Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100526

Dossier : T-1593-09

Référence : 2010 CF 556

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2010

En présence de monsieur le juge Mainville

 

 

ENTRE :

WANDA MACFARLANE

demanderesse

et

 

DAY & ROSS INC.

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]   Dans la présente affaire, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision en date du 2 septembre 2009 par laquelle un arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, a statué qu’il n’avait pas compétence pour connaître de la plainte par laquelle Wanda MacFarlane (la demanderesse) alléguait qu’elle avait été congédiée injustement du poste qu’elle occupait chez Ross & Day Inc. (la défenderesse) au motif que la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, prévoyait un autre recours.

 

[2]   Pour les motifs ci-après exposés, la présente demande de contrôle judiciaire ne sera accueillie qu’en partie. L’arbitre n’a violé aucun principe de justice naturelle ou d’équité procédurale dans sa façon de présider l’instance ou dans sa décision, et c’est avec raison qu’il a estimé que l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail l’empêchait d’instruire et de trancher la plainte de congédiement injuste. Il a toutefois commis une erreur en déclinant compétence d’une manière qui empêchait la Commission canadienne des droits de la personne de lui renvoyer la plainte en vertu des pouvoirs conférés à celle‑ci par l’alinéa 41(1)b) ou l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

Contexte

[3]   La demanderesse a commencé à travailler pour la défenderesse en février 2001. Elle a été congédiée le 4 juillet 2008 pour les motifs suivants énoncés dans l’avis écrit de congédiement que la défenderesse lui a fait parvenir (pièce 2 de l’affidavit de Wanda MacFarlane, à la page 36 du dossier de demande) :

[traduction]

La présente confirme la décision de l’entreprise de mettre fin à votre emploi à compter d’aujourd’hui.

 

Notre décision est motivée par les faits suivants : la négligence grossière dont vous avez fait preuve en supprimant 149 dossiers et en tentant par la suite de camoufler votre geste, votre absence non autorisée récente et votre réticence à continuer à exercer vos fonctions actuelles.

 

 

[4]   La demanderesse a contesté son congédiement le 29 août 2008 en déposant la plainte écrite suivante en application de l’article 240 du Code canadien du travail (pièce 1 de l’affidavit d’Eric Rowley, à la page 18 du dossier de la défenderesse) :

[traduction]

J’estime que j’ai été congédiée injustement par Day and Ross Ltd le 24 (sic) juillet 2008.

Veuillez faire enquête.

 

 

 

[5]   Un arbitre a ensuite été désigné conformément au paragraphe 242(1) du Code canadien du travail pour entendre et instruire la plainte et, le 21 avril 2009, il a signifié à la demanderesse un avis l’informant qu’une audience aurait lieu les 25 et 26 août 2009 (paragraphe 9 de l’affidavit de Wanda MacFarlane).

 

[6]   Après l’envoi de cet avis d’audience de la plainte déposée en vertu du Code canadien du travail, la demanderesse a soumis une autre plainte à la Commission canadienne des droits de la personne le 28 mai 2009. Dans le récit circonstancié détaillé de trois pages de la plainte qu’elle a soumise à la Commission, la demanderesse a notamment formulé les observations suivantes (pièce 5 de l’affidavit d’Eric Rowley, aux pages 35 et 37 du dossier de la défenderesse) :

[traduction]

J’ai des motifs raisonnables de croire que mon employeur a fait preuve de discrimination à mon endroit. Je déclare qu’à ma connaissance, les faits qui suivent sont exacts.

 

Je m’appelle Wanda Irene MacFarlane et ma plainte vise Day & Ross Inc. Je suis âgée de 62 ans. On a diagnostiqué chez moi une dépression clinique, de la fibromyalgie et des migraines. J’estime avoir fait l’objet de discrimination fondée sur mon âge et sur une déficience.

 

[…]

 

Le 4 juillet 2008, on a mis fin rétroactivement à mon emploi en me remettant en mains propres une lettre. J’étais invalide depuis le 23 mai 2008. J’estime que le fait d’augmenter sciemment mon exposition à des tâches qui aggravaient mon invalidité jusqu’à ce que je devienne incapable de fonctionner, de me refuser l’assurance-invalidité et de mettre fin à mon emploi alors que j’étais invalide, tout en faisant état d’erreurs commises en raison de cette invalidité connue, constitue de la discrimination fondée sur la déficience.

 

 

 

[7]   La Commission canadienne des droits de la personne a avisé la défenderesse de cette plainte le 24 juillet 2009. Dans sa lettre, la Commission a expliqué ce qui suit (pièce 5 de l’affidavit d’Eric Rowley, à la page 32 du dossier de la défenderesse) :

[traduction]

Veuillez prendre note que l’examen initial de votre plainte n’a pas permis de constater l’existence d’une des questions visées au paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Aux termes du paragraphe 41(1), la Commission peut refuser d’examiner une plainte dans certaines circonstances, notamment lorsque le plaignant dispose d’un autre recours, lorsque la plainte n’est pas de la compétence de la Commission, lorsque les faits allégués dans la plainte précèdent de plus d’un an le dépôt de la plainte ou lorsque la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Si vous estimez que la présente plainte soulève des questions visées au paragraphe 41(1), veuillez en aviser la Commission dans les trente jours de la réception de la présente lettre de manière à ne pas retarder le traitement de la plainte.

 

 

 

[8]   Il est utile de signaler que la présente plainte est toujours en instance devant la Commission canadienne des droits de la personne et qu’à la date de l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire, la Commission n’avait pas encore rendu de décision en vertu de l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[9]   Le 14 août 2009, l’avocat qui représentait la défenderesse a écrit à l’arbitre pour l’informer que, compte tenu de la nouvelle plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la défenderesse contestait maintenant la compétence de l’arbitre pour statuer sur la plainte fondée sur le Code canadien du travail en application de l’alinéa 242(3.1)b) de ce Code.

 

[10]           La demanderesse s’attaque à cette contestation de la compétence de l’arbitre en faisant valoir que, dans sa plainte déposée en vertu du Code canadien du travail, elle ne prétend pas avoir fait l’objet d’un acte discriminatoire, et ajoute que la plainte [traduction] « peut être tranchée sans qu’il soit nécessaire de déterminer s’il y a eu discrimination » (pièce 6 de l’affidavit de Wanda MacFarlane, à la page 50 du dossier de demande). La demanderesse a également soumis à l’arbitre les détails suivants en ce qui concerne sa plainte fondée sur le Code canadien du travail (pièce 7 de l’affidavit de Wanda MacFarlane, à la page 54 du dossier de demande) :

[traduction]

Pour ce qui est de ma plainte de congédiement injuste, en voici les détails :

 

Ma lettre de congédiement énumérait quatre raisons distinctes censées justifier la cessation de mon emploi […]

 

Je suis d’avis qu’aucune de ces allégations n’est fondée. J’estime en outre que, même si l’une ou l’autre ou la totalité de ces allégations étai(en)t jugée(s) vraie(s), selon la prépondérance des probabilités, mon congédiement serait quand même injuste parce que Day & Ross n’a pas appliqué de sanctions disciplinaires progressives.

 

 

[11]           L’arbitre a répondu le 18 août 2009 aux divers échanges entre les parties au sujet de sa compétence et de la poursuite de l’instance se déroulant devant lui en rejetant la demande d’ajournement de la défenderesse, confirmant ainsi l’échéancier initial prévu pour l’instruction de la plainte (pièce 10 de l’affidavit de Wanda MacFarlane, à la page 63 du dossier de demande) :

[traduction] Après réflexion, je suis d’avis de poursuivre l’audience comme prévu la semaine prochaine. Si l’employeur désire continuer à contester ma compétence, il peut présenter les éléments de preuve nécessaires pour appuyer sa prétention qu’il existe un lien entre l’affaire dont je suis saisi et la plainte déposée devant la Commission des droits de la personne.

