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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100513

Dossier : T-788-09

Référence : 2010 CF 529

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

ISABELLE ARCAND

demanderesse

et

 

COOPÉRATIVE ABIWYN INC.

défenderesse

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]         La Cour est saisie de la présente demande en application des articles 14 et 16 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, P‑8.6 (la Loi), relativement à deux rapports que le Commissariat à la protection de la vie privée (le Commissariat) a transmis les 31 mars et 5 mai 2009, et qui font suite, dans les deux cas, à une plainte dont la demanderesse a saisi le Commissariat.

 

[2]         La demanderesse demande ceci :

         1.          Une ordonnance contraignant la défenderesse à revoir ses pratiques de façon à se conformer au point 4 des principes et aux articles 5 à 10 de la Loi;

         2.            Une ordonnance contraignant la défenderesse à publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques et se conformer à la Loi;

         3.            Une ordonnance contraignant la défenderesse à verser à la demanderesse des dommages‑intérêts de 30 000 $, notamment en réparation de la souffrance psychologique et de l’humiliation subies;

         4.            Les dépens de la demanderesse dans la présente demande;

         5.            Toute autre mesure de réparation que la Cour estime juste.

 

Le contexte

 

[3]         Les parties à la présente demande se sont opposées dans le cadre de plaintes, de litiges et de différends découlant d’incidents survenus en 2005 et avant. À la fin de l’année 2006, elles ont conclu un règlement dans le cadre duquel la demanderesse s’est engagée à renoncer à toute autre réclamation. La Cour est appelée à déterminer si la défenderesse peut faire appliquer cette renonciation pour empêcher tout autre octroi de dommages‑intérêts en l’espèce.

 

[4]         La défenderesse est une coopérative de logement sans but lucratif située à Ottawa (Ontario), constituée sous le régime des lois de l’Ontario conformément à la Loi sur les sociétés coopératives, L.R.O. 1990, ch. C.35 (la Loi sur les coopératives). La demanderesse y a résidé de 1993 à 2007.

 

[5]         Par suite d’un litige né entre les parties, le conseil d’administration de la défenderesse a intenté des procédures d’éviction contre la demanderesse conformément aux modalités énoncées dans la Loi sur les coopératives. Le 21 avril 2005, la défenderesse a remis à la demanderesse un avis de convocation afin qu’elle se présente devant le conseil le 3 mai 2005.

 

[6]         C’est à cette époque que la demanderesse a retenu les services d’un avocat à qui elle a confié la tâche de lui fournir des conseils juridiques et de représenter ses intérêts dans le cadre des procédures d’éviction. Le 2 mai 2005 ou vers cette date, l’avocat a écrit à la défenderesse pour lui demander de reporter la réunion du conseil fixée au 3 mai 2005 pour des raisons médicales. Il a joint deux notes du médecin de la demanderesse à sa demande.

 

[7]         Le conseil a refusé l’ajournement demandé et, le 3 mai 2005, a voté en faveur de l’éviction de la demanderesse. Cette dernière a interjeté appel de la décision du conseil aux membres de la défenderesse, attirant leur attention sur les notes du médecin. La défenderesse a informé la demanderesse ainsi que son avocat qu’une assemblée générale des membres serait tenue le 26 mai 2005 pour trancher son appel. Le 16 mai 2005, la défenderesse a distribué un avis de réunion extraordinaire des membres à environ 100 de ses membres. La trousse contenait des copies des deux notes du médecin de la demanderesse. Cette dernière n’a pas apprécié que des renseignements médicaux la concernant soient distribués à de nombreuses personnes. Ni elle ni son avocat ne se sont présentés à la réunion du 26 mai 2005, au cours de laquelle son éviction a été maintenue.

 

[8]         La demanderesse a fait valoir que son éviction était inappropriée étant donné les circonstances, et elle a refusé de quitter les lieux. La défenderesse a par la suite intenté devant la Cour supérieure de l’Ontario une action en exécution de l’éviction. Le 16 décembre 2005, la demanderesse a déposé une défense et une demande reconventionnelle, faisant valoir que la défenderesse l’avait harcelée, qu’elle avait refusé de répondre à ses besoins liés à un handicap et qu’elle avait endommagé ses effets personnels pendant les 13 années au cours desquelles elle avait été locataire. Dans cette défense, la demanderesse a décrit des incidents spécifiques de harcèlement et de mauvaise gestion par les membres du conseil et le personnel de la défenderesse et a fait mention également, en des termes explicites, de l’incident relatif aux notes du médecin. Dans un paragraphe concluant sa défense, la demanderesse a dit ceci :

[traduction]

[39.] Mme Arcand plaide et invoque le Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. H‑19, et ses modifications, la Loi sur les sociétés coopératives, L.R.O. 1990, ch. C.35, et ses modifications, et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, et ses modifications.

