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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20100517

Dossier : IMM-4463-09

Référence : 2010 CF 542

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

Entre :

PAULINO M. PAULINO

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 13 août 2009 (la décision), par laquelle elle a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre de la décision d’une agente des visas rejetant la demande de parrainage de l’épouse du demandeur, Mimi Paulino.

 

 

 

 

LE Contexte

 

[2]               Le demandeur a épousé Mimi Paulino le 8 septembre 2006 aux Philippines. Il a alors présenté une demande de parrainage à l’égard de celle-ci et de son fils à titre de membres de la catégorie du regroupement familial. Sa demande a été rejetée après une entrevue à la Section des visas dans la ville de Makati le 16 mai 2007. Les motifs du rejet étaient que, au sens de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), le mariage n’était pas authentique et a été conclu principalement pour acquérir un statut ou un privilège. La SAI a rejeté l’appel. Le demandeur allègue que la commissaire de la SAI était partiale et a commis une erreur en concluant que son mariage n’était pas authentique.

 

LA Décision faisant l’objet du contrôle

 

[3]               La SAI a conclu que les motifs de rejet de l’agente des visas soulevaient deux questions : premièrement, la question de savoir si l’épouse du demandeur est une personne visée à l’article 4 du Règlement et, par conséquent, ne peut être considérée comme faisant partie de la catégorie du regroupement familial; deuxièmement, la question de savoir si le demandeur est un citoyen canadien. En raison de la conclusion de la SAI selon laquelle le mariage du demandeur n’était pas authentique et avait été conclu principalement pour acquérir un statut ou un privilège, la SAI a refusé de se prononcer sur la deuxième question en litige.

 

[4]               Pour en arriver à cette décision, la SAI a examiné le témoignage du demandeur et de son épouse, de même que le dossier, les notes du STIDI, la preuve documentaire et les observations des avocats.

 

[5]               La décision de la SAI était fondée sur sa conclusion selon laquelle le demandeur et son épouse n’étaient pas « crédibles, fiables ou dignes de confiance. » Elle a mentionné qu’ils avaient forgé des renseignements dans l’intention d’obtenir des visas de résident temporaire pour l’épouse du demandeur et son fils afin qu’ils entrent au Canada en 2006. La SAI a tiré la conclusion suivante : « Non seulement leur penchant au mensonge entache-t-il l’ensemble de leurs témoignages, mais il mine aussi leur crédibilité. » Elle a aussi conclu que leur preuve était contradictoire, « tant intrinsèquement qu’extrinsèquement ». De plus, le couple avait délibérément « élaboré des manœuvres complexes à la seule fin de faussement représenter la situation financière de la demandeure afin d’inciter l’agente des visas à accorder des visas de résident temporaire pour elle et son fils. » La SAI également conclu que le couple :

[...] agi ainsi tout au long du processus de demande de visa de résident temporaire, durant les entrevues relatives au parrainage et après que le tribunal eut entendu une preuve substantielle lors de l’instruction de l’appel. Le comportement de l’appelant et de la demandeure entraîne des considérations d’intérêt public qui touchent au cœur de l’intégrité du système d’immigration. Par conséquent, le tribunal ne peut pas accepter leur preuve dans la mesure où elle est appuyée par d’autres éléments de preuve indépendants.

 

[6]               La SAI a examiné la tromperie du couple en détail et a conclu que l’épouse du demandeur avait fait de fausses déclarations selon lesquelles elle avait « une somme d’un million de pesos » dans son compte bancaire. Le premier jour de l’audience, le demandeur a témoigné que cet argent représentait la somme de tout ce qu’il avait envoyé à son épouse. Ce n’est qu’en contre-interrogatoire que le demandeur a dit qu’il avait menti à propos de ce stratagème. Son épouse a également déclaré qu’elle avait [traduction] « menti à propos de tout » parce que son mari lui avait dit de le faire.

 

[7]               Le stratagème du couple comprenait des fausses déclarations du demandeur dans la demande de visa de résidente temporaire de son épouse. Dans sa demande de visa, elle a prétendu qu’elle venait visiter des membres de sa famille et qu’elle avait l’intention de rester trois semaines. Cependant, ce prétendu membre de la famille était l’épouse du frère de l’ex-épouse du demandeur, que l’épouse du demandeur n’avait jamais rencontrée.

 

[8]               Durant l’entrevue relative au parrainage en mai 2007, l’épouse du demandeur a dit à l’agente des visas qu’elle avait l’intention de rendre visite à un ami de la famille. Elle a également déclaré qu’elle n’avait pas l’intention de rendre visite au demandeur. L’agente des visas a rejeté sa prétention.