 

 

 

[12]           À la suite de la demande que la défenderesse lui avait présentée pour qu’il reconsidère sa décision de poursuivre l’instruction, l’arbitre a répondu ce qui suit dans un courriel daté du 19 août 2009, envoyé à 8 h 34 (pièce 20 de l’affidavit d’Eric Rowley, à la page 269 du dossier de la défenderesse) :

[traduction] J’ai bien reçu le document que vous m’avez fait parvenir en réponse et j’en ai pris connaissance. Toutefois, pour assurer l’équité de la présente procédure, je suis d’avis que l’audience doit se poursuivre. Je constate que vous mentionnez certains des documents du recueil de documents de l’entreprise. Comme vous le savez, j’ai bien reçu ce recueil, mais j’ignore si la plaignante l’a également reçu et je ne sais pas quelle sera sa position en ce qui concerne son admission en preuve. À mon avis, la seule façon d’aborder cette question préliminaire, et d’ailleurs de statuer sur le fond de l’affaire, consiste à poursuivre l’instruction de l’affaire, et c’est ce que j’ai décidé de faire. Votre objection repose essentiellement sur la preuve. Or, je ne dispose pour le moment d’aucun élément de preuve.

 

Les deux parties devront être présentes à l’audience conformément à l’avis d’audience que je leur ai fait parvenir plus tôt cette année et elles devront être prêtes à soulever toute objection préliminaire. Je vais alors examiner toute question préliminaire et décider s’il y a lieu de poursuivre ou non l’affaire quant au fond. Je m’attends à ce que les deux parties soient prêtes à procéder sur le fond au besoin.

 

 

 

[13]           Devant cette décision relative à l’échéancier de l’instance et à la procédure à suivre, la défenderesse a demandé la disjonction de l’instance. L’arbitre a répondu ce qui suit le même jour dans un courriel daté du 19 août 2009, envoyé à 13 h 05 (pièce 22 de l’affidavit d’Eric Rowley, à la page 275 du dossier de la défenderesse) :

[traduction] Je vais entendre les observations sur votre demande de disjonction, mais à moins qu’on me convainque du contraire, je m’attends à ce que l’audience se poursuive quant au fond.

 

 

 

[14]           Une audience a par conséquent eu lieu devant l’arbitre le 25 août 2009. Au cours de cette audience, des éléments de preuve ont été présentés et des observations ont été formulées au sujet de la question de la compétence. Après avoir entendu les parties à cet égard, l’arbitre a décidé de reporter à plus tard sa décision sur cette question et d’ajourner l’audience sur le fond de la plainte tant qu’il n’aurait pas tranché cette question (paragraphe 39 de l’affidavit de Wanda MacFarlane et paragraphe 59 de l’affidavit d’Eric Rowley).

 

Décision de l’arbitre

[15]           L’arbitre a jugé qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte présentée en vertu du Code canadien du travail compte tenu de son alinéa 242(3.1)b), interprété par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354, 126 D.L.R. (4th) 679, [1995] A.C.F. no 1066 (QL), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à [1995] C.S.C.R. no 444 (QL) (Byers Transport).

 

[16]           L’arbitre a expliqué qu’il devait aborder deux questions pour pouvoir se prononcer sur la question de la compétence en vertu de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail : a) la situation factuelle exposée dans la plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne est-elle essentiellement la même que celle qui est relatée dans la plainte fondée sur le Code canadien du travail?; b) la procédure prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne permet-elle à la demanderesse d’obtenir une véritable réparation?

 

[17]           Voici comment il a répondu à ces questions aux paragraphes 19, 20 et 21 de sa décision :

[traduction]

19. Dans l’affaire dont je suis saisi, malgré la prétention de la plaignante, je conclus sans aucune hésitation que la plainte qui m’a été soumise est essentiellement la même que celle qu’elle a déposée devant la CCDP. À mon avis, bien que la plainte dont elle a saisi la CCDP soit plus détaillée, il suffit de lire les mots qu’elle emploie elle-même à l’avant-dernier paragraphe pour constater qu’il s’agit de la même plainte. Ces mots ont déjà été cités au paragraphe 8 qui précède. Elle affirme clairement et sans équivoque que son congédiement équivalait à de la discrimination fondée sur une déficience. Je n’ai donc d’autre choix que de conclus que la plainte (sic) soumise à la CCDP est essentiellement la même que celle dont je suis saisi, ce qui devient encore plus évident lorsqu’on tient compte du fait que la plaignante affirme que c’est sa déficience qui est à l’origine des « erreurs » qui ont conduit à son congédiement.

 

20. S’agissant du pouvoir de réparation conféré par la LCDP, je souscris à l’analyse qu’en fait l’arbitre Cooper dans la décision Duncan, [[2000] C.L.A.D. No. 588]. Au paragraphe 17 de cette décision, l’arbitre signale quelques-uns des vastes recours ouverts en vertu de la LCDP. Bien qu’ils ne soient pas nécessairement les mêmes que ceux qui sont prévus par le Code, on arrive difficilement à imaginer qu’on pourrait les qualifier autrement que de recours permettant « à la même plaignante d’obtenir une véritable réparation ».

 

21. Pour tous les motifs qui précèdent, je n’ai aucune hésitation à conclure que je n’ai pas compétence, en vertu de la loi pour statuer sur la présente affaire.

 

 

 

[18]           La décision aurait pu se terminer là. Mais l’arbitre est allé un peu plus loin, aux paragraphes 22, 23 et 24 de sa décision, en déclarant qu’il n’était pas compétent pour statuer sur les plaintes de congédiement injuste dans lesquelles étaient alléguées des violations de droits de la personne :

[traduction]

22. Pour arriver à cette conclusion, je relève que le Code n’a pas été modifié et que d’autres mesures législatives ont été prises ailleurs au Canada dans la foulée de l’arrêt Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42, de la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour a notamment conclu que l’arbitre désigné en vertu d’une convention collective a le pouvoir d’interpréter les dispositions législatives pertinentes en matière de droits de la personne, et ce, parce que ces dispositions sont, de l’avis de la Cour, incorporées dans chaque convention collective. L’arrêt Parry Sound, précité, a été appliqué par les arbitres un peu partout au Canada, et il a donné lieu à la modification de divers textes législatifs pour tenir compte de l’état du droit formulé par la Cour suprême du Canada.

 

23. Cela dit, en tant qu’arbitre désigné en vertu des dispositions du Code canadien du travail, je tiens mes pouvoirs de la loi et je ne peux donc agir « uniquement de mon propre chef ». Je dois appliquer la loi telle qu’elle est rédigée.

 

[…]

 

24. Je conclus que, comme je ne suis pas compétent pour instruire la plainte, il serait inutile d’entendre les éléments de preuve se rapportant à son bien-fondé.

 

 

 

Thèse de la demanderesse

[19]           La demanderesse, qui se représente elle-même, énumère dix points litigieux dans sa demande de contrôle judiciaire. Elle a ajouté de nouveaux points litigieux et en a développé d’autres dans son mémoire des faits et du droit ainsi que dans son plaidoyer lors de l’instruction de la présente demande. Plusieurs de ces questions se chevauchent. Je vais résumer comme suit sa thèse.

 

[20]           Premièrement, l’arbitre a violé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale étant donné que la demanderesse n’a pas été en mesure d’entendre adéquatement le débat. La demanderesse ajoute que l’arbitre n’a pas fait grand-chose pour remédier à la situation. En effet, selon la demanderesse, la salle d’audience, qui se trouve dans un centre municipal, était bruyante. Elle a par conséquent était incapable de suivre pleinement le déroulement de l’instance. Elle prétend avoir demandé à l’arbitre de prendre les mesures qui s’imposaient, mais qu’il n’a rien fait.

 

[21]           Deuxièmement, la demanderesse soutient qu’on ne lui a jamais offert la possibilité de faire valoir son point de vue au sujet de la disjonction de l’instance réclamée par la défenderesse, ce qui, là encore, soulève des questions de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

[22]           Troisièmement, la demanderesse affirme que les motifs invoqués par l’arbitre pour décliner compétence sont insuffisants étant donné que l’analyse de l’arbitre ne permet ni de suivre le fil de son raisonnement, ni de savoir si les règles de droit et les politiques pertinentes ont été correctement appliquées, et ne répond pas non plus directement aux arguments de la demanderesse. Bien que cette prétention ait, dans une certaine mesure, un lien avec les arguments invoqués par la demanderesse pour contester le bien-fondé de la décision, elle soulève effectivement certaines questions qui ont trait à la justice naturelle et à l’équité procédurale.

