            Pour ce qui est du facteur de l’expertise, le défendeur soutient que l’arrêt Assh, précité, est à distinguer de la présente espèce car, dans cet arrêt, la décision contestée portait principalement sur les conflits d’intérêts, domaine dans lequel les tribunaux ont une expertise supérieure. À mon avis, les commentaires de nature plus générale que la Cour d’appel fédérale a faits sur la procédure de règlement des griefs visée par la LRTFP dans l’arrêt Assh, précité, s’appliquent eux aussi. Au paragraphe 44, le juge Evans écrit cecit :

[...] J’ai déjà dit dans l’arrêt Vaughan (au paragraphe 139) qu’en raison de la nature informelle de la procédure de grief prévue à l’article 91, et du fait qu’il ne s’agit pas d’une procédure indépendante de l’employeur, il semble qu’une cour supérieure n’est pas tenue d’accorder une grande déférence au comité interne de règlement des griefs en ce qui a trait aux questions qui ne sont pas de pur fait. Comme on l’a déjà signalé, M. Assh n’avait nullement le droit de saisir un arbitre indépendant de son grief aux termes de l’article 92.

 

[52]           À mon avis, l’absence d’un arbitre indépendant, au dernier palier de la procédure de griefs, dénote fortement qu’il convient d’accorder moins de retenue à ces décideurs. Les personnes qui tranchent de tels griefs le font dans le cadre de leurs fonctions de gestion; elles ne sont pas choisies pour leur expertise en la matière ou en droit. En fait, en l’espèce, le président de l’OTC, un gestionnaire ayant une expertise particulière dans le domaine des transports, jugeait sa propre décision sous-jacente.

 

[53]            Même s’il a été souligné dans l’arrêt Vaughn, précité, que l’absence d’un tiers arbitre peut céder le pas à des indices plus convaincants de l’intention du législateur, ce qui dénote l’existence d’une certaine retenue, je ne considère pas qu’il existe en l’espèce des indices suffisants. Le législateur a établi des mécanismes pour les arbitrages indépendants ainsi que pour les décisions que rend l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Aux termes de l’article 214 de la LRTFP, une décision rendue à ce dernier palier est considérée comme « définitive et obligatoire et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief en cause ». Il a été conclu qu’il s’agit là d’une clause privative relativement faible (voir l’arrêt Assh, précité, au paragraphe 35, ainsi que la décision Hagel, précitée, aux paragraphes 23 et 24). Cette clause peut être mise en contraste avec la clause privative nettement plus stricte qui s’applique aux décisions des arbitres indépendants. Comme l’indique l’article 233 :

[233] (1) La décision de l’arbitre de grief est définitive et ne peut être ni contestée ni révisée par voie judiciaire.

 

(2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire – notamment par voir d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto – visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre de grief exercée dans le cadre de la présente partie.

 

[54]           À mon avis, la clause privative plus faible qui s’applique aux décisions rendues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, une clause qui vise uniquement à éviter d’engager une autre action en vertu de cette Loi, cadre tout à fait avec l’existence d’un législateur prudent.

 

[55]           Je reconnaîtrais aisément que la LRTFP est une loi polycentrique (voir Peck, précité, au paragraphe 20). Cependant, le grief dont il est question en l’espèce est un simple litige entre deux parties à propos du contrat d’emploi d’une employée.

 

[56]           Compte tenu de tous les facteurs, je conclus que la norme qu’il convient d’appliquer aux questions que soulève la demanderesse est la décision correcte. De ce fait, dans les cas où l’on peut dire qu’une ligne directrice, une politique ou une directive devient partie intégrante du contrat d’emploi d’un employé, quand ce dernier dépose un grief en vertu de la LRTFP en alléguant un manquement de la part de l’employeur il a droit à ce que l’employeur rende une décision correcte au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

 

[57]           La question en litige no 2

            Était-il raisonnable pour le président de l’OTC de confirmer que la PTCCD s’appliquait à la demanderesse?