 

 

[9]         Dans sa demande reconventionnelle, la demanderesse a réclamé des dommages‑intérêts pour le préjudice subi et la dégradation de ses effets personnels et de son appartement, des dommages‑intérêts généraux pour angoisse et détresse psychologiques découlant du harcèlement et de la discrimination que lui ont fait subir le conseil d’administration et le personnel de la défenderesse ainsi que des dommages‑intérêts punitifs pour les années d’une inconduite qu’elle a qualifiée de scandaleuse.

 

[10]     Dans une réponse et une défense à la demande reconventionnelle, la défenderesse a nié toutes les allégations faites par la demanderesse et a nié notamment toute responsabilité pour angoisse et détresse psychologiques.

 

[11]     Le 7 octobre 2005, la demanderesse a déposé devant le Commissariat une plainte concernant la violation de sa vie privée (la plainte en matière de vie privée). Le 16 janvier 2006, le Commissariat a envoyé des lettres et à la demanderesse et à la défenderesse pour les informer qu’une enquête avait été ouverte. L’avocat de la défenderesse à cette époque a fait parvenir des observations au Commissariat le 13 février 2006. La défenderesse a fait valoir qu’elle avait simplement suivi ses politiques internes, lesquelles étaient conformes à la Loi sur les coopératives.

 

[12]     Le 30 octobre 2006, la demanderesse et la défenderesse ont conclu une entente de règlement (le règlement) aux termes de laquelle, notamment, la demanderesse a touché une indemnisation pécuniaire en retour de son engagement de quitter les lieux de la coopérative et de signer une renonciation entière et définitive (la renonciation).

 

[13]     Les parties ne s’entendent pas sur les effets de cette renonciation. La demanderesse allègue qu’au cours des négociations, on lui a demandé de mettre un terme à sa plainte en matière de vie privée, ce qu’elle a explicitement refusé de faire. Elle allègue également avoir eu l’impression que le règlement et la renonciation avaient été rédigés de manière qu’elle puisse donne suite à sa plainte en matière de vie privée. La défenderesse n’est pas d’accord.

 

[14]     Le 31 mars 2009, le Commissariat a publié un rapport de conclusions. Il y a conclu qu’il y avait eu violation de la vie privée de la demanderesse et a recommandé à la défenderesse de modifier ses règlements administratifs et sa politique sur la vie privée afin de mentionner clairement qu’elle obtiendra à l’avenir le consentement explicite du membre en cause avant de divulguer des renseignements personnels délicats le concernant. Le Commissariat a dit être d’avis que, grâce à ces modifications, les documents en question seraient conformes aux points 4.3, 4.3.4 et 4.3.6 des principes énoncés dans la Loi.

 

[15]     La défenderesse a modifié ses règlements administratifs en conséquence, ce dont elle a informé le Commissariat le 17 avril 2009. Le 5 mai 2009, le Commissariat a répondu qu’il était [traduction] « satisfait des mesures prises en réponse aux recommandations ».

 

[16]     Le 29 avril 2009, par l’intermédiaire de sa nouvelle avocate, la demanderesse a fait parvenir à la défenderesse une lettre dans laquelle elle a exigé une indemnisation relativement au rapport et a fait allusion à la possibilité que la présente demande soit déposée. La défenderesse a refusé de payer, et la demanderesse a ensuite intenté la présente demande.

 

Les questions en litige

 

[17]     Les questions en litige sont les suivantes :

         1.          La demanderesse est‑elle empêchée par préclusion de déposer la présente demande en raison de l’entente de règlement et de la renonciation que les parties ont signées?

         2.       Dans la négative, quels sont les dommages‑intérêts, le cas échéant, auxquels la demanderesse a droit?

 

Les observations écrites de la demanderesse

 

[18]     La demanderesse soutient que le règlement ne visait pas la violation de la Loi par la défenderesse et qu’il ne concernait que les procédures d’éviction engagées par la défenderesse. Il n’y est nulle part fait mention de la plainte en matière de vie privée, alors que la défenderesse savait qu’une telle plainte avait été déposée. Les actes de procédure de la demanderesse ne mentionnent pas non plus de cause d’action spécifique relativement à la violation à la Loi.