 

[23]           Enfin, la demanderesse affirme que l’arbitre a eu tort de décliner compétence. Elle lui reproche de ne pas avoir saisi la nature essentielle de sa plainte fondée sur le Code canadien du travail, qui ne fait aucune allusion aux questions de droits de la personne, et de ne pas avoir procédé à une analyse appropriée, ce qui l’a amené à conclure que les deux plaintes étaient essentiellement identiques et à refuser en conséquence à tort d’exercer sa compétence.

 

Thèse de la défenderesse

[24]           La défenderesse affirme qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale ou aux principes de justice naturelle en l’espèce. En réponse à l’allégation de la demanderesse suivant laquelle elle était incapable de suivre le déroulement de l’audience, la défenderesse fait valoir que la demanderesse n’a fait qu’un seul commentaire à cet égard, à l’ouverture de l’audience, et que l’arbitre a corrigé la situation de façon appropriée. La demanderesse n’a plus soulevé la question après cela, et son défaut de se plaindre après qu’on eut répondu à sa demande fait échec à son argument. En outre, la demanderesse a participé activement à l’audience. On peut donc inférer qu’elle pouvait entendre les échanges et qu’elle les a effectivement entendus.

 

[25]           La défenderesse ajoute que l’arbitre a décidé à juste titre de disjoindre l’instance étant donné qu’il avait le pouvoir de définir la procédure à suivre en vertu de l’alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail. Par ailleurs, rien dans le témoignage livré par la demanderesse n’indiquait qu’elle s’opposait à la disjonction réclamée au moment de l’audience. Jamais durant l’audience ou avant le prononcé de la décision, la demanderesse n’a soulevé de problème quant à l’équité de l’audience, le déroulement de l’instance ou les actes posés par l’arbitre. De plus, les motifs exposés par l’arbitre pour justifier la disjonction de l’instance étaient raisonnables dans les circonstances.

 

[26]           La défenderesse ajoute que l’arbitre a estimé, de façon raisonnable, que la plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne était essentiellement la même que celle dont il était saisi. En conséquence, il est clair que l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail s’applique au cas qui nous occupe, et l’arbitre n’avait donc pas compétence pour examiner la plainte en vertu du Code canadien du travail.

 

Dispositions législatives applicables

[27]           Les dispositions applicables du Code canadien du travail sont le paragraphe 240(1) et les articles 242 et 243, dont voici le texte :

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

 

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même

 

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

 

 

 

 

 

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

 

 

 

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

 

 

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

 

 

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

 

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

 

 

 

 

 

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre:

 

 

 

a) décide si le congédiement était injuste;

 

 

 

 

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

 

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

 

 

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

 

 

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

 

 

 

 

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

 

 

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

 

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

 

243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

 

 

 

 

 

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

 

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

 

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

 

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

 

(b) shall determine the procedure to be followed but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

 

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

 

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

 

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

 

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

 

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

 

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

 

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

 

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

 

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

 

(b) reinstate the person in his employ; and

 

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

 

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

 

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

 

 

 

[28]            Le paragraphe 3(1), l’article 7, les paragraphes 40(1), 41(1), 44(1), (2) et (3) et 53(2) et (3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont ainsi libellés :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

 

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

 

 

40. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée

de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

 

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

53. (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

 

 

 

 

 

 

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l’article 17;

 

 

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

 

 

 

 

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

 

 

 

 

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

 

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

 

 

 

 

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

 

 

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

 

 

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

 

40. (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;



(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act, it shall refer the complainant to the appropriate authority.

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 


(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

53. (2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

 

(a) that the person cease the discriminatory practice and take measures, in consultation with the Commission on the general purposes of the measures, to redress the practice or to prevent the same or a similar practice from occurring in future, including

(i) the adoption of a special program, plan or arrangement referred to in subsection 16(1), or

(ii) making an application for approval and implementing a plan under section 17;

 

(b) that the person make available to the victim of the discriminatory practice, on the first reasonable occasion, the rights, opportunities or privileges that are being or were denied the victim as a result of the practice;

 

(c) that the person compensate the victim for any or all of the wages that the victim was deprived of and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice;

 

(d) that the person compensate the victim for any or all additional costs of obtaining alternative goods, services, facilities or accommodation and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice; and

 

(e) that the person compensate the victim, by an amount not exceeding twenty thousand dollars, for any pain and suffering that the victim experienced as a result of the discriminatory practice.

 

(3) In addition to any order under subsection (2), the member or panel may order the person to pay such compensation not exceeding twenty thousand dollars to the victim as the member or panel may determine if the member or panel finds that the person is engaging or has engaged in the discriminatory practice wilfully or recklessly.

 

Les questions en litige

[29]           Bien qu’elles soient formulées de façon différente par les parties, les questions fondamentales soulevées par la présente instance sont les suivantes :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?

b.      L’arbitre a-t-il violé les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale?

c.       L’arbitre a-t-il commis une erreur en déclinant compétence?

 

 

La norme de contrôle

 

[30]           L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir) définit, au paragraphe 62, un processus en deux étapes lorsqu’il s’agit d’arrêter la norme de contrôle applicable : « Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle ».

 

[31]           En principe, le contrôle des questions portant sur des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056 (QL) au paragraphe 53 :

Selon l’arrêt SCFP [S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29], la cour de révision doit, lorsqu’elle examine une décision contestée pour des motifs d’équité procédurale, isoler les actes ou omissions qui touchent à l’équité procédurale (au paragraphe 100). La question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation.

 

 

 

[32]           En conséquence, les questions de justice naturelle et d’équité procédurale soulevées par la demanderesse seront examinées selon la norme de la décision correcte.

 

[33]           Une norme de contrôle rigoureuse a également été appliquée aux décisions rendues par les arbitres en vertu du paragraphe 242(3.1) du Code canadien du travail. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652 (C.A), [1993] A.C.F. no 1038 (QL), la Section d’appel de la Cour fédérale du Canada a procédé à une longue analyse de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par les arbitres en vertu de cette disposition et a jugé que ces décisions étaient, par définition, des décisions de compétence qui étaient par conséquent assujetties à la norme de la décision correcte lors d’un contrôle judiciaire. Le juge Strayer a repris cette conclusion en 1995 dans l’arrêt Byers Transport, à la page 371, au sujet tant de l’alinéa 242(3.1)a) que de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail :

Lorsqu’il a examiné la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’alinéa 242(3.1)a) n’avait pas pour effet de lui retirer sa compétence au sujet de la plainte, le juge de première instance a appliqué le critère du caractère manifestement déraisonnable et a conclu que la décision de l’arbitre n’était pas manifestement déraisonnable. Selon l’appelante, la conclusion de l’arbitre concernait une question de compétence et le critère d’examen à appliquer en pareil cas est celui de l’absence d’erreur. Je suis d’accord. Dans l’arrêt Pollard, la Cour d’appel fédérale a eu l’occasion d’examiner le critère d’examen relatif à l’application du paragraphe 242(3.1). Elle a conclu que la décision portant sur la question de savoir si cette disposition empêche un arbitre d’examiner la plainte de congédiement injuste d’une personne est une conclusion relative à la compétence et que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de l’absence d’erreur, et ce, malgré la clause privative, dont le libellé est le suivant : [suit l’article 243 du Code canadien du travail déjà reproduit].

 

 

 

[34]           Toutefois, dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 54, la Cour suprême a expliqué que lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, la déférence est habituellement de mise. Le tribunal administratif doit néanmoins interpréter correctement sa loi constitutive pour statuer sur une question touchant véritablement à la compétence, comme celle relative à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (Dunsmuir, aux paragraphes 59 et 61). En l’espèce, la question qui se pose est donc celle de savoir si l’arrêt Dunsmuir a eu pour effet de modifier la norme de contrôle applicable à l’interprétation et à l’application de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail. Je conclus par la négative.

 

[35]           Dans une situation comme la présente, l’arbitre est appelé à se prononcer sur une véritable question de compétence; il doit définir la portée de sa compétence et celle de la Commission canadienne des droits de la personne. Pour ce faire, l’arbitre doit non seulement interpréter les dispositions pertinentes du Code canadien du travail, mais aussi celles de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Or, le régime législatif créé par la Loi canadienne sur les droits de la personne déborde le cadre des connaissances habituelles de l’arbitre. Dans ces conditions, j’estime que, tant selon la jurisprudence antérieure à l’arrêt Dunsmuir que suivant l’arrêt Dunsmuir même, la norme de contrôle applicable aux décisions que rendent les arbitres en vertu de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail est celle de la décision correcte.