 

[9]               Les éléments de preuve du couple présentés à l’audience de la SAI étaient contradictoires. La SAI a mentionné qu’« [à] quelques reprises, leur preuve a semblé collusive et a donné l’impression qu’elle résultait d’une mise en scène » et que « [d]urant son témoignage, [l’épouse du demandeur] semblait parfois lire ou réciter sa preuve ». La SAI a tiré la conclusion suivante : « Les fausses déclarations du couple démolissent non seulement sa crédibilité et sa sincérité, mais elles remettent également en question l’authenticité des documents que le couple a présentés, surtout ceux qui proviennent de l’étranger. »

 

[10]           La SAI a conclu que la conduite du couple « démontre ce dont ils sont capables et l’ampleur de ce qu’ils sont prêts à faire pour immigrer au Canada, y compris un mariage pour permettre à [l’épouse du demandeur] de venir s’installer au Canada et, peut-être, permettre [au demandeur] d’offrir à son seul parent vivant une aide familiale permanente. »

 

[11]           La SAI a déterminé qu’il était nécessaire d’effectuer une évaluation des faits en deux volets : premièrement, établir si le mariage était authentique et deuxièmement, déterminer si la relation visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège. La SAI a mentionné que pour « s’acquitter de son fardeau, l’appelant doit uniquement démontrer que l’un ou l’autre des deux volets ne s’applique pas à la relation. »

 

[12]           Pour ce qui est de la décision initiale prise par l’agente des visas, la SAI a conclu que « la plupart des préoccupations de l’agente des visas sont raisonnables et valides ». La SAI a accepté les notes de l’agente des visas et leur a attribué « un poids considérable » puisqu’il n’avait pas été établi qu’elles n’étaient pas fiables.

 

[13]           La SAI a ensuite examiné le témoignage du couple en ce qui a trait à sa relation. Elle a mentionné que l’épouse du demandeur avait déclaré que le demandeur et elle n’étaient pas [traduction] « copain-copine » avant le retour du demandeur au Canada. Cependant, lorsqu’il a été demandé à l’épouse pour quelle raison elle avait accepté la demande en mariage du demandeur s’ils ne l’étaient pas, elle a alors « changé sa version pour dire que leur relation était bel et bien une relation amoureuse. »

 

[14]           Le couple a présenté une preuve documentaire abondante à la SAI, y compris de nombreux courriels. La SAI a mentionné qu’il était clair que ces courriels « préparai[en]t le terrain en vue du processus de visa de résident temporaire. » La SAI a mentionné que le couple avait déclaré qu’il avait appris à bien se connaître dans les deux semaines depuis sa première rencontre. La SAI a cependant conclu que « [s]i tel était le cas, le tribunal se demande pour quelle raison ils avaient besoin de se fournir mutuellement autant de détails sur leurs vies. »

 

[15]           Le récit du couple concernant la première rencontre, sur celui qui a fait les présentations et sur les présentations, jusqu’au moment des fiançailles, comportait des détails semblables.

 

[16]           La SAI a mentionné que, dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait décidé d’épouser sa femme après que sa demande de visa de résidente temporaire eut été refusée, bien que son projet initial visait à l’épouser à son arrivée au Canada. La SAI a conclu que l’explication du demandeur n’avait pas de sens, puisqu’il avait demandé à sa femme de l’épouser après l’avoir courtisé pendant deux semaines, mais a ensuite prétendu qu’il avait décidé de l’épouser lors du refus de son visa de résidente temporaire. De plus, le demandeur se trouvait toujours aux États-Unis à ce moment-là et n’avait présenté « aucune preuve convaincante relativement à ses plans concrets concernant l’endroit où loger [l’épouse] si sa demande de visa de résident temporaire avait été acceptée. »

 

[17]           La SAI n’a pas accepté la preuve des époux : « S’ils étaient si amoureux et voulaient être ensemble le plus tôt possible, pourquoi ne se sont-ils pas mariés en mars 2006? » De plus, elle a mentionné que « le fait que [le demandeur] soit si amoureux de [l’épouse] et qu’il manigance une série de démarches malhonnêtes pour tenter de lui faire obtenir un visa de résident temporaire pour ensuite se contenter de venir lui rendre visite toutes les deux semaines indéfiniment est insensé. » Elle a conclu que les gestes du couple contredisaient ses affirmations selon lesquelles il s’est embarqué dans ce stratagème en raison de l’amour qu’ils ressentaient l’un pour l’autre.