            En général, les conditions d’emploi des fonctionnaires ne sont pas négociées séparément. Comme le fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, [2005] 1 R.C.S. 146, 250 D.L.R. (4th) 385 :

Les conditions d’emploi de plus d’un quart de million de fonctionnaires du gouvernement fédéral sont énoncées dans des lois, des conventions collectives, des directives du Conseil du Trésor, des règlements, des directives du ministre et d’autres documents qui remplissent des rayons entiers de classeurs à feuilles mobiles.  Les employés des ressources humaines sont recrutés dans le système, passent leur vie à essayer de le comprendre puis disparaissent. (Au paragraphe 1, juge Binnie.)

 

[58]           Le pouvoir de déterminer les exigences de la fonction publique en matière de mise à pied des employés et celui de fixer les conditions d’emploi sont tous deux expressément prévus par la loi. Le Conseil du Trésor peut fixer les conditions d’emploi des employés de l’administration publique fédérale conformément à l’alinéa 7(1)e) et aux alinéas 11.1a), f) ou j) de la LGFP. La PTCCD, y compris ses dispositions en matière de licenciement, ont été établies en vertu de ce pouvoir législatif.

 

[59]           Un administrateur général, comme le président de l’OTC, est habilité à licencier un employé quelconque pour un motif nécessaire en application du paragraphe 12(1) de la LGFP, ainsi que de mettre en disponibilité un employé en vertu de l’article 64 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22.

 

[60]           Dans la présente affaire, l’OTC, agissant sur la foi du rapport d’un consultant, a décidé que la demanderesse allait être licenciée par suite de la suppression de son poste. L’employeur agissait dans le cadre du vaste pouvoir législatif qui lui était accordé.

 

[61]           Cependant, le fait de mettre fin à l’emploi de la demanderesse a déclenché l’application des conditions applicables du contrat d’emploi en vigueur de la demanderesse. Toutefois, ces conditions ne sont pas forcément les mêmes pendant toute la carrière d’un employé. Le Conseil du Trésor peut, unilatéralement, établir et modifier les conditions d’emploi d’un employé non représenté (voir l’arrêt Assh, précité, au paragraphe 51, et la décision Babcock c. Canada (Attorney General), 2005 BCSC 513, [2005] B.C.J. no 880 (QL), au paragraphe 174).

 

[62]           J’ai décidé que la norme de contrôle appropriée est la décision correcte et, par conséquent, il ne convient pas d’accorder un degré quelconque de retenue à la décision du président de l’OTC s’il est établi qu’une erreur a été commise. Cependant, il incombe toujours à la demanderesse de faire la preuve que le président a commis une erreur.

 

[63]           La demanderesse fait valoir que la PTCCD n’était plus en vigueur. Il est indiqué dans le site Web du Conseil du Trésor que cette politique n’est plus en vigueur, mais qu’elle se trouve encore « en ligne » pour des raisons purement historiques.

 

[64]           Le défendeur soutient que, malgré le message erroné que l’on peut lire dans le site Web, la PTCCD a continué en fait de s’appliquer aux employés exemptés du niveau LA-3A et des niveaux supérieurs, à titre de mesure transitoire, en attendant que l’on négocie une convention collective.

 

[65]           Toujours à l’appui de sa position, le défendeur s’est fondé sur le témoignage de M. Marc Thibodeau, directeur des négociations collectives auprès du Conseil du Trésor, qui a indiqué que même si elle a été abrogée en 2007, à la suite d’une décision du Conseil du Trésor, la PTCCD a été étendue aux employés du niveau LA-3A et des niveaux supérieurs. Le document contenant la décision du Conseil du Trésor n’a pas été produit et le défendeur allègue qu’il s’agit de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, aux termes de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5.

 

[66]           Le principal point de friction dans cette affaire semble être le site Web du Conseil du Trésor, qui indiquait que la PTCCD n’était plus en vigueur. La demanderesse n’était au courant d'aucune des politiques applicables du Conseil du Trésor avant son licenciement, mais elle soutient maintenant que la PTCCD abrogée ne peut pas faire et ne faisait pas partie des conditions de son emploi. Il s’agit là d’une inférence que je ne puis tirer.