 

[36]           Je suis conforté dans mon opinion par l’arrêt Johal c. Canada (Agence du revenu du Canada), 2009 CAF 276, 312 D.L.R. (4th) 663, [2009] A.C.F. no 1198 (QL) (Johal), qui a été rendu par la Cour d’appel fédérale après l’arrêt Dunsmuir. Dans cette affaire, la question en litige était semblable à celle qui se pose en l’espèce. La question à trancher dans cette affaire était celle de savoir si les appelants étaient irrecevables à présenter des griefs individuels en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, étant donné que le programme de dotation en personnel de leur employeur traitait de l’objet de leur grief. La Cour d’appel a conclu que les appelants pouvaient recourir à l’arbitrage, mais elle a appliqué la norme de la décision correcte pour interpréter les diverses dispositions législatives en cause. Voici les propos qu’a tenus le juge Evans aux paragraphes 28, 29 et 30 de l’arrêt Johal :

28       Aucune décision ne porte exactement sur les questions en litige. Toutefois, dans des contextes semblables, notre Cour a jugé que le fait de décider si des employés sont visés par des clauses d’exclusion d’origine législative comparables au paragraphe 208(2) est une question de compétence, à laquelle s’applique par conséquent la norme de la décision correcte : voir, par exemple, les arrêts Société canadienne des postes. c. Pollard, 1994] 1 C.F. 652 (C.A.F.) (Pollard); Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354, aux pages 371 et 373 (Byers) (Code canadien du travail); Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (Boutilier) (Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui a précédé l’actuelle LRTFP).

 

29        Après les décisions rendues dans ces affaires, l’arrêt Dunsmuir (au paragraphe 54) a étendu le champ d’application de la déférence à l’interprétation que font les tribunaux spécialisés de leur « loi constitutive » ou d’un texte législatif étroitement lié à leur mandat, la Cour soulignant (au paragraphe 59) que seule l’interprétation des dispositions législatives qui touchent « véritablement » à la compétence ou à la constitutionnalité commande l’application de la norme de la décision correcte. De plus, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, a déduit de l’arrêt Dunsmuir que les tribunaux siégeant en révision doivent faire preuve de prudence en qualifiant une question de question de compétence, et a précisé (au paragraphe 34) :

 

[… ] il convient d’appliquer la norme de la décision correcte uniquement dans des cas exceptionnels, c’est-à-dire lorsque l’interprétation de cette loi [la loi constitutive du tribunal administratif] soulève la question générale de la compétence du tribunal.

 

30           À mon avis, la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce parce que le paragraphe 208(2) de la LRTFP et l’article 54 de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada délimitent le champ d’application de processus administratifs concurrents, celui créé en vertu du paragraphe 208(1) et celui du programme de dotation en personnel de l’ARC. Selon l’arrêt Dunsmuir (au paragraphe 61), la norme de la décision correcte s’applique normalement à ce genre de question. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer ce principe en l’espèce, même si les décisions rendues au dernier palier sont régies par la disposition de l’article 214 de la LRTFP selon laquelle une telle décision est « définitive et obligatoire ».

 

[37]           En l’espèce, la décision de l’arbitre était toutefois fondée sur sa conclusion de fait quant à la nature de la plainte dont il était saisi. C’est habituellement la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique dans le cas des conclusions de fait (Dunsmuir, au paragraphe 53). Lorsque, comme en l’espèce, l’analyse relative au droit et à la compétence peut être dissociée des conclusions de fait sous-jacentes, la Cour devrait faire preuve de retenue envers les conclusions de fait de l’arbitre (Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., [2007] 1 R.C.S. 591, 2007 CSC 14, au paragraphe 19, Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, au paragraphe 26.

 

[38]           En conséquence, bien que la norme de la décision correcte soit la norme de contrôle appropriée relativement à l’interprétation et l’application de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail par l’arbitre, la conclusion de fait que l’arbitre doit tirer avant d’interpréter et d’appliquer cette disposition – soit, en l’espèce, la question de savoir si la plainte dont il était saisi était essentiellement la même que celle qui avait été soumise en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne – est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

L’arbitre a-t-il violé les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale?

[39]           La demanderesse soutient qu’elle avait de la difficulté à entendre le débat qui se déroulait devant l’arbitre et demande en conséquence que la décision de l’arbitre soit annulée et qu’une nouvelle audience ait lieu en raison de cette atteinte portée à son droit fondamental à une audience équitable.

 

[40]           À mon avis, la position de la demanderesse sur cette question ne peut être acceptée.

 

[41]           La demanderesse affirme, aux paragraphes 29, 31, 32 et 33 de son affidavit, qu’elle avait de la difficulté à suivre l’échange entre les avocats en raison de bruits de fond. Elle prétend que, même si la fenêtre d’où provenait le bruit était fermée, elle avait quand même de la difficulté à suivre le débat. Elle aurait demandé à l’avocat de la partie adverse de parler plus fort, mais l’arbitre n’aurait pas corrigé la situation.

 

[42]           La défenderesse rétorque qu’en fait, la demanderesse n’avait aucune difficulté à entendre l’audience et qu’elle a pris une part active au débat et est intervenue à toutes les étapes de son déroulement. La défenderesse a également présenté un affidavit en preuve à l’appui de ses dires. Dans son affidavit, Eric Rowley déclare, aux paragraphes 30 à 33, que l’audience a eu lieu dans une salle dans un centre municipal, laquelle faisait face à une patinoire. À l’ouverture de l’audience, la demanderesse a expliqué qu’elle avait de la difficulté à entendre l’avocat de la défenderesse en raison du bruit provenant de la patinoire. En conséquence, on a fermé la petite fenêtre et l’arbitre a demandé à l’avocat d’élever la voix, ce qu’il a fait. La demanderesse ne s’est plus plainte par la suite de ne pouvoir suivre le déroulement de l’instance et elle n’a jamais dit qu’elle avait du mal à entendre les échanges, et aurait d’ailleurs activement participé à ceux‑ci.

 

[43]           Il n’est pas nécessaire que je tranche entre les diverses versions des faits proposées par la demanderesse et la défenderesse, puisqu’il est acquis aux débats que la demanderesse ne s’est plainte qu’une seule fois — à l’ouverture de l’audience — de son incapacité à suivre l’argumentation de l’avocat de la partie adverse et que la situation a été corrigée par la prise de certaines mesures. Si celles‑ci étaient insuffisantes pour permettre à la demanderesse d’entendre convenablement l’avocat de la partie adverse, il lui incombait de le signaler à l’arbitre pour lui donner la possibilité de résoudre de façon appropriée le problème. Comme elle ne l’a pas fait, elle ne peut soulever la question après coup dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire.

 

[44]           L’élément crucial ici est le fait que la demanderesse n’a pas donné suite à sa plainte en laissant savoir à l’arbitre que les mesures correctives qu’il avait prises n’étaient pas suffisantes ou en demandant un changement du lieu de l’audience. La défenderesse a gardé le silence sur la question pendant tout le reste de l’audience et elle a en fait participé activement à l’instance. Elle n’a soulevé la question de nouveau que dans le cadre de la présente instance en contrôle judiciaire, longtemps après la clôture de l’audience et après avoir reçu la décision de l’arbitre.

 

[45]           Je tire une analogie entre la présente espèce et les affaires dans lesquelles le défaut de fournir les services d’un interprète à l’audience est soulevé dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire. Si le plaideur participe à l’audience sans se plaindre de ne pas comprendre la langue dans laquelle se déroule l’audience, il ne peut par la suite prétendre, dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire, qu’il a été victime d’un manquement à l’équité procédurale en raison de l’absence de services d’interprétation qui n’ont jamais été demandés : Garcia c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 200, [2001] A.C.F. n1001 (QL), au paragraphe 11; Kirchmeir c. Edmonton (City) Police Service, 2000 ABCA 324, [2000] A.J. No. 1563 (QL), au paragraphe 29).

 

[46]           La demanderesse affirme aussi qu’on ne lui a jamais accordé la possibilité de faire valoir son point de vue au sujet de la question de la disjonction de l’instance. Là encore, je ne puis accepter son argument.

