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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20100412

Dossier : IMM-5422-08

Référence : 2010 CF 386

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2010

En présence de Monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

OLEKSANDR ANTONOVIVH MIKHNO

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]        Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration (l’agente), en date du 29 octobre 2008, qui lui a refusé le droit de présenter, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, sa demande de résidence permanente alors qu’il se trouve au Canada, une demande qui est fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]        Le demandeur voudrait :

            1.      que soit rendue une ordonnance annulant la décision qui a rejeté sa demande de dispense d’application de l’article 11 de la Loi, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, présentée en vertu du paragraphe 25(1) en vue d’obtenir la résidence permanente, ou, subsidiairement;

            2.      que soit rendu un jugement déclaratoire disant qu’il répond aux conditions du paragraphe 25(1) de la Loi pour une dispense d’application de l’article 11 et disant que sa demande de résidence permanente peut être traitée au Canada en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire ou, subsidiairement;

            3.      que l’affaire soit renvoyée à Citoyenneté et Immigration Canada et/ou à toute autre autorité compétente, et qu’il soit ordonné à la même formation, ou à une autre formation de Citoyenneté et Immigration Canada, ou à toute autre autorité compétente, de déclarer qu’il répond aux conditions du paragraphe 25(1) de la Loi pour une dispense d’application de l’article 11, et de déclarer que sa demande de résidence permanente sera traitée au Canada même, en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire;

            4.      que soit rendue une ordonnance renvoyant l’affaire à l’autorité compétente pour nouvelle décision par un autre agent, conformément au droit.

 

Le contexte

 

[3]        Le demandeur est Ukrainien. Il est arrivé au Canada en 2000, puis a demandé l’asile en alléguant son statut de personne juive. Son ex-épouse et sa fille demeurent en Ukraine. En décembre 2002, sa demande d’asile a été rejetée. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’était pas juif, ni perçu comme juif. Le demandeur n’a pas contesté cette décision.

 

[4]        Le demandeur n’a pas quitté le Canada, mais s’y est plutôt installé. En fait, au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il dit qu’il s’est maintenant bien adapté à la vie au Canada et qu’il se heurterait à d’importantes difficultés s’il était contraint de retourner en Ukraine.

 

[5]        La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été présentée en juin 2003, mais a été mise à jour pas plus tard qu’en 2008.

 

[6]        En 2006, le demandeur a sollicité une évaluation des risques avant renvoi (ERAR), qui elle aussi était fondée sur les risques courus par les personnes juives en Ukraine. En décembre 2008, le demandeur a reçu les décisions rejetant sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ainsi que sa demande d’ERAR. Il a sollicité le contrôle judiciaire de ces décisions.

 

[7]        Le demandeur dit qu’il a commencé à travailler comme mécanicien d’automobiles au cours du mois qui a suivi son arrivée au Canada, et qu’il a travaillé pour deux employeurs dans ce domaine jusqu’en 2005, année où il a lancé sa propre entreprise comme entrepreneur de bâtiment. Il n’a pas produit de documents concernant son entreprise, mais il a déclaré un revenu de 29 991 $ en 2007. Il affirme aussi avoir fait du travail bénévole pour le Centre communautaire juif russe.

 

[8]        Le demandeur a épousé une résidente permanente en octobre 2007 et a produit son contrat de bail comme preuve de leur cohabitation.

 

[9]        La décision de l’agente rejetant sa demande prenait en compte à la fois son degré d’établissement au Canada et à la fois les difficultés possibles qu’il connaîtrait s’il était renvoyé en Ukraine.

 

[10]      S’agissant de son niveau d’établissement au Canada, l’agente a pour l’essentiel admis son témoignage selon lequel il occupait un emploi rémunérateur et s’était bien intégré dans le monde du travail au Canada, mais elle a relevé que son expérience de travail au Canada et son expérience antérieure lui permettraient de se réinstaller en Ukraine, où il ne serait pas privé de références culturelles et linguistiques. L’agente faisait aussi observer qu’il était sans permis de travail au Canada depuis 2006 et que cela démontrait une indifférence aux lois canadiennes.