 

[19]     La demanderesse soutient qu’elle a pris soin de ne pas renoncer à son droit de donner suite à la plainte en matière de vie privée et qu’en donnant suite à cette plainte elle a montré la manière dont elle avait compris les termes du règlement et de la renonciation. En fait, la défenderesse a pris part à la plainte en matière de vie privée et n’a pas tenté de faire exécuter le règlement, ce qui révèle qu’elle considérait aussi que la plainte en matière de vie privée était distincte du litige. Au mieux, il y avait désaccord entre les parties sur cette question.

 

[20]     À titre subsidiaire, la demanderesse prie la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel et de refuser d’appliquer la préclusion au motif que le règlement ne prévoyait pas une indemnisation suffisante pour l’humiliation subie et qu’il crée donc une injustice.

 

[21]     La violation de la Loi par la défenderesse était grave. Les actions de la défenderesse violaient également la Loi sur les sociétés coopératives et le Code des droits de la personne de l’Ontario. La demanderesse a subi une détresse psychologique importante et continue par suite de la violation de la défenderesse, qui a permis à d’autres membres de la coopérative de faire des hypothèses sur la demanderesse, de répandre des stéréotypes à son égard ou de la calomnier d’une autre façon. La demanderesse estime que sa réputation est entachée à jamais et craint également que certains des documents distribués par la défenderesse puissent être encore en circulation, puisque les trousses ont été distribuées à 100 membres et qu’elles n’ont jamais été toutes récupérées. La demanderesse a à juste titre droit à une indemnisation.

 

Les observations écrites de la défenderesse

 

[22]     La défenderesse soutient que la présente demande est un abus de procédure, qu’elle est vexatoire et qu’elle doit être rejetée. La présente instance porte atteinte au sens de franc‑jeu et de décence de la collectivité.

 

[23]     La renonciation signée par la demanderesse visait la mesure de réparation même dont elle fait la demande aujourd’hui et elle fermait complètement la porte à toute autre [traduction] « réclamation, demande ou plainte ». D’autres renonciations structurées de manière semblable n’ont pas été limitées strictement dans leur application aux demandes faites dans le cadre de l’affaire dont découlait la renonciation en cause. Le passage [traduction] « la défenderesse retire toute plainte et action découlant de sa qualité de membre … », qui figure dans la renonciation, interdisait clairement à la demanderesse de donner suite à sa plainte en matière de vie privée et de tenter subséquemment de faire exécuter une décision fondée sur cette plainte.

 

[24]     En ce qui concerne l’intention des parties, le critère est objectif. Il n’y a aucune preuve qui étaye la prétention de la demanderesse selon laquelle elle a donné pour instruction à son avocat de rédiger la renonciation de manière à y omettre la plainte en matière de vie privée, ni aucune preuve objective de son intention. Si elle avait effectivement donné cette instruction à son avocat, elle aurait eu une cause potentielle d’action contre lui. Après la signature du règlement et de la renonciation, la défenderesse n’avait aucune raison de prendre quelque mesure que ce soit, jusqu’à ce que la demanderesse tente d’obtenir une indemnisation dans sa lettre de demande du 29 avril 2009; la défenderesse a immédiatement fait appliquer la renonciation. Finalement, en affirmant que le règlement était déraisonnable, la demanderesse reconnaît implicitement que le règlement initial visait les mêmes dommages‑intérêts.

 

[25]     La défenderesse soutient que la demanderesse n’a présenté aucune preuve acceptable à l’appui de sa demande d’indemnisation. Le rapport du Commissariat ne donne naissance à aucun droit à première vue à l’octroi de dommages‑intérêts.

 

 

Analyse et décision

 

[26]     La première question en litige

         La demanderesse est‑elle empêchée par préclusion de déposer la présente demande en raison de l’entente de règlement et de la renonciation que les parties ont signées?

         Avant de déterminer le bien‑fondé de l’argument de la défenderesse selon lequel la demanderesse est empêchée par préclusion d’aller de l’avant, il est utile d’ajouter des précisions sur le type de demande en litige en l’espèce. Le paragraphe 14(1) et l’article 16 de la Loi sont libellés dans les termes suivants :

 

 

 

 

[27]     L’audience visée à l’article 14 ne constitue pas un contrôle judiciaire du rapport du Commissariat, mais elle permet l’examen de novo, devant la Cour, de « toute question qui a fait l’objet de la plainte » (voir Waxer c. McCarthy, 2009 CF 169, [2009] A.C.F. no 252 (QL), paragraphes 25 et 26).