 

[47]           Dans son courriel du 19 août 2009, envoyé à 8 h 34 (pièce 20 de l’affidavit d’Eric Rowley, à la page 269 du dossier de la défenderesse), l’arbitre a clairement expliqué aux deux parties que [traduction] « la seule façon d’aborder cette question préliminaire, et d’ailleurs de statuer sur le fond de l’affaire, consiste à poursuivre l’instruction de l’affaire, et c’est ce que j’ai décidé de faire ». Il a ajouté ensuite : [traduction] « Je vais alors examiner toute question préliminaire et décider s’il y a lieu de poursuivre ou non l’affaire quant au fond » [non souligné dans l’original]. L’arbitre informait ainsi clairement et explicitement les parties qu’il examinerait la question de la disjonction en même temps que la question préliminaire de la compétence.

 

[48]           Le même jour, par courriel daté du 19 août 2009, envoyé à 13 h 05 (pièce 22 de l’affidavit d’Eric Rowley, page 275 du dossier de la défenderesse), l’arbitre a ajouté : [traduction] « Je vais entendre les observations sur votre demande de disjonction, mais à moins qu’on me convainque du contraire, je m’attends à ce que l’audience se poursuive quant au fond ». Là encore, en procédant ainsi, l’arbitre a clairement avisé les deux parties qu’il entendrait les observations portant sur la disjonction en même temps que celles portant sur la compétence.

 

[49]           La demanderesse s’est clairement vu offrir la possibilité de répondre aux questions de compétence soulevées par la défenderesse et sur la demande de disjonction qui s’en est suivi et de présenter ses observations à ce sujet (affidavit de Wanda MacFarlane, aux paragraphes 35 à 39; affidavit d’Eric Rowley, aux paragraphes 51 à 61). De plus, la demanderesse n’a pas réussi à mettre le doigt, tant dans ses observations écrites que dans ses plaidoiries, sur un seul argument qu’elle n’a pas été en mesure de plaider en ce qui concerne la demande de disjonction; elle s’est contentée d’offrir des généralités au sujet de la procédure suivie.

 

[50]           En fin de compte, après avoir entendu les deux parties, l’arbitre a décidé qu’il serait préférable pour lui de trancher d’abord la question de la compétence avant d’examiner le fond de l’affaire. Bien qu’il n’y ait pas de transcription de l’audience, l’affidavit d’Eric Rowley, au paragraphe 63, qui n’est pas contesté sur ce point, fait état de la position de l’arbitre à l’audience :

[traduction] Je dois ordonner la disjonction de l’affaire […] Je vais rendre une décision sur l’objection préliminaire. Si j’ai compétence, je vais communiquer avec les parties pour fixer d’autres dates. Si je n’ai pas compétence, on évitera ainsi d’appeler des témoins, etc. [Se tournant ensuite vers la plaignante :] Cette mesure vous protège aussi. Si je conclus que je n’ai pas compétence, il vous reste encore la plainte que vous avez portée devant la CCDP. Ma décision vous permet de poursuivre avec cette plainte sans donner à l’entreprise la possibilité de connaître à l’avance vos arguments et votre preuve […] Cette mesure s’impose dans l’intérêt des deux parties et je ne vais donc pas poursuivre […]

 

 

 

[51]           En vertu de l’alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail reproduit plus haut, l’arbitre avait le pouvoir de fixer la procédure à suivre dans la présente affaire, y compris le pouvoir d’ordonner la disjonction de l’instance. Malgré le fait que la défenderesse aurait préféré faire juger sur dossier son objection relative à la compétence plutôt que dans le cadre d’une audience, l’arbitre en a décidé autrement. L’audience qui a eu lieu visait à examiner d’abord les questions de compétence soulevées par la défenderesse et l’éventuelle disjonction de l’instance qui pouvait s’ensuivre. La demanderesse a été avisée par écrit avant l’audience que ces questions seraient examinées à l’audience. La demanderesse s’est également vu offrir la possibilité de présenter des éléments de preuve et de formuler des observations sur les questions préliminaires, et elle s’est prévalue de cette offre. En conséquence, la prétention de la demanderesse suivant laquelle son droit à une audience équitable a été bafoué ne saurait être retenue.

 

[52]           La demanderesse affirme également que l’arbitre n’a pas suffisamment motivé sa décision.

 

[53]           Pour répondre à la question de savoir si une décision est suffisamment motivée, il faut tenir compte des objets des décisions motivées : elles incitent le décideur à concentrer son attention sur les facteurs et les éléments de preuve pertinents, garantissent que l’on a tenu compte des observations des parties, assurent l’efficacité des appels et des instances portant sur un contrôle judiciaire et fournissent une norme par rapport à laquelle il est possible d’apprécier des futures activités (Via Rail Canada Inc. c. Lemonde, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), 193 D.L.R. (4th) 357, [2000] A.C.F. no 1685 (QL), aux paragraphes 17 à 22). Ainsi que la Cour l’a fait observer dans l’arrêt Via Rail, au paragraphe 21, « [c]e qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce ».

 

[54]           Dans le cas qui nous occupe, l’arbitre a cerné la question à trancher, en l’occurrence celle de savoir si la plainte présentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne le privait de sa compétence pour entendre la plainte par application de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail. L’arbitre a également expliqué que l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail visait à éviter la multiplication des instances fondées sur les mêmes faits. Il a en conséquence estimé que la principale question de fait soulevée par l’instance était celle de savoir si les deux plaintes étaient essentiellement semblables. L’arbitre n’a pas retenu la prétention de la demanderesse suivant laquelle chaque plainte portait sur des questions différentes. L’arbitre a expliqué de manière convaincante sa décision à cet égard. Il a ensuite examiné la jurisprudence et, après analyse, a statué qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur l’affaire.

 

[55]           Après avoir examiné attentivement la décision de l’arbitre, je conclus que les motifs qu’on y trouve font ressortir de façon explicite les facteurs et les éléments de preuve pertinents, qu’il constituent une réponse aux observations des deux parties et un fondement suffisant pour une demande de contrôle judiciaire et, enfin, qu’ils fournissent une norme par rapport à laquelle il est possible de trancher des affaires analogues à l’avenir. Je conclus donc que la décision de l’arbitre est suffisamment motivée au sens de l’arrêt Via Rail, précité.

 

[56]           Pour tous les motifs qui ont été exposés, je ne puis retenir les arguments invoqués par la demanderesse en ce qui concerne les questions de justice naturelle et d’équité procédurale qu’elle a soulevées. À mon avis, le droit de la demanderesse à une audience et à une procédure équitables n’a pas été violé.

 

L’arbitre a-t-il commis une erreur en déclinant compétence?

[57]           La première question à trancher sous cette rubrique est celle de savoir si l’arbitre a commis une erreur en concluant que la plainte déposée par la demanderesse en vertu du Code canadien du travail était essentiellement la même que celle qu’elle avait portée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme nous l’avons déjà expliqué, la norme de contrôle qui s’applique à cette conclusion est celle de la décision raisonnable.

 

[58]           La décision de l’arbitre ne laisse place à aucune interprétation : à son avis, les deux plaintes étaient essentiellement identiques. Il a tiré cette conclusion à la lumière du libellé de la plainte qui avait été présentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et dont voici le texte :

[traduction] Le 4 juillet 2008, on a mis fin rétroactivement à mon emploi en me remettant en mains propres une lettre. J’étais invalide depuis le 23 mai 2008. J’estime que le fait d’augmenter sciemment mon exposition à des tâches qui aggravaient mon invalidité jusqu’à ce que je devienne incapable de fonctionner, de me refuser l’assurance-invalidité et de mettre fin à mon emploi alors que j’étais invalide tout en faisant état d’erreurs commises en raison de cette invalidité connue, constitue de la discrimination fondée sur une déficience.

 

 

[59]           La demanderesse affirme que la plainte qu’elle a déposée en vertu du Code canadien du travail est de nature différente, mais elle présente peu de motifs à l’appui de sa position, se contentant d’affirmer qu’il incombe à la défenderesse de faire la preuve de l’existence d’un motif valable de congédiement et signalant que la défenderesse l’a congédiée de façon sommaire sans préavis et sans motif valable.

