Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

 

Federal Court


Date : 20100513

Dossier : T-789-09

Référence : 2010 CF 528

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

 

ENTRE :

AL MACKLAI

demandeur

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle, le 20 avril 2009, le directeur adjoint du Programme de recherche scientifique et de développement expérimental de la défenderesse a rejeté la demande soumise par le demandeur que sa nomination à un poste plus élevé soit rétroactive au 4 juillet 2006.

 

[2]               Le demandeur souhaite obtenir ceci :

1.         une ordonnance infirmant la décision de M. Khan;

2.         une ordonnance renvoyant l’affaire à un autre représentant de la défenderesse et enjoignant à cette dernière de faire en sorte que sa nomination au poste d’examinateur financier principal soit rétroactive au 4 juillet 2006; 

3.         les dépens de la présente demande.

 

Introduction

 

[3]               L’Agence du revenu du Canada (l’Agence ou l’ARC) est chargée d’administrer les programmes fiscaux du gouvernement fédéral et de verser des prestations économiques et sociales. Aux termes de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17 (la Loi), elle est dotée de la personnalité morale et elle est un organisme distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, (voir le paragraphe 4(1) et l’article 50 de la Loi).

 

[4]               Le législateur a confié à l’ARC de vastes responsabilités à l’égard de la gestion de ses ressources humaines (voir le paragraphe 51(1) de la Loi). En outre, l’article 53 de la Loi lui confère compétence exclusive pour nommer le personnel qu’elle estime nécessaire à l’exercice de ses activités. En vertu de l’article 54, l’ARC est chargée d’élaborer et d’administrer un programme de dotation en personnel.

 

[5]               Le programme de dotation actuel de l’Agence est assorti d’une Directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation (la directive sur les recours). Cette directive énonce dans le détail les paramètres du régime de recours élaboré conformément à la Loi et prévoit notamment la tenue d’un examen par un tiers indépendant (ETI) des décisions de l’ARC en matière de dotation, y compris les décisions relatives au processus de sélection. La directive sur les recours prévoit cependant que les examinateurs indépendants doivent limiter les mesures correctives à celles qui sont requises pour corriger les erreurs commises dans le cadre du processus de sélection.

 

Le contexte

 

[6]               Le demandeur, qui occupe un poste d’examinateur financier (AU‑03) au sein de l’ARC, a postulé un poste d’examinateur financier principal (AU‑04), mais sa candidature a été écartée au terme du processus de sélection. Les candidats retenus dans le cadre de ce processus ont été nommés au niveau AU‑04 le 4 juillet 2006.

 

[7]               Le demandeur s’est plaint du processus de sélection et a invoqué la directive sur les recours. La décision en matière de dotation a alors été soumise à la procédure de l’ETI, dans le cadre de laquelle le demandeur a obtenu une décision favorable. Une examinatrice indépendante (l’examinatrice) a ordonné à l’ARC de corriger une erreur décelée dans le processus de sélection et a recommandé que les nominations effectuées dans le cadre du processus soient annulées et que le processus soit mené de novo [traduction] « d’une manière qui traduit davantage les principes de l’Agence en matière de dotation ».

 

[8]               L’ARC a décidé de ne pas se conformer à tous égards à l’ordonnance de l’examinatrice. À la place, elle a réévalué les candidats et, subséquemment, dans une lettre datée du 25 mars 2009, le superviseur du demandeur a offert à ce dernier un poste au niveau AU‑04, qu’il a accepté immédiatement, entretenant cependant des réserves au sujet de la date d’entrée en vigueur de sa nomination. Il a demandé d’être payé rétroactivement au 4 juillet 2006 (date à laquelle les autres placements ont été faits). Le demandeur a renvoyé au fait que, dans des cas similaires, l’Agence avait offert à des fonctionnaires lésés une paie rétroactive.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[9]               Le 6 avril 2009, un délégué syndical de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada a rencontré le superviseur du demandeur pour discuter de la demande faite par ce dernier en vue d’obtenir une paie rétroactive. Le superviseur du demandeur a informé le délégué syndical qu’avant le 25 mars 2009, le demandeur n’avait pas exécuté les fonctions d’un AU‑04 et qu’il ne pouvait pas être payé pour un travail au niveau AU‑04 qu’il n’avait pas effectué. En réponse à la prétention du délégué syndical selon laquelle d’autres fonctionnaires avaient été payés rétroactivement, le superviseur du demandeur a affirmé que, à son avis, il fallait se concentrer sur les faits du dossier du demandeur.