 

[67]           Le Conseil du Trésor présente un certain nombre de politiques sur son site Web à titre de service. Même s’il était indiqué sur ce site que la PTCCD était abrogée, cela n’avait pas le même effet que l’abrogation d’une disposition législative ou d’un règlement. Le Conseil du Trésor a le vaste pouvoir législatif de fixer les conditions d’emploi des employés tels que la demanderesse. Il peut ébaucher des politiques ou des directives par souci d’uniformité et pour faciliter l’administration, mais la loi ne l’oblige pas à le faire. Il n’est pas non plus tenu d’afficher ses politiques ou de les rendre accessibles.

 

[68]           La demanderesse semble laisser entendre que le Conseil du Trésor est lié par la version de l’une de ses politiques que l’on trouve sur son site Web. Je ne suis pas d’accord. Cela n’est pas avisé d’un point de vue administratif, mais le Conseil du Trésor a le droit, en vertu de la loi, de prendre une décision qui s’écarte d’une politique écrite affichée sur son site web. L’OTC a consulté le Conseil du Trésor et a reçu l’avis d’analystes principaux des politiques de cet organisme. Même si la demanderesse se plaint qu’il n’existe aucune preuve documentaire de ces communications, ce manque de preuve n’établit pas que le président de l’OTC a commis une erreur importante.

 

[69]           Rien n’indique que les conseils que l’OTC a reçus étaient erronés ou ne représentaient pas l’intention du Conseil du Trésor. En revanche, la preuve de M. Thibodeau étaye l’idée que les renseignements étaient exacts.

 

[70]           À part le site Web sur lequel la demanderesse ne s’est jamais fondée, il n’y a aucune preuve que le Conseil du Trésor n’entendait pas que la PTCCD s’applique. Le texte de cette politique a été remis à la demanderesse avec la lettre qui lui a été envoyée le 15 octobre 2008 et, la demanderesse a été informée en tout temps que les dispositions de cette politique s’appliquaient.

 

[71]           La demanderesse laisse entendre que même si le Conseil du Trésor a bel et bien rendu cette décision, celle-ci ne pouvait pas avoir fait partie des conditions d’emploi de la demanderesse avant d’être publiée et disponible. Je ne puis souscrire à cet argument. La demanderesse reconnaît le vaste pouvoir législatif qu’a le Conseil du Trésor de modifier ses conditions d’emploi, mais elle ne souligne aucune disposition ou affaire qui donne à penser que le Conseil du Trésor est obligé de les afficher sur son site web. J’ai déjà décidé que la demanderesse a droit à une réponse correcte si elle demande quelles sont les conditions qui s’appliquent à son emploi. Quoi qu’il en soit, la demanderesse n’était pas au courant de la PTCCD ou de la DRE au moment de prendre sa décision et elle ne peut manifestement pas prétendre s’être fondée sur elles.

 

[72]           Subsidiairement, la demanderesse admettrait que le Conseil du Trésor pouvait étendre l’application de la PTCCD, mais elle indique que les analystes principaux ont peut-être pensé à tort que la demanderesse était membre de l’unité de négociation quand ils ont informé l’OTC que la PTCCD s’appliquerait à elle. Cependant, comme il n’existe aucune preuve à l’appui de cette possibilité, il ne s’agit de rien de plus qu’une simple conjecture. Il n’existe aucune preuve que des employés se trouvant dans une situation semblable ont été traités d’une manière différente.

 

[73]           En bref, la demanderesse n’a pas produit assez de preuves pour montrer que le président de l’OTC s’est trompé en affirmant que la PTCCD s’appliquait bel et bien à elle. Pour les motifs qui précèdent, je ne ferais pas droit au contrôle judiciaire pour ce motif.

 

 

[74]           La question en litige no 3

            Dans l’affirmative, était-il raisonnable de confirmer que la politique avait été appliquée à juste titre à la demanderesse?

            Comme je l’ai décidé plus tôt, il convient de contrôler la décision du président de l’OTC en fonction de norme de la décision correcte. Autrement dit, si la demanderesse peut établir qu’on a enfreint la politique faisant partie des conditions de son emploi, la Cour ne fera pas preuve de retenue à l’égard d’une décision contraire rendue par un gestionnaire supérieur.