 

[60]           Même s’il est vrai que la charge de la preuve incombe à différentes personnes selon que la plainte est examinée en vertu du Code canadien du travail ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et qu’il puisse être plus ardu de plaider certains principes du droit du travail lorsque l’instance est introduite sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne — une question sur laquelle je ne me prononce pas —, ces considérations n’ont pas grand-chose à voir avec la question à laquelle on doit répondre, soit celle de savoir si les deux plaintes sont essentiellement identiques.

 

[61]           Compte tenu des déclarations claires que l’on trouve dans la plainte soumise en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, du fait que la demanderesse n’a soumis aucun argument convaincant pour expliquer en quoi la plainte qu’elle a déposée en vertu du Code canadien du travail était différente et des décisions Byers Transport et Boutilier (sur lesquelles nous reviendrons plus loin), je conclus sans aucune hésitation que l’arbitre a agi de façon raisonnable en décidant que les deux plaintes étaient essentiellement semblables.

 

[62]           Je dois donc examiner maintenant les conséquences juridiques de la décision de l’arbitre sur la présente question, ce qui commande l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[63]           Ainsi que l’arbitre le signale dans sa décision, compte tenu de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail et des décisions Byers Transport et Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27, 181 D.L.R. (4th) 590, [1999] A.C.F. no 1867 (QL), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée à [2000] C.S.C.R. no 12 (QL) (Boutilier), les arbitres désignés conformément au paragraphe 242(1) du Code canadien du travail refusent habituellement d’entendre les plaintes déposées en vertu du Code lorsque le congédiement fait également l’objet d’une plainte présentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (voir notamment les décisions Mundo Peetabeck Education Authority and Wade, [1997] C.L.A.D. No. 290 (QL); Royal Bank of Canada and Verzosa, [1998] C.L.A.D. No. 49 (QL); Peters and Canadian Imperial Bank of Commerce, [1998] C.L.A.D. no 670 (QL); Hiebert c. Milne’s Moving and Storage Ltd., [1999] C.L.A.D. No. 507 (QL); Duncan c. Nenqayani Treatment Centre Society, [2000] C.L.A.D. No. 588 (QL); Tse c. Federal Express Canada Ltd., [2004] C.L.A.D. No. 559; Schuyler v. Oneida Nation of the Thames Board Council, [2005] C.L.A.D. No. 270 (QL)).

 

[64]            On décèle deux courants jurisprudentiels dans ces décisions rendues par des arbitres. Plusieurs arbitres, comme dans l’affaire Mundo Peetabeck Education Authority and Wade, précitée, aux paragraphes 19 et 20, ont refusé de statuer sur une plainte présentée en vertu du Code canadien du travail lorsqu’une plainte semblable portée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne était en instance, tout en affirmant qu’ils avaient une compétence résiduelle pour trancher la plainte si l’affaire devait être renvoyée à l’arbitrage sous le régime du Code par la Commission canadienne des droits de la personne en vertu de l’alinéa 41(1)b) ou de l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, d’autres arbitres ont estimé, par exemple dans l’affaire Tse c. Federal Express Canada Ltd, précitée, aux paragraphes 41 et 44, qu’ils n’avaient absolument aucune compétence sur les plaintes de congédiement dans lesquelles les plaignants allèguent que les droits de personne qui leur sont reconnus par la Loi canadienne sur les droits de la personne ont été violés. En l’espèce, l’arbitre s’est rallié à ce dernier courant et il a décliné compétence d’une manière qui empêchait la Commission canadienne des droits de la personne de lui renvoyer l’affaire en vertu de l’alinéa 41(1)b) ou de l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[65]           Pour les motifs qui suivent, je conclus que c’est à bon droit que l’arbitre a suspendu l’examen sur le fond de la plainte, mais qu’il a eu tort de se déclarer incompétent d’une manière qui empêchait la Commission canadienne des droits de la personne de lui renvoyer l’affaire en vertu de l’alinéa 41(1)b) ou de l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[66]           Je vais commencer mon analyse par l’affaire Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. c. Abraham, [1994] 3 C.F. 449, [1994] A.C.F. no 640 (QL). Dans cette affaire, le plaignant avait déposé une plainte de congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail ainsi qu’une plainte de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’arbitre désigné en vertu du Code s’était néanmoins déclaré compétent pour statuer sur la plainte, ce qui était contesté par voie de contrôle judiciaire au motif que l’alinéa 242(3.1)b) du Code empêchait l’arbitre d’agir. Le juge Rothstein a statué que l’arbitre avait effectivement compétence (au paragraphe 23 de son jugement) :

[…] En ce qui a trait à la réparation, un examen rapide de l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et du paragraphe 242(4) du Code canadien du travail nous révèle que ces dispositions législatives semblent, pour l’essentiel, avoir le même effet, bien qu’elles soient formulées différemment. Mais, encore une fois, de nombreux précédents traitent de chaque type de réparation, et on ne peut avancer catégoriquement, à ce stade, que des procédures intentées aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne et du Code canadien du travail donneraient rigoureusement lieu à la même réparation. Pour ces motifs, et compte tenu du fait que je ne dispose pas de suffisamment de renseignements au sujet des similitudes et des différences entre les plaintes concernant le congédiement injuste et les plaintes concernant les droits de la personne, j’en arrive à la conclusion que l’arbitre n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a déterminé que l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail ne lui niait pas la compétence nécessaire pour procéder à l’instruction de la présente affaire.

 

[67]           Ce raisonnement a toutefois été remis en question peu de temps après par la Cour d’appel dans l’arrêt Byers Transport. Dans cette affaire, la plaignante avait déposé une plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail et une plainte en vertu de l’article 97 du même Code dans laquelle elle affirmait que son employeur s’était rendu coupable d’une pratique déloyale de travail lorsqu’il l’avait mise en disponibilité ou qu’il l’avait renvoyée en raison de ses activités syndicales. Le juge Strayer a statué que la plainte déposée en vertu de l’article 97 empêchait l’arbitre de statuer sur la plainte présentée en vertu de l’article 240, étant donné les dispositions de l’alinéa 242(3.1)b) du Code. Le raisonnement du juge Strayer se trouve aux pages 377 à 380 de l’arrêt Byers Transport (paragraphes 20 à 22) :

J’ai également examiné attentivement la décision que la Section de première instance a rendue dans l’affaire Sagkeeng Alcohol Rehab Centre Inc. Dans cette affaire, on a allégué qu’étant donné que l’un des motifs invoqués au soutien de la plainte de congédiement injuste était la discrimination interdite par la Loi canadienne sur les droits de la personne, cette Loi fédérale prévoyait un autre recours qui empêchait l’arbitre d’examiner la plainte en vertu de l’alinéa 242(3.1)b). Après avoir souligné qu’il n’avait été saisi d’aucune preuve quant à la nature de ces allégations, le juge de première instance a rejeté l’argument relatif à l’alinéa 242(3.1)b) en se fondant en partie sur son interprétation de cette disposition. Il a décidé [à la page 463] que l’autre recours prévu dans cette disposition « ne peut donner droit à une réparation moindre que celle prévue » à la partie III du Code canadien du travail, « ni se fonder sur une cause d’action différente ».

[…]

Même si je ne conteste pas le résultat dans cette affaire, compte tenu de la preuve dont le juge de première instance était saisi, j’ai des réserves quant à son interprétation du mot « recours » à l’égard d’une « plainte » au sens du Code. Je crois que la plainte (c.-à-d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l’autre recours. Cependant, je doute que les réparations prévues dans l’autre disposition doivent être égales ou supérieures pour que l’arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l’alinéa 242(3.1)b). Cette disposition n’exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours. Elle exige simplement qu’un autre recours existe à l’égard de la même plainte. Je ne crois pas que les réparations découlant des recours doivent être exactement les mêmes, bien que la procédure en question doive certainement permettre à la même partie plaignante d’obtenir une véritable réparation.

[…]

 

Cette analyse permet de dire que, lorsque le Parlement a créé, que ce soit dans le Code canadien du travail ou ailleurs, des tribunaux spécialisés chargés d’examiner certains aspects des relations de travail, il ne saurait avoir conféré une compétence concurrente permettant aux arbitres spéciaux d’examiner la même question. À mon avis, la procédure prévue à la partie III aux fins du dépôt des plaintes de congédiement injuste par des employés non syndiqués et de l’audition de ces plaintes par un arbitre devrait être considérée comme une procédure résiduelle visant à offrir une réparation dans les cas où ce recours n’est pas disponible autrement. Il me semble que c’est là le sens clair de l’alinéa 242(3.1)b).

