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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100610

Dossier : IMM-5291-09

Référence : 2010 CF 629

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 juin 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

MAXIMIN DONELLY HERMAN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne de Sainte-Lucie. En août 2006, elle a présenté une demande visant à être exemptée, pour des considérations d’ordre humanitaire (CH), de l’obligation générale de se trouver hors du Canada pour présenter une demande de résidence permanente, en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Dans une décision datée du 1er septembre 2009, une agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a rejeté sa demande.

 

[3]               La demanderesse sollicite l’annulation de la décision de l’agente d’ERAR, au motif que cette dernière a commis les erreurs suivantes :

 

                                   i.          avoir rejeté la demande CH sans lui avoir accordé une entrevue pour qu’elle puisse répondre aux doutes prétendus concernant sa crédibilité;

 

                                 ii.          ne pas avoir appliqué ni suivi la section 13.10 des Directives IP 5 (les directives) du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, intitulées Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire;

 

                                iii.          ne pas avoir appliqué de manière raisonnable ces directives, ni apprécié de manière raisonnable l’intérêt supérieur de son enfant et les difficultés auxquelles la demanderesse prétend qu’elle serait exposée si elle devait retourner à Sainte-Lucie;

 

                               iv.          avoir appliqué le mauvais critère lorsqu’elle s’est penchée sur sa demande.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande sera rejetée.

 

I.       Le contexte

[5]               La demanderesse est arrivée au Canada en 1999 et a épousé un résident permanent, M. Servulus Dennehy, en 2002.

 

[6]               En avril 2003, M. Dennehy avait déposé une demande de parrainage visant la demanderesse. On lui avait cependant renvoyé la demande en raison d’une signature manquante. La demanderesse est ensuite brièvement retournée à Sainte-Lucie en juin 2003 afin de pouvoir renouveler son visa de visiteuse. Alors qu’elle était à l’étranger, M. Dennehy lui aurait, semble-t-il, mentionné qu’il avait finalisé la demande et l’avait déposée de nouveau, et qu’il s’était présenté à une entrevue à l’appui de sa demande. La demanderesse avait, par la suite, appris que sa demande n’avait pas, dans les faits, été déposée de nouveau.

 

[7]               Plus tard au cours de la même année, la demanderesse et M. Dennehy se sont séparés, après que celui-ci a été déclaré coupable de voies de fait à son égard et condamné à purger une peine d’emprisonnement d’une journée, compte tenu de la période de détention qui avait précédé son procès.  

 

[8]               Après son arrestation, M. Dennehy avait appelé la demanderesse et lui avait promis qu’il finaliserait sa demande si elle consentait à retirer ses accusations contre lui. Elle avait refusé et avait ensuite présenté sa première demande CH. Cette demande avait été rejetée au début de janvier 2006. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision avait été par la suite rejetée.

 

[9]               Plus tard en janvier 2006, la demanderesse avait demandé l’asile, au motif que M. Dennehy, qui est originaire de Sainte-Lucie, retournerait dans son pays pour lui faire du mal si elle devait y être renvoyée. Cette demande avait été rejetée en juin 2006, en raison de l’existence d’une protection de l’État adéquate dans ce pays.

 

[10]           La demanderesse avait présenté une deuxième demande CH en août 2006.

 

II.      La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

 

[11]           La deuxième demande CH de la demanderesse a été rejetée après que l’agente d’ERAR a conclu que la demanderesse n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer :

 

                                   i.          que M. Dennehy avait un intérêt continu à lui faire du mal, et encore plus à la suivre jusqu’à Sainte-Lucie;

 

                                 ii.          qu’elle serait exposée à des difficultés inhabituelles et injustifiées, ou excessives, à Sainte-Lucie, surtout compte tenu de l’existence d’une protection de l’État adéquate et d’un réseau familial dans ce pays qui pourrait l’aider dans sa réintégration;

 

                                iii.          qu’elle serait exposée à de telles difficultés, en raison du fait qu’elle devra renoncer à ses amitiés et à son petit ami au Canada;

 

                               iv.          qu’elle serait exposée à de telles difficultés, en raison du fait qu’elle aura à couper ses liens avec le Canada;

 

                                 v.          qu’il ne serait pas dans l’intérêt supérieur de sa fille, qui fréquente une école privée à Sainte-Lucie, que la demanderesse abandonne son emploi au Canada et retourne à Sainte-Lucie.

