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Date : 20100311

Dossier : T-1943-06

Référence : 2010 CF 279

[TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2010

En présence de madame la juge Hansen

 

ENTRE :

 

BERNARD VINCENT CAMPBELL, SHARLE EDWARD WIDENMAIER,

LENARD ROY LINK et WILLIAM A. HEIDT

 

demandeurs

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

le MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Les défendeurs déposent la présente requête écrite en adjudication des dépens pour toutes les mesures prises dans le cadre du présent recours collectif projeté jusqu’au moment où la Cour, dans la décision 2009 CF 30, a fait droit à la requête des demandeurs en vue de faire approuver le désistement de l’instance. Les défendeurs réclament leurs dépens en vertu de la partie 11 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), subsidiairement, en vertu de l’article 334.39 des Règles ou, subsidiairement encore, à l’encontre des avocats des demandeurs eux-mêmes.

 

[2]        Les défendeurs sont d’avis qu’en tant que parties contre lesquelles une action a été engagée et a ensuite fait l’objet d’un désistement au sens de l’article 402 des Règles, ils ont droit prima facie à leurs dépens. Ils font valoir que le régime « sans dépens » dont il est question à l’article 334.39 des Règles ne s’applique pas car l’action n’a jamais été autorisée et n’est donc jamais devenue un recours collectif. Ils soutiennent qu’au stade préalable à l’autorisation, l’affaire est une action ordinaire.

 

[3]        Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que si l’article 334.39 des Règles s’applique effectivement, ce ne devrait être qu’aux mesures qui se rapportent aux requêtes en autorisation et aucune autre mesure ne devrait être exclue. Cependant, ils sont également d’avis que les circonstances de l’espèce justifient une adjudication de dépens en vertu des exceptions établies aux alinéas 334.9(1)a), b) et c) des Règles.

 

[4]        Les demandeurs contestent la caractérisation des défendeurs selon laquelle, avant le stade de l’autorisation, un recours collectif projeté est une action ordinaire. Un tel recours ne devient une action ordinaire que si le tribunal refuse d’autoriser l’action comme recours collectif. À l’appui de leurs dires, les demandeurs invoquent les décisions Logan c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] O.J. no 418, paragraphes 11 et 13, (C. sup. Ont.) et Hoffman c. Monsanto Canada Inc., 2002 SKQB 190, le juge Smith, au paragraphe 19.

 

[5]        Les demandeurs soutiennent qu’il y a de solides raisons de principe pour exclure les recours collectifs du régime ordinaire des dépens, notamment l’accès à la justice. L’adjudication de dépens dans ces circonstances, soutiennent-ils, aurait un effet paralysant sur le dépôt de recours collectifs au sein de la Cour fédérale.

 

[6]        La question centrale qui se pose dans la présente requête est la mesure dans laquelle, si mesure il y a, s’applique la disposition dite « sans dépens », soit l’article 334.39 des Règles, à la partie 5.1 des Règles qui régissent les recours collectifs. Le texte de cette disposition est le suivant :

 

334.39 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les dépens ne sont adjugés contre une partie à une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, à un recours collectif ou à un appel découlant d’un recours collectif, que dans les cas suivants :

a) sa conduite a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

b) une mesure prise par elle au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été effectuée de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

c) des circonstances exceptionnelles font en sorte qu’il serait injuste d’en priver

la partie qui a eu gain de cause.

334.39 (1) Subject to subsection (2), no costs may be awarded against any party to a motion for certification of a proceeding as a class proceeding, to a class proceeding or to an appeal arising from a class proceeding, unless

 

(a) the conduct of the party unnecessarily lengthened the duration of the proceeding;

 

(b) any step in the proceeding by the party was improper, vexatious or unnecessary or was taken through negligence, mistake or excessive caution; or

 

 

(c) exceptional circumstances make it unjust to deprive the successful party of costs.