 

Ce raisonnement ne crée pas non plus de problèmes sérieux pour l’employé congédié qui n’est pas certain de la procédure de recours à utiliser. Si je comprends bien, il est possible de déposer des plaintes tant sous le régime de la partie I que sous celui de la partie III du Code sans engager de frais. Le délai critique dans chaque cas est de 90 jours suivant la date à laquelle le plaignant est informé du motif de la plainte. Comme le recours prévu à la partie III est résiduel, la partie plaignante devrait, par mesure de prudence, procéder d’abord en se fondant sur la partie I. Elle pourra aller plus loin avec la plainte fondée sur la partie III uniquement si elle n’est pas en mesure de prouver que son congédiement a été causé par une pratique déloyale […] Il convient de rappeler que, en l’espèce, l’intimée a effectivement déposé des plaintes sous le régime des deux parties du Code, mais elle a omis d’aller plus loin avec sa plainte fondée sur la partie I en demandant une audience devant le Conseil. C’est elle qui a mis fin à son recours fondé sur la partie I.

 

 

 

[68]           Cette analyse a été reprise quelques années plus tard dans l’arrêt Boutilier, précité. Dans cette affaire, la question en litige était celle de savoir si l’arbitre désigné en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, était incompétent pour trancher un conflit soulevant des questions de droits de la personne dans le cas d’une convention collective, compte tenu de la disposition de la Loi qui limitait les griefs aux questions pour lesquelles « aucun autre recours administratif de réparation [n’est] ouvert sous le régime d’une loi fédérale ». Se fondant sur le raisonnement suivi dans l’arrêt Byers Transport, le juge Linden a statué que l’arbitre n’avait pas compétence, citant et faisant siens les propos qu’avait tenus la juge Gillis de la Section de première instance dans sa décision publiée sous la référence [1999] 1 C.F. 59, [1998] A.C.F. no 1635, et qui sont particulièrement pertinents dans le cas qui nous occupe (aux paragraphes 33 et 32 de la décision de la Section de première instance, reproduits aux paragraphes 17 et 18 de l’arrêt Boutilier) [non souligné dans l’original] :

En vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le législateur a également choisi de priver un employé lésé de son droit non absolu de présenter un grief dans des circonstances où un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d’une loi fédérale. Par conséquent, lorsqu’un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d’acte discriminatoire dans le contexte de l’interprétation d’une convention collective, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l’employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L’affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans le cas où la Commission détermine, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1)a) ou 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la procédure de règlement des griefs doit d’abord être épuisée.

Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituent d’importants pouvoirs discrétionnaires dans la gamme des mécanismes mis à la disposition de la Commission pour lui permettre d’assumer son rôle dans le traitement d’une plainte et, dans les cas appropriés, d’obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefs. Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement des griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne concernant le traitement des plaintes au sujet d’actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, donc, le législateur a choisi d’autoriser la Commission, aux termes des alinéas 44(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu de l’autre loi comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou en tant que plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, la capacité de la Commission de prendre une telle décision va de pair avec son rôle crucial dans la gestion et le traitement des plaintes portant sur des actes discriminatoires.

 

 

 

[69]           Le juge Linden rappelle lui-même explicitement, au paragraphe 24 de l’arrêt Boutilier, que c’est à la Commission canadienne des droits de la personne qu’il appartient de décider, dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi, de l’opportunité de renvoyer ou non une question à l’arbitre :

Ce principe n’empêche pas les syndicats de négocier des droits dont la portée va au-delà du domaine visé par un code des droits de la personne, vu que le plaignant peut recourir à l’arbitrage dans la mesure où la Commission des droits de la personne n’a prévu aucune mesure réparatrice visant à défendre ces nouveaux droits. Il en ressort que le règlement des litiges relève principalement du régime des droits de la personne, ainsi que des autres régimes administratifs spécialisés, dont la spécificité et la cohérence sont clairement privilégiées par le législateur aux décisions des arbitres spéciaux. La LRTFP diffère de la plupart des codes du travail, qui prescrivent que l’arbitrage constitue la mesure exclusive de réparation. C’est à la Commission des droits de la personne qu’il revient, aux termes de l’article 41, de décider de renvoyer des dossiers à l’arbitrage lorsqu’elle le juge approprié. Toute autre interprétation aurait pour effet de rendre les termes du paragraphe 91(1) vides de sens ou de les pervertir considérablement.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[70]           À mon avis, le raisonnement suivi par la juge Gillis et par le juge Evans dans l’arrêt Boutilier est convaincant et on devrait l’étendre à l’interprétation de l’interaction entre l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail et les alinéas 41(1)b) et 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[71]           En fait, en adoptant l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail, le législateur fédéral entendait éviter la multiplication des procédures dans le contexte d’un congédiement injuste. L’emploi des mots « ne peut » à l’alinéa 242(3.1)b) indique clairement que l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 241(1) du Code canadien du travail doit refuser de statuer sur la plainte lorsque le Code ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

 

[72]           De plus, à la lumière des arrêts Byers Transport et Boutilier, il est indéniable que le mécanisme de traitement des plaintes prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne constitue un « autre recours » au sens de l’alinéa 242(3.1)b) du Code canadien du travail.

 

[73]           En conséquence, l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail doit refuser d’entendre une plainte déposée en vertu du paragraphe 240(1) de ce même Code si une autre plainte essentiellement semblable a été déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou, advenant le cas où aucune plainte n’a été déposée en vertu de cette loi, si la plainte déposée en vertu du Code canadien du travail soulève des questions relatives aux droits de la personne qui pourraient raisonnablement donner ouverture à une plainte essentiellement semblable en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[74]           Cependant, contrairement à ce qu’affirme l’arbitre en l’espèce, l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail ne se trouve pas privé de toute compétence. Sa compétence est tout simplement accessoire à celle de la Commission canadienne des droits de la personne et du Tribunal canadien des droits de la personne. En conséquence, la Commission canadienne des droits de la personne pouvait, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 41(1)b) ou l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, renvoyer la plainte à l’arbitre si elle était convaincue que la plainte pouvait plus avantageusement être instruite dans le cadre d’une audience tenue conformément à l’article 242 du Code canadien du travail. Je tiens à ajouter qu’en pareil cas, l’arbitre désigné en vertu du Code canadien du travail pourrait connaître des allégations relatives aux droits de la personne dans la mesure où elles se rapportent au congédiement injuste qu’il a été chargé de juger par suite de sa désignation comme arbitre. Cette conclusion découle logiquement du raisonnement suivi dans l’arrêt Boutilier.

 

[75]           L’interprétation que l’arbitre a faite de sa compétence en l’espèce était trop restrictive. Je suis d’avis que l’arbitre a commis une erreur en estimant que le raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157, 2003 CSC 42, (Parry Sound) ne s’appliquait pas à l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) du Code canadien du travail. Je ne vois aucune raison d’empêcher un tel arbitre d’examiner les questions de droits de la personne qui sont soulevées dans le contexte d’une plainte de congédiement injuste dans l’hypothèse où la Commission canadienne des droits de la personne renvoie la plainte à l’arbitre en vertu des pouvoirs qu’elle tient de l’alinéa 41(1)b) ou de l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[76]           Aux termes de l’alinéa 242(3)a) du Code canadien du travail, l’arbitre « décide si le congédiement était injuste ». Le congédiement effectué en violation des droits de la personne d’un employé est manifestement « injuste » au sens de cette disposition du Code, et je n’arrive pas à comprendre pourquoi un arbitre ne pourrait parvenir à cette conclusion. De toute évidence, la décision de l’arbitre en pareil cas est effectuée en vertu des dispositions applicables du Code canadien du travail, et les mesures de réparation que l’arbitre peut ordonner sont celles que prévoit le Code et non celles qui sont prévues par une autre loi comme la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, le concept de « congédiement injuste » n’a pas pour effet d’exclure toute prise en considération des motifs du congédiement qui reposent sur des violations des droits de la personne lorsque l’arbitre est régulièrement saisi en vertu de l’alinéa 41(1)b) ou de l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[77]           Ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517, la direction doit exercer ses droits en tenant dûment compte des droits que la loi reconnaît aux employés. Ce principe s’applique lorsque l’employé concerné est assujetti à une convention collective de travail et, encore plus logiquement, lorsqu’il n’existe pas de convention collective de travail. Parmi les droits reconnus par la loi, mentionnons ceux qui sont énumérés à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu.