 

[28]     L’article 14 confère à un demandeur le droit de s’adresser à la Cour aux fins de la tenue d’une audience si certaines conditions préalables sont réunies. Dans la présente affaire, la demanderesse a satisfait à ces conditions préalables. La communication des renseignements médicaux délicats de la demanderesse et l’humiliation que cette dernière en a subie sont des questions qui ont été abordées dans le rapport du Commissariat. En outre, lorsqu’il a traité de la plainte en matière de vie privée, le Commissariat a appliqué le point 4.3 des principes, lequel a trait au consentement, et a conclu que la défenderesse avait effectivement violé le droit de la demanderesse à la protection de sa vie privée.

 

[29]     La présente demande en vue de la tenue d’une audience sous le régime de l’article 14 ne constitue pas un abus de procédure. Comme il n’y a eu aucune autre audience fondée sur l’article 14 dans le présent dossier, c’est la première fois en l’espèce qu’un tribunal peut examiner les conclusions du Commissariat et, au besoin, y donner suite.

 

[30]     La demanderesse invite aussi la Cour à appliquer l’article 16 et, ainsi, à rendre diverses ordonnances en vertu des alinéas 16a) et b) et à lui accorder des dommages‑intérêts en vertu de l’alinéa 16c).

 

[31]     L’article 16 habilite les tribunaux à accorder un vaste éventail de mesures de réparation et envisage spécifiquement, à l’alinéa 16c), la possibilité que des dommages‑intérêts soient accordés en réparation d’une humiliation subie. La Loi ne clarifie pas davantage les dommages‑intérêts qui peuvent être accordés, laissant le soin aux notions de common law de combler ce vide. Essentiellement, l’alinéa 16c) crée une cause d’action d’origine législative – l’humiliation – et permet que des dommages‑intérêts calculés suivant les notions de common law et de responsabilité délictuelle soient accordés à un demandeur à condition que celui‑ci dépose d’abord une plainte en matière de vie privée, qu’il soit admissible par ailleurs à la tenue d’une audience en vertu de l’article 14 et que le rapport du Commissaire puisse confirmer les faits qui sont requis pour établir l’humiliation alléguée. À titre préliminaire, le législateur a laissé aux tribunaux le soin de déterminer les cas où une certaine mesure d’humiliation née d’un manquement à la Loi décrit dans un rapport du Commissaire justifie ce type de mesure de réparation.

 

[32]     Dans la présente affaire, il est à mon avis inutile de déterminer si l’humiliation, qui justifie l’octroi de dommages‑intérêts en vertu de l’alinéa 16c) de la Loi, doit être telle qu’elle peut être considérée comme étant un préjudice personnel, ainsi qu’on le requiert pour d’autres préjudices psychologiques en droit de la responsabilité délictuelle (voir Mustapha c. Culligan of Canada Ltd., [2008] 2 R.C.S. 114, 55 C.C.L.T. (3d) 36, [2008] A.C.S. no 27 (QL), paragraphes 8 à 10).

 

[33]     Cependant, étant donné le caractère non restrictif de l’alinéa 16c) et son renvoi implicite à la notion de dommages‑intérêts en common law, il convient que les tribunaux examinent des doctrines de la common law comme l’estoppel et l’abus de procédure qui, si elles sont établies, empêcheraient tout octroi de dommages‑intérêts.

 

[34]     Par contre, les alinéas 16a) et b) sont beaucoup plus liés au régime et au libellé particuliers de la Loi. Dans la présente affaire, la demande de réparation présentée par la demanderesse sous le régime de ces dispositions n’est pas écartée par la renonciation qu’elle a signée autant qu’elle est écartée du fait que cette demande serait sans objet et, à mon avis, vexatoire.