 

[11]      L’agente a estimé que le demandeur avait encore d’importants liens familiaux en Ukraine. Elle a pris note de son mariage et de son désir déclaré d’avoir un enfant, mais elle a pris note aussi du manque de preuve sur la nature de sa relation. Il n’y avait aucun parrainage, ni même une lettre de soutien provenant de sa nouvelle épouse. L’agente faisait aussi observer qu’il s’était marié alors qu’il connaissait son statut au regard de l’immigration, ainsi que l’éventualité d’une séparation. Au total, l’agente a estimé que les éléments attestant un niveau d’établissement ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[12]      S’agissant des risques que comportait le retour en Ukraine du demandeur en tant que personne juive, l’agente a trouvé qu’il n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque personnalisé pouvant être assimilé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Elle a relevé que, même si le demandeur avait produit une preuve de la situation générale ayant cours en Ukraine, il n’avait pas expliqué en quoi la preuve documentaire générale intéressait son cas personnel. L’agente a finalement pris en compte les autres preuves produites par le demandeur, ainsi que les conclusions de la Commission touchant son témoignage et sa crédibilité. Pour finir, l’agente a passé en revue les preuves additionnelles se rapportant aux conditions ayant cours dans le pays, des preuves qui faisaient état de cas de racisme et des moyens pris par le gouvernement pour y remédier.

 

[13]      L’agente a finalement conclu que, globalement, la preuve ne donnait pas à penser qu’il existait des motifs suffisants d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une dispense d’application du paragraphe 11(1) de la Loi.

 

Les points litigieux

 

[14]      Les points litigieux sont les suivants :

            1. Quelle est la norme de contrôle?

            2. L’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de révision?

 

Les conclusions écrites du demandeur

 

[15]      Une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire confère à son auteur le droit à une décision équitable et impartiale, et en accord avec les objectifs de la Loi. L’agent examinateur a l’obligation de tenir compte de toutes les sources possibles de difficultés que pourrait connaître le demandeur.

 

[16]      Dans son examen des difficultés que le demandeur risquait de connaître en Ukraine, l’agente a commis une erreur parce qu’elle s’est concentrée sur des points soulevés devant la Commission, plutôt que sur les points soulevés par le demandeur dans sa demande d’ERAR. Plus précisément, elle a mal interprété ou mal étudié les affidavits et lettres des amis et proches parents du demandeur, ainsi que les dossiers d’information sur le pays qui faisaient état d’atteintes aux droits de la personne. Elle a également préféré la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas juif, plutôt que le témoignage d’un ami d’enfance qui a dit qu’il l’était. Elle a aussi fautivement contesté l’authenticité d’une autre lettre en lui attribuant une faible valeur probante. C’était là une contestation indirecte de la crédibilité du demandeur, et cela aurait justifié la tenue d’une audience.

 

[17]      L’agente a aussi commis des erreurs dans l’évaluation du niveau d’établissement du demandeur au Canada. Elle n’a pas suffisamment tenu compte de l’effet que son départ du Canada aurait sur son épouse. Elle est peut-être une spécialiste de l’évaluation des risques, mais elle n’est pas une spécialiste de l’évaluation des difficultés affectives.

 

Les conclusions écrites du défendeur

 

[18]      Une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est déraisonnable que si elle ne comporte aucune analyse pouvant justifier la conclusion de l’agent, ou si la décision de l’agent n’appartient pas à la gamme des issues possibles acceptables. Les décisions de cette nature sont tributaires des faits et font intervenir plusieurs facteurs. Les tribunaux ne doivent pas s’immiscer dans le poids qu’un agent d’immigration a accordé aux divers facteurs.

 

[19]      Selon le défendeur, les difficultés fondées sur le risque allégué ont été raisonnablement évaluées par l’agente. Le demandeur a fait les mêmes allégations que celles auxquelles avait répondu la Commission, mais il n’a produit aucune preuve de nature à invalider ses conclusions. Par exemple, la Commission n’avait pas jugé le demandeur très crédible. Or le demandeur n’a produit aucune preuve de nature à réfuter cette conclusion. L’agente a elle aussi jugé que la preuve produite par le demandeur n’était pas concluante sur la question de son statut de juif. Elle a aussi relevé à juste titre que la preuve documentaire générale ne disait rien des circonstances personnelles du demandeur, et le demandeur n’avait pas, là non plus, donné d’explications. S’agissant de la crédibilité du demandeur, la tenue d’une audience n’était pas requise.