 

[18]           Bien que les époux aient déposé de nombreux documents, y compris des lettres, des photographies, des virements de fonds, un registre d’appels téléphoniques et d’autres documents semblables pour démontrer que leur mariage était authentique, la SAI a tiré la conclusion suivante : « Les époux ont fait preuve d’un manque de sincérité et d’une facilité à mentir; ils ont présenté des éléments de preuve intéressés, et leurs témoignages sont criblés de contradictions. Tout cela porte le tribunal à croire qu’il devrait attribuer très peu de poids, sinon aucun, à la preuve présentée par le couple. »

 

[19]           La SAI a également conclu que la compatibilité des époux quant à leur âge était une question importante, bien qu’elle n’ait pas été en soi déterminante de l’authenticité du mariage. Cependant, compte tenu du penchant pour le mensonge des époux, la SAI a conclu que « le facteur de l’âge constitue un élément qui fait une différence. » En outre, l’épouse du demandeur avait démontré qu’elle désirait fortement vivre au Canada. La SAI a conclu que « l’âge ne saurait être un facteur pour elle si son plus grand souhait était d’immigrer au Canada ».

 

[20]           Le demandeur a également omis de fournir une « preuve claire, convaincante et probante » de son intention de résider au Canada, comme l’exige la Loi. Même si son permis de travail aux États-Unis expirait en mars 2009, la SAI a indiqué que « rien n’empêche [le demandeur] de continuer sa recherche d’emploi aux États-Unis », et qu’elle « ne dispos[ait] d’aucune preuve substantielle et convaincante démontrant que l’appelant a[vait] déployé des efforts pour revenir s’établir au Canada. » La SAI n’était pas non plus convaincue quant aux récits différents du demandeur et de son épouse à propos du divorce du demandeur d’avec sa première épouse.

 

[21]           En résumé, la SAI a conclu comme suit : « D’après la preuve [...], le tribunal ne peut pas accepter les registres d’appels téléphoniques, la visite subséquente [du demandeur], les photographies et les lettres à l’appui d’un mariage authentique. Ce ne sont que des instruments créés pour faire briller un lustre d’authenticité sur l’union en question. » À ce titre, « très peu de poids leur [a été] accordé, sinon aucun. »

 

[22]           L’épouse du demandeur a été déclarée être une personne visée par l’article 4 du Règlement et, en conséquence, ne pas appartenir à la catégorie du regroupement familial.

 

LES Questions en litige

 

[23]           Les questions soulevées par le demandeur peuvent être résumées comme suit :

1.                  La SAI s’est-elle appuyée sur des critères inappropriés pour déterminer l’authenticité du mariage et a-t-elle conclu à tort que le mariage n’était pas authentique?

2.                  La SAI a-t-elle manqué aux principes d’équité procédurale en faisant preuve de partialité envers le demandeur?

 

LES Dispositions législatives

 

[24]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Droit d’appel : visa

 

 

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

 

Right to appeal — visa refusal of family class

 

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

 

[25]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 s’appliquent également à la présente instance :

Mauvaise foi

 

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

Bad faith

 

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

LA Norme de contrôle

 

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une analyse relativement à la norme de contrôle dans chaque cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsqu’elle cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre un examen des quatre facteurs que comprend l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[27]           Le demandeur a saisi la Cour de la question de l’équité procédurale, c’est-à-dire la question de savoir si la SAI a suscité une crainte raisonnable de partialité contre lui. Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 126 et 129.

 

[28]           La Cour fédérale a déjà déterminé que la norme de contrôle à appliquer pour se prononcer sur l’authenticité d’un mariage est la norme de la décision manifestement déraisonnable (Donkor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1089, [2006] A.C.F. no 1375). Cependant, c’est la norme de la décision correcte qui est applicable lorsqu’il faut se prononcer sur la question de savoir si un décideur s’est appuyé sur des critères inappropriés pour rendre sa décision quant à l’authenticité d’un mariage. Voir Ouk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 891, [2007] A.C.F. no 1157. Ainsi, pour décider si la SAI s’est appuyée sur des facteurs inappropriés pour tirer sa conclusion selon laquelle le mariage du demandeur n’était pas authentique, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte.

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Le mariage était authentique

 

[29]           Une analyse effectuée au regard de l’article 4 du Règlement exige ce qui suit : premièrement, une évaluation de l’authenticité du mariage et deuxièmement, la détermination de la question de savoir si le mariage a été conclu principalement en vue d’acquérir un statut ou un privilège. Toutefois, le demandeur doit uniquement prouver que l’un de ces éléments ne s’applique pas à son cas. Voir Khera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 632, [2007] A.C.F. no 886, au paragraphe 6.

 

[30]           Pour établir l’authenticité d’un mariage, la SAI était tenue d’examiner des facteurs tels que les suivants : (i) la durée de la relation des parties avant le mariage; (ii) leur différence d’âge; (iii) leur ancien état matrimonial et civil; (iv) leur situation financière et d’emplois respective; (v) leurs antécédents familiaux; (vi) leur connaissance respective du vécu de l’autre; (vii) leur langue; (viii) leurs intérêts respectifs; (ix) les liens familiaux au Canada; (x) le fait que la personne parrainée a tenté de venir au Canada par le passé (voir Khera, précitée, au paragraphe 10).