 

 

[7]        Avant d’examiner les affaires sur lesquelles se fondent les parties, il convient de signaler qu’il n’y a eu au sein de la présente Cour aucune décision sur la question qui est soulevée dans la présente requête. Cependant, le paragraphe 37(1) - la disposition « sans dépens » (« no costs ») - de la British Columbia Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50, a été pris en considération dans un certain nombre de décisions rendues dans cette province. Le paragraphe 37(1) et le paragraphe 334.39(1) des Règles ne sont pas libellés de manière identique, mais, pour les besoins de la présente requête, il n’y a pas de différence marquante entre les deux. Le texte du paragraphe 37(1) est le suivant :

 

[traduction]

37 (1) Sous réserve du présent paragraphe, ni la Cour suprême ni la Cour d’appel ne peuvent adjuger les dépens à toute partie à une requête en autorisation en vertu du paragraphe 2 (2) ou de l’article 3 à un recours collectif ou à un appel découlant d’un tel recours à n’importe quel stade de la demande, de l’instance ou de l’appel.

 

[8]        À l’appui de leur argument selon lequel, au stade préalable à l’autorisation, l’affaire est une action ordinaire, les défendeurs se fondent sur un certain nombre de décisions de la Colombie-Britannique : Smith c. Canada (Attorney General), 2006 BCCA 407; Consumers' Assn. of Canada c. Coca-Cola Bottling Co., 2007 BCCA 356, au paragraphe 12; Killough c. Canadian Red Cross Society, [1998] B.C.J. no 3019, au paragraphe 15; Edmonds v. Actton Super-Save Gas Stations Ltd., [1996] B.C.J. no 2051, au paragraphe 4.

 

[9]        Dans l’arrêt Smith, pour ce qui est de la question des dépens à adjuger à la suite du rejet d’un appel d’une décision radiant une action engagée sous le régime de la Class Proceedings Act, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fait remarquer, au paragraphe 6 de sa décision, qu’étant donné que l’action avait été radiée avant l’autorisation [traduction] « elle n’avait pas franchi le seuil du régime sans dépens ». Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Consumers, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a indiqué ce qui suit, au paragraphe 12 :

[traduction] La Class Proceedings Act offre aux demandeurs une protection contre les ordonnances de dépens, mais pas avant la demande d’autorisation. La loi ne donne aucune instruction à la Cour quant à l’adjudication des dépens si l’instance est rejetée avant la demande d’autorisation. Il s’ensuit que dans les cas où l’action est rejetée avant la demande d’autorisation, c’est la règle ordinaire qui s’applique, c’est-à-dire que les dépens suivront l’issue de la cause.

 

[10]      Dans la décision Killough, au paragraphe 15, le juge Smith signale :

[traduction] À mon sens, l’article 37 ne s’applique pas en l’espèce. Le paragraphe (1) porte sur les dépens liés à la demande d’autorisation. Nous n’avons pas encore traité de ce point. Le paragraphe (2) traite des dépens engagés dans le cadre d’un recours collectif, et il ressort clairement de l’article 2 de la Loi qu’il n’y a recours collectif qu’après qu’une ordonnance d’autorisation a été rendue en vertu du paragraphe (2). Selon moi, nous avons affaire à ce stade à une action ordinaire, et ce sont les règles ordinaires qui devraient s’appliquer.

 

[11]      Enfin, dans la décision Edmonds, au paragraphe 4, le juge Brenner (plus tard juge en chef), indique ceci :

[traduction] Pour ce qui est de l’argument selon lequel la Cour devrait tenir compte de l’article 37 de la Class Proceedings Act, il est évident à mes yeux que cette disposition ne s’applique et n’entre en vigueur qu’une fois que la Cour est saisie d’une demande d’autorisation en vertu de la loi. Avant le début de l’audition d’une requête en autorisation, le litige est un litige ordinaire et il est régi par les règles de la Cour.

 

[12]      Comme il a été mentionné plus tôt, les demandeurs se fondent sur la décision Logan, rendue en Ontario, et la décision Hoffman, rendue en Saskatchewan, pour étayer la thèse selon laquelle un recours collectif projeté ne devient une action ordinaire que si le tribunal refuse d’autoriser l’action comme recours collectif. Dans Logan, le juge Winkler (plus tard juge en chef) a expressément rejeté la thèse des défendeurs selon laquelle [traduction] « […] un recours collectif n’est entamé qu’une fois que l’action a été autorisée et, avant cela, l’instance n’est qu’une action individuelle ». Dans Hoffman, le juge Smith a fait écho à la même opinion.