 

 

 

III.     La norme de contrôle

[12]           Les questions que la demanderesse a soulevées en ce qui concerne l’équité procédurale et le fait de savoir si l’agente d’ERAR avait appliqué le bon critère lorsqu’elle avait traité sa demande sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 55 et 90; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 44).

 

[13]           Les deux autres questions que la demanderesse a soulevées sont susceptibles de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 53 et 54; Khosa, précité, au paragraphe 46).

 

[14]           Dans l’arrêt Khosa, au paragraphe 59, le juge Ian Binnie a formulé en ces termes la norme de la décision raisonnable :

 

[…] Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

 

 

 

IV.     Analyse

A.     L’agente a-t-elle commis une erreur en n’accordant pas d’entrevue?

 

[15]           La demanderesse a prétendu que l’agente avait employé simplement la formulation [traduction] « preuve insuffisante » pour rendre bon nombre de ses conclusions relativement à la crédibilité. Elle a en outre prétendu que le fait qu’elle n’ait pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente quant à sa crédibilité allait à l’encontre des principes d’équité procédurale.

 

[16]           Pour étayer son observation relative à cette question, la demanderesse a renvoyé à certaines décisions dans lesquelles la Cour a conclu que les conclusions de « preuve insuffisante » de l’agent d’ERAR étaient en fait des conclusions défavorables quant à la crédibilité (Liban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, au paragraphe 14; Haji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 889, aux paragraphes 14 à 16; Begashaw c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 1167, aux paragraphes 20 et 21; Agbor c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), IMM-2924-09).

 

[17]           À mon avis, ces décisions ne militent pas en faveur de la thèse qu’un agent d’ERAR tire essentiellement une conclusion défavorable quant à la crédibilité chaque fois qu’il conclut que la preuve produite par un demandeur n’est pas suffisante pour s’acquitter de son fardeau de présentation. Dans chacune de ces affaires, il était évident pour la Cour que l’agent d’ERAR avait tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité ou qu’il ne prêtait simplement pas foi à la preuve que lui avait présentée la partie demanderesse. Cela diffère sensiblement du fait de ne pas être convaincu qu’un demandeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités, sans jamais avoir apprécié la crédibilité de la preuve. Comme l’a statué la Cour dans Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 26 :

 

[…] Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à [la question de savoir si la preuve est crédible] n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. […]

 

[18]           Je suis convaincu qu’en l’espèce, l’agente d’ERAR ne dissimulait pas des inférences défavorables quant à la crédibilité lorsqu’elle concluait que la preuve présentée par la demanderesse n’était pas suffisante. Dans chaque cas, l’agente d’ERAR pouvait raisonnablement conclure, sans tirer d’inférence défavorable quant à la crédibilité, que la preuve produite n’était pas suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les prétentions de la demanderesse.

 

[19]           Plus précisément, même si la demanderesse peut sincèrement croire qu’il est probable que M. Dennehy la suive jusqu’à Sainte-Lucie et lui fasse du mal, il y avait des éléments de preuve objectifs étayant que ce dernier n’avait pas tenté de prendre contact avec elle depuis 2004. Compte de tenu de ce fait, l’agente pouvait raisonnablement conclure qu’il n’y avait pas de preuve suffisante étayant que M. Dennehy avait un intérêt continu envers la demanderesse.