 

[31]           Il ressort clairement des motifs de la SAI que la principale préoccupation de celle-ci quant à la crédibilité du demandeur était l’aveu par les époux d’avoir fait des fausses déclarations dans la demande de visa de visiteur de l’épouse du demandeur. La SAI a conclu qu’ils n’étaient pas crédibles parce qu’ils « admettent avoir forgé des renseignements » dans la demande de visa de visiteur. Dans trois pages de sa décision, la SAI a examiné les fausses déclarations admises et a finalement tiré la conclusion suivante : « Les fausses déclarations du couple démolissent non seulement sa crédibilité et sa sincérité, mais elles remettent également en question l’authenticité des documents que le couple a présentés, surtout ceux qui proviennent de l’étranger. »

 

[32]           Bien que la SAI ait accusé le demandeur et son épouse d’avoir fourni des éléments de preuve intéressés et d’avoir rendu des témoignages comportant des contradictions, la SAI n’a pas mentionné ces éléments de manière précise dans sa décision pour justifier le fait qu’elle a ignoré la preuve du couple. Le demandeur mentionne que la SAI l’a simplement puni pour avoir fait de fausses déclarations dans la demande de visa de visiteur. En effet, la décision de la SAI quant à l’authenticité du mariage paraît être fondée sur sa conclusion de fausses déclarations dans la demande de visa de visiteur. Il s’agit d’une erreur de droit.

 

[33]           La SAI a en outre commis une erreur en spéculant sur la raison pour laquelle le demandeur [traduction] « pourrait poser un tel geste ». Cette spéculation survient à plusieurs reprises tout au long des motifs et souligne le fait que le demandeur n’a pas eu droit à une audience équitable. Celle-ci n’est pas plus manifeste que lorsque la SAI a déclaré ce qui suit au cours de l’audience : [traduction] « Menteur un jour, menteur toujours. » Le demandeur soutient que cela démontre que la SAI a conclu que son mariage n’était pas authentique parce qu’il a admis avoir fait des fausses déclarations quant à des faits dans la demande de visa de visiteur.

 

[34]           La SAI a omis de tenir compte de l’argument convaincant présenté par le demandeur selon lequel les visas de visiteur sont difficiles à obtenir et que, par conséquent, les couples ne disent pas toujours la vérité dans leurs demandes. Le demandeur a admis savoir que sa conduite était inacceptable, mais il a expliqué qu’il s’était comporté ainsi parce que le couple s’aimait et désirait être ensemble. La SAI a cependant omis de prendre cette explication en compte. Le demandeur fait valoir que cela est surprenant, puisque la décision de la SAI est principalement fondée sur ce fait et que l’explication semble être tout à fait raisonnable.

 

[35]           Dans Ouk, précitée, dans laquelle il était question de fausses déclarations semblables, la Cour fédérale a statué comme suit :

Le tribunal d’appel pouvait conclure que la personne parrainée était interdite de territoire pour fausses déclarations suivant l’article 40 de la Loi ou que le mariage n’était pas authentique, mais ces deux questions doivent demeurer clairement séparées.

 

[36]           Le demandeur soutient qu’une erreur semblable a été commise en l’espèce. Lorsque la SAI évalue l’authenticité du mariage, elle néglige de tenir compte des facteurs pertinents énoncés dans Khera. Le demandeur fait valoir que [traduction] « [son] analyse est truffée de conjectures et de scénarios hypothétiques abstraits. »

 

[37]           Parmi les problèmes dans les motifs de la SAI, mentionnons les problèmes suivants :

a.                   la question selon laquelle le demandeur et son épouse « préparai[en]t le terrain »;

b.                  la préoccupation de la SAI à propos de la raison pour laquelle le demandeur n’a pas épousé sa conjointe en mars 2006 s’ils étaient à ce point amoureux;

c.                   le fait que la SAI s’est sans cesse appuyée sur les « démarches malhonnêtes » entreprises par le demandeur pour que son épouse entre au Canada;

d.                  le rejet par la SAI des « nombreux » documents parce que le couple avait « fait preuve [...] d’une facilité à mentir »;

e.                   l’insistance de la SAI sur la différence d’âge du couple « compte tenu du penchant pour le mensonge des époux »;

f.                    la longue évaluation non pertinente de la SAI des récits différents du demandeur et de son épouse concernant le premier divorce du demandeur;

g.                   le rejet de tous les documents par la SAI parce qu’ils « ne sont que des instruments créés pour faire briller un lustre d’authenticité sur l’union en question. »

 

[38]           L’examen des motifs indique clairement que la SAI a décidé de punir le demandeur et son épouse pour avoir fait de fausses déclarations dans la demande de visa de visiteur. Dans sa décision de 15 pages, la SAI consacre uniquement deux paragraphes à l’authenticité réelle du mariage. Toutefois, même cette courte évaluation repose sur la question antérieure des fausses déclarations et en est teintée.