 

[75]           En soutenant que la PTCCD n’a pas été suivie, la demanderesse fait référence non pas à un manquement exprès aux dispositions de la PTCCD, mais à la mauvaise foi apparente de l’employeur, qui l’a exclue du lieu de travail le plus rapidement possible, un geste qui est contraire à l’esprit et à l’objet de cette politique.

 

[76]           Il ressort clairement du dossier que plusieurs erreurs administratives ont été commises en rapport avec les dates figurant dans la lettre de licenciement initiale remise à la demanderesse le 15 octobre 2008. Ce fait, et cela est compréhensible, a aggravé le sentiment d’anxiété et de frustration de la demanderesse. Le licenciement d’un employé de longue date et d’un rang élevé est souvent difficile et, dans le cas présent, pour ajouter à une situation déjà stressante, ce licenciement ne s’est pas déroulé de façon harmonieuse.

 

[77]           L’employeur a contrarié encore plus la demanderesse en disant qu’elle avait démissionné parce qu’elle avait décidé d’accepter un règlement en espèces en guise et lieu de préavis.

 

[78]           À mon avis, ces maladresses auraient eu plus de poids dans une action en congédiement injustifié. Mais la demanderesse ne prétend pas avoir été congédiée de façon injustifiée. En substance, on lui a donné le choix de prendre un congé rémunéré pendant toute la période de préavis ou d’opter pour l’un des deux types d’offres d’indemnité de départ en guise et lieu de préavis. La seule doléance de la demanderesse à cet égard est celle de savoir s’il était raisonnable pour le président de l’OTC de confirmer que la PTCCD a été appliquée d’une manière appropriée.

 

[79]           J’ai lu en entier le texte de la politique. Celle-ci est rédigée en des termes relativement généraux et, à mon avis, elle offre aux employeurs un degré raisonnable de latitude. Voyons maintenant les arguments précis de la demanderesse.

 

[80]           Selon la demanderesse, la conduite de l’OTC a été conçue pour la forcer à quitter le lieu de travail le plus rapidement possible et cela contredit l’objet déclaré de la PTCCD, qui est d’« offrir aux cadres de direction touchés un poste d’une durée indéterminée dans la fonction publique ». Je ne suis pas d’accord. Aucune des options offertes n’avait trait au maintien de la demanderesse au sein du lieu de travail, mais cela n’est pas contraire à la PTCCD. La première option comprenait un congé rémunéré pendant la période de préavis, assorti de droits de priorité et d’une aide pour trouver un autre poste dans la fonction publique. C’est la demanderesse qui a décidé de ne pas retenir cette option et qui a choisi un règlement en espèces.

 

[81]           Ensuite, la demanderesse soutient que le délai fixé pour faire un choix parmi les options imposées dans la lettre du 15 octobre 2008 était une violation de la PTCCD. Là encore, je ne suis pas d’accord. Rien dans la politique n’interdit d’agir ainsi. D’un point de vue pratique, il est préférable de ne pas laisser de telles questions s’étirer indéfiniment. On lui a accordé un délai de trois semaines pour se décider.

 

[82]           Enfin, la demanderesse fait valoir que la PTCCD n’autorise pas l’employeur à considérer qu’un employé a choisi la première option. Je ne suis pas d’accord. La PTCCD ne le dit pas précisément, mais elle indique clairement que l’attente implicite est qu’un employé licencié se cherche un autre poste dans la fonction publique. Un règlement en espèces ne doit être offert que si l’employé touché décide de ne pas rester dans la fonction publique.

 

[83]           À mon avis, il n’existait aucun fondement pour sous-entendre que le président de l’OTC s’était trompé en confirmant que la PTCCD avait été appliquée convenablement. Je ne ferais pas droit à la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[84]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[85]           À cause de la question de savoir quelle politique s’appliquait à la situation de la demanderesse, aucune ordonnance ne sera rendue quant aux dépens.

 


 

JUGEMENT

 

[86]           LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            2.         Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE

 

Les dispositions législatives applicables

 

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C., 1985, ch. F-11

 

7.(1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

 

[. . .]

 

e) la gestion des ressources humaines de l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi;

 

 

[. . .]