 

Les questions en litige

 

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.         Quelle est la norme de contrôle?

2.         La décision du superviseur du demandeur était‑elle raisonnable?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[11]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle devrait être celle de la décision correcte. La question de savoir s’il convient de verser une paie rétroactive est une question de droit, et les questions de droit en matière de dotation appellent l’application de la norme de la décision correcte parce que l’auteur de la décision ne possède aucune expertise. La question s’apparentait à une question d’évaluation des dommages‑intérêts, car l’affaire a pris naissance après que l’examinatrice eut conclu que le processus de dotation s’était déroulé irrégulièrement. Le fait que la décision est prise par une personne qui n’est pas indépendante de l’employeur et qu’il n’existe aucune clause privative permet également de penser que la norme de la décision correcte s’applique.

 

[12]           Le demandeur souligne qu’en droit des contrats et en droit de la responsabilité délictuelle, les dommages‑intérêts visent à remettre la personne lésée dans la situation dans laquelle elle serait si le manquement ou le délit n’avait pas été commis. Dans la présente affaire, le demandeur aurait dû être nommé au poste classé AU‑04 dès le départ, de sorte qu’il aurait dû toucher une paie rétroactive. C’est là en fait la pratique habituelle en arbitrage du travail lorsqu’il est déterminé qu’un fonctionnaire aurait dû être promu. Dès lors qu’il est déterminé qu’un fonctionnaire aurait dû être nommé, la détermination de la mesure de redressement à accorder ne laisse place à aucun pouvoir discrétionnaire. La durée de la période rétroactive n’est pas un facteur pertinent. Étant donné que l’ARC n’a jamais expliqué le fondement sur lequel elle a, en bout de ligne, offert le poste au demandeur, ce dernier et la Cour n’ont d’autre choix que de supposer que le demandeur a obtenu le poste parce qu’il aurait été retenu dans le cadre du concours initial.

 

[13]           Le demandeur soutient également que le programme de dotation de l’Agence s’inspire de huit principes en matière de dotation, notamment les principes de l’équité et de la transparence. Si le versement d’une rémunération rétroactive n’était pas obligatoire, l’Agence n’aurait aucune raison de mettre en œuvre des mesures correctives en temps opportun, ce qui entraînerait une injustice. Compte tenu du principe de l’équité et de la jurisprudence en matière d’arbitrage, la raison invoquée par l’ARC, à savoir que le demandeur n’avait pas exécuté le travail d’un AU‑04, n’était pas raisonnable. Compte tenu du principe de la transparence, les employés ont une attente légitime à ce que des affaires semblables soient réglées de la même manière. Dans la présente affaire, l’ARC a ouvertement refusé de prendre en considération des précédents internes. Sans égard à la norme de contrôle qui s’applique, la décision du superviseur du demandeur était déraisonnable.

 

Les observations écrites de la défenderesse

 

[14]           L’Agence soutient que la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable. La question que le superviseur du demandeur était appelé à trancher était une question touchant aux faits et à la politique qui faisait intervenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. L’analyse relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire, car la Cour a déjà déterminé que la norme du caractère raisonnable devrait s’appliquer aux questions de ce genre.

 

[15]           Même si l’on effectue une analyse de la norme de contrôle, l’Agence soutient que la norme devrait être celle du caractère raisonnable. Premièrement, bien qu’il n’y ait aucune clause privative et qu’il n’existe aucun droit d’appel, la directive sur les recours prévoit qu’il ne peut être exercé aucun recours à la suite de la mise en œuvre de mesures correctives. L’analyse de l’objectif du tribunal révèle que, par la voie de la loi habilitante, le législateur a accordé à l’ARC un degré considérable d’autonomie relativement à un vaste éventail de questions de relations de travail, y compris les questions des recours des employés, qui incluent nécessairement la mise en œuvre de mesures correctives. Ainsi que je l’ai mentionné, par sa nature, la question dont le superviseur du demandeur était saisi faisait intervenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard des faits particuliers de l’affaire. Enfin, le poste du superviseur du demandeur, en tant que gestionnaire de l’ARC chargé de tous les aspects des ressources humaines au sein de son service, permet de penser qu’il possède une expertise pertinente pour trancher ce qui était une question de ressources humaines.