 

[20]           En ce qui concerne les autres allégations de difficultés soulevées par la demanderesse, l’agente a, dans chacun des cas, raisonnablement examiné les éléments de preuve présentés par la demanderesse et a conclu que celle-ci n’avait pas fourni suffisamment d’information pour établir ses prétentions. L’agente, se fondant sur la décision de la Cour dans Davoudifar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 316, a mentionné à bon droit qu’il ne suffisait pas que la demanderesse ne fasse simplement que démontrer qu’elle avait établi des liens personnels et avec sa collectivité, et qu’elle ainsi que les gens qui l’aiment et la soutiennent seraient beaucoup plus heureux et se sentiraient mieux si elle restait au Canada. Ce ne serait pas vraiment difficile à démontrer pour quiconque ayant vécu au Canada pendant une période considérable et ayant établi de solides relations interpersonnelles ainsi que d’autres liens avec le Canada. Le critère est de savoir si un demandeur a produit une preuve suffisante étayant qu’il serait exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées, ou excessives pour justifier que le ministre lui accorde une exemption exceptionnelle en vertu de son pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la LIPR.  

 

[21]           Malheureusement, à la différence des demandeurs dans les affaires Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385; [2003] A.C.F. no 532, au paragraphe 18, et Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 804; [2003] A.C.F. no 1076, au paragraphe 24, la demanderesse dans la présente affaire ne s’est pas acquittée de son fardeau à cet égard.

 

[22]           En ce qui a trait à l’intérêt supérieur de sa fille, les observations de la demanderesse portaient principalement sur sa capacité de payer l’instruction de sa fille dans une école prestigieuse. Cependant, la demanderesse n’a produit aucun élément de preuve relatif aux frais scolaires de sa fille et aux répercussions que son retour à Sainte-Lucie pourrait avoir sur le fait que sa fille puisse ou non rester à cette école. Compte tenu du dossier de preuve dont je dispose, ainsi que du fait que la demanderesse sera réunie avec sa fille à son retour à Sainte-Lucie, je ne peux conclure que l’agente a commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt de la fille de la demanderesse.  

 

[23]           En résumé, je ne peux souscrire à la prétention de la demanderesse que l’agente a transgressé les règles d’équité procédurale en dissimulant des inférences défavorables quant à la crédibilité dans des conclusions de preuve insuffisante et qu’elle n’a pas accordé ensuite à la demanderesse une occasion de répondre à ses préoccupations. La demanderesse a eu l’occasion de « présenter ses meilleurs arguments » en formulant des observations écrites complètes quant à tous les aspects de sa demande. Dans la présente affaire, cela satisfaisait aux droits de participation que commande l’obligation d’équité procédurale en l’espèce (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 34). L’agente n’avait pas l’obligation d’accorder une entrevue à la demanderesse seulement parce qu’elle était d’avis que les observations de cette dernière n’étaient pas convaincantes.  

 

B. L’agente a-t-elle commis une erreur en ne suivant pas et en n’appliquant pas la section 13.10 des Directives IP 5

 

[24]           Au moment où la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire a été rendue, les dispositions des directives traitant des personnes qui sont dans des relations de violence étaient énoncées à la section 13.10. Ces dispositions se trouvent maintenant à la section 12.7. Le libellé de l’actuelle section 12.7 est essentiellement le même que celui de l’ancienne section 13.10, quoique certains des facteurs énumérés à la section 13.10 aient été supprimés. Je vais examiner les observations de la demanderesse selon la version des directives qui étaient en vigueur au moment de la décision.

 

[25]           Les directives énonçaient ce qui suit :

 

Directives en matière d’immigration, IP 5, section 13.10

 

Les membres de la famille au Canada (surtout les époux) qui se retrouvent dans des relations abusives et ne sont pas résidents permanents ni citoyens canadiens peuvent se sentir obligés de demeurer dans cette relation ou cette situation abusive pour demeurer au Canada, ce qui peut leur faire courir un risque.

 

L’agent doit être sensible aux situations où l’époux (ou un autre membre de la famille) d’un citoyen canadien ou d’un résident permanent quitte une situation de violence et par conséquent ne bénéficie pas d’une demande de parrainage approuvée.

 

L’agent doit tenir compte des facteurs qui suivent :

 

-          les renseignements qui indiquent qu’il y a eu violence, par exemple rapports de police, mises en accusation ou déclarations de culpabilité, rapports de maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, rapports médicaux, etc.;

 

-          la preuve d’un degré appréciable d’établissement au Canada (voir la Section 11.2, Évaluation du degré d’établissement au Canada);

 

-          la difficulté qui résulterait, si le demandeur devait quitter le Canada;

 

-          les us et coutumes du pays d’origine du demandeur;

 

-        le soutien de parents et d’amis dans le pays d’origine du demandeur;

 

-          est-ce que la personne qui fait la demande est enceinte?

