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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100505

Dossier : IMM‑5163‑09

Référence : 2010 CF 497

Toronto (Ontario), le 5 mai 2010

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

SALVADOR MONROY NIEVES,

INGRID NAOMI MONROY MORELOS,

CAROLINA MORELOS FRANCO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande a trait à une demande d’asile présentée en application de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) par un homme et son épouse, qui ont fui le Mexique pour venir au Canada avec leur fille pour échapper au risque d’être tués. Devant la Section de la protection des réfugiés (SPR), la crédibilité du demandeur principal n’a pas été mise en cause relativement au témoignage qu’il a donné à l’appui de sa demande. Je reproduirai donc la décision de la SPR, qui a décidé que les faits sur lesquels la demande repose sont les suivants :    

 [2]       Salvador Monroy Nieves, âgé de 30 ans, est citoyen du Mexique. Sa femme, Carolina Morelos Franco, et leur fille, Ingrid Naomi Monroy Morelos, sont également citoyennes du Mexique. Leur dernier domicile au Mexique était à Acambaro, dans l’État de Guanajuato.

 

[3]        Le demandeur d’asile est membre de la police municipale d’Acamabaro depuis dix ans. Le 4 juillet 2006, le groupe de policiers dont il faisait partie a arrêté Hector Mejia Romero, alias El Piteco. Il s’est avéré que M. Mejia, qui avait des liens avec les cartels de la drogue, était recherché par l’Agence fédérale d’enquêtes (Agencia Federal de Investigación (AFI) en vertu d’un mandat non exécuté. M. Mejia a proposé au demandeur d’asile de payer pour sa mise en liberté, mais il s’est vu refuser son offre. Par la suite, il a été emmené dans une prison à sécurité maximale.

 

[4]        Le demandeur d’asile a commencé à recevoir des menaces de mort contre lui et sa famille. Après un certain temps, tous les policiers qui avaient participé à l’arrestation de M. Mejia, et qui avaient reçu à leur tour des menaces de mort, ont connu une mort violente. Craignant pour la sécurité de sa famille, le demandeur d’asile a demandé et obtenu la protection de la police. Toutefois, lorsqu’un nouveau directeur a été nommé, la protection a pris fin. Le demandeur d’asile n’a pas redemandé la protection de la police. Il est venu au Canada avec sa famille.

 

 

[2]               La SPR a rejeté la demande d’asile au motif que le demandeur principal n’avait pas fait des efforts suffisants pour obtenir la protection de l’État avant de fuire le Mexique. Les passages clés de la décision soumise au contrôle en ce qui concerne cette conclusion sont les suivants :

[22]                On a demandé au demandeur d’asile ce qu’il aurait fait, à titre de chef des forces policières, si un civil avait signalé une situation semblable et que le suspect se trouverait toujours en prison. Il a répondu qu’il aurait trouvé un moyen de garder le suspect en prison. On lui a demandé d’expliquer quelle était la différence dans son cas et pourquoi il n’a pas fait des efforts pour garder le suspect en prison. Il a répondu que la différence était qu’il craignait qu’il arrive quelque chose à sa fille. Même si la réponse donnée pourrait être considérée comme raisonnable, le tribunal conclut que la réponse à la question suivante est insatisfaisante. On a demandé au demandeur d’asile pourquoi il n’avait pas signalé cette situation à l’AFI. Il a répondu qu’il avait beaucoup de mal à réfléchir à l’époque, qu’il voulait seulement protéger sa famille. Le tribunal souligne que l’AFI et d’autres organismes comme la Police préventive fédérale (Policía Federal Preventiva) (PFP) et la police judiciaire mènent des enquêtes sous les ordres des ministères publics et sont chargés de protéger les citoyens du Mexique, y compris la femme et la fille du demandeur d’asile.

[En italique dans l’original.]

 

[23]                Le tribunal conclut que, compte tenu des renseignements fournis par le témoignage du demandeur d’asile et d’autres éléments probants qui indiquent les activités criminelles du suspect, alors qu’il était encore détenu, le défaut du demandeur d’asile de s’adresser aux autorités compétentes du Mexique signifie qu’il n’a pas épuisé tous les recours possibles au pays avant de demander l’asile.

 

[24]                La décision du demandeur d’asile de s’enfuir avant que la police ait eu l’occasion d’enquêter adéquatement sur les crimes rapportés n’équivaut pas à une absence de protection de l’État.