 

[39]           La SAI commet également une erreur factuelle répétée. Bien que l’épouse du demandeur ait fourni une lettre de la banque déclarant qu’elle avait un million de pesos dans son compte, la SAI a continuellement commis une erreur en renvoyant à la somme de « un milliard de pesos » que l’épouse du demandeur prétendait avoir. Le demandeur soutient que cette conclusion était [traduction] « inexacte et tend à exagérer démesurément l’étendue des fausses déclarations en cause. »

 

[40]           De plus, la SAI a conclu que la preuve du demandeur était « contradictoire, tant intrinsèquement qu’extrinsèquement », mais a omis de mentionner les éléments qu’elle considérait contradictoires. Dans des motifs aussi longs, on s’attendrait à ce que le tribunal précise au moins les contradictions qui l’ont mené à écarter l’ensemble des « nombreux » éléments de preuve.

 

[41]           Dans Janjua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1521, [2005] A.C.F. no 1897, au paragraphe 3, le commissaire a conclu ce qui suit : « [M]a tâche ne consiste pas à punir la demandeure ou l’appelant pour avoir induit en erreur les agents d’Immigration Canada au sujet de quelque aspect concernant son cas, mais à évaluer l’authenticité de ce mariage, comme le prescrit la Loi. » En l’espèce, la SAI a puni le demandeur et son épouse pour avoir trompé les agents d’immigration dans sa demande de visa de visiteur plutôt qu’évaluer l’authenticité du mariage. Cette erreur nécessite l’intervention de la Cour.

 

La crainte raisonnable de partialité

 

[42]           Le critère pour déterminer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité a été énoncé dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, [1976] A.C.S. no 118. La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

La crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. »

 

[43]           En l’espèce, une personne raisonnable conclurait que la SAI a fait preuve de partialité. Une conclusion semblable a été tirée dans Janjua, précitée, et devrait être tirée dans la présente affaire.

 

[44]           Les exemples suivants de partialité ressortent des motifs de la SAI ainsi que des enregistrements de l’instance :

a.                   Le refus de la SAI d’autoriser l’avocat du demandeur de le réinterroger sur ce que son épouse savait du travail de ses enfants.

b.                  L’attitude agressive de la SAI envers le demandeur, lui disant à un certain moment, après que celui‑ci ait tenté de parler pendant le témoignage de son épouse, [traduction] « M. Paulino, je vous le dis pour la dernière fois. Ne parlez pas. Restez assis et taisez-vous. »

c.                   Après s’être excusée, la SAI a déclaré ce qui suit : [traduction] « Vous avez eu tout le temps voulu pour dire à la demandeure ce que vous vouliez lui dire. Vous ne le faites pas ici. Comprenez-vous ? »

d.                  La déclaration suivante de la SAI : [traduction] « Vous devez me convaincre que vous avez menti auparavant et que vous ne mentez pas maintenant, comment puis-je savoir quand vous me mentez pas; vous avez menti auparavant et vous pourriez mentir maintenant […] il est très difficile de défaire un mensonge une fois pris en flagrant délit de mensonge. »

e.                   L’interruption de l’avocat du demandeur par la SAI pour dire : [traduction] « Vous savez, il y a un vieil adage, menteur un jour, menteur toujours. »

f.                    La déclaration de la SAI : [traduction] « Je ne suis pas clairvoyante. Je ne peux pas vous le dire; mais je peux vous dire qu’une fois que j’ai terminé, je peux toujours me regarder dans le miroir et si une cour maintient ou non une de mes décisions, je n’ai absolument pas une once de regret. »

g.                   Après avoir appelé l’épouse du demandeur Mme Paulino, la commissaire a déclaré ce qui suit : [traduction] « Je crois que c’est ainsi qu’elle s’appelle ces jours-ci. »

 

[45]           Le demandeur établit un parallèle entre la présente affaire et la décision Janjua, précitée, dans laquelle il a été conclu que le langage utilisé dans la décision constituait une manifestation de partialité. En l’espèce, le demandeur n’a pas eu la possibilité raisonnable de présenter sa preuve devant un décideur impartial. Il ressort clairement de l’ensemble de l’audience que la SAI avait déjà pris sa décision concernant le mariage et qu’elle avait fondé celle-ci presque exclusivement sur les fausses déclarations admises par le demandeur. Le demandeur allègue qu’il a été non seulement privé d’équité procédurale, mais que le zèle et la partialité de la SAI ont entraîné une erreur importante, à savoir insister sur des considérations non pertinentes. Il est manifeste que les manquements à la procédure en l’espèce ont eu une incidence importante sur l’issue de l’audience et justifient l’intervention de la Cour.