 

[20]      La manière dont l’agente a évalué le niveau d’établissement du demandeur était elle aussi raisonnable. L’agente a tenu compte de tous les liens du demandeur avec le Canada, ainsi que de son niveau d’établissement au Canada, et il était loisible à l’agente de dire que, globalement, une décision favorable ne s’imposait pas.

 

Analyse et décision

 

[21]      Le point n° 1

Quelle est la norme de contrôle?

            La norme de contrôle des décisions portant sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, [1999] A.C.S. n° 39 (QL)).

 

[22]      Les conclusions de fait tirées dans une décision de cette nature, si elles sont contestées, sont revues selon la norme de contrôle prévue par l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

[23]      Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. n° 12 (QL), la Cour suprême du Canada évoquait récemment l’incidence de cette directive du législateur :

46     De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales.

 

Une conclusion de fait tirée par l’agente ne sera donc invalidée que si le demandeur établit que c’est une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l’agente disposait.

 

[24]      Le point n° 2

            L’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de révision?

            L’article 25 de la Loi constitue un régime spécial et additionnel qui permet à un étranger d’obtenir, pour des motifs d’ordre humanitaire, une dispense d’application des lois canadiennes sur l’immigration qui sont par ailleurs d’application universelle. Si le législateur confère au ministre un pouvoir discrétionnaire élevé, c’est pour lui donner toute latitude de donner son approbation dans les cas qui le justifient et qui ne sont pas envisagés dans la Loi.

 

[25]      Le rejet d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne revient pas à déterminer ce que sont ou ne sont pas les droits de l’auteur de la demande. L’auteur d’une telle demande sollicite un avantage discrétionnaire prenant la forme d’une dispense spéciale d’application de la règle officielle selon laquelle toute personne qui veut être admise au Canada doit présenter sa demande de résidence permanente avant d’entrer au Canada. Le demandeur d’une telle dispense est donc astreint à une preuve rigoureuse et doit persuader la Cour que le rejet de sa demande faite en vertu de l’article 25 était injustifié (voir la décision Gautam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 686, aux paragraphes 9 et 10, 167 F.T.R. 124, le juge Evans).

 

[26]      Le rejet ultime de la demande de dispense ne sera infirmé par la cour qui effectue le contrôle, en raison de son caractère déraisonnable, que si l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie :

            1.      Il n’existe aucune analyse sensée qui soit apte à justifier la conclusion de l’agent; ou

            2.      La conclusion de l’agent n’entre pas dans l’éventail des issues possibles acceptables.

(Voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] A.C.S. n° 9 (QL), au paragraphe 47; Thandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, [2008] A.C.F. n° 623 (QL), au paragraphe 7; Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, [2008] A.C.F. n° 601 (QL), au paragraphe 32).

 

[27]      Pour tenter d’établir que l’une ou l’autre des conditions ci-dessus est remplie, un demandeur peut en premier lieu pointer une erreur apparente ou une mauvaise interprétation apparente dans les motifs écrits de l’agent. Mais la cour qui effectue le contrôle partira du principe que les motifs écrits de l’agent d’immigration n’ont pas à être parfaits et n’ont pas à résister à un examen microscopique (voir l’arrêt Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration), [1974] R.C.S. 875).

 

[28]      Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême soulignait également la nature non judiciaire des décisions portant sur l’existence ou non de motifs d’ordre humanitaire, et la préséance du fond sur la forme dans la communication des motifs de la décision au demandeur (paragraphes 43 et 44).

 

[29]      S’il prouve l’existence d’une erreur, d’une omission ou d’une mauvaise interprétation, le demandeur ne se sera pas pour autant acquitté de son obligation de persuasion. Autrement dit, une erreur simpliciter ne sera pas une erreur susceptible de révision si c’est la norme de la décision raisonnable qui est appliquée. Le demandeur doit finalement établir que l’une des conditions susmentionnées est remplie avant que la cour qui effectue le contrôle ne puisse intervenir.

 

[30]      Après un examen attentif de la décision et des pièces à l’appui, je suis arrivé à la conclusion que le demandeur n’a rempli ni l’une ni l’autre des conditions susmentionnées et qu’il n’a pas démontré que la décision est entachée d’une erreur.