 

[35]     Le Commissariat a recommandé à la défenderesse de modifier ses règlements administratifs ainsi que sa politique sur la protection de la vie privée [traduction] « afin d’indiquer clairement qu’elle obtiendra à l’avenir le consentement explicite du membre en cause avant de divulguer des renseignements personnels délicats le concernant […] ». Je suis convaincu que la défenderesse a pris cette recommandation au sérieux, qu’elle a été franche avec le Commissariat et qu’elle a agi rapidement pour modifier ses politiques. Moins d’un mois plus tard, après avoir reçu de la correspondance de la défenderesse, le Commissariat a écrit ceci :

[traduction]

Vous avez indiqué que la Coopérative Abiwin a déjà adopté comme politique d’obtenir un consentement explicite à la distribution de renseignements personnels délicats dans le cadre d’instances qui peuvent mener au retrait de la qualité de membre et des droits d’occupation. Vous signalez également que la question de l’adoption en bonne et due forme des modifications proposées aux règlements administratifs est à l’ordre du jour de l’assemblée annuelle générale de la coopérative qui se tiendra en novembre 2009.

 

Pour cette raison, le Commissariat est satisfait des mesures prises en réponse à nos recommandations. Cependant, j’aimerais que vous me fassiez rapport de la décision du conseil sur la modification proposée au règlement administratif.

 

 

 

[36]     En fait, la demanderesse admet dans son mémoire, au paragraphe 42, que [traduction] « […] [la défenderesse] a accepté le résultat du rapport du Commissaire à la protection de la vie privée, et a mis en application ces recommandations du Commissariat ». En outre, le fait que la demanderesse ne réside plus dans un logement de la coopérative élimine la nécessité d’intervenir.

 

[37]     Il n’est pas nécessaire que la Cour rende une ordonnance en application des alinéas 16a) ou b).

 

[38]     Je me pencherai maintenant sur la demande de réparation fondée sur l’alinéa 16c).

 

[39]     À mon avis, il n’est pas nécessaire d’établir que la demanderesse est empêchée par préclusion d’obtenir des dommages‑intérêts. Le fait que la renonciation signée par la demanderesse en 2006 est exécutoire et qu’elle ferme la porte à sa réclamation en dommages‑intérêts fondée sur l’alinéa 16c) de la Loi est suffisant. Par cette renonciation, la défenderesse a tenté d’acheter et, à mon avis, a effectivement acheté une immunité contractuelle à l’égard de la demande aujourd’hui présentée contre elle.

 

[40]     Une renonciation est une clause contractuelle qui, souvent, limite la capacité d’une partie d’intenter une action à l’avenir, ou l’en empêche. Elle représente simplement un type de promesse qui peut être faite par écrit et à laquelle les règles générales du droit contractuel s’appliquent. La renonciation a été décrite également dans les termes suivants :

[traduction]

Selon la définition qu’en donne le Black’s Law Dictionary, cinquième édition, le mot anglais release [renonciation] désigne « l’abandon, la concession ou l’abdication d’un droit, d’une prétention ou d’un privilège par la personne qui en est le titulaire ou à qui il est dévolu, en faveur de la personne contre laquelle il aurait pu être invoqué ou exercé ». Les renonciations sont habituellement exécutées conformément à leur contenu. La partie qui veut se réserver ou exclure une prétention ou un droit précis doit l’exclure expressément du contenu de la renonciation générale […].

 

Keats c. Arditti, [2000] A.N.B. no 498 (QL), paragraphe 104

 

[41]     Dans la présente affaire, le sens des termes de la renonciation est en litige. Le libellé d’un contrat puise son sens dans le contexte dans lequel il s’inscrit ainsi que dans l’intention des parties. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 R.C.S. 129, [1998] A.C.S. no 59, paragraphe 54 :

[…] L’intention des parties contractantes doit être déterminée en fonction des mots qu’elles ont employés en rédigeant le document, éventuellement interprétés à la lumière des circonstances du moment […].

 

 

[42]     On a cependant déterminé que la portée d’une renonciation sera plus étroitement limitée aux éléments qui étaient envisagés par les parties au moment où la renonciation a été consentie (voir Hill c. Nouvelle‑Écosse (Procureur général), [1997] 1 R.C.S. 69, [1997] A.C.S. no 7 (QL), paragraphe 20). Il convient peut‑être d’interpréter les renonciations d’une manière un peu plus stricte que d’autres clauses contractuelles étant donné leur libellé habituellement général. Quoi qu’il en soit, les termes mêmes de la renonciation sont un bon indice de ce que les parties envisageaient (voir Ysselstein c. Tallon, [1992] O.J. no 881, 18 C.P.C. (3d) 110 (Div. gén.) paragraphes 59 à 61). Cette règle s’applique a fortiori lorsque la partie qui signe la renonciation était représentée par un avocat.