 

Le défendeur

 

[46]           La SAI a conclu que le demandeur et son épouse n’étaient pas crédibles, fiables ou dignes de confiance. Cette conclusion était fondée sur plusieurs motifs :

a.                   l’admission du demandeur selon laquelle il avait forgé des éléments de preuve pour la demande de visa de visiteur de son épouse;

b.                  l’étendue des fausses déclarations antérieures du couple;

c.                   les éléments de preuve contradictoires fournis par le demandeur concernant la somme d’argent que son épouse avait dans son compte bancaire;

d.                  le fait que la preuve de l’épouse du demandeur semblait résulter d’une collusion et d’une mise en scène;

e.                   l’échange de courriels qui a eu lieu entre les époux après la demande en mariage et qui contredisait leur témoignage selon lequel ils se connaissaient bien;

f.                    les contradictions du témoignage du demandeur en ce qui a trait au moment où il a décidé d’épouser sa conjointe;

g.                   le rejet par la SAI de l’explication du demandeur quant à savoir pourquoi il avait menti dans la demande de visa de visiteur;

h.                   l’absence de preuve concernant un plan visant son épouse si elle obtenait un visa de visiteur;

i.                     la différence d’âge entre le demandeur et son épouse.

 

[47]           Le défendeur soutient que l’examen des transcriptions révèle que la SAI n’a fait preuve d’aucune crainte raisonnable, mais qu’elle a plutôt été influencée par la malhonnêteté du demandeur et de son épouse. La SAI a attribué à la malhonnêteté du couple le poids approprié et a ensuite mentionné d’autres facteurs qui l’ont convaincue que le mariage n’était pas authentique.

 

[48]           De plus, si le demandeur était préoccupé par la partialité, il aurait dû soulever la question à la première occasion. En l’espèce, la première occasion aurait été l’audience devant la SAI. Le défaut de soulever cette question dès que possible ou de présenter une objection quand à une crainte raisonnable de partialité, constitue une renonciation implicite. La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada limitée, [1986] 1 C.F. 103, à la page 113 : « La seule manière d’agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d’alléguer la violation d’un principe de justice naturelle à la première occasion. » Dans l’arrêt Re Tribunal des droits de la personne, au paragraphe 13, la cour a également mentionné que la demandeure avait « participé d’une manière complète à l’audience et, par conséquent, on doit tenir pour acquis qu’elle a implicitement renoncé à son droit de s’opposer ».

 

[49]           Le défendeur soutient que la justification de ce principe de renonciation est que [traduction] « les demandeurs ne peuvent pas “garder” une allégation de partialité ou “s’empêcher” de présenter une objection, et conserver l’allégation en guise d’assurance contre les déceptions futures. » En l’espèce, l’avocat du demandeur n’a pas soulevé la question d’une allégation de partialité. En conséquence, il a renoncé au droit de la soulever maintenant.

 

[50]           Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’examen des transcriptions et des motifs dans leur ensemble, le défendeur fait valoir qu’il n’y a aucune preuve de conduite inappropriée de la part de la SAI qui permettrait de susciter une crainte raisonnable de partialité.

 

[51]           La SAI a fourni plusieurs raisons pour conclure que le mariage du demandeur n’était pas authentique. Les arguments du demandeur ne constituent rien de plus qu’un désaccord à propos du poids que la SAI a attribué aux éléments de preuve dont elle était saisie. Bien que le demandeur ait fait valoir que la SAI aurait dû déclarer le mariage authentique compte tenu de la preuve dont elle était saisie, la SAI a examiné cette preuve et a alors conclu qu’elle ne méritait pas beaucoup de poids.

 

ANALYSE

 

[52]           La décision dans son ensemble, accompagnée de certaines observations faites par l’agente, révèle que son évaluation de l’authenticité du mariage et de la question de savoir s’il avait été conclu principalement aux fins d’acquérir un statut ou un privilège en vertu de la Loi, a été grandement influencée par la découverte que le demandeur et Mimi avaient menti et forgé des éléments de preuve dans la demande de visa de visiteur de Mimi :

Le tribunal considère que l’appelant et la demandeure ne sont pas crédibles, fiables ou dignes de confiance. Ces derniers admettent avoir forgé des renseignements dans l’intention d’obtenir des visas de résident temporaire pour la demandeure et son fils afin qu’ils entrent au Canada en 2006. Non seulement leur penchant au mensonge entache-t-il l’ensemble de leurs témoignages, mais il mine aussi leur crédibilité. Leur preuve était contradictoire, tant intrinsèquement qu’extrinsèquement. Les gestes du couple étaient délibérés. L’appelant et la demandeure ont élaboré des manœuvres complexes à la seule fin de faussement représenter la situation financière de la demandeure afin d’inciter l’agente des visas à accorder des visas de résident temporaire pour elle et son fils. Ils ont agi ainsi tout au long du processus de demande de visa de résident temporaire, durant les entrevues relatives au parrainage et après que le tribunal eut entendu une preuve substantielle lors de l’instruction de l’appel. Le comportement de l’appelant et de la demandeure entraîne des considérations d’intérêt public qui touchent au cœur de l’intégrité du système d’immigration. Par conséquent, le tribunal ne peut pas accepter leur preuve dans la mesure où elle est appuyée par d’autres éléments de preuve indépendants.