[25]                En l’espèce, rien d’indique que les autorités mexicaines ne feraient pas d’efforts véritables pour enquêter sur les allégations du demandeur d’asile et arrêter l’auteur des crimes allégués si elles disposaient des renseignements que le demandeur d’asile avait présentés au tribunal. La décision du demandeur d’asile de quitter le Mexique peut avoir entraîné la libération d’un criminel renommé, vu qu’à titre de victime survivante, celui‑ci était un témoin clé. Il s’agissait d’un facteur important dans la conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur d’asile n’a pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir la protection de l’État avant de demander la protection internationale.

[26]                De plus, la Commission a examiné les efforts que le demandeur d’asile a faits pour communiquer les renseignements à une autre autorité compétente et a conclu que celui‑ci avait signalé les incidents à son supérieur, Juan Joel Ruiz Troncoso, le directeur de la police municipale. M. Ruiz lui a fait savoir qu’il avait reçu des renseignements selon lesquels un détenu avait surpris une conversation entre M. Mejia, arrêté par le demandeur d’asile, et un autre détenu au sujet du projet de meurtre de la famille du demandeur d’asile.

[27]                Le demandeur d’asile a demandé et obtenu immédiatement la protection de la police. Selon celui‑ci, deux policiers ont été dépêchés devant son domicile. Les policiers étaient chargés de la protection de sa femme et de sa fille. Toutefois, après la nomination d’un nouveau directeur de la police municipale, Pedro Gutierrez Avila, le 14 juin 2008, les policiers chargés de protéger la famille du demandeur d’asile ont été réaffectés à d’autres tâches. Selon le demandeur d’asile, il a demandé au nouveau directeur d’assurer la protection de sa famille, mais sa demande a été rejetée.

[28]      Le demandeur d’asile a déclaré que, même s’il craignait pour la sécurité de sa femme et de sa fille, il n’a pas fait part de sa préoccupation à une autre autorité compétente. Lorsqu’il a été questionné sur ses raisons, il a dit que le directeur de la police municipale détenait le poste le plus élevé dans la hiérarchie de la police et que personne d’autre n’allait accueillir une demande que celui‑ci avait rejetée. Le tribunal constate que, selon la preuve documentaire[1], les forces de sécurité mexicaines sont décrites comme étant hiérarchiques, ce qui permet d’avoir recours à un niveau plus élevé si un plaignant est insatisfait des services fournis à d’autres niveaux.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[3]               Il est important de souligner que les menaces de mort ont été proférées non seulement contre le demandeur principal, mais aussi contre son épouse et sa fille. D’après la preuve produite à la SPR, cet élément a joué un rôle déterminant dans la manière dont le demandeur principal s’est comporté alors. En droit, la SPR était tenue de prendre en considération le témoignage du demandeur principal — dans lequel ce dernier a expliqué ses actions dans le détail — pour déterminer s’il était objectivement raisonnable qu’il n’ait pas tenté d’obtenir une protection accrue auprès des autorités de son pays (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 584 (C.A.F.). À mon avis, la SPR ne s’est pas acquittée de son obligation. En fait, j’estime que les extraits soulignés des passages précités rendent la décision manifestement déraisonnable.

 

[4]               En ce qui concerne le paragraphe 22, la SPR a rejeté la réponse du demandeur parce que l’AFE, par exemple, aurait été en mesure de protéger son épouse et leur fille. Lorsqu’elle a tiré sa conclusion, la SPR n’a pas pris en considération l’explication complète du demandeur selon laquelle :

[traduction]

COMMISSAIRE : Oui. Mais la question que je vous pose – Je veux simplement m’assurer que lorsque vous considériez la sécurité de votre famille, lorsque vous pensiez à elle, était‑ce en fonction du fait que vous ne pouviez le signaler à l’AFE parce que cela prendrait du temps et que, dans l’intervalle, votre famille serait en danger? Est‑ce là le contexte dans lequel vous avez pris votre décision?

 

DEMANDEUR : Lorsque j’ai constaté que mon propre directeur ne m’appuyait pas, j’ai été très déçu. J’ai pensé qu’il fallait que je protège ma famille.

 

COMMISSAIRE : Alors, à partir de ce moment‑là, vous avez commencé à penser à partir?

 

DEMANDEUR : Oui. J’avais déjà planifié qu’il fallait que je trouve un endroit sûr avec ma famille.

 

COMMISSAIRE : Alors demander l’aide de l’AFE ou d’une autre agence au Mexique n’était plus une priorité pour vous?