 

[43]     Pour déterminer ce que les parties se proposaient de faire, les tribunaux peuvent aussi examiner le contexte, y compris les circonstances entourant la signature du document et la preuve de l’intention des parties (voir Taske Technology Inc. c. PrairieFyre Software Inc., [2004] O.J. n6019, 3 B.L.R. (4th) 244 (C.S. Ont. (protonotaire)), paragraphe 25). Les tribunaux doivent examiner la seule preuve objective de l’intention. Les parties ne peuvent se fonder que sur leur propre preuve directe de ce qu’était leur intention. Le critère tient à ceci : quelle aurait été l’intention d’une personne raisonnable mise dans la situation des parties. Ce principe a été énoncé par le juge Whitten dans la décision Abundance Marketing Inc. c. Integrity Marketing Inc., 2002 Carswell Ont. 3273, [2002] O.T.C. 731 (C.A. Ont.) :

[traduction]

16     Cette analyse contextuelle, dans la mesure où elle aborde la question des intentions et des attentes des parties, doit être objective. Lord Wilberforce, dans l’arrêt Reardon Smith Lime Ltd. c. Hansen-Tangen (1976) 3 All E.R. 570 (H.L.), a dit ceci à la page 574 :

 

Lorsqu’il est question des intentions des parties au contrat, il faut s’exprimer en des termes objectifs - les parties ne peuvent elles‑mêmes témoigner directement sur ce qu’étaient leurs intentions; il faut déterminer ce que l’on peut considérer comme étant l’intention qu’une personne raisonnable aurait eue si elle avait été mise dans la situation des parties. De même, lorsqu’il est question d’objectif ou d’objet, ou de fin commerciale, il faut s’exprimer objectivement sur l’intention qu’aurait eue une personne raisonnable dans la situation des parties ». (Cité par le juge Wilkinson dans la décision Cinabar Enterprises Ltd. c. Bertelson, ibid. par. 51.)

 

 

[44]     À mon avis, une personne raisonnable mise dans la situation de la demanderesse aurait compris que la présente demande et la réclamation en dommages‑intérêts allaient parfaitement à l’encontre du libellé et de l’intention de la renonciation qui avait été signée. Le fait qu’il a été donné suite à la plainte en matière de vie privée devant le Commissariat n’y change rien, ni le fait que plus de trois années se sont écoulées.

 

[45]     Dans la présente affaire, j’accorderais beaucoup de poids aux termes de la renonciation, non seulement parce que les deux parties étaient en tout temps représentées par un avocat, mais également parce qu’elles disposaient d’un pouvoir de négociation à peu près égal et qu’elles ont corédigé le document.

 

[46]     Tout d’abord, la renonciation dans la présente affaire était intitulée [traduction] RENONCIATION COMPLÈTE ET DÉFINITIVE. Ce titre fait pencher en faveur d’une interprétation plus large de la renonciation (voir Taberner c. World Wide Treasure Adventures Inc., [1994] B.C.J. n1154, 45 B.C.A.C. 129 (QL), paragraphes 7 et 8). Cependant, même si l’on donne aux termes de la renonciation dans la présente instance leur sens ordinaire, les termes, à deux endroits distincts, visent le type de demande présentée dans la présente affaire.

 

[47]     Premièrement, au premier paragraphe, la renonciation prévoit que la demanderesse dégage la défenderesse de toute responsabilité à l’égard de [traduction] « toute action, cause d’action, réclamation […] demande de dommages‑intérêts, tous frais d’indemnisation, intérêts, pertes ou préjudices, de quelque nature qu’ils soient, prenant naissance de quelque manière que ce soit, que l’auteur de la renonciation pourrait avoir aujourd’hui ou à l’avenir du fait de l’action en justice no 05-CV-0314466 ».

 

[48]     Le premier paragraphe de la renonciation interdit la présente demande parce que celle‑ci découle de faits qui se sont déjà produits et qui ont fait l’objet du litige antérieur entre les parties. Dans cette action, la demanderesse a décrit en détail dans ses actes de procédure la divulgation des notes du médecin qui font l’objet de la présente demande et elle les a même reproduites. Elle y a fait valoir également que le conseil avait [traduction] « sciemment transmis aux membres de la coopérative des renseignements personnels et parfois mensongers ou trompeurs à son égard ». Dans ces mêmes actes de procédure, la demanderesse a présenté une demande reconventionnelle également pour [traduction] « dommages‑intérêts généraux de 25 000 $ pour l’angoisse et la détresse psychologiques causées par le harcèlement […] ». Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la demanderesse avait fait valoir également qu’elle invoquait les dispositions de la Loi.