 

[31]      La première erreur entachant la décision, d’après le demandeur, est le fait que l’agente s’est référée à la décision de la Commission. Ce n’était pas là une erreur. L’agente aurait été négligente dans l’accomplissement de sa tâche si elle ne s’était pas exprimée sur les motifs mêmes pour lesquels la Commission avait jugé que le demandeur n’était pas exposé à la persécution en Ukraine.

 

[32]      Il était prudent et raisonnable de la part de l’agente de tenir compte du témoignage du demandeur à la lumière des conclusions de la Commission pour voir si les doutes de la Commission avaient été dissipés ou si la situation du demandeur avait changé.

 

[33]      Le principal doute de la Commission concernait la crédibilité du demandeur. Plus précisément, elle n’a pas cru qu’il était juif comme il le prétendait. Il était loisible à l’agente d’estimer que la question qui lui était soumise était une question de preuve plutôt que de crédibilité. Or, le demandeur n’a produit sur ce point aucune preuve objective de ses antécédents. L’agente a bien examiné la lettre de Liliana Tomovic, une amie d’enfance du demandeur, lettre qui ne faisait que répéter l’affirmation du demandeur selon laquelle il était d’origine juive. Cependant, il était loisible à l’agente d’accorder peu de valeur à la lettre, puisqu’elle ne venait pas d’une source désintéressée et puisqu’elle ne renfermait par ailleurs aucun renseignement nouveau et semblait se limiter à répéter les dires du demandeur. Selon moi, le demandeur n’a donné à la Cour aucune raison ne serait-ce que de soupçonner que l’agente a commis une erreur en préférant la conclusion de la Commission.

 

[34]      La deuxième erreur entachant la décision selon le demandeur est que l’agente a mal interprété la preuve corroborante. Il n’y a eu aucune mauvaise interprétation. Manifestement, l’agente a compris ce que les lettres disaient et en quoi elles étayaient les conclusions du demandeur. En fait, le demandeur n’allègue pas une telle erreur, mais conteste la valeur probante accordée aux lettres par l’agente.

 

[35]      La valeur que l’agente attribue à une preuve matérielle relève totalement de son pouvoir d’appréciation. Il s’agit là d’une conclusion de fait qui ne sera annulée que si elle est jugée abusive ou arbitraire.

 

[36]      Comme je l’ai déjà dit, l’agente avait des raisons valides d’accorder peu de valeur probante à la lettre de Liliana Tomovic. Rien ne permet d’affirmer que son appréciation a été abusive ou arbitraire. L’agente a aussi accordé peu de valeur probante à la lettre de l’ex-épouse du demandeur en Ukraine. Là encore, elle exposait ainsi les motifs de cette conclusion : l’auteur était une partie intéressée, la lettre évoquait un cas de persécution mais ne disait pas qui étaient les agresseurs, et elle ne disait rien non plus des raisons du harcèlement. L’agente faisait observer aussi qu’on ne lui avait présenté qu’une traduction de la lettre, mais aucune preuve démontrant que la lettre avait été envoyée d’Ukraine.

 

[37]      Un autre décideur aurait pu choisir d’accorder davantage de valeur aux lettres, mais le demandeur n’a exposé à la Cour aucune raison pouvant la conduire à dire que la conclusion tirée par l’agente dans le cas présent était abusive ou arbitraire au point de justifier l’intervention de la Cour.

 

[38]      La troisième erreur alléguée par le demandeur concerne l’appréciation des difficultés que connaîtrait son épouse s’il devait retourner en Ukraine. Cependant, l’agent qui examine une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas à tenir compte des difficultés que pourrait connaître toute personne autre que le demandeur et les enfants dont il a la charge. Néanmoins, il semble que l’agente s’est appliquée à évaluer la relation du demandeur avec son épouse. Elle a fait observer que, même si le demandeur avait produit une preuve documentaire attestant leur mariage et leur cohabitation, il n’était pas établi que l’épouse connaîtrait des difficultés s’il devait partir. L’épouse n’avait produit aucun témoignage et n’avait pas parrainé le demandeur dans la procédure d’immigration. L’agente n’a pas commis d’erreur du seul fait qu’elle a évoqué ces aspects.

 

[39]      Globalement, l’agente a admis que le demandeur s’était établi au Canada, comme on l’imaginerait pour quiconque a passé huit ans ici, mais elle n’a pas trouvé que ce niveau d’établissement justifiait une dispense particulière d’application des règles. La conclusion était dans l’ensemble raisonnable.