 

 

[53]           La même préoccupation ressort clairement au paragraphe 15 de la décision :

Certains éléments de preuve du couple étaient intrinsèquement et extrinsèquement contradictoires. À quelques reprises, leur preuve a semblé collusive et a donné l’impression qu’elle résultait d’une mise en scène. Durant son témoignage, la demandeure semblait parfois lire ou réciter sa preuve. Les fausses déclarations du couple démolissent non seulement sa crédibilité et sa sincérité, mais elles remettent également en question l’authenticité des documents que le couple a présentés, surtout ceux qui proviennent de l’étranger.

 

 

[54]           L’agente omet d’expliquer à cet endroit de la décision les éléments de preuve qu’elle décrit comme étant « intrinsèquement et extrinsèquement contradictoires » et la preuve qui semblait « collusive et [donnait] l’impression qu’elle résultait d’une mise en scène », de sorte qu’il n’existe pas de fondements clairs pour une décision défavorable outre la préoccupation concernant le processus de visa de visiteur. Lorsque la décision est lue dans son ensemble, l’attitude et l’approche de l’agente sont que, parce que le couple a menti une fois, tout ce qu’il peut dire maintenant à propos de l’authenticité de leur mariage peut ne pas être cru et que l’authenticité des nombreux documents présentés par le couple sur ce point est irrémédiablement minée.

 

[55]           L’agente mentionne qu’elle adopte les facteurs mentionnés dans Khera, précitée, Chavez, Rodrigo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), SAI TA3-24409, le 11 février 2005, et Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2006 CF 149m [2006] A.C.F. no 1875, « le cas échéant », mais en bout de ligne, tous les éléments qui pourraient être favorables au couple sont écartés en raison de leur conduite antérieure à l’égard du visa de visiteur. D’autres anomalies et contradictions sont soulevées, mais sans la force d’attraction de la question du visa de visiteur, elles ne constitueraient pas une justification suffisante pour écarter les autres éléments de preuve du demandeur qui appuient clairement l’authenticité du mariage. Cela est particulièrement le cas de la grande quantité d’éléments de preuve documentaire qui sont si imposants qu’il est difficile de voir comment ils auraient pu être forgés. En effet, le traitement de la preuve documentaire par l’agente est révélateur de l’ensemble de son approche en l’espèce :

L’appelant a déposé plusieurs documents à titre de preuve qu’il avait l’intention de retourner s’établir au Canada, y compris des lettres qu’il aurait envoyées et reçues dans le cadre de sa recherche d’emploi ainsi qu’une carte d’adieu de la part de ses anciens collègues de travail de la banque. De plus, les époux ont déposé de nombreux documents, y compris des lettres, des photographies, des virements de fonds, un registre d’appels téléphoniques et d’autres documents semblables pour démontrer que leur mariage est authentique. Les époux ont fait preuve d’un manque de sincérité et d’une facilité à mentir; ils ont présenté des éléments de preuve intéressés, et leurs témoignages sont criblés de contradictions. Tout cela porte le tribunal à croire qu’il devrait attribuer très peu de poids, sinon aucun, à la preuve présentée par le couple. En l’espèce, le tribunal juge, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant n’a pas réfuté la préoccupation de l’agente des visas.

 

 

[56]           L’agente mentionne des « éléments de preuve intéressés [et des] contradictions », mais elle n’explique pas, outre la facilité des époux à mentir auparavant à propos du visa de visiteur, ce qui était contradictoire ou intéressé dans leur preuve et qui était pertinent pour la question dont l’agente était saisie en vertu de l’article 4 du Règlement.