 

[16]           La décision du superviseur de ne pas payer le demandeur comme s’il avait été classé au niveau AU‑04 pour la période du 4 juillet 2006 au 25 mars 2009 reposait sur les faits propres à la situation. Plus particulièrement, elle reposait sur les différences importantes entre le travail effectué aux niveaux AU‑03 et AU‑04 et sur le fait que le demandeur n’avait pas effectué le travail d’un fonctionnaire classé au niveau AU‑04. La décision du superviseur appartenait à tout le moins aux issues acceptables.

 

[17]           En outre, cette décision était correcte. Lorsqu’il détermine qu’il y a eu erreur dans le processus de sélection, l’examinateur indépendant peut ordonner uniquement de corriger les erreurs procédurales, et il lui est interdit d’ordonner la manière dont celles‑ci doivent être corrigées. Il est loisible à l’ARC de déterminer la manière dont il sera remédié à l’erreur. Dans la présente affaire, l’examinatrice a ordonné à l’ARC de corriger l’erreur, mais elle a recommandé seulement d’annuler les nominations et de reprendre le processus de novo. L’Agence était opposée à l’idée d’annuler les nominations des candidats retenus qui étaient classés au niveau AU‑04 depuis quelque temps et de mener un processus de sélection de novo qui, au mieux, aurait simplement donné au demandeur la possibilité d’être nommé. À la place, l’ARC a réévalué les candidats et a subséquemment offert au demandeur un poste classé au niveau AU‑04. Aujourd’hui, le demandeur souhaite obtenir une ordonnance contraignant l’Agence à le nommer rétroactivement au 4 juillet 2006, ce qui est bien davantage que ce qu’un examinateur aurait pu ordonner, et ce qui minerait l’intention du législateur et le régime mis sur pied par l’ARC.

 

L’analyse et la décision

 

[18]           La première question en litige

Quelle est la norme de contrôle?

            Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] A.C.S. no 9 (QL), la Cour suprême du Canada a révolutionné la démarche qui s’applique aux fins de déterminer la norme en fonction de laquelle il convient de contrôler les décisions administratives.

 

[19]           Gardant à l’esprit les objectifs d’efficience et de certitude, la Cour, dans l’arrêt Dunsmuir, nous a notamment enseigné qu’il n’est pas toujours nécessaire d’effectuer une analyse exhaustive permettant d’arrêter la norme de contrôle si celle qui s’applique ressort d’emblée :

62     Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier.  En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

 

[20]           Dans le passage précité, la Cour a mentionné que le facteur clé à prendre en considération aux fins de déterminer si la jurisprudence a établi la norme de contrôle est la nature de la question. En fait, la Cour, dans l’arrêt Dunsmuir, a relevé certains types de questions qui permettront de déterminer automatiquement la norme qui s’applique. Au paragraphe 51, elle a dit ceci :

[…] Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement.  De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte […]

 

 

Elle a ajouté ceci au paragraphe 53 :

En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée […]

 

 

 

[21]           Je suis convaincu que la question que le superviseur du demandeur devait trancher était une question à l’égard de laquelle il devait exercer son pouvoir discrétionnaire à titre de gestionnaire et qui dépendait des faits d’espèce du dossier du demandeur. En dépit de ce que le demandeur a affirmé, son superviseur ne devait pas trancher une question de droit ou de compétence, et sa décision n’établissait aucun précédent. À mon avis, la norme du caractère raisonnable doit s’appliquer.

 

[22]           Le demandeur a dit de la question qu’elle est une question de droit au motif qu’elle met en cause des principes semblables à ceux qui sont utilisés dans la détermination des dommages‑intérêts dans le cas d’un manquement à un contrat ou d’un cas de responsabilité civile délictuelle. Je ne souscris pas à cette affirmation. Bien que le demandeur puisse être en mesure d’établir certaines similarités entre sa situation et celle du demandeur dans une affaire de responsabilité délictuelle ou de contrat, le fait demeure que la décision contestée ne mettait en cause ni le droit de la responsabilité délictuelle ni le droit des contrats. Il ne s’agit pas non plus d’une situation factuelle suscitant une adhésion au droit de l’arbitrage en matière de relations de travail. Cette jurisprudence n’est pas pertinente dans le présent contexte, étant donné le régime législatif particulier prévu dans la Loi et le programme de dotation détaillé, assorti de la directive sur les recours, mis sur pied par l’ARC dans l’exécution de ses obligations en application de la Loi.