 

-          est-ce que cette personne a un enfant au Canada?

 

-          la durée du séjour au Canada;

 

-          est-ce que le mariage ou la relation était authentique?

 

-          tout autre facteur qui serait pertinent pour la décision CH.

 

[26]           La demanderesse prétend que l’agente a commis une erreur en ne mentionnant pas explicitement qu’elle avait tenu compte des directives et en ne tenant pas compte des divers facteurs prévus dans celles-ci. Je ne suis pas d’accord.

 

[27]           Comme le mentionne l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 72, au sujet d’une autre section des directives : « Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par » l’article 25 de la LIPR, et le fait qu’une décision puisse être « contraire aux directives est d’une grande utilité pour évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire ». Donc, même si une décision va dans le sens contraire des directives, elle n’est pas nécessairement déraisonnable. Cela s’explique, du moins en partie, par le fait que la nature du pouvoir conféré par l’article 25 est « hautement discrétionnaire et factuelle » (Baker, au paragraphe 61).

 

[28]           De façon plus générale, les directives administratives ne sont pas contraignantes et ne peuvent être appliquées d’une manière qui entrave indûment le pouvoir discrétionnaire du décideur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Thamotharem, 2007 CAF 198, aux paragraphes 62 à 72). Un décideur doit toujours avoir la liberté de parvenir à une décision qui reflète adéquatement les faits particuliers de l’affaire dont il est saisi. Cependant, si la décision va substantiellement à l’encontre des directives que le décideur doit suivre, celui-ci devrait fournir une explication raisonnable.

 

[29]           Il s’ensuit qu’un simple oubli de faire mention des directives et de traiter explicitement de chacun des facteurs qui y sont énoncés ne constitue pas, en soi, une erreur de droit. La question est de savoir si la décision, dans son ensemble, est déraisonnable. Comme j’en ferai brièvement état dans la partie IV.C ci-dessous, je ne peux conclure que la décision est déraisonnable dans son ensemble.

 

[30]           Cependant, à titre informatif, je soulignerai qu’en l’espèce, l’agente a effectivement accordé une importance raisonnable aux directives, puisqu’elle a abordé plusieurs des facteurs qui y étaient énoncés, bien qu’elle n’ait pas expressément mentionné qu’elle le faisait.

 

[31]           Plus précisément, elle a explicitement relevé le fait que la demanderesse avait mis fin à une relation violente avec M. Dennehy, qu’elle avait perdu son parrainage et qu’elle avait par conséquent présenté une demande CH. Ensuite, après avoir mentionné que la demanderesse craignait que M. Dennehy se venge ou la châtie, l’agente a traité de la question du caractère adéquat de la protection de l’État à Sainte-Lucie, dans la mesure où celle-ci s’avérerait nécessaire.

 

[32]            En ce qui concerne la liste de facteurs énumérés dans les directives, l’agente a expressément traité de la plupart des facteurs qui étaient pertinents, soit le fait que M. Dennehy avait été déclaré coupable et condamné pour voies de fait envers la demanderesse; le degré d’établissement et la durée du séjour de la demanderesse au Canada; les difficultés qui résulteraient de son départ du Canada; son réseau familial à Sainte-Lucie qui pourrait l’aider dans sa réintégration. Il n’était pas nécessaire de traiter de la question d’une grossesse ou de l’intérêt d’un enfant canadien, quoique l’agente a traité de la question de l’intérêt de la fille de la demanderesse à Sainte‑Lucie. L’agente n’a jamais remis en question l’authenticité du mariage de la demanderesse. Quant au facteur des us et coutumes, l’agente a mentionné que la demanderesse prétendait qu’elle serait ostracisée par sa famille et ses amis à Sainte-Lucie en raison des plaintes qu’elle avait déposées contre M. Dennehy. C’est à ce stade que l’agente s’est penchée sur la question de la protection de l’État.