 

DEMANDEUR : De nombreuses – de nombreuses personnes de l’AFE se sont jointes au cartel de drogues. Je pensais, je me demandais ce qui se passerait si je signalais cela à une personne de l’AFE qui avait déjà été corrompue par le cartel.

 

COMMISSAIRE : Alors vous songiez à en faire rapport à l’AFE?

 

DEMANDEUR : Cela m’est venu à l’esprit. De nombreuses choses me sont venues à l’esprit.

 

(Dossier du Tribunal, pages 313 et 314)

 

 

 

[5]               En ce qui concerne le paragraphe 23, si les « autorités compétentes » étaient la force policière dont le demandeur principal était un membre, elles étaient certainement au courant du risque de mort auquel les demandeurs étaient exposés. Si les « autorités compétentes » étaient l’AFE, pourquoi le demandeur signalerait‑il sa situation à une personne corrompue qui serait en mesure d’empirer les choses? La SPR n’a pas répondu à une telle question.  

 

[6]               En ce qui concerne le paragraphe 25, sur la question relative à la protection de l’État, la SPR critique le demandeur principal parce qu’il a quitté le Mexique et parce qu’il n’y est pas resté pour témoigner dans le but de tenter de maintenir le criminel en détention. À mon avis, il s’agit d’une conclusion particulièrement injuste et inappropriée étant donné l’importance des menaces dont le demandeur et sa famille faisaient l’objet. La question est la suivante : pourquoi serait‑il objectivement déraisonnable pour le demandeur principal de se concentrer sur la sécurité de sa famille lorsqu’il a quitté le Mexique plutôt qu’en y restant, et lorsqu’il a risqué la vie de sa famille dans l’espoir de maintenir le criminel en détention d’une manière quelconque? La SPR devait trouver une réponse à cette question et fournir des motifs convaincants à l’appui de cette réponse.  Elle n’a certainement pas surmonté cette difficulté.

 

[7]               En ce qui concerne le paragraphe 28, il est manifestement déraisonnable de s’attendre — en l’absence d’un raisonnement concret étayé par la preuve — à ce qu’en sa qualité de policier menacé de mort, le demandeur ait été tenu de s’adresser à une autorité policière plus élevée que son supérieur, qui venait à peine de révoquer sa protection. On n’a fourni aucun raisonnement de ce genre, et on n’a soulevé aucune raison objective de rejeter la déclaration du demandeur selon laquelle aucune autorité supérieure n’existait pour lui en particulier étant donné la preuve de la corruption de la police.

 

[8]               En guise de conclusion supplémentaire, la SPR a décidé que le demandeur principal et sa famille avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mexico. Sur cette question, le demandeur principal a témoigné que Mexico ne représentait pas un lieu de réinstallation possible en raison de l’existence d’un registre national contenant les noms des anciens policiers et des policiers en fonction ainsi que leurs adresses, et du fait que les criminels sauraient comment s’en servir pour le retrouver. La SPR n’a pas admis la preuve du demandeur principal concernant l’existence du registre, au motif que : « Il n’y a aucune mention de ce registre national des services policiers dans la preuve documentaire » (paragraphe 38). Étant donné le témoignage du demandeur principal selon lequel le registre existe, je conclus que cette déclaration constitue une conclusion défavorable sur la crédibilité qui va à l’encontre du droit bien établi : la SPR a l’obligation d’énoncer en des termes clairs et non équivoques, en renvoyant clairement à la preuve, les raisons pour lesquelles elle soulève un doute sur la crédibilité du demandeur (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.); (Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 81 F.T.R. 303, au paragraphe 14). En conséquence, je conclus que la conclusion relative à la PRI constitue une erreur susceptible de révision.

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La décision visée par la demande de contrôle est infirmée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

Aucune question n’est certifiée.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5163-09

 

 

INTITULÉ :                                       SALVADOR MONROY NIEVES

INGRID NAOMI MONROY MORELOS

CAROLINA MORELOS FRANCO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE        

L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       Le 4 mai 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              Le juge Campbell

 

 

DATE DES MOTIFS :                              Le 5 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maureen Silcoff

 

POUR LES DEMANDEURS

Neal Samson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silcoff

Avocate et procureur

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1]               Pièce R/A-1, point 2.1, États-Unis, 25 février 2009, Département d’État, Mexique - Country Reports of Human Rights Practices for 2008 [rapports nationaux sur les pratiques des droits de l'homme – 2008].

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