 

[23]           La question n’était pas non plus une question de droit au motif qu’elle portait sur l’interprétation du contrat de travail de facto de l’employé, comme c’était le cas dans l’affaire Appleby‑Ostroff c. Procureur général du Canada, 2010 CF 479. Même si elle faisait partie des conditions d’emploi du demandeur, la directive sur les recours ne tranchait pas la question précise en litige, à savoir le versement d’une paie rétroactive.

 

[24]           Finalement, la directive sur les recours relevait exclusivement du domaine d’expertise de la direction et des ressources humaines, et elle ne soulevait aucune question à l’égard de laquelle les tribunaux possèdent une expertise pertinente, comme c’était le cas dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Assh, 2006 CAF 358, [2007] 4 R.C.F. 46, 274 D.L.R. (4th) 633, concernant l’interprétation d’un code sur les conflits d’intérêts.

 

[25]           Je souligne également que, bien qu’aucune affaire n’ait porté sur la question précise que le gestionnaire de l’ARC a été appelé à trancher, la Cour, dans l’affaire Barry Gerus c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1344, [2008] A.C.F. no 1717, a examiné une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un gestionnaire de l’ARC de rejeter la demande du demandeur en vue d’obtenir un statut privilégié, une désignation aux termes du programme de dotation. Puisque la question dont le gestionnaire était saisi était une question touchant aux faits et à la politique, la Cour a conclu que la norme du caractère raisonnable devait s’appliquer (voir Barry Gerus, précitée, au paragraphe 16).

 

[26]           La deuxième question en litige

            La décision de M. Khan était‑elle raisonnable?

            À mon avis, étant donné le régime législatif créé par la Loi et le pouvoir de trancher des questions touchant les ressources humaines, la décision discrétionnaire d’un gestionnaire de l’ARC ne correspond pas au type de décision à l’égard de laquelle la Cour doit substituer sa propre décision à celle qui a été prise au niveau opérationnel. Dans certains cas, une décision manifestement injuste obligera la Cour à micro‑gérer l’ARC, mais les circonstances de la présente affaire ne justifient pas une telle démarche.

 

[27]           Dans des termes qui, à mon avis, sont particulièrement appropriés dans la présente affaire, la Cour, dans l’arrêt Dunsmuir, a décrit la norme du caractère raisonnable comme ceci :

47     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[28]           Un examen de la décision rendue de vive voix par le superviseur du demandeur permet de constater que ses motifs sont sans équivoques. Le superviseur a décidé de ne pas accorder de paie rétroactive au demandeur principalement parce que ce dernier n’avait pas effectué le travail. C’est là un fait qui revêt la décision du superviseur du demandeur d’un caractère raisonnable. La décision d’un gestionnaire sur la question de savoir s’il y a lieu d’accorder un avantage dans un contexte qui laisse remarquablement peu de place à l’équité procédurale ne doit pas nécessiter davantage de motifs. Il suffit que le superviseur du demandeur ait clairement examiné les faits entourant la situation du demandeur. À tout le moins, la décision du superviseur du demandeur était une issue possible acceptable, à l’égard de laquelle je choisis de ne pas intervenir.

[29]           Évidemment, le demandeur ne pose pas la question dans ces termes et se fonde sur l’hypothèse implicite qu’il avait un droit légitime à une paie rétroactive, et que l’ARC ne jouissait d’aucun pouvoir discrétionnaire aux fins de l’accorder ou non. Bien que j’aie déjà mentionné dans mon analyse de la norme de contrôle ne pas être d’accord avec cette qualification du type de question en litige, je vais maintenant expliquer davantage les raisons pour lesquelles, à mon avis, cette hypothèse est viciée.

[30]           La demande d’une paie rétroactive du demandeur a pris naissance dans le contexte de la mise en œuvre de la décision de l’examinatrice relativement au processus de sélection. L’article 7 de la directive sur les recours énonce les mesures correctives qui peuvent être ordonnées ou recommandées lorsqu’un employé intente un recours. En ce qui concerne les ETI dans le contexte de décisions en matière de dotation, le paragraphe 7.4 de la directive sur les recours prévoit ceci :

7.4 Les mesures correctives que peut prescrire le réviseur de RTI sont limitées aux suivantes :

 

a)  ordonner à la personne autorisée de corriger l’erreur décelée dans le processus de sélection interne ou la mesure de dotation interne. Le réviseur n’a pas l’autorité d’ordonner à la personne autorisée comment l’erreur devrait être corrigée;

 

b)  recommander la révocation de la nomination de l’employé, au besoin;

 

c)  recommander qu’une autre personne autorisée participe à la décision.