 

[33]           La demanderesse a soutenu que, lorsqu’une personne perd le parrainage d’un conjoint violent en mettant fin à la relation, il devrait y avoir une présomption réfutable portant que la demande CH présentée par celle-ci sera accueillie. Elle prétend qu’en l’absence d’une telle présomption, les directives sont d’une faible utilité sur le plan politique pour les demandeurs faisant l’objet de violence.  

 

[34]           Je ne peux accepter cette prétention. Les directives offrent effectivement aux demandeurs une occasion particulière d’attirer l’attention de la personne qui examine leur demande CH vers toute question relative à la relation violente et aux facteurs énumérés qui pourraient être pertinents dans le cadre de leur demande. De plus, les directives exigent que l’agent d’ERAR soit particulièrement attentif à la situation du demandeur et au fait qu’il puisse avoir perdu le parrainage de son ancien conjoint en mettant fin à la relation violente.

 

[35]           Essentiellement, les directives visent à garantir que des facteurs qui pourraient autrement ne pas recevoir leur juste poids dans l’appréciation globale de la demande CH présentée par un demandeur le reçoivent. Cependant, il est tout de même nécessaire de démontrer que la demande, dans son ensemble, justifie l’exercice exceptionnel du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la LIPR, en raison des difficultés inhabituelles et injustifiées, ou excessives que pourrait vraisemblablement engendrer le rejet de la demande.  

 

[36]           Ériger en présomption réfutable l’occasion particulière envisagée par les directives aurait pour effet de placer les demandeurs ayant vécu une relation violente dans une situation plus avantageuse que tous les autres demandeurs CH et ne serait pas cohérent avec la nature hautement discrétionnaire du pouvoir conféré par l’article 25. Je ne peux accepter la prétention que la section 13.10 visait à parvenir à un tel résultat.

 

 

 

C. La décision de l’agente était-elle déraisonnable?

 

[37]           La demanderesse soutient que [traduction] l’« omission » prétendue de l’agente d’apprécier sa situation en fonction des directives faisait en sorte que la décision de l’agente était déraisonnable. Comme il a été mentionné dans la partie IV.B ci-dessus, l’agente a effectivement soupesé les divers facteurs énoncés dans les directives qui étaient pertinents dans la situation de la demanderesse. Le fait qu’elle n’ait pas explicitement mentionné qu’elle en tenait compte ne rend pas sa décision déraisonnable. Au vu de la preuve dont elle était saisie, je suis convaincu que l’agente pouvait raisonnablement tirer les conclusions auxquelles elle était parvenue quant à ces facteurs, particulièrement à l’égard des lacunes dans la preuve présentée par la demanderesse. L’agente n’a écarté aucun élément de preuve qui aurait pu raisonnablement lui faire tirer une conclusion différente.

 

[38]           La demanderesse soutient aussi que l’agente n’a pas apprécié de manière raisonnable l’intérêt supérieur de sa fille ou la nature des difficultés auxquelles elle prétendait qu’elle serait exposée à son retour à Sainte-Lucie. Cependant, pour les motifs abordés dans la partie IV.A ci‑dessus, je suis convaincu que l’agente a examiné de manière raisonnable ces deux questions dans le cadre de son appréciation.  

 

[39]           Par conséquent, je ne peux souscrire à la prétention de la demanderesse que la décision de l’agente était déraisonnable. Selon moi, la décision de l’agente appartenait certainement « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). La décision était transparente, intelligible et justifiée de manière appropriée.  

 

 

D. L’agente a-t-elle appliqué un mauvais critère lorsqu’elle a examiné la demande CH?

 

[40]           Finalement, la demanderesse prétend que, parce que certains paragraphes de la décision de l’agente quant à sa demande CH étaient virtuellement identiques aux paragraphes correspondants dans la décision que l’agente a rendue quant à sa demande d’ERAR, elle a utilisé le critère applicable aux demandes d’ERAR plutôt que celui applicable aux demandes CH.