 

[49]     L’avocate de la demanderesse a fait valoir avec fermeté devant moi que, bien que les actes de procédure de la demanderesse dans l’action précédente aient contenu ces éléments, la nature exacte de la présente demande n’avait pas été débattue, ni d’ailleurs aucune disposition de la Loi en particulier. La demanderesse soutient par conséquent que la présente demande n’était pas visée par la renonciation. Je ne suis pas d’accord. Il est vrai que la demanderesse n’a pas mentionné exactement quel incident ou quels incidents fondaient sa réclamation au titre de l’angoisse psychologique et qu’elle n’a pas précisé les dispositions de la Loi invoquées, mais elle ne peut aujourd’hui tirer profit de cette imprécision. Même si ni l’une ni l’autre partie n’avait envisagé la nature exacte de la présente demande, celle‑ci relèverait quand même de la portée des termes généraux du premier paragraphe de la renonciation, car le tort qui a été décrit dans l’action antérieure est le tort même pour lequel la demanderesse tente aujourd’hui d’obtenir des dommages‑intérêts.

 

[50]     Deuxièmement, j’en arrive à la conclusion que la présente réclamation en dommages‑intérêts était interdite en raison du troisième paragraphe de la renonciation, dont voici le texte :

[traduction]

SI LA RENONCIATRICE entreprend une instance mettant en cause toute réclamation, plainte ou demande contre les bénéficiaires de la renonciation pour toute cause, affaire ou chose se rapportant à des questions réglées dans la présente renonciation, celle‑ci peut être invoquée pour interdire une telle réclamation, demande ou plainte dans le cadre de l’instance.

 

 

[51]     La réclamation en dommages‑intérêts de la demanderesse présentée en vertu de l’alinéa 16c) pour l’humiliation subie par suite des actions de la défenderesse est clairement une « réclamation ou demande » pour toute « cause ou affaire » se rapportant à des questions réglées dans la renonciation.

 

[52]     Si l’on regarde au‑delà des termes de la renonciation, un examen plus soigné des circonstances entourant la signature n’est d’aucune utilité à la demanderesse. Cette dernière a été en tout temps très bien représentée par un avocat et, donc, elle ne peut pas plaider la défense non est factum. Ni ne peut‑elle prétendre qu’il faut écarter la renonciation en raison d’un pouvoir de négociation inégal. Étant donné que la demanderesse et la coopérative sans but lucratif étaient toutes deux représentées par un avocat, leurs chances étaient essentiellement égales.

 

[53]     Un examen du procès‑verbal de règlement dont il a été convenu et que les parties ont signé le même jour que la renonciation est révélateur. Le paragraphe 9 est libellé dans les termes suivants :

[traduction]

La défenderesse, Isabelle Arcand, s’engage à signer une renonciation complète et finale à l’égard de toutes les demandes reconventionnelles dans l’action et, en particulier, la défenderesse retire toute plainte et action découlant de sa qualité de membre et de locataire de la demanderesse, la Coopérative Abiwin Inc., et à ne déposer à l’avenir aucune plainte ou action découlant de cette qualité de membre et de locataire.

                                                             [Non souligné dans l’original.]

 

 

[54]     À mon avis, il s’agit d’une preuve supplémentaire que la renonciation qui allait être signée ultérieurement par les parties devait être exactement ce que le titre exprimait, à savoir une renonciation complète et définitive à l’égard de toutes les réclamations découlant de la qualité de membre et de locataire de la demanderesse.

 

[55]     Il semble que l’unique preuve présentée par la demanderesse dans le but d’établir son intention contraire – à savoir que la plainte en matière de vie privée et la présente demande, qui y a fait suite, ne seraient pas interdites – est son témoignage selon lequel la défenderesse lui a demandé, avant la signature de la renonciation, de laisser tomber sa plainte en matière de vie privée, ce qu’elle a refusé de faire. La demanderesse soutient aussi avoir donné pour instruction à son avocat, au moment de la rédaction du règlement et de la renonciation, de laisser cette voie ouverte.

 

[56]     Le problème tient au fait qu’il n’y a aucune preuve objective de cette conviction. Si les parties A et B conviennent de conclure un règlement et une renonciation complète et définitive à l’égard d’un long litige aux multiples facettes et que la partie A souhaite garder la possibilité de réclamer des dommages‑intérêts dans le cadre d’un type différent d’action, sur le fondement cependant des mêmes faits de base, la partie A doit exclure expressément cette cause d’action du règlement et de la renonciation. Si la partie A choisit de n’en rien faire, la partie B a le droit de tenir pour acquis que le litige a été réglé sous tous ses angles.