 

11.1(1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e) :

 

a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;

 

 

[. . .]

 

 

f) élaborer des lignes directrices ou des directives sur l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi aux administrateurs généraux de l’administration publique centrale, ainsi que les rapports que ceux-ci doivent préparer sur l’exercice de ces pouvoirs;

 

[. . .]

 

j) régir toute autre question, notamment les conditions de travail non prévues de façon expresse par le présent article, dans la mesure où il l’estime nécessaire à la bonne gestion des ressources humaines de la fonction publique.

 

7.(1) The Treasury Board may act for the Queen’s Privy Council for Canada on all matters relating to

 

. . .

 

(e) human resources management in the federal public administration, including the determination of the terms and conditions of employment of persons employed in it;

 

. . .

 

11.1(1) In the exercise of its human resources management responsibilities under paragraph 7(1)(e), the Treasury Board may

 

 

(a) determine the human resources requirements of the public service and provide for the allocation and effective utilization of human resources in the public service;

 

. . .

 

 

(f) establish policies or issue directives respecting the exercise of the powers granted by this Act to deputy heads in the core public administration and the reporting by those deputy heads in respect of the exercise of those powers;

 

 

. . .

 

(j) provide for any other matters, including terms and conditions of employment not otherwise specifically provided for in this section, that it considers necessary for effective human resources management in the public service.

 

 

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, 2003, ch. 22, art. 12 et 13

 

64.(1) L’administrateur général peut, conformément aux règlements de la Commission, mettre en disponibilité le fonctionnaire dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d’une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l’extérieur des secteurs de l’administration publique fédérale figurant aux annexes I, IV ou V de la Loi sur la gestion des finances publiques; le cas échéant, il en informe le fonctionnaire.

64.(1) Where the services of an employee are no longer required by reason of lack of work, the discontinuance of a function or the transfer of work or a function outside those portions of the federal public administration named in Schedule I, IV or V to the Financial Administration Act, the deputy head may, in accordance with the regulations of the Commission, lay off the employee, in which case the deputy head shall so advise the employee.

 

 

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5

 

39.(1) Le tribunal, l’organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s’opposent à la divulgation d’un renseignement, tenus d’en refuser la divulgation, sans l’examiner ni tenir d’audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), un « renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada » s’entend notamment d’un renseignement contenu dans :

 

a) une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil;

 

b) un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil;

 

 

 

c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;

 

d) un document employé en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;

 

 

e) un document d’information à l’usage des ministres sur des questions portées ou qu’il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l’objet des communications ou discussions visées à l’alinéa d);

 

 

f) un avant-projet de loi ou projet de règlement.

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), « Conseil » s’entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.

 

39.(1) Where a minister of the Crown or the Clerk of the Privy Council objects to the disclosure of information before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information by certifying in writing that the information constitutes a confidence of the Queen’s Privy Council for Canada, disclosure of the information shall be refused without examination or hearing of the information by the court, person or body.

 

(2) For the purpose of subsection (1), “a confidence of the Queen’s Privy Council for Canada” includes, without restricting the generality thereof, information contained in

 

(a) a memorandum the purpose of which is to present proposals or recommendations to Council;

 

(b) a discussion paper the purpose of which is to present background explanations, analyses of problems or policy options to Council for consideration by Council in making decisions;

 

(c) an agendum of Council or a record recording deliberations or decisions of Council;

 

(d) a record used for or reflecting communications or discussions between ministers of the Crown on matters relating to the making of government decisions or the formulation of government policy;

 

(e) a record the purpose of which is to brief Ministers of the Crown in relation to matters that are brought before, or are proposed to be brought before, Council or that are the subject of communications or discussions referred to in paragraph (d); and

 

(f) draft legislation.

 

 

(3) For the purposes of subsection (2), “Council” means the Queen’s Privy Council for Canada, committees of the Queen’s Privy Council for Canada, Cabinet and committees of Cabinet.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1913-08

 

INTITULÉ :                                       SHELLEY APPLEBY-OSTROFF

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 3 MAI 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dougald E. Brown

 

POUR LA DEMANDERESSE

Richard E. Fader

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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