 

[13]      Selon moi, les décisions rendues en Colombie-Britannique n’étayent pas la prétention des défendeurs selon laquelle le régime « sans dépens » n’entre pas en jeu avant que l’action ait été autorisée. La déclaration faite dans l’arrêt Smith, à savoir qu’avant l’autorisation ce sont les règles ordinaires en matière de dépens qui s’appliquent, doit être lue dans le contexte dans lequel elle a été formulée. La Cour d’appel faisait référence avec approbation aux propos du juge Smith, dans Killough, où il concluait que l’article 37 ne s’appliquait pas dans cette affaire parce qu’il n’y avait pas eu de demande d’autorisation et que l’affaire n’était pas un recours collectif. Dans l’arrêt Consumers, la Cour d’appel n’a pas dit que si l’action n’était pas autorisée, c’étaient les règles ordinaires qui s’appliquaient. La Cour d’appel, comme dans Edmonds, une décision antérieure, a conclu plutôt que la loi n’accordait aux demandeurs aucune protection contre une adjudication de dépens faite avant le dépôt de la demande d’autorisation.

 

[14]      Pour trancher la question principale qui se pose en l’espèce, il n’est pas nécessaire de décider si, selon les Règles, avant l’autorisation comme recours collectif, une action est une action ordinaire. La prétention des défendeurs contredit également les dispositions du paragraphe 334.39(1) des Règles. Le libellé de l’article 334.39 est bien clair : il exclut expressément une adjudication de dépens en rapport avec la requête en autorisation.

 

[15]      Dans leurs observations, les défendeurs font également valoir que [traduction] « même si l’exception dite sans dépens s’applique à la présente affaire, la façon dont les demandeurs ont décidé de conduire et d’abandonner cette affaire a été telle qu’il serait injuste de ne pas adjuger les dépens au Canada ». Ils soutiennent aussi que, comme la Cour d’appel l’a déclaré dans Smith, au paragraphe 7, les dépens sont un moyen approprié d’éviter les actions irrégulières ou sans espoir. Ils citent les exceptions mentionnées aux alinéas 334.39a), b) et c) des Règles. Cet argument, à mon avis, est mal fondé. Ces exceptions n’ont trait qu’aux trois situations mentionnées dans cet article et ne peuvent servir de fondement à une adjudication de dépens pour d’autres mesures prises dans le cadre d’une action. En ce qui concerne les dépens que les défendeurs ont engagés dans le cadre de la requête en autorisation, même si celle-ci n’a jamais été tranchée pour les motifs indiqués dans mes décisions antérieures, à l’époque où cette requête a été déposée et où le travail a été fait par les parties, il s’agissait d’une mesure appropriée et opportune dans l’instance. Comme je l’ai indiqué dans mes motifs antérieurs, s’il y a eu abus de procédure, celui-ci découle de l’action déposée en Saskatchewan et c’est à cet endroit là qu’il faudrait soulever la question.

 

[16]      Quant aux autres mesures prises avant le désistement, aux termes de l’article 402 des Règles, une partie contre laquelle une action a été engagée et a fait ensuite l’objet d’un désistement, sauf ordonnance contraire de la Cour, a droit aux dépens. Bien que je sois consciente du principe important qui sous-tend un régime « sans dépens », soit un accès aux tribunaux pour les parties potentielles qui n’ont peut-être pas les ressources pécuniaires voulues, un choix délibéré a été fait au moment de l’adoption des règles de la présente Cour en matière de recours collectif pour limiter la protection contre les dépens aux trois situations qui sont exposées à l’article 334.39. Il m’est impossible de conclure que les circonstances de la présente affaire justifient que l’on s’écarte de l’article 402 des Règles. Cela dit, il est inutile d’examiner les arguments additionnels que les défendeurs ont avancés au sujet de leur droit aux dépens.