 

 

 

[31]           En ce qui concerne les décisions en matière de dotation, c’est l’examinateur indépendant qui a pour tâche de déceler les erreurs commises dans le processus de sélection, le cas échéant, mais, en vertu du paragraphe 7.4, l’examinateur ne peut qu’ordonner que la correction d’une erreur. En d’autres termes, l’examinateur ne peut qu’ordonner que des erreurs procédurales commises dans le processus de sélection soient corrigées. Il ne peut ordonner la manière selon laquelle ces erreurs doivent être corrigées, ni dans quelle mesure, et il ne peut ordonner un résultat au fond (voir Canada (Procureur général) c. Beall, 2007 CF 630, 314 F.T.R. 159, paragraphes 19 à 21, Canada (Procureur général) c. Gagnon, 2006 CF 216, [2006] A.C.F. no 270, paragraphe 21, conf. par 2007 CAF 164).

 

[32]           Dans la présente affaire, l’examinatrice a décelé dans le processus de sélection plusieurs erreurs, dont elle a ordonné la correction. Elle a recommandé que les nominations effectuées conformément au processus soient annulées et que le processus soit repris de novo. Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, il relève de la compétence de l’ARC de déterminer la manière de corriger les erreurs. Si ces recommandations avaient été suivies, le demandeur n’aurait obtenu que la possibilité d’être nommé dans le cadre d’un nouveau processus, et il n’aurait eu aucune possibilité d’obtenir une paie rétroactive. À la place, le demandeur s’est fait offrir ce qui aurait été la meilleure issue possible, et il a accepté la nomination au poste classé au niveau AU‑04.

 

[33]           Aujourd’hui, le demandeur tente d’obtenir une ordonnance contraignant l’Agence à le nommer rétroactivement au 4 juillet 2006. Je suis d’accord avec la défenderesse qu’une telle ordonnance excède largement la mesure qu’il aurait pu obtenir au terme d’un ETI et en application de la directive sur les recours que l’Agence a élaborée et qu’elle administre en application de l’article 54 de la Loi.

 

[34]           Dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Beall, précitée, la Cour a déclaré que la décision de l’examinateur indépendant suivant laquelle Mme Beall devait être nommée rétroactivement était illégale et excédait sa compétence dans le cadre du programme de dotation de l’Agence (voir paragraphes 18 et 19).

 

[35]           Le fait d’ordonner le versement d’une paie rétroactive au 4 juillet 2006 alors que, suivant le régime de recours créé par l’ARC, un examinateur indépendant n’aurait pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance, semblerait contraire à l’intention du législateur de confier à l’ARC la responsabilité d’établir et d’administrer un programme de dotation et de recours. Bien que le demandeur n’ait pas contesté la légitimité du programme de dotation de l’ARC ni aucune de ses dispositions, une telle ordonnance aurait pour effet de miner le régime en encourageant les fonctionnaires qui ont été écartés au terme du processus d’ETI à demander des mesures de réparation supplémentaires qui ne sont pas prévues dans le régime.

 

[36]           Le programme de dotation de l’ARC ne prévoit pas ni ne permet même que les examinateurs indépendants ordonnent le versement d’une paie rétroactive dans les situations mettant en cause un licenciement ou une rétrogradation pour des raisons non disciplinaires. Cette question a été abordée par la Cour dans la décision Sherman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CF 173, [2005] A.C.F. no 209 (QL). Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas contesté le programme de dotation ni aucune disposition de la directive sur les recours en ce qui concerne la compétence des examinateurs indépendants.

 

[37]           Donc, il n’existait, dans la situation du demandeur, aucun droit découlant de la loi à une paie rétroactive, et aucune raison de voir dans une telle décision autre chose que ce qu’elle serait dans le cours normal d’un emploi : une décision discrétionnaire de la direction.

 

[38]           Le demandeur invoque les principes de l’ARC en matière de dotation fondés sur l’équité et la transparence, mais ces principes ne peuvent être déformés au point de créer un droit découlant de la loi à une paie pour un travail non effectué. Quoi qu’il en soit, je conclus que le demandeur a été traité avec équité et transparence dans la mise en œuvre de l’ordonnance de l’examinatrice.

 

[39]           En dernier lieu, le demandeur invoque la décision Vera Gerus c. Canada (Agence du Revenu), 2009 CF 55, [2009] A.C.F. no 90 (QL), une décision portant sur l’omission de l’ARC de donner effet au statut privilégié de Mme Gerus.