 

[78]           En cas de violation d’une loi relative aux droits de la personne dans un contexte de relations de travail, l’arrêt Parry Sound appuie la proposition qu’un arbitre a compétence pour statuer sur un grief découlant d’une violation de droits de la personne, et ce, même si ces droits contredisent les modalités d’une convention collective régissant la relation employeur-employé. Dans l’arrêt Parry Sound, une employée à l’essai avait déposé un grief relativement à son congédiement en invoquant une violation des droits de la personne aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario, même si la convention collective applicable reconnaissait le droit inconditionnel de la direction de congédier les employés à l’essai. Le juge Iacobucci a conclu, sur le fondement de l’arrêt McLeod c. Egan, précité, que les droits de la personne reconnus par la loi en cause avaient été implicitement incorporés dans la convention collective de manière à conférer à l’arbitre la compétence nécessaire pour trancher le grief (Parry Sound, aux paragraphes 28 et 32) :

En pratique, cela signifie que les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. Une convention collective peut accorder à l’employeur le droit général de gérer l’entreprise comme il le juge indiqué, mais ce droit est restreint par les droits conférés à l’employé par la loi. L’absence d’une disposition expresse qui interdit la violation d’un droit donné ne permet pas de conclure que la violation de ce droit ne constitue pas une violation de la convention collective. Les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi fixent plutôt un minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat.

 

[…]

 

En vertu de l’arrêt McLeod, une convention collective ne peut pas accorder à l’employeur le droit de violer les droits reconnus aux employés par la loi. Au contraire, le pouvoir général de l’appelant de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention, mais aussi aux droits reconnus aux employés par la loi. Tout comme la convention collective dans McLeod ne pouvait pas accorder à l’employeur le droit d’exiger des heures supplémentaires au-delà de 48 heures, la convention collective en l’espèce ne peut pas conférer à l’appelant le droit de renvoyer un employé pour des motifs discriminatoires. En vertu d’une convention collective, comme sous le régime des lois d’application générale, le droit de diriger le personnel ne comprend pas celui de congédier un employé à l’essai pour des motifs discriminatoires. L’obligation de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel est subordonnée non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux droits reconnus aux employés par la loi, y compris le droit à un traitement égal, sans discrimination.

 

[79]           Ces principes s’appliquent avec encore plus de force dans les cas où, comme celui qui nous occupe, il n’y a pas de convention collective qui empêche l’application du droit garanti par la loi de ne pas être congédié pour des motifs de distinction illicite.

 

[80]           Dans l’arrêt Parry Sound, après avoir clairement posé ces principes, le juge Iacobucci a abordé la question de savoir si l’arbitre saisi du grief pouvait connaître du grief. On affirmait d’ailleurs dans cette affaire que, même si l’arbitre avait le pouvoir d’interpréter et d’appliquer des lois reconnaissant des droits de la personne et d’autres lois dans le domaine du travail en fonction du régime législatif ontarien relatif au règlement des griefs, ce pouvoir ne pouvait être exercé que si l’on avait déjà jugé, dès le départ, que l’arbitre avait compétence sur l’objet du grief. Le juge Iacobucci a retenu cet argument, mais a estimé qu’il n’était pas déterminant dans cette affaire (Parry Sound, aux paragraphes 48 et 49) [non souligné dans l’original] :

Mais même s’il est vrai que le grief doit être arbitrable avant que l’arbitre ait le pouvoir d’interpréter et d’appliquer le Code des droits de la personne, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une violation alléguée d’une disposition expresse d’une convention collective soit une condition préalable à son pouvoir de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur l’emploi. En vertu de l’arrêt McLeod, le droit général de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective mais aussi aux droits reconnus à ses employés par la loi. Cela signifie que le droit d’un employé à l’essai à un traitement égal, sans discrimination, est implicite dans chaque convention collective. En contrepartie, cela veut dire que le congédiement d’un employé pour des motifs discriminatoires est effectivement un différend arbitrable et que l’arbitre a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne pour régler ce différend.

 

Par conséquent, on ne peut pas déduire de l’esprit de la LRT que le législateur voulait écarter ou limiter de quelque manière que ce soit les principes juridiques établis dans McLeod. Les arguments de l’appelant concernant la structure de l’art. 48 se concilient avec la conclusion que les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont implicites dans chaque convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. S’il doit faire respecter par l’employeur son obligation d’exercer ses droits de gestion conformément aux dispositions législatives implicites dans chaque convention collective, l’arbitre doit avoir le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi. L’alinéa 48(12)j) confirme que l’arbitre possède effectivement ce pouvoir.

 

 

[81]           Ce principe vaut également pour le règlement des différends en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail. De fait, même si, aux termes du Code, l’arbitre examine la décision de l’employeur de mettre fin à la relation d’emploi en fonction du contrat individuel de travail de l’employé plutôt qu’en fonction de la convention collective, le même pouvoir de faire respecter l’obligation de l’employeur d’exercer ses prérogatives patronales conformément aux dispositions de la loi est implicitement inclus dans le contrat individuel de travail. Si on remplace tout simplement l’expression « convention collective » par celle de « contrat individuel de travail » dans l’extrait précité de l’arrêt Parry Sound, on obtient aisément les principes applicables en l’espèce.

 

[82]           À mon avis, ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas, dans le Code canadien du travail, de disposition conférant expressément à l’arbitre le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les lois relatives aux droits de la personne ou toute autre loi que l’arbitre n’a pas ce pouvoir. Ce pouvoir lui est implicitement conféré à l’alinéa 242(3)a) du Code canadien du travail, qui lui donne le pouvoir de décider si le congédiement est « injuste » et qui l’habilite à rendre une décision ayant force obligatoire sur la question.

 

[83]           Je trouve appui à cette opinion dans l’arrêt Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 R.C.S. 513, 2006 CSC 14. Dans cette affaire, le débat tournait autour de la question de savoir si le Tribunal de l’aide sociale de l’Ontario était tenu de se conformer à la législation provinciale en matière de droits de la personne. Le juge Bastarache a répondu par l’affirmative; il a fait observer au paragraphe 26 qu’il était « peu souhaitable qu’un tribunal administratif se limite à l’examen d’une partie du droit et ferme les yeux sur le reste du droit ».

 

Conclusion

[84]           Pour conclure, j’estime que l’arbitre n’a violé aucun principe de justice naturelle ou d’équité procédurale lors du déroulement de l’instance ou dans sa décision. J’estime également que c’est à bon droit que l’arbitre a décidé de ne pas statuer sur le fond de la plainte dont il était saisi. En conséquence, la décision que l’arbitre a rendue en l’espèce est en grande partie confirmée, sauf dans la mesure où l’arbitre a décliné compétence d’une manière qui empêchait la Commission canadienne des droits de la personne de lui renvoyer la plainte en vertu des pouvoirs conférés à la Commission par l’alinéa 41(1)b) ou l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[85]           S’agissant des dépens, je relève que la défenderesse a obtenu en grande partie gain de cause dans le présent contrôle judiciaire. Un aspect important de la décision de l’arbitre a toutefois été jugé erroné. Ainsi, le résultat de la présente instance pourrait être qualifié de mitigé. En conséquence, je vais exercer le pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles des Cours fédérales et je n’adjugerai aucuns dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire n’est accueillie qu’en partie. La Cour annule la partie de sa décision dans laquelle l’arbitre décline compétence d’une manière qui empêche la Commission canadienne des droits de la personne de lui renvoyer la plainte en vertu des pouvoirs conférés à la Commission par l’alinéa 41(1)b) ou l’alinéa 44(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le reste de la décision de l’arbitre est confirmé.

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1593-09

 

 

INTITULÉ :                                       WANDA MACFARLANE c. DAY & ROSS INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 avril 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MAINVILLE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wanda MacFarlane

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Richard J. Charney

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wanda MacFarlane

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Ogilvy Renault s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.