 

[57]           À titre d’exemple, au paragraphe 32 de la décision, l’agente mentionne les renseignements contradictoires que les époux ont donnés « concernant la dissolution du premier mariage du demandeur ». Le demandeur a mentionné un trouble mental et Mimi a mentionné la jalousie à propos des biens matériels des voisins et de nombreuses disputes. Ces explications ne comportent rien d’incompatible en soi. Une personne atteinte d’un trouble mental peut être jalouse et susciter des disputes. L’agente formule ensuite des conjectures à propos de la relation du demandeur avec son ancienne femme et mentionne que le demandeur pourvoit aux besoins du fils de Mimi. Le tout est alors résumé dans une conclusion générale selon laquelle tout ce que les époux disent fait partie d’un grand stratagème de mensonges :

Par ailleurs, il y a des éléments de preuve selon lesquels l’appelant pourvoit à l’entretien du fils de la demandeure, et ce, jusqu’à présent. Cela fait probablement partie du plan que l’appelant a manigancé, un stratagème dont, selon les dires de l’appelant, la demandeure ne connaissait pas tous les détails. Le tribunal juge que ce que les époux connaissent l’un de l’autre, surtout en ce qui a trait à leurs vies personnelles, ne reflète pas ce que doivent normalement savoir des conjoints unis dans une relation authentique et qui déclarent être éperdument amoureux l’un de l’autre.

 

[58]           Vu l’approche de l’agente, il ressort clairement que les époux ne peuvent avoir gain de cause. Un détail (en l’occurrence le fait que le demandeur pourvoit à l’entretien du fils de Mimi) qui pourrait appuyer l’authenticité de la relation sert au contraire à étayer une conclusion défavorable parce qu’il fait vraisemblablement partie intégrante du stratagème complexe de mensonges. Tous leurs documents à l’appui soumis par les époux, et même les facteurs favorables, sont écartés parce que, selon l’agente, ils font partie du stratagème général de mensonges. L’agente dit que « leurs réponses aux questions concernant leurs sentiments mutuels et leurs plans sont vagues; il n’y a rien de précis. » L’agente a cependant été saisie d’une quantité considérable d’éléments de preuve documentaire, dont certains antérieurs à la demande de visa de visiteur, qui révèlent tout naturellement le respect et l’amour des époux l’un envers l’autre. Tous ces éléments de preuve sont rejetés.

 

[59]           Au bout du compte, la prémisse fondamentale de la décision est qu’en raison du penchant avoué pour le mensonge concernant le visa de visiteur, les époux n’ont aucune crédibilité à l’égard de quoi que ce soit. Dans certaines circonstances, il peut être acceptable qu’une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité soit utilisée de cette façon mais, de manière éloquente en l’espèce, l’agente omet de traiter pleinement les motifs présentés par les époux quant à leur conduite à propos du visa de visiteur. Dans l’arrêt Sellan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, [2008] A.C.F. no 1685, au paragraphe 3, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

Lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que cette preuve existe.

 

En l’espèce, l’agente a simplement rejeté la pléthore d’éléments de preuve indépendants et crédibles permettant d’étayer une décision favorable au motif qu’ils ont dû tous avoir été forgés. Cependant, elle ne se penche aucunement sur la question de savoir comment de si nombreux documents auraient pu être forgés. Le résultat final est que la preuve documentaire qui étaye la prétention est tout simplement écartée.

 

[60]           L’insistance de l’agente à l’égard de la question du visa de visiteur à l’exclusion de presque tout autre élément dénote un esprit étroit et a donné lieu à une décision déraisonnable. Voir par exemple, Abdel-Khalik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 73 F.T.R. 211, [1994] A.C.F. no 111, au paragraphe 15 (QL). Elle n’apprécie pas les éléments de preuve favorables par rapport aux éléments défavorables. Voir Cai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 131 F.T.R. 66, [1997] A.C.F. no 690, au paragraphe 20 (QL). Elle les rejette de sorte qu’aucune appréciation véritable n’a lieu.

 

[61]           À mon avis, lorsque la décision est prise dans son ensemble, l’agente perd de vue l’évaluation des facteurs prévus à l’article 4 conformément aux critères établis dans Khera et concentre sa décision sur les fausses déclarations antérieures des époux. Cela équivaut à choisir des critères inappropriés pour établir l’authenticité du mariage et, à mon avis, cela constitue une erreur de droit lorsqu’examiné selon la norme de la décision correcte. Voir Ouk, précitée, au paragraphe 10.

 

[62]           La décision doit être renvoyée pour nouvel examen pour ce seul motif. Il n’est pas utile que j’examine plus en profondeur la question supplémentaire de la partialité. En effet, les deux questions font partie du même problème. La décision de l’agente selon laquelle, en raison de la facilité à mentir des époux quant à la demande de visa de visiteur, les nombreux éléments de preuve à l’appui de l’authenticité de ce mariage sont inutiles, devrait être ignorée. J’estime que cette approche traduit une crainte raisonnable de partialité. Voir par exemple Janjua, précitée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est accueillie et la décision est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

 

     « James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4463-09

 

Intitulé :                                       PAULINO M. PAULINO

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 mars 2010

 

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 17 mai 2010

 

 

Comparutions :

 

Mario D. Bellissimo                                                                  pour le demandeur

 

Bridget A. O’Leary                                                                  pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mario D. Bellissimo                                                                  pour le demandeur

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

 

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