 

[40]           L’article 2 de la Directive sur le statut privilégié de l’ARC crée certaines exigences obligatoires relativement aux fonctionnaires qui ont un statut privilégié. Il prévoit en partie ce qui suit :

2.1 Pour être considéré en vue d’un placement en vertu de son statut privilégié, le bénéficiaire doit satisfaire aux exigences minimales du poste à doter, soit les études requises, la connaissance des langues officielles et les critères de sécurité.

 

2.2 Afin de maximiser les possibilités de placement permanent des bénéficiaires de statut privilégié, lorsqu’elles dotent des postes permanents, les personnes autorisées, avec l’appui des Ressources humaines, sont tenues de veiller à ce que les bénéficiaires de statut privilégié soient pris en considération avant d’entamer la dotation avec ou sans processus de sélection. Les personnes autorisées sont également tenues d’informer les bénéficiaires de statut privilégié du résultat et d’accorder, sur demande, à ceux d’entre eux qui ne seront pas placés, les recours prévus dans la présente directive.

 

2.3 Les personnes autorisées doivent également inclure dans la zone de sélection d’un processus de sélection les bénéficiaires de statut privilégié. Les bénéficiaires de statut privilégié (y compris ceux dont le poste d’attache est situé dans une autre localité ou région) doivent déjà habiter à proximité de l’emplacement du poste à doter, soit une distance normale aux fins des déplacements quotidiens; ils doivent satisfaire aux exigences minimales de ce poste. Les bénéficiaires de statut privilégié doivent aussi avoir toutes les compétences requises pour faire partie du répertoire.

 

2.3.1 Si, à la suite d’un tel processus de sélection, un bénéficiaire de statut privilégié se qualifie et que son poste d’attache est déjà aux mêmes groupe et niveau ou à un niveau équivalent au poste à doter, il doit être considéré en priorité par rapport aux autres candidats qualifiés et sa nomination sera faite en vertu de son statut privilégié.

 

 

[41]           Bien que Mme Gerus, qui bénéficiait d’un statut privilégié, ait été en attente d’une nomination, certains postes ont été dotés sans qu’elle en ait eu connaissance ou que l’occasion lui ait été donnée de postuler ces postes. Dans la décision finale qui pouvait être rendue aux termes de la directive sur les recours, l’Agence l’a informée que sa candidature avait été prise en compte pour les postes, mais qu’elle n’avait pas satisfait aux exigences minimales. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour a infirmé la décision, critiquant la manière dont l’Agence avait interprété le terme « exigences minimales » relativement aux droits de Mme Gerus à titre de personne ayant un statut privilégié. La Cour a déclaré ce qui suit :

25     La décision à l’examen, la lettre du 25 janvier 2008, mentionne que la demanderesse « n’a pas satisfait aux exigences minimales ». Il s’agit d’une erreur manifeste. C’est une interprétation déraisonnable du programme. La demanderesse a satisfait aux « exigences minimales » – par contre, elle n’avait pas « toutes les compétences requises ». La décision ne prend pas en compte le fait que certains postes ont été dotés sans qu’il y ait eu de processus de sélection dans le cadre duquel le fait que la demanderesse n’avait pas « toutes les compétences requises » n’aurait pas été pertinent. La décision est déraisonnable et sera infirmée.

 

 

[42]           Lorsque l’affaire a été renvoyée à l’Agence pour une nouvelle décision, la décision a été prise de nommer Mme Gerus rétroactivement à un poste CS‑02.

 

[43]           À mon avis, l’affaire Vera Gerus, précitée, présentait une situation fort différente de celle de la présente affaire. En l’espèce, le demandeur n’avait pas droit à une paie rétroactive aux termes du programme de dotation, alors que Mme Gerus y avait droit en raison de son statut privilégié. En outre, la décision prise dans l’affaire Vera Gerus semble confirmer de nouveau que les décisions de nommer une personne rétroactivement sont des décisions discrétionnaires prises par la direction de l’ARC sur le fondement des faits de chaque affaire dont elle est saisie.

 

[44]           Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire, avec dépens à la défenderesse.

 

 


 

JUGEMENT

 

[45]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens à la défenderesse.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’Agence du Revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-789-09

 

INTITULÉ :                                       AL MACKLAI

                                                            c.

                                                            L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       le 13 mai 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

John Syme

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet juridique Welchner

Société professionnelle

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.