 

[57]     Enfin, la demanderesse ne peut pas invoquer le consentement de la défenderesse au processus de règlement des plaintes du Commissariat comme preuve que la défenderesse croyait que la renonciation ne s’appliquait pas. Au contraire, le comportement de la défenderesse après le règlement était entièrement compatible avec le fait qu’elle croyait que la renonciation était exécutoire.

 

[58]     La demande visée à l’article 14 de la Loi est optionnelle pour ceux et celles qui reçoivent un rapport du Commissariat en leur faveur. Elle n’est pas simplement un prolongement de la plainte en matière de vie privée. Elle est une mesure distincte et subséquente et elle est en soi une nouvelle action. Dans la présente affaire, elle se rapportait à des questions réglées dans le cadre de la renonciation signée par la demanderesse et elle était exclue par cette renonciation. La plainte en matière de vie privée avait déjà été intentée au moment où la renonciation a été signée. Lorsque la demanderesse a tenté de passer à cette étape suivante et de demander des dommages‑intérêts en vertu de l’alinéa 16c), la défenderesse a immédiatement tenté de faire exécuter la renonciation.

 

[59]     Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’une personne raisonnable, placée dans la situation de la demanderesse, aurait dû comprendre que la renonciation complète et définitive fermerait la porte à la présente demande.

 

[60]     Finalement, je suis d’avis de rejeter la prétention de la demanderesse selon laquelle la renonciation doit être écartée parce que le règlement était déraisonnable et qu’il ne l’indemnisait pas pleinement. Cette dernière prétention ne fait que confirmer qu’elle reconnaît que le règlement initial visait les mêmes dommages‑intérêts qu’elle tente maintenant de réclamer de nouveau.

 

[61]     La défenderesse, la coopérative sans but lucratif, a obtenu la signature du règlement et de la renonciation pour contrepartie valable. À tout le moins, la renonciation est le moyen par lequel elle a acheté une immunité contractuelle à l’égard d’une telle action découlant des événements mêmes qui ont donné naissance au règlement. Pour cette raison, je suis d’avis de permettre que le document soit appliqué et d’affirmer qu’il empêche la demanderesse de présenter toute réclamation en dommages‑intérêts en vertu de l’alinéa 16c).

 

[62]     La renonciation imposait également à la demanderesse l’obligation de retirer sa plainte en matière de vie privée. La demanderesse n’en a rien fait, et la défenderesse n’a pris aucune mesure concrète non plus. Le Commissariat a plutôt poursuivi son travail et a distribué un rapport auquel la défenderesse s’est conformée. C’est ce rapport qui a permis à la demanderesse de demander la tenue de cette audience et, comme je l’ai mentionné précédemment, je ne crois pas que la présente audience même constitue un abus de procédure.

 

[63]     La deuxième question

         Quels sont les dommages‑intérêts, le cas échéant, auxquels la demanderesse a droit?

         Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que, si la demanderesse a droit à la tenue de la présente audience en vertu de l’article 14 de la Loi, elle n’a droit à aucun des types de mesures de réparation visés à l’article 16. J’ai expliqué précédemment comment le fait de rendre une ordonnance suivant les alinéas 16a) ou b) dans les circonstances de l’espèce serait inutile et répétitif, puisque le Commissariat a déjà obtenu ce qu’il souhaitait en recommandant simplement que la défenderesse modifie ses règlements administratifs et sa politique sur la protection de la vie privée. La défenderesse a tenu compte de cette recommandation et s’y est conformée rapidement. J’ai conclu également que la demanderesse ne peut pas réclamer des dommages‑intérêts en vertu de l’alinéa 16c), car une telle réclamation est contraire aux termes de la renonciation qu’elle a signée.

 

[64]           La demande est par conséquent rejetée, avec dépens à la défenderesse.

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

[65]           LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée, avec dépens à la défenderesse.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-788-09

 

INTITULÉ :                                                   ISABELLE ARCAND

 

                                                                        c.

 

                                                                        ABIWYN CO-OPERATIVE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 25 NOVEMBRE 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 13 MAI 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karin Galldin

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kelly P. Hart

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galldin Liew, LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Williams McEnery

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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