 

[17]      Les défendeurs sollicitent l’adjudication d’une somme globale de 73 500 $ au titre des honoraires, plus des débours de 61 184,08 $, soit un total de 137 676,59 $. Selon leur projet de mémoire de dépens, ils ont calculé le montant des honoraires en prenant pour base la fourchette supérieure de la colonne V. Ils demandent subsidiairement une adjudication d’honoraires taxables calculés selon la colonne V du tarif B, plus les débours, conformément au projet de mémoire de dépens soumis à la Cour. Il convient également de noter que ces sommes englobent les honoraires et les débours liés à la requête en autorisation.  

 

[18]      Les défendeurs soutiennent que, pour la fixation des dépens, les facteurs que comportent les alinéas a), b), g) et i), les sous-alinéas k)(i) et (ii), et l’alinéa o) du paragraphe 400(3) des Règles sont particulièrement pertinents en l’espèce. Ils sont également d’avis qu’il est préférable d’adjuger une somme forfaitaire, car cette mesure est en général plus efficace et permet aux parties d’éviter une dépense additionnelle de temps et de ressources.

 

[19]      Il ne fait aucun doute que la présente instance est un litige complexe. Les faits allégués s’étendent sur plusieurs décennies et ont lieu dans plusieurs endroits géographiques, les demandeurs présumés ne se trouveront vraisemblablement pas dans une situation semblable soit en droit, soit dans les faits, et les questions juridiques sont complexes. Ces mêmes considérations créent une charge de travail accrue. Quant à l’issue de l’instance, j’ai déjà fait certaines remarques sur ce facteur dans mes décisions antérieures et il n’est nul besoin de les réitérer ici.

 

[20]      Cela dit, je ne suis pas convaincue que ce litige en particulier et les facteurs susmentionnés justifient une adjudication de dépens qui soit fondée sur la fourchette supérieure de la colonne V. De plus, compte tenu de l’analyse qui précède, les défendeurs n’ont pas droit à leurs dépens pour la requête en autorisation. Je signale également que dans certains des éléments réclamés, la comparution n’avait pas uniquement trait à des questions autres que la requête en autorisation. Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne les débours relatifs à des éléments tels que les services de transcription, les services de messageries, les recherches faites par Internet et les photocopies, il a été impossible de déterminer avec une certitude quelconque la mesure dans laquelle certains des débours ont été engagés en rapport avec la requête en autorisation.

 

[21]      Même si ces remarques donnent à penser que les dépens doivent être tranchés lors de la taxation, à mon avis, vu l’historique de l’espèce, il est préférable d’adjuger une somme forfaitaire. Pour fixer le montant des honoraires, j’ai passé en revue chacun des éléments réclamés et je suis arrivée à la conclusion qu’il convient d’adjuger les dépens en se fondant sur la fourchette supérieure de la colonne IV et la fourchette inférieure de la colonne V. J’ai également pris en considération le succès limité des défendeurs dans le cadre de la requête en désistement. Quant aux débours, notamment ceux dans lesquels il est impossible de discerner avec exactitude ceux d’entre eux qui ont été engagés dans le cadre de la requête en autorisation, je les ai répartis entre la requête en autorisation et les autres mesures. Je suis consciente qu’il ne s’agit pas là d’un calcul exact mais, selon moi, cela dépasse de loin la dépense additionnelle de temps et de ressources qui serait associée à une taxation.

 

[22]      En conséquence, des dépens d’un montant de 60 000 $, débours inclus, seront adjugés. À mon avis, la Cour a été saisie de preuves insuffisantes pour imputer cette adjudication de dépens aux avocats des demandeurs eux-mêmes.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que : les demandeurs paieront aux défendeurs des dépens d’un montant de 60 000 $, débours compris.

« Dolores M. Hansen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1943-06

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            BERNARD VINCENT CAMPBELL, SHARLE EDWARD WIDENMAIER, LENARD ROY LINK ET WILLIAM A. HEIDT c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE HANSEN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

E.F. Anthony Merchant, c.r.

Casey Churko

 

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Coughlan

Peter Barber

Jaxine Oltean

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group LLP

Régina (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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