 

[41]           Je ne souscris pas à cette prétention. Les paragraphes en question se trouvaient dans la partie de la décision de l’agente qui traitait des difficultés auxquelles la demanderesse prétendait qu’elle serait exposée à son retour à Sainte-Lucie. Au début de cette partie, l’agente a mentionné expressément ce qui suit [traduction] : « Je reconnais que le critère pour les difficultés est celui d’une demande CH, et non celui prévu aux articles 96 ou 97 de la LIPR. La présente demande CH a été appréciée selon la norme des difficultés inhabituelles et injustifiées, ou excessives. »

 

[42]           L’agente a aussi explicitement formulé le critère applicable quant aux difficultés au début de son analyse, dans la partie précédente de sa décision, de même que dans toutes les parties subséquentes de la décision, à une exception près. Ces parties traitaient des divers facteurs qui sont, d’ordinaire, traités dans les décisions relatives à une demande CH et qui n’ont pas été examinés dans la décision de l’agente quant à la demande d’ERAR.

 

[43]           Étant donné ce qui précède, ainsi que mon interprétation de la décision de l’agente, je suis convaincu que celle-ci n’a pas appliqué un critère erroné lorsqu’elle a examiné la demande présentée par la demanderesse.

 

[44]           Il n’y a rien de mal à ce qu’un agent d’ERAR, qui rend une décision quant à un ERAR et une autre décision quant à une demande CH présentée par le même demandeur, utilise des éléments tirés d’une demande lorsqu’il analyse l’autre demande, tant et aussi longtemps qu’il applique les bons critères dans chacune des demandes.

 

V.        Conclusion

[45]           La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[46]           La demanderesse a proposé la certification d’une question au sujet de la nécessité, pour un agent d’ERAR, d’appliquer les directives d’une manière qui encourage les immigrants parrainés victimes de violence familiale à mettre fin à leur relation avec leur répondant, en reconnaissant la situation de violence comme étant un motif pour accorder le statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire. Subsidiairement, la demanderesse propose que je certifie la question suivante :

 

[traduction]

Dans l’appréciation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, l’omission d’appliquer les directives du guide IP 5 quant à la « violence familiale » d’une manière qui encouragerait un demandeur parrainé à se séparer d’un conjoint violent, plutôt qu’à continuer d’endurer la violence afin de préserver l’entente de parrainage, est-elle contraire à l’objectif des directives relatives à la « violence familiale », et constitue-t-elle, par conséquent, un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR?

 

[47]           Chacune de ces variantes de la question proposée pose problème, et ce, pour au moins deux raisons.

 

[48]           Premièrement, l’examen des actes de violence familiale commis par un répondant ainsi que l’appréciation générale des demandes CH présentées en vertu de l’article 25, dans lesquelles la violence conjugale est invoquée, dépendent invariablement des faits et du contexte propre à chaque affaire. 

 

[49]           Deuxièmement, comme l’a soulevé l’avocate du défendeur, les deux versions de la question proposée par la demanderesse sont indûment vagues. En résumé, il serait difficile de décrire la manière précise dont les directives devraient être appliquées pour encourager les immigrants parrainés à mettre fin à leur relation avec un répondant violent, sans décréter définitivement que tous les demandeurs dans une telle situation devraient se voir accorder le statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire. En fait, la méthode qui précède semble être exactement ce que la première version de la question de la demanderesse laisse entendre. Avec tout le respect que j’ai pour la demanderesse, une telle application des directives, comme je l’ai mentionné ci-dessus, serait totalement incompatible avec « [la] nature hautement discrétionnaire et factuelle » de l’appréciation des demandes CH présentées en vertu de l’article 25 de la LIPR (Baker, précité, au paragraphe 61).

 

[50]           Compte tenu de ce qui précède, je ne crois pas que les questions proposées soulèvent « une question grave de portée générale », comme le prévoit l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiées.

 

[51]           Par conséquent, il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5291-09

 

INTITULÉ :                                       MAXIMIN DONELLY HERMAN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)        

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 mai 2010           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 juin 2010           

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Geraldine Sadoway

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Suranjana Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Geraldine Sadoway

Avocate

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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