 

[40]      Finalement, le demandeur a contesté la manière dont l’agente avait apprécié les conditions ayant cours en Ukraine, en affirmant que sa conclusion globale était déraisonnable. Selon moi cette contestation n’a aucun fondement. Comme pour les autres aspects de la décision, les conclusions de l’agente concernant les conditions ayant cours dans le pays étaient des conclusions de fait. L’agente s’est référée à juste titre à la preuve documentaire qui révélait qu’il y avait eu une recrudescence des actes de violence contre des personnes en raison de leurs opinions religieuses, mais elle a également bien expliqué sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé qu’il serait probablement exposé en Ukraine à un risque personnalisé assimilable à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Il ne suffit pas au demandeur de souligner la preuve contraire et d’affirmer que le décideur aurait dû statuer en sa faveur.

 

[41]      Bien qu’il n’ait pas avancé cet argument explicitement en tant que question distincte, le demandeur a fait valoir que l’agente aurait dû lui accorder une audience. Selon moi, cependant, la crédibilité du demandeur n’était pas dans cette affaire un aspect essentiel au point de justifier la tenue d’une audience.

 

[42]      La crédibilité de témoignages est toujours et sera toujours problématique dans le cadre de l’évaluation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les questions de crédibilité n’exigeront pas toujours qu’une audience ait lieu. Un agent peut avec raison conclure, sans tenir une audience, que le demandeur n’a tout simplement pas produit une preuve suffisante pour confirmer un fait. Ce sera le cas en particulier lorsque la question pourrait être facilement résolue au moyen d’une preuve écrite ou documentaire à l’appui.

 

[43]      Ainsi que l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Baker :

34     Je conviens que la tenue d’une audience n’est pas une exigence générale pour les décisions fondées sur des raisons d’ordre humanitaire. Il n’est pas indispensable qu’il y ait une entrevue pour exposer à un agent d’immigration les renseignements relatifs à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et pour que les raisons d’ordre humanitaire présentées puissent être évaluées de façon complète et équitable. En l’espèce, l’appelante a eu la possibilité d’exposer par écrit, par l’entremise de son avocat, sa situation, celle de ses enfants et leur dépendance émotive vis-à-vis d’elle, et de présenter à l’appui de sa demande des lettres d’un travailleur social de la Société d’aide à l’enfance et de son psychiatre. Ces documents étaient à la disposition des décideurs, et ils contenaient les renseignements nécessaires pour la prise de décision. Compte tenu de tous les facteurs pertinents pour évaluer le contenu de l’obligation d’équité, le fait qu’il n’y a pas eu d’audience ni d’avis d’audience ne constituait pas, selon moi, un manquement à l’obligation d’équité procédurale envers Mme Baker dans les circonstances, particulièrement en raison du fait que plusieurs des facteurs militaient en faveur d’une norme plus souple. La possibilité qui a été offerte à l’appelante et à ses enfants de produire une documentation écrite complète relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commandait l’obligation d’équité en l’espèce.

 

 

[44]      Les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire n’exigeront donc pas en général la tenue d’une audience à moins que la question de la crédibilité ne soit essentielle et qu’elle ne puisse être résolue autrement que par une évaluation faite en la présence de l’intéressé.

 

[45]      L’agente a effectivement mis en doute l’authenticité de la lettre envoyée d’Ukraine, mais il est difficile de voir en quoi une audience aurait pu régler la question. Si la preuve attestant l’authenticité de la lettre existait, alors le demandeur aurait pu la produire. Pareillement, s’il existait une preuve étayant davantage les difficultés qu’allait connaître l’épouse du demandeur, le demandeur aurait pu, et aurait dû, la produire.

 

[46]      Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[47]      Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé que soit certifiée une question grave de portée général.

 

JUGEMENT

 

[48]      LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John A. O’Keefe »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Les dispositions légales suivantes sont reproduites dans la présente section.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

11.(1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

[. . .]

 

25.(1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

[. . .]

 

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

11.(1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

. . .

 

25.(1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

. . .

 

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7

 

18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

[. . .]

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

18.1(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

. . .

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5422-08

 

INTITULÉ :                                       OLEKSANDR ANTONOVIVH MIKHNO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 FÉVRIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 12 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LE DEMANDEUR

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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